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23/01/2019 | FRANCE | N°16/15888

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 23 janvier 2019, 16/15888


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 4



ARRÊT DU 23 JANVIER 2019



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 16/15888 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZJRI



Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Juin 2015 - Tribunal de commerce de LILLE METROPOLE - RG n° [...]





APPELANTE



PLAISIR SELECTION FEINKOSTHANDEL GMBH & CO KG, so

ciété de droit allemand

Ayant son siège social : Cantorsteig, 2

[...] (ALLEMAGNE)

N° SIRET : HRA 35086 B

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audi...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRÊT DU 23 JANVIER 2019

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 16/15888 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZJRI

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Juin 2015 - Tribunal de commerce de LILLE METROPOLE - RG n° [...]

APPELANTE

PLAISIR SELECTION FEINKOSTHANDEL GMBH & CO KG, société de droit allemand

Ayant son siège social : Cantorsteig, 2

[...] (ALLEMAGNE)

N° SIRET : HRA 35086 B

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Jean-Marc X..., avocat au barreau de PARIS, toque : E0460

INTIMÉE

SNC ORGANISATION INTRA-GROUPE DES ACHATS, dont le sigle est OIA

Ayant son siège social : Rue du Maréchal de Lattre de Tassigny

[...]

N° SIRET : 421 982 745 (LILLE METROPOLE)

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Nadia A..., avocat au barreau de PARIS, toque : B0515

Ayant pour avocat plaidant : Me Amélie POULAIN, substituant Me Thomas Y..., du Cabinet C.V.S., avocat au barreau de LILLE

PARTIE INTERVENANTE

Me Z... B..., ès qualité d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la société PLAISIR SELECTION FEINKOSTHANDEL GMBH & CO KG, désigné à cette fonction par jugement du tribunal d'instance de CHARLOTTENBURG en date du 23 janvier 2014

Exerçant ses fonctions : [...] (ALLEMAGNE)

Représenté par Me Jean-Marc X..., avocat au barreau de PARIS, toque : E0460

Intervenant volontaire

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Novembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de:

Madame Irène LUC, Présidente de chambre

Madame Dominique MOUTHON VIDILLES, Conseillère, rédacteur,

Madame Laure COMTE, Vice-Présidente Placée,

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Dominique MOUTHON VIDILLES dans les conditions prévues par l'article 785 du Code de Procédure Civile.

Greffier, lors des débats : Madame Cécile PENG

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Irène LUC, président et par Madame Cécile PENG, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 23 juin 2005, la société Plaisir Selection Feinkosthandel GmbH und co KG (ci-après la société Plaisir), société de droit allemand spécialisée dans la commercialisation et l'exportation de vins, spiritueux et produits alimentaires, a acquis la totalité des actions de la société Auchan Japan, filiale de la société Auchan Hyper. La dénomination de la société Auchan Japan a alors changé pour devenir Plaisir Selection Japan. Concomitamment, le 1er juillet 2005, la société Plaisir Selection Japan et la société Organisation Intra-groupe des Achats (OIA), filiale du groupe Auchan, ont conclu un accord commercial ayant pour objet la distribution par la première de produits européens achetés par la deuxième en vue de leur revente au Japon. Ce contrat a été conclu pour une durée déterminée de trois ans expirant le 1er août 2008.

Le 1er août 2008, les sociétés Plaisir et OIA ont conclu un contrat portant sur l'achat de produits européens par la société Plaisir auprès de la société OIA en vue de leur revente sur le territoire asiatique via la société Plaisir Selection Japan. Ce contrat a été conclu pour une durée déterminée de deux ans expirant le 31 juillet 2010. Ce contrat était renouvelable à son terme (article 5.1) par un accord écrit établi entre les parties lesquelles devaient se rencontrer six mois avant la fin du contrat afin de négocier les conditions du renouvellement.

