La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/01/2019 | FRANCE | N°17/09928

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 6, 30 janvier 2019, 17/09928


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 6



ARRÊT DU 30 JANVIER 2019



(n° 2019/64, 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 17/09928 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3CIV



Décisions déférées à la Cour : Jugement du 2 Novembre 2012 - Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2010056903

Arrêt du 3 avril 2014 - Cour d'appel de PARIS - RG n° 13/03310

Arrêt du 12

février 2015 - Cour d'appel de PARIS - RG n° 13/03310

Arrêt du 18 janvier 2017- Cour de Cassation - pourvois n° S 15-13.392 et W 15-14.661 (jonction)





DEMANDEUR À LA S...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6

ARRÊT DU 30 JANVIER 2019

(n° 2019/64, 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 17/09928 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3CIV

Décisions déférées à la Cour : Jugement du 2 Novembre 2012 - Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2010056903

Arrêt du 3 avril 2014 - Cour d'appel de PARIS - RG n° 13/03310

Arrêt du 12 février 2015 - Cour d'appel de PARIS - RG n° 13/03310

Arrêt du 18 janvier 2017- Cour de Cassation - pourvois n° S 15-13.392 et W 15-14.661 (jonction)

DEMANDEUR À LA SAISINE

Monsieur [X] [E]

Né le [Date naissance 1] 1934 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020

Représenté par Me Roland POYNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : B0837

DÉFENDERESSE À LA SAISINE

SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE prise en la personne de ses représentants légaux

Immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 552 120 222

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Stéphane WOOG de la SELARL WOOG & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0283

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 26 Novembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Françoise CHANDELON, Présidente de chambre

M. Marc BAILLY, Conseiller

Mme Pascale LIEGEOIS, Conseillère

qui en ont délibéré,

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Anaïs CRUZ

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Françoise CHANDELON, Présidente de chambre et par Anaïs CRUZ, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

*****

La famille [E], qui exploitait, depuis 1926, une activité de transport de personnes par autocars, était, en 2003, à la tête d'un groupe de quatre sociétés, une holding, la SA Groupe [E] et trois filiales, les sociétés « [X] [E] », « des autocars [Q] [E] » (SA[Q][E]), « nouvelle Vernon Cars » animé par M. [X] [E].

Son principal partenaire financier était la Société Générale depuis 1966.

Confronté en 1994 à des problèmes de trésorerie liés à une baisse de son chiffre d'affaires, le groupe a obtenu du tribunal de commerce la désignation d'un mandataire ad hoc, qui a assisté ses entités du 5 octobre 1994 au 30 mai 1995 et le 12 avril 1995.

A cette période, la Société Générale a maintenu son autorisation de découvert à hauteur de 15 millions de francs, 10 pour la société [X] [E], 2,5 pour la SA[Q][E] et 2,5 pour la société Vernon.

Aux termes d'un protocole du 19 novembre 1996, les parties ont convenu de transformer ce découvert :

pour partie en crédit à moyen terme de 6 millions de francs (4 pour la société [X] [E], 1 pour la SA[Q][E] et 1 pour la société Vernon) d'une durée de 7 ans, avec une période de deux années de différé d'amortissement (du 19 février 1997 au 19 février 1999),

pour le solde, en découvert à durée indéterminée (6 pour la société [X] [E], 1,5 pour la SA[Q][E] et 1,5 pour la société Vernon).

Par le même acte les parties convenaient que serait substitué à la ligne Dailly de 22 millions de francs accordée par la Société Générale, un encours d'affacturage à signer avec la Compagnie Générale d'Affacturage (CGA), sa filiale.

