Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 5
ARRÊT DU 31 JANVIER 2019
(n° , 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/21256 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6NTV
Décision déférée à la cour : jugement du 04 septembre 2018 -tribunal de commerce de Meaux - RG n° [...] - appel sur la compétence
APPELANTE
SA ALPEGA anciennement dénommée « WOLTERS KLUWER TRANSPORT SERVICES »
Ayant son siège social 17 Belgicastraat
1930 ZAVENTEM (BELGIQUE)
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Marion X... de l'AARPI BIRD & BIRD AARPI, avocate au barreau de PARIS, toque : R255 substituée à l'audience par Me Pauline Y..., avocate au barreau de PARIS, toque : R255
INTIMÉE
SA MAINFREIGHT FRANCE
Ayant son siège social Rue Charles Coulomb - ZI de Mitry Compans
[...]
N° SIRET : 382 723 567
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Nadia A..., avocate au barreau de PARIS, toque : B0515
Ayant pour avocate plaidante Me Sylvie Z..., avocate au barreau de PARIS, toque : C1771
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 novembre 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Patrick BIROLLEAU, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Patrick BIROLLEAU, Président de chambre
Madame Christine SOUDRY, Conseillère
Madame Estelle MOREAU, Conseillère
qui en ont délibéré,
Un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Patrick BIROLLEAU dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Madame Hortense VITELA
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Patrick BIROLLEAU, Président de chambre et par Hortense VITELA, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE :
Le 19 mars 2013, la société Mainfreight France, commissionnaire de transport, a souscrit un contrat de service de bourse de fret Téléroute, gérée par la société de droit belge Alpega (anciennement Wolters Kluwer Transport Services).
La société Vente Privée.com a confié à la société Mainfreight France l'organisation du transport de vêtements de la marque Guess au départ de la ville de Piacenza (Italie) à destination de son dépôt situé à Saint-Vulbas (France). Cette expédition nécessitait la mise en oeuvre de cinq véhicules articulés.
La société Mainfreight a, pour ce transport, déposé une proposition de transport via la plateforme internet Téléroute et a été contactée par la société Apulia Tir.
Suite à la communication à la société Mainfreight France, en date du 3 mars 2015, de divers documents tels que le Kbis de la société, la licence de transport en cours de validité et l'attestation d'assurances marchandises, la société Apulia Tir a, selon lettre de voiture CMR datée du même jour, pris en charge 33 palettes supportant 701 colis de vêtements femme (lingerie) et enfants de marque Guess, d'un poids brut de 4.303,73 kg, d'une valeur de 227.356,81 euros (113.678,41 euros (prix d'achat) + 113.678,41 euros (marge commerciale).
Le 20 mars 2015, alors que quatre des camions étaient parvenus à destination, le camion affrété par la société Apulia Tir a fait défaut. Dans un courriel en date du 24 mars 2015 adressé à la société vente Privée, la société Mainfreight a reconnu sa responsabilité dans la disparition des marchandises.
Le 30 septembre 2015, la société Mainfreight France a déposé une plainte auprès des services de police pour vol de marchandises confiées à la société Apulia Tir.
Par acte en date du 26 février 2016, la société Vente Privée et ses assureurs ont assigné la société Mainfreight France devant le tribunal de commerce de Meaux aux fins de la voir condamner au paiement de la somme de 227.356,81 euros correspondant à la valeur de vente des marchandises. Par acte du 21 février 2017, la société Mainfreight France a appelé en garantie la société Alpega. Cette dernière a soulevé, in limine litis, une exception d'incompétence internationale du tribunal de commerce de Meaux en raison d'une clause de juridiction figurant au contrat liant les parties et attribuant compétence exclusive au cours et tribunaux de Bruxelles pour trancher tout litige les opposant.
