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29/01/2019 | FRANCE | N°17/16615

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 1, 29 janvier 2019, 17/16615


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS








COUR D'APPEL DE PARIS


Pôle 1 - Chambre 1





ARRET DU 29 JANVIER 2019





(n° , 10 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/16615 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3YPP





(CONTREDIT)





Décision déférée à la Cour : Jugement du 3 octobre 2013 rendu par le tribunal de commerce de Paris qui s'est déclaré compétent d

ans le litige


Par arrêt rendu le 1er juillet 2014, cette cour a rejeté le contredit formé contre ce jugement.


Par un arrêt du 1er mars 2017 la cour de cassation a cassé l'arrêt du 1er juillet 2014 e...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 1

ARRET DU 29 JANVIER 2019

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/16615 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3YPP

(CONTREDIT)

Décision déférée à la Cour : Jugement du 3 octobre 2013 rendu par le tribunal de commerce de Paris qui s'est déclaré compétent dans le litige

Par arrêt rendu le 1er juillet 2014, cette cour a rejeté le contredit formé contre ce jugement.

Par un arrêt du 1er mars 2017 la cour de cassation a cassé l'arrêt du 1er juillet 2014 et renvoyé les parties devant la cour de céans, autrement composée

APPELANTES

Société KA FINANZ AG

prise en la personne de ses représentants légaux

Türkenstrasse 9

[...]

représentée par Me François X... de l'AARPI X..., avocat postulant du barreau de PARIS, toque : J125

assistée de Me Thomas Y..., avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : J33

Société KOMMUNALKREDIT AUSTRIA AG

prise en la personne de ses représentants légaux

Türkenstrasse 9

[...]

représentée par Me François X... de l'AARPI X..., avocat postulant du barreau de PARIS, toque : J125

assistée de Me Thomas Y..., avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : J33

INTIMEES

SOCIETE BARCLAYS BANK PLC

prise en la personne de ses représentants légaux

[...]

représentée et assistée par Me Jean-Charles Z... et Me Arnaud G... , avocats du barreau de PARIS, toque : J30

UNION MUTUALISTE RETRAITE

prise en la personne de ses représentants légaux

[...]

représentée par la SCP HUVELIN & Associés, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : R285

assistée de Me Jérémie A..., avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : A1001

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 décembre 2018, en audience publique, les avocats des parties ne s'y étant pas opposé, devant Mme Anne B..., présidente et M. Jean LECAROZ, conseiller, chargés du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Anne B..., présidente

M. Jean LECAROZ, conseiller

Mme Isabelle MONTAGNE, conseillère, appelée à compléter la cour conformément aux dispositions de l'ordonnance de roulement portant organisation des services rendue par Madame le premier président de la cour d'appel de Paris le 31 août 2018

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Anne B..., présidente, et par Mélanie PATE, greffière présente lors du prononcé.

En 2006 et 2007, la société autrichienne KOMMUNALKREDIT a procédé à l'émission de titres de créances subordonnés dénommés 'capital notes' au profit d'une fiducie, la Banque de Luxembourg, laquelle a émis des titres dénommés 'capital certificates'.

L'Union Mutualiste Retraite (UMR), société mutualiste de droit français, a acquis des 'capital certificates'.

Au mois de novembre 2009, KOMMUNALKREDIT a été nationalisée et réorganisée en deux entités : KOMMUNALKREDIT AUSTRIA (KA) et KA FINANZ AG (KF).

A la suite de la dépréciation des titres acquis et estimant que ses deux souscriptions par l'intermédiaire de la société Barclays Bank PLC (BARCLAYS) avaient été réalisées sur la base d'une information partielle et faussée sur la structuration du produit, aboutissant à lui conférer des 'capital certificates' différents des 'capital notes' qu'elle avait souscrits et que l'écran constitué par la fiducie l'avait empêchée de faire valoir ses droits lors de la restructuration de KOMMUNALKREDIT, l'UMR a saisi le tribunal de commerce de Paris aux fins de voir annuler ces souscriptions pour vice du consentement (dol et erreur sur les qualités substantielles) et subsidiairement, aux fins d'obtention de dommages-intérêts en raison de la violation par BARCLAY'S de ses obligations de loyauté et d'information et de la complicité de KOMMUNALKREDIT dans cette fraude invoquée.