Les autres concours accordés par la Société Générale étaient également renégociés :

Ceux consentis à la société [X] [E] :

un prêt relais de 10 millions de francs remboursable in fine le 31 juillet 1996 était ainsi transformé en crédit à moyen terme d'une durée de 7 ans avec deux années de différé d'amortissement (19 mars 1997 au 19 mars 1999)

un prêt de 5 millions de francs consenti le 25 juillet 1994 voyait sa durée initiale de 6 ans portée à 7 ans à compter du 19 février 1997 avec deux années de différé d'amortissement,

un prêt de 6 millions de francs octroyé le 3 mai 1991, impayé à hauteur de 4 436 677,32 F était stipulé remboursable dans les mêmes conditions,

de même qu'un prêt de 8 millions de francs en date du 17 décembre 1987, dont le capital résiduel s'élevait à 2 662 528,98 F, dont 2 191 265,76 F dus par la société [X] [E] (le surplus par la société SA[Q][E])

Ceux consentis à la société SA[Q][E] :

un prêt de 5 millions de francs accordé le 25 août 1994, dont la durée initiale, 6 années était portée à 7 à compter du 19 mars 1997 avec deux années de différé d'amortissement,

partie du concours précité du 17 décembre 1987, dû par la société SA[Q][E] à hauteur de 471 263,22 F, remboursable selon les mêmes modalités.

Le 20 février 2003, M. [X] [E], son épouse [W] et leurs enfants, [P] et [K], ont donné à la Société Générale mandat de vendre les parts qu'ils détenaient dans le groupe, notamment dans la société holding, actionnaire à hauteur de 20 à 30% des trois autres sociétés.

Le 8 octobre 2003, la même banque a dénoncé ses concours aux entités du groupe à effet le 8 décembre suivant.

Les chèques de paiement des salariés étant rejetés le jour même de la résiliation, M. [X] [E] a déclaré les sociétés en état de cessation de paiement le 13 octobre 2003.

Le 15 octobre suivant, le tribunal de commerce de Bobigny a admis les sociétés du groupe au bénéfice du redressement judiciaire.

Le 5 novembre 2003, la Société Générale leur a consenti un nouveau prêt de 2 millions d'euros, exigeant de M. [X] [E] une garantie hypothécaire sur un immeuble personnel outre son cautionnement « omnibus » de toutes dettes antérieures ou postérieures à l'ouverture de la procédure collective à hauteur de 1 750 000 €.

Les 18 août et 21 décembre 2004, les trois sociétés opérationnelles ont fait l'objet de jugements de cession.

En fin d'année 2008, M. [X] [E] avait respecté ses engagements de caution envers la Société Générale.

Estimant que la rupture fautive de ses concours par la banque lui aurait occasionné un préjudice personnel, M. [X] [E] a engagé la présente procédure par exploit du 29 juillet 2010.

Par jugement en date du 2 novembre 2012, le tribunal de commerce de Paris a :

déclaré irrecevable, sur le fondement de l'article 621-39 du code de commerce, la demande liée à la perte de chance de réaliser ses actions à leur prix réel au motif que seul le représentant des créanciers pouvait invoquer la perte de valeur des parts sociales de sorte qu'il n'avait pas qualité à agir,

rejeté sa demande fondée sur une perte de chance de ne pas engager son patrimoine en l'absence de lien de causalité entre son dernier engagement et la cessation des paiements.

Statuant sur l'appel formé par M. [E], la présente juridiction, autrement composée, a, par arrêts des 3 avril 2014 et 12 février 2015, infirmé le jugement en toutes ses dispositions, allouant à l'appelant 10 000 000 € au titre de la perte de chance de céder amiablement ses titres, 1 700 000 € au titre de la perte de chance de ne pas avoir à engager son patrimoine outre une indemnité de 10 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur le pourvoi formé par M. [E] et par arrêt du 18 janvier 2017 la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt du 12 février 2015 et par voie de conséquence celui du 3 avril 2014 (retenant la faute de la banque sans statuer sur le préjudice), renvoyant l'examen de l'affaire devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