Par jugement rendu le 4 septembre 2018, le tribunal de commerce de Meaux a :
- a reçu la société Alpega en son exception d'incompétence territoriale ;
- l'a dite mal fondée et l'en a déboutée ;
- s'est déclaré compétent territorialement ;
- a renvoyé la cause à l'audience de mise en état du 16 octobre 2018 à 9h30 et enjoint les parties de conclure au fond ;
- a réservé les dépens.
Vu l'appel interjeté le 25 septembre 2018 par la société Alpega à l'encontre de cette décision ;
Vu la requête en date du 25 septembre 2018 par la société Alpega afin d'assigner à jour fixe devant la cour d'appel de Paris ;
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PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La société Alpega, par dernières conclusions signifiées le 23 novembre 2018 demande à la cour, au visa de la clause 13.6 des conditions générales relatives à l'utilisation des produits Téléroute annexés et visées au contrat liant les parties, et de l'article 25.1 du règlement Bruxelles I bis relatif à la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, de :
- recevoir la société Alpega en son appel du jugement sur la compétence et l'y déclarer bien-fondée ;
- juger que la clause 13.6 des conditions générales d'Alpage qui prévoit que seules les juridictions de Bruxelles sont compétentes pour traiter de tous litiges est applicable au présent litige et opposable à la société Mainfreight ;
- juger que le tribunal de commerce de Meaux est incompétent pour connaitre de ce litige ;
- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Maeau le 4 septembre 2018, en ce qu'il s'est déclaré compétent pour trancher ce litige ;
- renvoyer la société Mainfreight à mieux se pourvoir devant les juridictions de Bruxelles;
- condamner la société Mainfreight au paiement de la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Elle fait valoir, sur le fondement de l'article 13.6 des conditions générales relatives à l'utilisation des produits Téléroute prévoyant la compétence des juridictions de Bruxelles pour tout litige pouvant découler de la convention conclue entre elle et la société Mainfreight, que les juridictions françaises ne sont pas territorialement compétente pour traiter de ce litige, puisque d'une part, outre le fait que les dispositions de l'article 25.1 du Règlement Bruxelles Ibis relatif à la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, applicable en l'espèce, sont respectées, la clause attributive de juridiction litigieuse a été stipulée par écrit de manière claire et apparente dans les conditions générales annexées au contrat et a été acceptée lors de la signature dudit contrat par les parties en 2013, de sorte que la société Mainfreight France ne peut prétendre ne pas avoir eu connaissance et ne pas avoir accepté ces conditions générales, la clause de juridiction insérée dans les conditions générales étant présumée comme ayant été acceptée par la partie à laquelle elle est opposée si le contrat fait référence auxdites conditions générales, la société Mainfreight France ayant eu l'occasion de prendre connaissance de ces conditions générales par deux fois et les stipulations de la section 4 in fine du contrat - qui prévoit que «les conditions définies ne sont valables que si elles sont paraphées par chacune des parties» ne concernant que les conditions particulières additionnelles et non aux conditions générales de vente; et puisque d'autre part, le litige présente un caractère international en ce que la société Alpega est de nationalité belge ouvrant ses services à l'ensemble des pays européens, la société Apulia Tir est une société de droit italien, et en ce que le droit belge est applicable au contrat.
La société Alpega expose, sur l'application de l'article 48 du code de procédure civile et en se fondant sur l'article 25 du Règlement Ibis, que non seulement la clause attributive de juridiction figurant au sein des conditions générales annexées au contrat conclu entre les parties est soumise aux seules exigences posées par le Règlement Bruxelles Ibis et non à celles posées par l'article 48 du code de procédure civile ; mais en outre que, de toutes les façons et même si l'article 48 du code de procédure civile était applicable, que la clause attributive de juridiction est apparente et figure en caractère lisibles, de sorte que cette dernière est valide et opposable à la société Mainfreight France.
Elle indique enfin que les dispositions de l'article 8.2 du Règlement CE 1215/2012 - qui permet à tout demandeur en garantie d'attraire devant le tribunal saisi de la demande originaire, une personne domiciliée dans un autre État communautaire - ne peuvent être retenues en l'espèce, les clauses attributives de juridiction l'emportant sur l'objectif de concentration des moyens défendu par cette disposition, de sorte que l'argument de la société Mainfreight France tiré de l'opposition par la société Alpega d'une clause de non-responsabilité nulle en France, est inopérant.