Par jugement du 3 octobre 2013, le tribunal de commerce de Paris a rejeté la demande de l'UMR de lier le fond à la compétence, débouté KA et KF de leur exception d'incompétence, s'est déclaré compétent dans le litige opposant l'UMR d'une part, KA, KF et BARCLAYS d'autre part, enjoint à ces dernières de conclure au fond, réservé les dépens et les autres demandes.

KA et KF ont formé contredit à ce jugement.

Par arrêt rendu le 1er juillet 2014, cette cour a rejeté le contredit et condamné les sociétés KA et KF aux dépens.

Sur le pourvoi formé par les sociétés KA et KF, la chambre commerciale, économique et financière de la Cour de cassation a, par un arrêt du 1er mars 2017 (pourvoi n°B 14-25.426), cassé l'arrêt de cette cour du 1er juillet 2014 aux motifs suivants:

«Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche :

Vu l'article 5.1 b) du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;

Attendu que pour rejeter le contredit formé par les sociétés KA et KF, l'arrêt retient que, s'agissant de l'émission d'obligations constitutives de titres de créance et non de titres de capital, la relation contractuelle qui s'est formée entre la société Kommunalkredit et l'UMR s'analyse comme un prêt de somme d'argent ; qu'il en déduit qu'au regard de cette prestation de services, l'UMR, prêteur de deniers, est fondée à poursuivre la nullité de ces contrats devant le lieu d'exécution de la fourniture de services et ainsi devant les tribunaux français, lieu où les sommes prêtées ont été virées à la succursale française de la société BARCLAYS ;

Qu'en se déterminant ainsi, en se bornant à déduire la qualification de fourniture de services, nécessaire à l'application de l'article 5.1b) du règlement susvisé, de celle de contrat de prêt retenue par le droit français, sans caractériser l'existence d'une activité du fournisseur de services en contrepartie d'une rémunération, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Et sur le second moyen :

Vu l'article 5.3 du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;

Attendu que pour rejeter le contredit formé par les sociétés KA et KF, l'arrêt retient que, s'agissant de la demande subsidiaire de l'UMR à leur encontre pour avoir été complices de la diffusion sur le marché français par la société BARCLAYS des informations inexactes, le fait délictueux allégué, consistant en la diffusion d'informations incomplètes ou erronées par messages électroniques à destination de la France, étant réputé avoir été commis en France, les juridictions françaises sont également compétentes sur le fondement de l'article 5.3 du règlement ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans préciser le fait délictueux retenu à l'encontre des sociétés KA et KF qui serait localisé en France ni les éléments de la localisation en France du dommage en résultant pour la société UMR, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a privé sa décision de base légale ;»

KA et KF ont saisi cette cour par déclaration du 12 juillet 2017. L'instance a été enregistrée sous le numéro RG 17/16615. L'UMR ayant saisi cette cour par déclaration du 31 juillet 2017, l'instance a été enregistrée sous le numéro RG n°17/17946. Les instances ont été jointes selon une ordonnance du président de cette chambre rendue le 19 octobre 2017.

Dans leurs conclusions notifiées le 4 décembre 2018 et soutenues à l'audience du 6 décembre 2018, KA et KF demandent à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté leur exception d'incompétence, de déclarer les juridictions françaises incompétentes à leur égard et de renvoyer l'UMR à mieux se pourvoir, le cas échéant, devant les juridictions autrichiennes sur le fondement du règlement n°44/2001, et de condamner l'UMR à leur payer chacune la somme de 40000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens avec distraction.

KA et KF soutiennent que les demandes formées par l'UMR à leur encontre relèvent de la matière délictuelle au sens du Règlement de sorte que les dispositions de l'article 5.1 de ce Règlement ne sont pas applicables, qu'en tout état de cause cet article désigne les juridictions étrangères, que l'article 5.3 du Règlement qui est applicable à la matière délictuelle désigne les juridictions autrichiennes et qu'en tout état de cause aucune disposition du Règlement, y compris celles relatives aux affaires présentant un lien de connexité (article 6.1) et aux demandes en garantie (article 6.2), ne confère compétence aux juridictions françaises. A supposer même que l'article 5.1 soit applicable, les juridictions françaises demeureraient incompétentes.