La Cour de Cassation reproche à la cour d'appel

d'avoir déclaré recevable l'action de M. [E] fondée sur la perte de chance de céder amiablement les titres qu'il détenait dans les sociétés du groupe au motif que le préjudice est la conséquence directe de la faute de la banque, la rupture abusive et déloyale de ses concours anéantissant tout projet de cession ajoutant qu'il ne demande pas la réparation d'un préjudice social mais celui né de l'impossibilité dans laquelle la banque l'a placé de vendre ses actions à leur prix réel, lequel est autonome et distinct de celui subi par la société du fait de la procédure collective, alors « Qu'en statuant ainsi alors qu'elle relevait que c'était l'ouverture des procédures collectives des sociétés du groupe qui avait fait perdre toute valeur aux actions appartenant à M. [E], de sorte que la perte de la chance de vendre amiablement ses titres à leur prix réel n'était que la conséquence de leur dépréciation résultant des procédures de redressement judiciaire dont les sociétés du groupe avaient fait l'objet et que ce préjudice n'était pas distinct de celui subi par la collectivité des créanciers du fait de l'amoindrissement ou de la disparition du gage commun en reconstitution duquel seul le mandataire judiciaire ou le commissaire à l'exécution du plan, représentant lesdits créanciers, a qualité à agir, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

d'avoir accueilli la demande de M. [E] fondée sur la perte de chance de ne pas avoir à engager son patrimoine comme caution, ce dernier ayant réglé le solde des comptes courants des trois sociétés du groupe, soit des créances nées antérieurement au redressement judiciaire et déclarées au passif au motif : « Qu'en statuant ainsi alors que M. [E] avait souscrit l'engagement de caution après l'ouverture des procédures collectives dont les sociétés de son groupe avaient fait l'objet à la suite du refus de la banque de payer trois chèques tirés sur ses caisses, afin de permettre de financer leur exploitation pendant la période d'observation et de parvenir à un plan de cession, ce dont il résulte que le préjudice allégué, consistant pour M. [E] en la perte de chance de ne pas être appelé à exécuter cet engagement, était sans lien de causalité avec le rejet des chèques, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

La cour d'appel de renvoi a été saisie par déclaration du 5 avril 2017.

Dans ses dernières conclusions du 11 octobre 2018, M. [E] demande à la cour :

d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

de le déclarer recevable et bien fondé en son action,

de condamner la Société Générale à lui payer la somme de 16 000 000 € à titre de perte de chance de céder amiablement les parts sociales qu'il détenait dans les sociétés du groupe [E], celle de 50 000 € au titre du préjudice moral subi, celle de 1 750 000 € à titre de perte de chance de ne pas avoir à engager son patrimoine outre 30 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

Au soutien de ses prétentions M. [E] fait valoir:

Sur les fautes commises par la Société Générale :

que la banque, titulaire d'un mandat de vente exclusif, n'a jamais rendu compte de l'exécution de sa mission, se bornant à adresser à M. [E] une trame de présentation le 8 avril 2003 (pièce non produite)

qu'elle a abusivement rompu les crédits à durée indéterminée après avoir accepté un découvert supérieur à celui prévu dans le protocole du 19 novembre 1996 ainsi que de différer les sommes portées au débit des comptes des sociétés du groupe jusqu'à comptabilisation des crédits résultant de la mobilisation des créances par la CGA,

que la Société Générale n'a pas respecté le délai de préavis annoncé de 60 jours, rejetant dès le lendemain tous les chèques de paie,

que la rupture est intervenue quarante jours avant le terme des prêts consentis dans le cadre du protocole dont les échéances étaient régulièrement honorées alors que sa situation n'était pas irrémédiablement compromise

qu'ainsi la Société Générale ne pouvait refuser d'accorder de nouveaux prêts au terme des anciens comme annoncé dans son courrier du 8 octobre 2003,

que la banque ne saurait légitimer son comportement par la seule circonstance qu'il a admis, dans deux écrits du 7 octobre 2003, avoir présenté par anticipation quatre factures à la CGA, la Société Générale, qui est une personne juridique distincte du factor ne pouvant exciper d'autres éléments couverts par le secret professionnel à laquelle est tenue sa filiale,

qu'en toute hypothèse l'éventuelle violation du contrat d'affacturage ne saurait permettre à la banque de résilier ses concours, étant encore observé que cette situation a incité la factor à solliciter que M. [E] augmente le quantum de son engagement de caution, ce qu'il a fait le 15 septembre 2003,

