Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 10
ARRÊT DU 21 JANVIER 2019
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/14847 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B32R2
Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Juillet 2017 -Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY - RG n° 16/01067
APPELANTS
L'ADMINISTRATION DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS, prise en la personne de :
MONSIEUR LE DIRECTEUR RÉGIONAL D... B...
Ayant ses bureaux [...]
MONSIEUR C... D... B...
Ayant ses bureaux [...]
Représenté par Me Ralph X... de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0141, substitué par Me Chloé Y..., avocate au barreau de PARIS
INTIMEE
SAS DUTYFLY SOLUTIONS
Ayant son siège social Zac du Moulin, [...]
95722 ROISSY A... E...
SIRET N° : 443 014 527
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Belgin F..., avocat au barreau de PARIS, toque : D1119
Représentée par Mme Maeva Z..., avocate au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 19 Novembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de:
Monsieur Edouard LOOS, Président
Madame Sylvie CASTERMANS, Conseillère
Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Conseillère
qui en ont délibéré,
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Sylvie CASTERMANS dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Mme Cyrielle BURBAN
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Edouard LOOS, Président et par Mme Cyrielle BURBAN, Greffière à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
La société Dutyfly Solutions est une société spécialisée dans la vente et la préparation des produits sous douane pour mise à bord des avions des compagnies aériennes.
Elle stocke, dans un entrepôt de Roissy, du tabac manufacturé et des boissons alcooliques en suspension de droit d'accises.
Le 4 décembre 2013, la société Dutyfly Solutions a subi un vol dans son entrepôt. Le bureau avitaillement, de la direction régionale D... fret, a procédé le 5 décembre 2013, à un contrôle afin de recensement des alcools et tabacs.
Le 16 décembre 2013, l'administration de douanes a notifié à la société Dutyfly Solutions un avis prélable de taxation d'un montant de 423490 euros au titre du droit de consommation sur les cigarettes en vertu des articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Par courrier du 23 janvier 2014, la société Dutyfly Solutions a sollicité la décharge totale des taxes réclamées au motif qu'il agissait de marchandises volées. Un AMR lui a été notifié le 7 février 2014, pour un montant de 423490 euros
Par lettre recommandée datée du 13 mars 2014, le receveur régional a accusé réception de la contestation de l'AMR du 7 février 2014, et déclaré que le directeur régional D... répondrait à la contestation d'AMR.
La société Dutyfly a saisi le tribunal du litige. Par jugement du 6 juillet 2017, le tribunal de grande Instance de Bobigny a fait droit aux demandes de la société Dutyfly Solutions et a condamné l'administration des douanes à verser la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'administration des douanes a interjeté appel de la décision.
Par conclusions signifées le 26 octobre 2018, la direction régionale des douanes et droits indirects de Roissy fret, monsieur le receveur régional D... fret demandent à la cour de :
Recevoir la direction régionale des douanes et droits indirects de Roissy fret, monsieur le receveur regional D... fret et l'administration des douanes
Et droits indirects prises en la personne de son représentant légal, en ses conclusions et la dire bien fondée ;
- Infirmer purement et simplement le jugement du 6 juillet 2017 rendu par la 9 ème chambre du tribunal de grande instance de Bobigny ;
- Constater que la société Dutyfly Solutions est redevable des droits d'accises sur les produits en cause ;
- Confirmer l'avis de mise en recouvrement du 7 février 2014 et la décision implicite de rejet
- Débouter la société Dutyfly Solutions de l'intégralité de ses demandes ;
- Condamner la société Dutyfly Solutions à payer à la direction Régionale des douanes et droits indirects de Roissy fret la somme de 10000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux dépens.
Par conclusions signifées le 3 ocrobre 2018 la SAS Dutyfly demande à la cour de:
Déclarer les appelants mal fondés en leur appel et les en débouter ;
Confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bobigny en date du 6 juillet 2017 dans toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
Débouter les appelants de l'intégralité de leurs demandes ;
Condamner les appelants à verser à la société Dutyfly solutions la somme de 10000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles en cause d'appel.