Par courrier du 25 janvier 2010, la société OIA a confirmé à la société Plaisir que le contrat du 1er août 2008 arrivait à son terme le 31 juillet 2010 et lui a fait part de son intention d'en revoir les conditions commerciales.

Des factures demeurant impayées, la société OIA a mis en demeure la société Plaisir, par courrier du 25 août 2010, de lui régler la somme de 1.883.632,11 euros à ce titre. Parallèlement, la société OIA a mis en 'uvre un certain nombre de mesures conservatoires en Allemagne afin de garantir le paiement de sa créance, l'encours s'élevant au 22 septembre 2010 à la somme de 2.971.699, 47 euros.

Reprochant à la société OIA des manquement contractuels, la société Plaisir l'a, par exploit du 20 septembre 2010, assignée en indemnisation devant le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing.

Le 12 novembre 2010, la société OIA a engagé une procédure arbitrale afin d'obtenir le paiement des factures impayées, conformément à la clause compromissoire stipulée au contrat du 1er août 2008, et a sollicité du tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de la décision arbitrale.

Par jugement du 16 février 2012, le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing a prononcé la radiation de l'affaire pour défaut de diligence.

La société Plaisir Selection Japan est intervenue à la procédure arbitrale pour obtenir une indemnisation au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, la société Plaisir formulant également des demandes reconventionnelles en dommages et intérêts sur le même fondement.

Le 21 février 2012, le tribunal arbitral a rendu une sentence partielle, confirmée par arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 octobre 2013, aux termes de laquelle il s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes reconventionnelles formulées par les sociétés Plaisir et Plaisir Selection Japan à l'encontre de la société OIA.

Le 25 juin 2012, le tribunal arbitral a condamné la société Plaisir à verser à la société OIA la somme de 2.861.412,15 euros au titre de 216 factures impayées.

Le 12 novembre 2013, la société Plaisir a sollicité la réinscription de l'affaire au rôle du tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing.

Le 10 décembre 2013, la société Plaisir a bénéficié d'une mesure de redressement judiciaire en Allemagne.

Par jugement du 10 juin 2014, le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing a constaté la péremption d'instance.

Par exploit du 3 juillet 2014, la société Plaisir Selection GmbH a assigné la société OIA devant le tribunal de commerce de Lille-Métropole, en indemnisation des préjudices résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies et du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, invoquant en outre un certain nombre de graves manquements contractuels.

Par exploit du 18 février 2015, la société Plaisir Selection Japan a assigné la société OIA devant le tribunal de commerce de Lille-Métropole en indemnisation de diverses sommes.

Sur la saisine de la société Plaisir Selection GmbH, par jugement du 9 juin 2015 dont appel, le tribunal de commerce de Lille-Métropole a :

- dit n'y avoir lieu à joindre les deux instances opposant les sociétés Plaisir Selection GmbH et Plaisir Selection Japan à la société OIA,

- confirmé l'exception de prescription sur les demandes de la société Plaisir Selection GmbH au titre des non-conformités et les a rejetées,

- confirmé l'existence d'une relation commerciale établie entre la société Plaisir Selection GmbH et la société OIA,

- dit n'y avoir rupture brutale de la relation commerciale établie,

débouté la société Plaisir Selection GmbH de l'ensemble de ses demandes à ce titre,

- condamné la société Plaisir Selection GmbH à verser à la société OIA la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Plaisir Selection GmbH aux entiers frais et dépens,

débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Vu la déclaration d'appel et les dernières écritures déposées et notifiées le 18 octobre 2016, aux termes desquelles la société Plaisir Selection GmbH et Maître Z... B... invitent la cour, au visa des dispositions des articles 1134 et 1351 anciens du code civil et L. 442-6, I, 5° du code de commerce, à :

- déclarer la société Plaisir Selection GmbH recevable et bien fondée en son appel et y faisant droit,

- donner acte à Maître Z... B... de son intervention volontaire à la procédure ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société Plaisir Selection GmbH désigné à cet effet par jugement rendu le 23 janvier 2014 par le tribunal d'instance de Charlottenburg (Allemagne),