Sur les préjudices subis :

M. [E] a perdu la chance de vendre ses actions à leur valeur, soit 16 000 000 €, montant prenant en compte les actifs, le taux d'endettement du groupe et le résultat économique prévisionnel,

une cession d'entreprise de transport s'opère, d'après la presse spécialisée, sur une durée de six mois et la banque n'avait que trois groupes à solliciter, lequels détenaiennt 70% du marché des transports irréguliers en Île de France, Connex, devenue Véolia Transports, Transdev et Keolis,

le préjudice dont il se prévaut n'a pas sa cause dans la disparition de la valeur vénale de la société mais dans la carence de la banque dans l'exécution du mandat de vente qui lui avait été confié de sorte que le préjudice est étranger à la protection ou à la reconstitution du gage commun,

en s'abstenant d'exécuter le contrat la banque a commis une faute dolosive l'autorisant à réclamer 16 000 000 €, à supposer que la cour suive l'argumentation de la banque sur l'imprévisibilité du dommage subi, rappelant encore que la perte de valeur de ses titres à l'origine de l'aggravation de son préjudice est du fait de la banque pour les raisons déjà avancées,

sa demande n'est pas nouvelle comme le soutient la Société Générale, l'objet de son action étant toujours d'obtenir des dommages-intérêts pour perte de chance de céder ses actions amiablement,

la Société Générale a favorisé la société Connex qui était sa cliente et dont elle était actionnaire à 5% lui permettant d'acquérir son groupe à vil prix, justifiant la demande formulée au titre du préjudice moral, demande recevable comme accessoire de la demande principale,

la poursuite de l'activité du groupe lui aurait évité de débourser de son patrimoine personnel la somme de 2 079 992 € au titre de son cautionnement ;

Dans ses dernières conclusions du 15 octobre 2017, la Société Générale demande à la cour :

de confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

de déclarer M. [E] irrecevable en sa demande d'indemnisation d'une perte de chance d'avoir cédé amiablement ses actions, pour défaut de qualité à agir, subsidiairement comme nouvelle en cause d'appel,

de débouter M. [E] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral comme nouvelle en cause d'appel, subsidiairement pour défaut de qualité à agir,

de débouter M. [E] de sa demande d'indemnisation d'une perte de chance d'avoir à engager son patrimoine personnel,

de condamner M. [E] à lui payer une somme de 50.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions la Société Générale fait valoir:

Sur l'exécution de la lettre de mission du 20 février 2003 :

que l'impossibilité de vendre amiablement ses titres par l'intimé résulte de la procédure collective, de sorte que son action est irrecevable en application des dispositions de l'article L.621-39 du code de commerce dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits,

qu'à supposer démontrés les manquements de la Société Générale dans l'exécution du mandat donné, il n'en serait résulté aucun préjudice en l'absence de procédure collective,

que sa demande est irrecevable comme nouvelle en cause d'appel,

qu'en toute hypothèse la Société Générale n'a pas commis de faute, que les autres mandants ne lui ont jamais adressé de reproche ni M. [E] à l'époque d'exécution du contrat,

qu'elle n'avait qu'une mission d'assistance et devait recevoir des vendeurs les informations nécessaires à l'exécution de sa mission,

Sur le préjudice moral allégué :

qu'il s'agit d'une prétention nouvelle en cause d'appel,

laquelle est en toute hypothèse la conséquence de l'ouverture de la procédure collective de sorte que M. [E], qui ne démontre pas de préjudice distinct de celui de la masse des créanciers n'a pas qualité à agir,

Sur la perte de chance d'avoir engagé son patrimoine personnel

que l'engagement de caution de M. [E] est sans lien avec la faute reprochée à la Société Générale puisque postérieur à celle-ci.