La société Mainfreight, par dernières conclusions signifiées le 26 novembre 2018 par France demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris ;
au visa des articles 48 du code de procédure civile, 1103, 1104 anciens du code civil, 1162 et 1169 ancien du code civil, et 25 et 8-2 du règlement CE 1215/2012,
- rejeter purement et simplement l'exception d'incompétence soulevée par la société Alpega ;
- se déclarer compétent à connaitre du litige opposant Mainfreight France à Alpega ;
- condamner Alpega au paiement d'une indemnité de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, conformément aux dispositions de l'article 699 dudit code.
Elle fait valoir que la juridiction territorialement compétente est le tribunal de commerce de Meaux puisque d'une part, sur le fondement de la Convention de la Haye du 30 juin 2005 précisant qu'une situation est internationale sauf si les parties résident dans le même État contractant, le contrat conclu entre la société Mainfreight France et la société Téléroute France n'est pas un contrat international, faute pour le contrat d'impliquer un mouvement de flux et de reflux au-dessus des frontières, les sociétés Mainfreight et Téléroute France étant chacune domiciliée [...], la circonstance que la société Téléroute ait pu intégrer un groupe international n'entraînant pas un changement de nationalité et étant sans incidence sur cette nationalité, l'objet du contrat étant la fourniture d'une prestation de service, en France, à une société française et le paiement s'effectuant en France, de sorte que la société Alpega ne peut revendiquer l'application du Règlement Communautaire, subordonné à la reconnaissance du caractère international de la situation ; puisque d'autre part, sur le fondement des dispositions de l'article 48 du code de procédure civile, non seulement les règles de compétence interne doivent seules s'appliquer en l'espèce pour désigner la juridiction compétente, mais en outre, la clause attributive de juridiction invoquée par la société Alpega ne répond pas aux exigences de la loi interne française, cette clause apparaissant en caractères minuscules et ne présentant donc pas de caractère lisible et apparent e t les annexes 2 et 5 n'ayant pas été paraphés par les parties de sorte que la société Alpega ne rapportant pas la preuve de la connaissance ni de l'acceptation par la société Mainfreight France de cette clause, ne peut la lui opposer, la circonstance par laquelle en janvier 2016, soit postérieurement à la conclusion du contrat et aux faits litigieux, la société Mainfreight aurait reçu notification ainsi qu'un lien hypertexte pointant vers les conditions générales appuyant sa méconnaissance, avant cette date, des conditions générales contenant la clause.
Elle soutient, dans l'hypothèse où la cour relèverait le caractère international de la situation :
- d'une part, que le rejet de la clause attributive de juridiction invoquée par la société Alpega est aussi justifiée sur le terrain du droit communautaire puisque, s'agissant de l'appréciation du consentement, la clause litigieuse n'a jamais été portée à la connaissance de la concluante et n'a donc pas pu 'être convenue entre les parties', de sorte qu'elle doit être rejetée ;
- d'autre part, sur le fondement des articles 333 du code de procédure civile et 8.2 du Règlement Bruxelles Ibis - permettant à tout demandeur en garantie d'attraire, devant le tribunal saisi de la demande originelle, une personne domiciliée dans un autre État communautaire - qu'elle est fondée à obtenir la concentration des compétences dans un souci de bonne administration de la justice, dès lors que les actions respectives de la société Vente Privée à l'encontre de la société Mainfreight France et de la société Mainfreight France à l'encontre de la société Alpega sont indivisibles, et que la clause de non responsabilité insérée à l'article 9 des conditions générales de vente rendant sans objet le contrat de service proposé par la société Alpega à ses clients est nulle en France en ce qu'elle permettrait à cette dernière, si elle était jugée en Belgique, d'échapper à toute responsabilité.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.