- réformer en tout point le jugement rendu le 9 juin 2015 par le tribunal de commerce de Lille-Métropole,

- constater que la société OIA a:

* gravement atteint l'image de marque de la société Plaisir Selection GmbH à l'égard des clients asiatiques de cette dernière et occasionné des préjudices financiers subséquents en livrant de multiples produits défectueux, non conformes ou impropres à la consommation et en dénigrant la société Plaisir Selection GmbH à l'égard de ses partenaires commerciaux et clients,

* commis des man'uvres déloyales et illégales lors du renouvellement des conditions financières contenues dans le contrat commercial conclu le 1er août 2008 avec la société Plaisir Selection GmbH, et en conséquence,

* rompu brutalement, abusivement et sans préavis les relations commerciales établies entre elle et la société Plaisir Selection GmbH,

- constater que de tels manquements de la société OIA ont engagé la responsabilité contractuelle de cette dernière à l'égard de la société Plaisir Selection GmbH et lui ont causé un important préjudice qu'il convient de réparer,

en conséquence ,

- condamner la société OIA à payer à la société Plaisir Selection GmbH la somme totale de 5.526.610,14 euros à titre de dommages et intérêts répartis de la manière suivante:

* 77.028,98 euros correspondant à la perte de marge brute sur les commandes passées avant le 1er septembre 2010 mais non-livrées à titre de dommages et intérêts pour gains manqués,

* 1.226.612,24 euros au titre de la perte de marge brute pendant la durée de préavis raisonnable de deux ans dont elle a été privée et de la perte de chance de trouver un contrat commercial équivalent à celui de 2008,

* 1.237.500,00 euros à titre de dommages et-intérêts pour la perte de chance de poursuivre ses relations d'affaires avec le client Yamaya,

* 1.758.856,68 euros à titre de dommages et-intérêts pour la perte de chance de poursuivre ses relations d'affaires avec le client Aeon,

* 1.226.612,24 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la perte d'image et de la perte de clientèle,

- condamner la société OIA à verser à la société Plaisir Selection GmbH la somme de 15.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société OIA aux entiers dépens ;

Vu les dernières écritures déposées et notifiées le 19 décembre 2016, par lesquelles la société OIA, intimée, demande à la cour, de :

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole,

- débouter la société Plaisir Selection GmbH de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Plaisir Selection GmbH au paiement de la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître A... en application de l'article 699 du code de procédure civile ;

SUR CE, LA COUR

Il y a lieu de donner acte à Maître Z... B..., ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société Plaisir Selection GmbH désigné par jugement du 23 janvier 2014 du tribunal d'instance de Charlottenburg (Allemagne), de son intervention volontaire.

Par ailleurs, à titre liminaire, il convient de relever qu'au dispositif de ses dernières écritures, qui seul lie la cour conformément aux dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, la société Plaisir, bien que sollicitant la réformation du jugement entrepris en tous points, ne forme plus aucune demande d'indemnisation au titre des non-conformités de produits livrés et que d'ailleurs, dans le corps de ses écritures, elle reconnait que sa précédente demande formée à ce titre, est prescrite ainsi qu'en ont jugé les premiers juges.

La société Plaisir entend rechercher la responsabilité de la société OIA compte tenu de divers manquements qu'elle qualifie de «contractuels» à savoir, des man'uvres illégales et déloyales commises à l'occasion du renouvellement du contrat commercial du 1er août 2008, un abus du droit de cesser la relation commerciale et le caractère brutal de la relation commerciale établie, l'absence de bonne foi dans le cadre des négociations, un arrêt brutal des livraisons de commandes passées avant le 31 août 2010 et enfin un dénigrement auprès de ses clients.

Il convient donc d'examiner les divers manquements allégués.