Dans ses conclusions notifiées le 27 novembre 2018 et soutenues à l'audience du 6 décembre 2018, l'UMR demande à la cour de rejeter le contredit de KA et de KF, à titre principal, de dire que les juridictions françaises sont compétentes pour examiner le litige opposant l'UMR à KA et KF en application des articles 5.1 et 5.3 du Règlement Bruxelles I, à titre subsidiaire, que les juridictions françaises sont compétentes pour examiner ce litige en application de l'article 6.2 du Règlement, en tout état de cause, de confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu la compétence des juridictions françaises à l'encontre de BARCLAYS d'une part, et à l'encontre de KA et KF, d'autre part, et de condamner KA et KF chacune à lui payer la somme de 40000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens avec distraction.

Elle soutient que selon l'article 5.1 de ce Règlement, l'obligation caractéristique de la fourniture de service, à savoir la mise à disposition des sommes constitutives du prêt, était localisée en France, et que selon, l'article 5.3 du même Règlement, le fait dommageable se localisait en France, aussi bien par l'événement causal, lequel s'identifie à la diffusion en France d'informations incomplètes et trompeuses, que par le dommage, lequel s'identifie à la conclusion en France des conventions litigieuses. Elle ajoute que selon l'article 6.2 du Règlement, l'action dirigée par l'UMR à l'encontre de KA et de KF, en tant que co-responsables des fautes et manquements de BARCLAYS, constitue un appel en garantie. Elle soutient enfin que n'étant pas partie au contrat conclu entre KA, BARCLAYS et Banque du Luxembourg, les dispositions de ce contrat ne lui sont pas opposables et que la compétence des juridictions françaises n'est pas contestée par BARCLAYS.

Dans ses conclusions notifiées le 29 novembre 2018 et soutenues à l'audience du 6 décembre 2018, BARCLAYS demande à la cour de lui donner acte de ce qu'elle ne conteste pas la compétence du tribunal de commerce de Paris en ce qui concerne les demandes formulées à son encontre et de ce qu'elle s'en remet à la cour quant à la compétence de ce tribunal en ce qui concerne les demandes formulées à l'encontre de KA et de KF.

SUR QUOI,

Sur la compétence pour connaître des demandes dirigées par l'UMR à l'encontre de BARCLAYS

BARCLAYS ne conteste pas la compétence du tribunal de commerce de Paris pour connaître des demandes formulées à son encontre. Il convient donc de lui en donner acte.

Sur la compétence pour connaître des demandes dirigées par l'UMR à l'encontre de KA et KF en matière contractuelle au sens du Règlement Bruxelles I

L'UMR sollicite principalement à l'encontre de KA et KF la nullité des deux contrats d'investissement qu'elle a successivement souscrits d'un montant respectif de 150 millions d'euros et de 50 millions d'euros par l'intermédiaire de BARCLAYS pour vice du consentement (dol et erreur sur les qualités substantielles).

KA et KF ne fondent pas leur contredit sur les clauses attributives de juridiction figurant sur les prospectus transmis par BARCLAYS à l'UMR les 4 mai 2006 et 13 février 2007.

La compétence de principe qui figure à l'article 2 du Règlement du Conseil n°44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (le Règlement Bruxelles I), applicable en la cause, est celle du tribunal de l'État du domicile du défendeur.

Toutefois, l'article 5.1 du Règlement Bruxelles I dispose que:

«Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:

1) a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée;

b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est:

- pour la vente de marchandises, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,

- pour la fourniture de services, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis;

c) le point a) s'applique si le point b) ne s'applique pas».

S'agissant de la détermination de la matière contractuelle et de l'intervention de KOMMUNALKREDIT, il convient de rappeler que BARCLAYS a communiqué à l'UMR le 18 avril 2006, un document intitulé «campagne de présentation Tier I de KOMMUNALKREDIT (roadshow)». Le 21 avril 2006, l'UMR a donné son accord pour la souscription de l'émission obligataire d'un montant de 150 millions d'euros. Le même jour, des courriels ont été échangés directement entre l'UMR et KOMMUNALKREDIT pour se féliciter mutuellement de cette opération. Le 24 avril, BARCLAYS a adressé à l'UMR un courriel comportant un Term Sheet intitulé «EUR Perpetual Non-Call 30 Years Participation Capital (Tier 1) Notes» sous-titré «final terms and conditions» formalisant les conditions d'investissement: obligations subordonnées de KOMMUNALKREDIT et un coupon de 5,45% par an, sur la base d'un accord établi le 21 avril 2006 et prévoyant une émission le 5 mai suivant. Le 29 janvier 2007, BARCLAYS a adressé à l'UMR un Term Sheet «EUR Perpetual Non-Call 20 Yeras Participation Capital (Tier 1) Notes» sous-titré «final terms and conditions» formalisant les conditions d'investissement: obligations subordonnées de KOMMUNALKREDIT et un coupon de 5,37% par an, sur la base d'un accord établi le 26 janvier 2007 pour la souscription d'une nouvelle émission obligataire d'un montant de 50 millions d'euros, émission prévue le 14 février 2007.