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MOTIFS :
Considérant que les conditions générales du contrat de service de bourse de fret Teleroute stipulent en leur article 13.6 : 'Seul le droit belge sera d'application pour l'exécution, l'interprétation et la mise en 'uvre de la convention. Les cours et tribunaux de Bruxelles seront seuls compétents pour connaître des litiges pouvant découler de la présente convention.' (pièce Alpega n°3) ;
Considérant que l'article 25.1 du règlement Bruxelles I bis relatif à la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale dispose :
« Si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d'une juridiction ou de juridictions d'un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. La convention attributive de juridiction est conclue :
a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite ;
b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles;
ou
c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée. » ;
Considérant que les critères d'application de l'article 25.1 du règlement sont :
- l'existence d'une convention écrite ou dans une forme conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ;
- le domicile d'une partie au moins sur le territoire d'un Etat membre ;
- la désignation d'un tribunal ou des tribunaux d'un Etat contractant ;
- une situation internationale ;
Considérant que la société Mainfreight conteste, au soutien de la compétence des juridictions françaises, d'une part, l'opposabilité de la clause attributive de juridiction, d'autre part, l'internationalité du litige ;
Sur l'opposabilité de la clause attributive de juridiction
Considérant qu'il appartient à celui qui invoque l'application de la clause attributive de compétence de faire la démonstration de ce que le cocontactant a été informé et a explicitement ou tacitement accepté les termes des conditions générales au moment où la convention s'est formée ;
Qu'en l'espèce, le contrat Teleroute se présente en un contrat auquels sont jointes les annexes 1 - liste des utilisateurs, 2 - conditions générales relatives à l'utilisation des produits Teleroute, 3 - formulaire d'autorisation de prélèvement automatique, 4 - sercices Teleroute et tarifs, et les conditions particulières Teleroute ; que ce contrat, en sa page 2, portant la signature de Teleroute et de comporte la mention suivante : 'les annexes définies en page 1 (en ce compris notamment les conditions générales relatives à l'utilisation des produits Teleroute (jointes en annexe 2) et les conditions particulières Teleroute) sont jointes à ce contrat et en forment partie intégrante. Le client déclare en avoir pris connaissance et les accepter sans réserve' (pièce Alpega n°3) ; qu'il se déduit de cette mention que la société Mainfreight a eu connaissance des conditions générales de Teleroute lors de la formation du contrat et les a expressément approuvées ; que la clause de l'article 13.6 de ces conditions est, en conséquence, opposable à Mainfreight ;
Sur le caractère international du litige
Considérant que l'article 25.1 du règlement Bruxelles I bis reconnaît la validité de la clause attributive de juridiction aux seules conditions que l'une des parties au moins soit domiciliée sur le territoire d'un Etat membre et que la juridiction désignée soit celle d'un Etat membre ;
Qu'en l'espèce, les parties sont domiciliées sur le territoire d'Etats différents de l'Union européenne ; que la juridiction désignée est celle d'un Etat membre ; qu'au surplus, l'opération de transport objet du litige porte sur un déplacement de marchandises entre Etats différents, d'Italie vers la France, a fait l'objet d'une lettre de voiture CMR et constitue dès lors un transport international ; qu'il en ressort des éléments d'extranéité suffisants à établir le caractère international du litige ;
Considérant que la clause attributive de juridiction a vocation à s'appliquer au présent litige ; qu'en conséquence, la cour infirmera le jugement entrepris, dira les juridictions françaises incompétentes et, conformément à l'article 96 du code de procédure civile, renverra les parties à mieux se pourvoir ;
Considérant que l'équité commande de condamner Mainfreight à payer à Alpega la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
INFIRME le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau ;
DÉCLARE les juridictions françaises incompétentes ;
RENVOIE les parties à mieux se pourvoir ;
CONDAMNE la SA Mainfreight France à payer à la société Alpega la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SA Mainfreight France aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
La Greffière Le Président
Hortense VITELA Patrick BIROLLEAU