Sur les man'uvres déloyales et illégales commises par la société OIA à l'occasion du renouvellement du contrat commercial du 1er août 2008 et l'absence de bonne foi dans les négociations

La société Plaisir soutient qu'au cours des négociations relatives au renouvellement du contrat du 1er août 2008, la société OIA a voulu lui imposer une augmentation disproportionnée du taux de commission sous la menace d'une rupture brutale des relations commerciales établies, violant ainsi les dispositions de l'article L. 442-6, I, 2° et 4° du code de commerce. Elle précise que la société OIA a tenté de lui faire accepter de nouvelles conditions commerciales inacceptables, ce qui caractérise sa mauvaise foi dans le cadre de fausses négociations et qu'elle a tout mis en 'uvre pour la soumettre à des obligations créant un déséquilibre significatif afin d'obtenir un avantage commercial disproportionné au regard du service fourni, soit un refus de son cocontractant d'accepter le renouvellement du contrat.

La société OIA réfute toutes ces accusations, arguant de l'existence de véritables négociations entamées dès février 2010 alors que la société Plaisir était déjà redevable de sommes importantes au titre de factures impayées, du caractère non abusif des conditions commerciales qu'elle a cherché à obtenir, et de l'accord des parties pour mettre fin à la relation contractuelle telle qu'elle existait en 2010 avant le terme du contrat.

***

Il résulte de l'instruction du dossier les éléments suivants :

- le contrat du 1er août 2008, conclu pour une durée déterminée de deux ans, venait à échéance le 31 juillet 2010,

- en application de l'article 5.1 du contrat, qui fait la loi des parties, il ne pouvait être renouvelé que d'un accord exprès écrit des parties, lesquelles devaient, six mois avant son échéance, négocier les conditions de son renouvellement,

- par courrier du 25 janvier 2010, la société OIA a rappelé à la société Plaisir que le contrat arrivait à expiration le 31 juillet 2010 et l'a informée qu'elle entendait en revoir les conditions commerciales,

- les parties ont participé à des réunions de négociation qui se sont tenues les 19 février, 27 mai, et 7 juillet 2010,

- l'encours de la société Plaisir au 7 juillet 2010 s'élevait à 2.215.000 euros dont 1.523.000 euros à plus de 90 jours, délais de paiement prévus au contrat,

- à la suite de la réunion du 7 juillet 2010, la société OIA en a, par courriel (pièce appelante n°11), adressé un compte-rendu à la société Plaisir duquel il ressort que:

* les parties s'accordaient sur la nécessité de trouver un accord, le fonctionnement actuel n'étant plus acceptable pour les deux,

* les conditions d'un scénario dit n°1 avaient été exposées,

* la société OIA estimait certaines conditions incontournables au renouvellement du contrat, à savoir principalement la mise en place d'un contrôle qualité au départ des produits, des garanties de paiement et la régularisation de l'encours au 31 août 2010 qui ne devait pas dépasser les 90 jours contractuels,

* une nouvelle réunion était planifiée au 31 août 2010, la société Plaisir devant alors avoir transmis ses décisions sur le scénario qu'elle préférait retenir et certains éléments concernant notamment les commandes et le sourcing,

* à cette date, les parties devraient avoir décidé quel scénario serait retenu sans exclure le fait qu'elles pourraient acter l'arrêt pur et simple des relations commerciales,

* si un accord sur les points listés était trouvé, la société OIA précisait: «Si tel est le cas, nous signerons un nouvel avenant prolongeant le contrat actuel jusqu'au 30 septembre de façon à nous permettre de travailler sur la version finale du nouveau contrat. Dans le cas contraire nos relations prendraient fin. Aucune nouvelle commande de la part de PLAISIR SELECTION ne serait alors prise par AUCHAN EXPORT à partir du 1er septembre 2010.»,

- un avenant a été conclu le 19 juillet 2010 prolongeant le contrat jusqu'au 31 août 2010,