CELA ÉTANT EXPOSÉ

LA COUR

Sur la faute de la Société Générale

Considérant que l'intimée ne saurait la contester au motif que les sociétés du groupe auraient mobilisé « par anticipation » des factures, question qui n'a même pas à être examinée dans la mesure où la banque n'a pas estimé que ce fait justifiait une rupture immédiate de ses concours, son courrier de résiliation, s'il visait la découverte « que certaines opérations comptables prêtent au doute et qu'elles ne seraient pas le reflet sincère des faits et des chiffres » lui accordant le préavis de 2 mois prévu par l'article L.313-12 du code monétaire et financier expirant le 8 décembre 2003 ;

Qu'il en résulte que la Société générale ne pouvait refuser jusqu'à cette date les chèques présentés en paiement, alors que le débit du compte ne dépassait pas le quantum de découvert accordé les mois précédents, ces rejets étant à l'origine de l'ouverture de la procédure collective ;

Considérant qu'il en est de toute évidence résulté pour la collectivité des créanciers un préjudice du fait de l'amoindrissement voire de la disparition du gage commun :

Mais considérant qu'aux termes de l'article L.621-39 du code de commerce dans sa version applicable aux faits de l'espèce, seul le mandataire judiciaire ou le commissaire à l'exécution du plan peut agir en reconstitution de sorte que c'est à bon droit que le tribunal a jugé l'action de M. [E], fondée sur une perte de chance de vendre ses actions à prix réel en raison de cette faute irrecevable, ce dernier n'ayant pas qualité pour agir ;

Sur la perte de chance d'avoir engagé son patrimoine personnel

Considérant que M. [E] a souscrit un engagement de caution à hauteur de 1 750 000 € le 5 novembre 2003, soit en cours de période d'observation, pour obtenir un concours de la Société Générale à hauteur de 2 000 000 € ;

Que ce financement par découvert en compte spécial a été demandé par M. [E] et accordé dans le cadre d'un protocole lequel précise que l'objet de cette facilité de trésorerie est d'assurer la continuité de l'exploitation pendant la période d'observation ... ce qui permettra d'attendre la bonne conclusion des opérations de cession ;

Considérant ainsi que le préjudice de M. [E] né de la mise en 'uvre effective du cautionnement à hauteur de la somme précitée est sans lien de causalité avec la faute précitée de la banque et qu'il ne peut davantage soutenir que le groupe aurait pu poursuivre son activité, l'administrateur judiciaire désigné précisant dans les rapports d'activité qu'il produit que son dirigeant ne souhaitait pas produire un plan de redressement par voie de continuation mais une liquidation par cession ;

Que le tribunal sera également confirmé de ce chef ;

Sur l'exécution du mandat de vente

Sur la recevabilité

Considérant qu'aux termes de l'article 565 du code de procédure civile, une demande n'est pas nouvelle lorsqu'elle tend aux mêmes fins que celle soumise au premier juge même si son fondement juridique est différent ;

Considérant qu'en l'espèce, la prétention de M. [E] tend à obtenir l'indemnisation du préjudice qu'il a subi du fait de la faute de la banque non pas à l'égard du groupe qu'il dirigeait mais dans le cadre du mandat de vente qu'il lui avait confié de sorte qu'elle n'est pas nouvelle au sens du texte précité ;

Et considérant que la circonstance que les autres mandants ne se soient pas associés à cette prétention ne rend pas l'action de M. [E] irrecevable, sauf pour ce dernier à ne solliciter que le préjudice qui lui est propre ;