Il n'est pas sérieusement contesté que l'UMR a fait procéder aux virements des fonds auprès de BARCLAYS avant même la date d'émission des titres les 5 mai 2006 et 14 février 2007. En effet, les versements effectués par l'UMR les 25 avril 2006 et 26 janvier 2007 révèlent que cette dernière était informée par l'intermédiaire de BARCLAYS de l'avancement des opérations financières réalisées par KOMMUNALKREDIT ou sa fiducie Banque du Luxembourg à savoir les Term Sheet des 24 avril 2006 et 29 janvier 2007, qui ont été élaborés par KOMMUNALKREDIT.

De plus, il résulte des échanges directement intervenus entre KOMMUNALKREDIT et l'UMR, tel que le courriel adressé le 21 avril 2006 par l'UMR au directeur financier de KOMMUNALKREDIT et la réponse de ce dernier du même jour, l'existence d'un engagement librement consenti de la première envers la seconde. Ces échanges sont encore confortés par le courriel adressé le 21 avril 2006 par BARCLAYS à l'UMR ainsi rédigé: «Merci bcp pour ce trade. KommunalKredit est vraiment ravi et Barclay's aussi». La compétence doit donc être examinée exclusivement au regard de cette apparence de contrat, sans qu'il y ait lieu à ce stade d'analyser la nature juridique de l'intervention de BARCLAYS dès lors qu'elle s'inscrit dans une relation contractuelle au sens de l'article 5.1 du Règlement Bruxelles I.

S'agissant de la qualification de fourniture de services, il convient de déterminer la partie qui fournit ces services comme le rappelle la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJCE, 23 avril 2009, Falco E..., aff. C-533/07, points 29 et suivants) selon laquelle:

«29. ['] la notion de services implique, pour le moins, que la partie qui les fournit effectue une activité déterminée en contrepartie d'une rémunération. [']»

La CJUE a rappelé, dans son arrêt du 19 décembre 2013, Corman Collins (aff. C-9/12, point 38) que «En ce qui concerne le premier critère figurant dans cette définition, à savoir l'existence d'une activité, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu'il requiert l'accomplissement d'actes positifs, à l'exclusion de simples abstentions». Elle ajoute que «le système et l'économie des règles de compétence énoncés par le règlement 44/2001 requièrent, au contraire, d'interpréter restrictivement les règles de compétences spéciales, dont celle qui figure, en matière contractuelle, à l'article 5, point 1, dudit règlement, lesquels dérogent au principe général de compétence du domicile du défendeur».

En l'espèce, les contrats en cause ont consisté, pour l'UMR dans la souscription de titres obligataires en échange desquels KOMMUNALKREDIT s'engageait à fournir à l'UMR les titres, définis par les prospectus comme «des titres de créances». Ces titres comprenaient une valeur nominale, un coupon, une base d'intérêt et une date de paiement des coupons, le remboursement du principal étant plafonné à la valeur nominale des titres. Les engagements des parties consistaient, pour l'UMR à payer une rémunération constituée par des virements de fonds intervenus lors des souscriptions et, pour KOMMUNALKREDIT à élaborer des titres de créances permettant le versement régulier d'intérêts sous forme de coupons.

Il ne peut être soutenu, comme le fait l'UMR, que l'opération financière en cause s'analyserait en un simple prêt d'argent. Il ne s'agissait pas pour l'UMR de prêter une somme d'argent avec des remboursements échelonnés ou à terme moyennant une rémunération consistant dans le versement d'intérêts. Au contraire, l'opération consistait dans la structuration par KOMMUNALKREDIT de créances diverses sous la forme de titres négociables avec coupons moyennant versement par l'UMR du montant de souscription.