- aucun accord n'ayant pu être trouvé à la réunion du 31 août 2010, par courriel du même jour intitulé «compte-rendu de la réunion du 31 août 2010» (pièce appelante n°12) la société OIA a écrit : «(la société Plaisir) a indiqué en début de réunion ne pas avoir finalement de proposition à faire pour servir de base à un nouvel accord. Les deux parties ont donc convenu, conformément au contrat, à l'avenant et aux précédentes réunions, que le contrat et donc les relations commerciales qui en découlent, prenaient fin au 31 août 2010. (') SNC OIA a rappelé qu'en cas de non-obtention d'un paiement partiel et de garanties suffisantes (') et qu'eu égard aux non paiements constatés, les effets du principe de l'exception d'inexécution, lui permettaient de ne plus livrer à partir du 31 août les commandes passées mais non livrées à cette date.»

- les relations commerciales ont donc cessé le 31 août 2010.

Il ressort de ces éléments que tant le grief de soumission ou de tentative de soumission au visa de l'article L. 442-6, I, 2° que celui d'obtention ou de tentative d'obtention sous la menace visé à l'article L. 442-6, I, 4° du code de commerce ne sont établis.

En effet, d'une part, comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, les conditions de renouvellement du contrat considérées comme incontournables par la société OIA, à savoir une garantie bancaire et une diminution des encours, lesquels s'élevaient au 7 juillet 2010 à la somme conséquente de 2.215.000 euros dont 1.523.000 euros à plus des 90 jours prévus contractuellement, ainsi que la mise en place d'un contrôle qualité destiné à améliorer la qualité de services chez les clients japonais et à supprimer les non-conformités, ne présentaient pas un caractère manifestement abusif. De même, la demande d'alignement, par la société OIA, fournisseur de la société Plaisir, du taux de service ainsi que des conditions de paiement sur ceux des autres fournisseurs de la société Plaisir, ne constitue pas en soi une mesure discriminatoire. D'autre part, de véritables négociations ont eu lieu sur les conditions du renouvellement au cours desquelles chacune des parties a pu exposer et confronter ses points de vue et afin de permettre leur poursuite et de parvenir à un accord, la société OIA a accepté de proroger le contrat, venu à expiration le 31 juillet 2010, au 31 août 2010 par avenant du 19 juillet 2010, envisageant même de le proroger de nouveau, à cette date, au 30 septembre 2010 afin de mettre au point la version finale du nouveau contrat. Par ailleurs, la société Plaisir ne démontre ni même ne caractérise l'existence d'aucune menace, se contentant de se référer «à titre d'exemple» au courriel du 7 juillet 2010 examiné ci-dessus, lequel n'atteste de l'existence d'aucune pression ou chantage, le seul fait de rappeler qu'à défaut d'accord, le contrat ne serait pas renouvelé, ne constituant nullement une menace mais le rappel d'un fait objectif (le terme contractuel du contrat) issu d'un accord de volontés des parties. Enfin, aucun déséquilibre significatif n'est caractérisé.

Par suite, faute de démontrer l'existence de man'uvres déloyales et illégales et la mauvaise foi de la société OIA dans les négociations, la société Plaisir sera déboutée des demandes d'indemnisation formées à ce titre.

Sur la rupture brutale et abusive des relations commerciales

La société Plaisir soutient que :

- la durée déterminée du contrat ne concerne que les conditions financières du contrat dont la validité était effectivement limitée dans le temps et non pas la relation commerciale établie laquelle n'avait pas de durée contractuellement fixée,

- en cas de désaccord persistant sur les nouvelles conditions financières à appliquer, les parties avaient le choix entre continuer leurs relations commerciales avec l'ancien tarif de prestations ou résilier le contrat avec un préavis en cas de résiliation unilatérale,

- or, jusqu'au 31 août 2010, la société OIA n'a jamais évoqué expressément la résiliation des relations commerciales,

- à compter du 31 août 2010, aucune des commandes passées mais non encore livrées n'ont été honorées par la société OIA,

- ce n'est que par le courriel du 31 août 2010 que pour la première fois la société OIA a manifesté sa volonté non équivoque de ne pas poursuivre ses relations contractuelles à effet immédiat,

- la rupture est donc fautive, la société OIA l'ayant maintenue dans l'illusion de la signature d'un nouvel accord avant de mettre fin, sans préavis, le 31 août 2010 aux relations commerciales établies depuis 21 ans.