SUR CE,
La société Duty Free soulève l'irégularité de l'avis de mise en recouvrement du 7 février 2014, sur le fondement des articles L 256 du du livre des procédures fiscales et de l'article L 80 A alinéa 2 du livre des procédures fiscales qui fait obligation à l'administration de mentionner les textes qui fondent le redressement.
En réponse, l'administration fait valoir que la procédure est régulière, que le visa des textes du code général des impôts n'est pas une condition obligatoire applicable à un avis de mise en recouvrement.
Ceci exposé ,
L'article L 256 du livre des procédures fiscales dispose que :
Un avis de mise en recouvrement est adressé par le comptable public compétent à tout redevable des sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe lorsque le paiement n'a pas été effectué à la date d'exigibilité.
Or, l'avis de mise en recouvrement du 7 février 2014, identifie le débiteur, mentionne les écarts de stocks, les quantités de produits et le montant global des droits s'y rapportant, les pénalités et les intérêts de retard. Ces informations permettent ainsi au redevable de connaître la nature des impositions.
L'avis cite en outre expréssement l'article L256 du livre des procédures fiscales et l'article 257 A. Ce formalisme confère la force exécutoire au titre et dès lors que la dette est clairement identifiée ainsi que son montant, les mentions susmentionnées sont suffisantes.
La société Dutyfly ne démontrant pas une irrégularité entachant la procédure, sera déboutée de sa demande de ce chef.
Selon l'administration des douanes, la société Dutyfly Solutions est redevable des droits d'accises sur les produits du tabac. Elle conteste l'application de l'exonération des droits d'accises en cas de vol du fait de la force majeure.
Elle expose qu'au sens de l'article 302 D du code général des impôts, la reconnaissance de l'exonération n'est possible que lorsque le produit est rendu inutilisable en tant que produit soumis à l'accise. Or, le vol ne rend le produit inutilisable que pour la société Dutyfly Solutions ; elle ajoute que la notion de «perte» doit être interprétée conformément à la directive de 2008, c'est-à-dire comme rendant inutilisable le produit soumis à accise.
Elle considère, en outre, que la répétition de vols au sein des locaux de la société Dutyfly Solutions ne permet pas de retenir l'existence du critère d'imprévisibilité.
En réponse la SAS Dutyfly rétorque que le droit national ne s'oppose pas en cas de vol à l'exonération des droits d'accise; que les conditions de la force majeure sont réunies en visant l'article 302 D, I, 2°, a) du code général des impôts. Elle se prévaut également d'une décision de l'administration de douanes qui a admis que le vol de marchandises pouvait constiuer une cause d'extinction de la dette.
Elle prétend que l'administration des douanes commet une erreur de droit, que la jurisprudence dont elle se prévaut ne s'applique que dans le cadre du vol de marchandises tierces et non des marchandises communautaires, qu'en l'espèce, seules s'appliquent les dispositions du code général des impôts et du livre des procédures fiscales.
Elle ajoute que conformément à la directive 2008/118, les Etats membres sont libres de définir la notion de perte pour cas de force majeure ouvrant droit à décharge et qu'il est posible de considérer qu'un cas de force majeure puisse être exonératoire de droit d'accise bien que le produit dérobé ne soit pas rendu inutilisable.
Ceci exposé,
L'entrepositaire agréé détient des produits soumis à accise sous un régime de suspension de droits. En l'espèce, l'entrepositaire est poursuivi au titre des droit de consommation frappant les produits du tabac.
La mise à la consommation implique la sortie, y compris irrégulière, de produit soumis à accise. La directive 2008/118/CE relative au régime général d'accise précise que les droits d'accise deviennent exigibles au moment de la mise à la consommation et qu'aucun droit ne peut être perçu en cas de destruction du produit ou perte irrémédiable.
Sur la question du vol des marchandises détenues sous le régime de l'entrepôt douanier, la cour de justice de l'Union Européenne a jugé que le vol ne constituait pas un cas de force majeure susceptible de conduire à l'extinction de la dette douanière, car le vol laisse présumer que la marchandise passe dans le circuit commercial de la communauté et dès lors ne saurait être assimilé à une perte ou destruction constitutive de force majeure.