Quant au lieu même de l'exécution de l'obligation caractéristique de KOMMUNALKREDIT, seul le lieu où l'émetteur des titres a son établissement est de nature à assurer un haut degré de prévisibilité, ainsi qu'à satisfaire aux objectifs de proximité et d'uniformisation auxquels tend l'article 5.1 du Règlement Bruxelles I. En effet, ce lieu sera connu des parties dès la conclusion du contrat et sera également celui de la juridiction qui disposera du lien de rattachement le plus étroit avec ce contrat.

La seule circonstance que les titres de créances aient été souscrits par un souscripteur unique situé en France ne constitue pas une circonstance particulière de nature à déroger à ces règles, dès lors qu'il n'est pas utilement contesté par l'UMR que ces opérations étaient à l'origine destinées à de potentiels investisseurs dans les titres de catégorie Tier I situés au Royaume-Uni, soit hors de France.

Les juridictions françaises ne sont donc pas compétentes en application des dispositions de l'article 5.1 du Règlement Bruxelles I.

Sur la compétence pour connaître des demandes dirigées par l'UMR à l'encontre de KA et KF en matière extra-contractuelle au sens du Règlement Bruxelles I

L'UMR sollicite subsidiairement la condamnation de KA et KF à lui payer des dommages-intérêts, pour avoir été complices de la diffusion par BARCLAYS sur le marché français des informations inexactes concernant notamment les titres proposés à la souscription.

L'article 5. 3 du Règlement 44/2001 dispose:

«Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:

[']

3) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire;»

La notion de «matière délictuelle ou quasi délictuelle», au sens de l'article 5, point 3, du règlement no 44/2001, comprend toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d'un défendeur et qui ne se rattache pas à la «matière contractuelle», au sens de l'article 5, point 1, sous a), de ce règlement (arrêt Brogsitter, C-548/12, point 20). Ainsi, il convient de considérer que les actions en responsabilité engagées à l'encontre d'un émetteur du fait du prospectus ainsi que pour violation d'autres obligations d'information des investisseurs relèvent de la matière délictuelle ou quasi délictuelle pour autant qu'elles ne sont pas couvertes par la notion de «matière contractuelle» au sens du Règlement Bruxelles I.

Les demandes de l'UMR au titre des informations erronées ou inexactes obéissent en conséquence aux dispositions de l'article 5.3 pour autant qu'elles ne relèvent pas de la matière contractuelle au sens du Règlement Bruxelles I.

Il convient de rappeler que les termes «lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire», figurant à cette disposition, visent à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et celui de l'événement causal qui est à l'origine de ce dommage, de telle sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l'un ou l'autre de ces deux lieux (arrêt Coty Germany, EU:C:2014:1318, point 46).

L'expression «lieu où le fait dommageable s'est produit» ne vise pas le lieu du domicile du demandeur, au seul motif qu'il y aurait subi un préjudice financier résultant de la perte d'éléments de son patrimoine intervenue et subie dans un autre État membre (arrêt Kronhofer, C-168/02, EU:C:2004:364, point 21).

En ce qui concerne l'événement causal du dommage allégué, à savoir la prétendue violation, par KOMMUNALKREDIT, de ses obligations précontractuelles et à l'information de l'UMR, il convient de relever que les actes ou les omissions susceptibles de constituer une telle violation ne sauraient être localisés au domicile de l'investisseur prétendument lésé. La diffusion alléguée d'informations incomplètes ou erronées par messages électroniques ou par prospectus trouve son origine en Autriche où se situait le siège de KOMMUNALKREDIT dans lequel ces documents ont été conçus. De même, la cessation du versement des coupons attachés aux titres résulte directement des difficultés rencontrées par KOMMUNALKREDIT pour satisfaire à ses ratios financiers. Ce fait se situe de nouveau en Autriche.

A supposer que, comme le prétend l'UMR, les informations erronées résulteraient de l'interposition de la Banque du Luxembourg dans l'opération financière, l'événement causal allégué ne se situe pas en France.

S'agissant de la matérialisation du dommage, la CJUE interprète restrictivement la localisation de la survenance du dommage. En matière de dommage financier, elle distingue ce lieu de celui du domicile de la victime (CJUE, 10 juin 2004, aff. C-168/02 Kronhofer).

La seule circonstance que, en exécution de la souscription des titres en cause, l'UMR a acquitté le montant par virement au départ d'un compte bancaire qu'elle détenait en France vers le compte bancaire de la succursale parisienne de BARCLAYS ou ait décidé dans son siège parisien de souscrire à l'émission n'est pas de nature à infirmer cette conclusion.