En réplique, rappelant les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° in fine et se référant à la sentence arbitrale du 25 juin 2012 qui a condamné la société Plaisir au paiement de la somme de 2.861.412,15 euros correspondant à des factures émises entre octobre 2009 et septembre 2010, la société OIA excipe de sa faculté de rompre la relation commerciale sans préavis en raison de factures impayées datant pour les premières du mois d'octobre 2009 et réfute toute rupture brutale de la relation commerciale dans la mesure où au lieu de rompre immédiatement sa relation, elle a cherché à trouver des solutions afin de reconduire le contrat. Elle ajoute que la société Plaisir ne pouvait croire en la pérennité de sa relation avec la société OIA en ce que :

- le contrat qui les liait était à durée déterminée,

- elle était redevable la dernière année du contrat du paiement de nombreuses factures,

- elle s'est montrée incapable de proposer des solutions de diminution de l'encours,

- elle était avertie depuis le 25 janvier 2010 de la volonté de la société OIA de revoir les conditions du contrat avant son éventuel renouvellement,

- elle était parfaitement consciente des conditions avantageuses qui lui étaient accordées jusque là,

- c'est d'un commun accord que la relation a pris fin,

- au final, c'est un préavis de 7 mois qui lui a été accordé, ce qui est suffisant au regard des circonstances et caractéristiques de la relation, même ancienne de 5 ans.

***

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dispose qu'' Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait par tout producteur, commerçant industriel ou personne immatriculée au registre des métiers (..) de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce par des accords interprofessionnels....Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure'.

Il est constant que les parties ont choisi d'inscrire leur relation commerciale dans le cadre d'un contrat à durée déterminée de deux ans, sans possibilité de tacite reconduction, et que faute d'accord écrit sur les conditions de sa poursuite, préalablement à son terme, le contrat du 1er août 2008 venait à expiration le 31 juillet 2010.

Le 25 janvier 2010, soit six mois avant le terme du contrat conformément aux dispositions contractuelles, la société OIA a notifié à la société Plaisir sa décision de ne pas le renouveler aux conditions antérieures et de négocier de nouvelles conditions commerciales. Ce courrier par lequel la société OIA manifeste sans équivoque son intention de cesser les relations commerciales établies aux conditions antérieures, constitue la notification de la rupture des relations commerciales établies et le point de départ du préavis octroyé de six mois. Il a été vu ci-dessus que les négociations, qui ont duré le temps du préavis, ont été menées sans aucune déloyauté de la part de la société OIA et il ne ressort d'aucun élément qu'elle ait, durant cette période, entretenu la société Plaisir dans l'illusion d'un nécessaire renouvellement du contrat et par suite, de la pérennité des relations commerciales. Bien au contraire, la société OIA a rappelé, à deux reprises, à la société Plaisir que le contrat venait à expiration le 31 juillet 2010 (cf lettres du 25 janvier 2010 et du 7 juillet 2010). Le 7 juillet 2010, elle lui a précisé qu'à défaut d'accord sur les points listés, «nos relations prendraient fin» et que plus aucune commande ne serait honorée à compter du 31 août 2010. Il a été d'ailleurs précédemment observé que dans ses écritures, la société Plaisir considère que ce rappel du 7 juillet 2010 constituait une menace de rupture. A défaut d'accord des parties sur son renouvellement, le contrat, venu à son terme le 31 juillet 2010 a été prorogé d'un mois, jusqu'au 31 août 2010 afin de permettre aux parties de finaliser cet accord, la société Plaisir devant alors transmettre ses décisions sur certains points en débat. Le 31 aout 2010, il a été acté qu'en début de réunion, la société Plaisir a indiqué n'avoir aucune nouvelle proposition à faire pour servir de base à un nouvel accord. A défaut d'un tel accord à cette date, le contrat est venu à expiration et par suite, les relations commerciales entre les parties ont cessé. Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la rupture de la relation commerciale n'est pas abusive et qu'elle est intervenue avec un préavis écrit de plus de 6 mois (25 janvier- 31 juillet), le préavis effectif étant de plus de 7 mois (25 janvier-31 août).