Sur le fond

Considérant que le mandat donné à la banque par les quatre actionnaires du groupe, d'une durée d'une année renouvelable, est exclusif, les porteurs de part ne pouvant entrer en contact avec des acheteurs sans en informer la banque, dont la rémunération était en toute hypothèse maintenue ;

Que cette rémunération était fixée à 4% (+ TVA) du montant total de la vente jusqu'à 7,5 millions d'euros, à 1% (+ TVA) au delà, minorée à 25% dans l'hypothèse d'un acheteur non directement approché par la Société Générale avec un minimum garanti de 800 000 € ;

Que le dernier paragraphe de l'article 3 du contrat prévoit une pénalité à la charge des vendeurs en cas de refus d'une offre supérieure à 16 millions d'euros, permettant de retenir que les parties valorisaient le groupe à une somme avoisinante ;

Que la Société Générale s'engageait notamment à approcher les acheteurs, en leur présentant la société cible ;

Considérant que si l'obligation du mandataire n'est, comme le rappelle le contrat, que de moyen, il lui incombe cependant de démontrer les diligences mises en 'uvre dans le cadre de la convention ;

Et considérant que force est de constater qu'aucune pièce n'est produite en justifiant ;

Considérant que pour expliquer sa carence, la Société Générale soutient qu'elle n'avait qu'une mission d'assistance supposant une collaboration de la part de ses mandants ;

Mais considérant que partenaire financier du groupe depuis plus de trente ans, elle disposait de tous les documents comptables le concernant et ne pouvait ignorer ni la tendance à la concentration des activités de ce secteur, ni la place prépondérante de trois opérateurs, Keolis, Transdev et Connex, dont la part de marché était passé de 40% en 1998 à 60% en 2003 (rapport [X]) alors encore que l'un d'entre eux était son client de sorte qu'elle pouvait se rapprocher de ces derniers sans avoir besoin d'autre « collaboration » de ses mandants ;

Considérant encore qu'il résulte des coupures de presse produites que la vente de sociétés de cette nature peut intervenir dans un délai de 6 mois et en toute hypothèse d'un an, durée au demeurant prévue par les parties ;

Considérant ainsi qu'en s'abstenant d'exécuter le mandat, la Société Générale a fait perdre à M. [E] une chance de céder ses actions à un prix raisonnable ;

Et considérant que si le co-contractant n'est tenu, comme le soutient la Société Générale, qu'à l'indemnisation du dommage prévisible au moment de la conclusion de la convention, selon les dispositions de l'article 1150 du code civil (devenu 1231-3) dans sa rédaction alors en vigueur, dès lors que la banque ne pouvait ignorer la fragilité de la situation de ce groupe, en raison des besoins de trésorerie nécessaires à sa pérennité, elle avait conscience que tout retard pris dans l'exécution du mandat dans le délai convenu pouvait entraîner de graves conséquences ;

Que le préjudice lié au manque de célérité de la banque doit ainsi être évalué à la somme de 2 000 000 € ;

Sur l'indemnisation du préjudice moral

Considérant qu'une telle demande ne peut être considérée comme l'accessoire, au sens de l'article 566 du code de procédure civile, de celles présentées au premier juge dès lors qu'elle tend à sanctionner le comportement de la banque qui aurait favorisé une autre société cliente en acculant le groupe au dépôt de bilan ;

Qu'elle doit être déclarée irrecevable ;

Sur l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Considérant que l'équité commande d'allouer à M. [E] une indemnité de 15 000 € ;

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté toute demande de dommages-intérêts ;

Statuant à nouveau de ce chef ;

Condamne la Société Générale à verser à M. [X] [E] 2 millions d'euros de dommages-intérêts pour inexécution de la lettre de mission du 20 février 2003 outre une indemnité de 15 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 17/09928
Date de la décision : 30/01/2019

Références :

Cour d'appel de Paris I6, arrêt n°17/09928 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-01-30;17.09928 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award