De même et comme il a été jugé plus haut, la seule circonstance que les titres de créances aient été souscrits par un souscripteur unique situé en France ne constitue pas une circonstance particulière de nature à déroger à ces règles, dès lors qu'il n'est pas utilement contesté par l'UMR que ces opérations étaient à l'origine destinées à de potentiels investisseurs dans les titres de catégorie Tier I situés au Royaume-Uni, soit hors de France.

Le tribunal de commerce de Paris n'est donc pas compétent pour connaître des demandes de l'UMR dirigées contre KA et KF pour autant que la responsabilité invoquée par l'UMR relève de la matière délictuelle au sens de l'article 5.3 du règlement BruxellesI.

Le jugement est donc infirmé.

Sur les autres règles de compétence tirées des articles 5.5 et 6.2 du Règlement Bruxelles I

Selon l'article 5.5 du Règlement Bruxelles I, «Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:

[']

5) s'il s'agit d'une contestation relative à l'exploitation d'une succursale, d'une agence ou de tout autre établissement, devant le tribunal du lieu de leur situation».

BARCLAYS, contre laquelle l'UMR invoque ce texte, ne contestant pas la compétence du tribunal de commerce de Paris, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 5.5 du Règlement Bruxelles I.

L'article 6.2 du Règlement Bruxelles I dispose qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre:

«2) s'il s'agit d'une demande en garantie ou d'une demande en intervention, devant le tribunal saisi de la demande originaire, à moins qu'elle n'ait été formée que pour traduire hors de son tribunal celui qui a été appelé».

L'article 6.2 du Règlement Bruxelles I vise des demandes qui se greffent sur une instance déjà introduite par une demande initiale et qui sont formées au cours de la procédure pendante entre les parties originelles. Telles n'est pas le cas en l'espèce où l'UMR a, dès l'origine de l'instance introduite par elle, soutenu que KOMMUNALKREDIT et BARCLAYS avaient agi de concert, en assignant les ayant-droits de la première et la seconde. Aucune demande en garantie ni demande en intervention, au sens du Règlement Bruxelles I n'ayant été formée à l'encontre de KA et KF, qui étaient dès l'origine les parties attraites à la procédure, il convient de rejeter la compétence des juridictions françaises à l'encontre de ces sociétés sur le fondement de l'article 6.2.

Aucune considération tirée de l'équité ne permet de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de l'une des parties. Leurs demandes à ce titre sont rejetées.

Succombant à l'instance, l'UMR est condamnée aux dépens du contredit dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Donne acte à la société Barclays Bank PLC qu'elle ne conteste pas la compétence du tribunal de commerce de Paris pour connaître des demandes dirigées à son encontre,

Infirme le jugement, sauf en ce que le tribunal de commerce de Paris s'est déclaré compétent pour traiter le litige entre l'Union Mutualiste Retraite et la société BARCLAYS BANK PLC ;

Et statuant à nouveau,

Dit que le tribunal de commerce de Paris n'est pas compétent pour connaître des demandes dirigées par l'Union Mutualiste Retraite à l'encontre des sociétés Kommunalkredit Austria et KA Finanz AG pour autant que la responsabilité invoquée par l'Union Mutualiste Retraite relève de la matière contractuelle au sens de l'article 5.1 du Règlement Bruxelles I,

Dit que le tribunal de commerce de Paris n'est pas compétent pour connaître des demandes dirigées par l'Union Mutualiste Retraite à l'encontre des sociétés Kommunalkredit Austria et KA Finanz AG pour autant que la responsabilité invoquée par l'Union Mutualiste Retraite relève de la matière délictuelle au sens de l'article 5.3 du règlement Bruxelles I,

Renvoie l'Union Mutualiste Retraite à mieux se pourvoir s'agissant de ses demandes dirigées contre les sociétés Kommunalkredit Austria et KA Finanz AG,

Dit qu'il n'y a pas lieu d'appliquer au litige les dispositions des articles 5.5 et 6.2 du Règlement Bruxelles I,

Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne l'Union Mutualiste Retraite aux dépens du contredit avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 17/16615
Date de la décision : 29/01/2019

Références :

Cour d'appel de Paris A1, arrêt n°17/16615 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-01-29;17.16615 ?
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