Il ressort de l'article L 442-6, I, 5° du code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou d'un préavis suffisant. Le délai de préavis suffisant, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.

La société Plaisir invoque l'existence de relations commerciales depuis 21 ans, requérant que soient prises en compte les relations nouées à compter de juillet 1989 par la société Auchan Japan avec son fournisseur exclusif, la société Auchan Export, du fait de son acquisition de la société Auchan Japan en 2005, ce qui justifierait l'octroi d'un préavis de deux ans. Mais, faute d'éléments démontrant l'intention de la société OAI de continuer avec la société Plaisir les relations commerciales que la société Auchan Export entretenait précédemment avec la société Auchan Japan, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu comme point de départ de la relation commerciale le 1er juillet 2005, date du premier contrat passé entre la société Plaisir et la société OAI. L'ancienneté des relations commerciales à retenir est donc de 5 ans.

Compte tenu des pièces produites et eu égard à l'ancienneté des relations commerciales de 5 ans, à la nature de l'activité et à ses contraintes, au volume d'affaires, à la part du client OIA dans le chiffre d'affaires de la société Plaisir (environ 90 %), mais en l'absence d'accord d'exclusivité entre les parties et de distribution de produits sous marque distributeur, la société Auchan étant fournisseur en l'espèce, le préavis de 6 mois octroyé à la société Plaisir apparaît suffisant pour permettre à celle-ci de prendre toutes dispositions utiles pour se réorganiser.

En conséquence de ces éléments, la société Plaisir sera déboutée de l'ensemble de ses demandes d'indemnisation pour manquements contractuels et rupture brutale des relations commerciales établies (perte de marge brute pendant la durée du préavis, perte de chance de poursuivre ses relations d'affaires avec les clients Yamaya et Aeon, perte d'image et de clientèle°.

Sur l'arrêt brutal des livraisons pour les commandes passées avant le 31 août 2010 mais livrables postérieurement

La société Plaisir soutient que la société OIA aurait manqué à ses obligations contractuelles en refusant de lui livrer des commandes passées avant le 31 août 2010. Mais la société OIA fait valoir, à juste titre, que compte tenu du montant de l'encours à cette époque, soit 1,5 million d'euros, et l'absence de propositions de la société Plaisir pour offrir des garanties de paiement, elle est fondée à opposer l'exception d'inexécution et à suspendre les livraisons. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Plaisir de sa demande d'indemnisation formée à ce titre.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu'il a condamné la société Plaisir aux dépens et à verser à la société OIA la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La société Plaisir, qui succombe également en appel, en supportera les dépens et devra verser à la société OIA la somme supplémentaire de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, sa propre demande formée à ce titre étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

DONNE acte à Maître Z... B..., ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société Plaisir Selection GmbH, de son intervention volontaire.

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

et y ajoutant,

DÉBOUTE Maître Z... B..., ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société Plaisir Selection GmbH de ses demandes ;

CONDAMNE Maître Z... B..., ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société Plaisir Selection GmbH aux dépens de l'appel ;

AUTORISE Maître A..., avocat, à recouvrer les dépens dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Maître Z... B..., ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société Plaisir Selection GmbH à verser à la société Organisation Intra-Groupe des Achat des (OIA) ' Auchan-Export, la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier La Présidente

Cécile PENG Irène LUC


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 16/15888
Date de la décision : 23/01/2019

Références :

Cour d'appel de Paris I4, arrêt n°16/15888 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-01-23;16.15888 ?
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