La directive 2008 /118 CE a été transposée en droit interne en 2009 et a modifié les articles 302 K, 302 Q et 302 D.
L'article 302 D du code général des impôts dispose que par dérogation, sont exonérés de droits, les alcools ou boissons alcooliques et tabacs manufacturés dont la perte irrémédiable est imputable à une cause dépendant de la nature même des produits ou à un cas de force majeure.
L'administration de douanes considère que cet article ne déroge pas au principe d'exclusion du vol.
La société Dutyfly remet en cause la position de l'administration des douanes en se prévalant de l'arrêt la cour de cassation du 4 février 2014. Dans cet arrêt la cour de cassation a reproché à la cour d'appel de ne pas avoir recherché si les circonstances de l'espèce ne constituaient pas un cas de force majeure, dès lors que le droit de consommation ne relève pas des dispositions du code des douanes communautaire mais du droit national.
En l'espèce, il n'est pas contesté, que le vol a porté sur des produits de tabac relevant du droit de consommation, que les dispositions de l'article 302 D du code général des impôts ont vocation à s'appliquer.
Il est jugé que dans cette hypothèse, le vol ne saurait faire l'objet d'une exclusion de principe et qu'il y avait lieu de rechercher si, en l'espèce, le vol pouvait revêtir les conditions de la force majeure telle que prévue par l'article 1148 du code civil alors applicable.
Il convient dès lors de rechercher si le vol remplit les conditions de la force majeure.
La notion de force majeure implique la démonstration que la perte de la marchandise est intervenue dans des circonstances étrangères, irrésistibles et imprévisibles dont les conséquences n'ont pu être évitées malgré les diligences déployées par la victime.
En l'espèce, la condition d'extériorité est remplie, il est établi que la société Dutyfly a été victime d'un vol, commis par une bande organisée.
Les services de douanes contestent les conditions d'irrésistibilité et d'imprévisibilité, et reprochent à la société Dutyfly solutions de ne pas avoir mis en place un système de sécurisation complet et efficace dès lors que deux vols ont eu lieu à quelques mois d'intervalle.
Il sera relevé que, quand bien même la société Dutyfly a été précédemment victime de vols, ceux -ci sont d'une part, intervenus dans d'autres locaux que l'entrepôt de Roissy, d'autre part, la société Dutyfly justifie avoir pris pour l'entrepôt concerné des mesures de sécurité interne et externes afin de se prémunir contre toute intrusion.
L'administration des douanes ne peut par ailleurs, valablement reprocher un défaut du dispositif de sécurité qu'elle a agréé.
Il ressort certes des éléments de l'enquête que les dispositifs anti intrusion mis en place n'ont pas été efficaces, puisque 6 malfaiteurs ont fait le guet à l'extérieur de l'entrepôt sans être détectés et sont entrés dans les lieux, en menaçant l'agent de sécurité, avec des armes, lors de son arrivée dans l'entrepôt. Ils l'ont forcé à désactiver le système de sécurité, et notamment la télésurvaillance, permettrant ainsi l'entrée des malfaiteurs et le vol des produits. Durant cette opération, chaque employé arrivant dans l'entrepôt, a été séquestré à son tour à l'intérieur du bâtiment. En dépit de la mise en place d'un système de sécurité renforcé, les malfaiteurs sont donc parvenus à déjouer les moyens mis en oeuvre.
Il apparaît dans ces conditions que la société Dutyfly pouvait raisonnablement estimer être protégée de toute intrusion et que dès lors le vol en date du 4 décembre 2013, revêt les conditions de la force majeure.
Il convient de confirmer la décision déférée. Aucun droit de consommation ne peut donc être réclamé à la société Dutyfly.
Il paraît équitable d'allouer à la société Dutyfly la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a dû exposer en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bobigny en date du 6 juillet 2017 dans toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
DÉBOUTE la direction regionale des douanes et droits indirects de Roissy fret, monsieur le receveur regional D... fret de leurs demandes ;
CONDAMNE la direction regionale des douanes et droits indirects de Roissy fret, monsieur le receveur regional D... fret à verser à la société Dutyfly solutions la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
DIT n'y avoir lieu à dépens.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT
C. BURBAN E. LOOS