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18/01/2019 | FRANCE | N°18/00434

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 13, 18 janvier 2019, 18/00434


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13



ARRÊT DU 18 Janvier 2019



(n° , 3 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/00434 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B4YPG



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 Juin 2017 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CRETEIL RG n° 08/01067





APPELANTE

CPAM 94 - VAL DE MARNE

Division du contentieux

[Adresse 1]
r>[Adresse 1]

représentée par Mme [F] [Q] en vertu d'un pouvoir général





INTIMÉS

Madame [L] [V]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Jean-Laurent REBOTIER, avocat au barreau de L...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13

ARRÊT DU 18 Janvier 2019

(n° , 3 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/00434 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B4YPG

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 Juin 2017 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CRETEIL RG n° 08/01067

APPELANTE

CPAM 94 - VAL DE MARNE

Division du contentieux

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Mme [F] [Q] en vertu d'un pouvoir général

INTIMÉS

Madame [L] [V]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Jean-Laurent REBOTIER, avocat au barreau de LYON substitué par

Me Flora BRICE, avocat au barreau de LYON

Monsieur [P] [V]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représenté par Me Jean-Laurent REBOTIER, avocat au barreau de LYON substitué par

Me Flora BRICE, avocat au barreau de LYON

Monsieur [K] [V]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

représenté par Me Jean-Laurent REBOTIER, avocat au barreau de LYON substitué par

Me Flora BRICE, avocat au barreau de LYON

SAS VALEO VISION

[Adresse 5]

[Adresse 5]

représentée par Me Chantal BONNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : G0214

FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Adresse 6]

représentée par Mme [Y] [C] en vertu d'un pouvoir spécial

Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale

[Adresse 7]

[Adresse 7]

avisé - non comparant

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 08 Novembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Elisabeth LAPASSET-SEITHER, Présidente de chambre

Mme Chantal IHUELLOU-LEVASSORT, Conseillère

M. Lionel LAFON, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Typhaine RIQUET, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Mme Elisabeth LAPASSET-SEITHER, Présidente de chambre et par Mme Typhaine RIQUET, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne (ci-après la caisse) à l'encontre du jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Créteil en date du 14 juin 2017 dans un litige l'opposant aux consorts [V], à la SAS Valéo Vision et au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (ci-après le FIVA).

EXPOSE DU LITIGE

Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard.

Il suffit de rappeler que M. [D] [V], tuyauteur, puis pneumaticien au sein de la SAS Valéo Vision, a établi le 30 juin 2006 une déclaration de maladie professionnelle au titre du tableau 30 des maladies professionnelles. La caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne a instruit le dossier et pris en charge un mésothéliome malin primitif de la plèvre à titre professionnel. Il est décédé des suites de cette maladie le 13 mai 2007 et la prise en charge du décès est intervenue le 5 juillet 2007.

Le 8 août 2007, ses ayants droit, son épouse, Mme [L] [V], et ses enfants, MM. [P] et [K] [V] ont engagé une procédure de reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur devant la caisse. Faute de conciliation, ils ont saisi à cette même fin le tribunal des affaires de sécurité sociale de Créteil suivant requête du 23 septembre 2008.

Par jugement rendu le 14 juin 2017, objet du présent appel, ce tribunal a :

- déclaré recevable le recours et la demande du FIVA,

- déclaré inopposable à la société Valéo Vision la décision de la caisse de prise en charge de la maladie professionnelle de M. [D] [V] avec toutes conséquences de droit,

- dit que la maladie professionnelle de M. [D] [V] était due à la faute inexcusable de son employeur, la société Valéo Vision,

- débouté les ayants droit de M. [V] de leur demande d'indemnisation des préjudices déjà indemnisés par le FIVA,

- fixé au taux maximum l'indemnité forfaitaire visée à l'article L.452-2 du code de sécurité sociale et la majoration de la rente servie au conjoint survivant,

- entériné l'évaluation faite par le FIVA de l'indemnisation des préjudices personnels de

M. [D] [V] et l'indemnisation des préjudices moraux de ses ayants droit,

- dit que la caisse devra procéder au remboursement des sommes versées par le FIVA pour un montant de 189.900€,

- alloué pour les préjudices non indemnisés par le FIVA, à savoir les frais de déménagement, la somme de 3.000€,

- donné acte qu'il sera versé à Mme [L] [V] la somme de 1.386,50€ au titre des frais d'obsèques conformément aux dispositions de l'article L.435-1 du code de sécurité sociale,

- dit que la caisse fera l'avance de l'ensemble des sommes allouées aux ayants droit de

M. [V],

- condamné la société Valéo Vision à payer au FIVA une somme de 800€ en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SAS Valéo Vision à payer aux ayants droit de M. [D] [V] une somme de 3.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses observations présentées oralement à l'audience par son conseil, la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne, appelante principale, requiert de la cour de:

- infirmer partiellement le jugement entrepris,

En conséquence,

- ramener à de plus justes proportions les sommes réclamées par le FIVA au titre des souffrances endurées par M. [V] et du préjudice moral des ayants droit de M. [V],

- débouter le FIVA de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice d'agrément,

- dire et juger que la caisse pourra exercer son action récursoire à l'encontre de la société Valéo Vision,

En conséquence,

- condamner la société Valéo Vision à supporter l'ensemble des conséquences financières liées à la reconnaissance de sa faute inexcusable.

Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, la SAS Valéo Vision, appelante incidente, sollicite de la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré inopposable à la société Valéo Vision la décision de la caisse de prise en charge de la maladie professionnelle de M. [D] [V] avec toutes conséquences de droit, et débouté la caisse de toutes demandes, fins et conclusions à son encontre,

- infirmer le jugement et statuant à nouveau,

- dire que la maladie et le décès ne résultent pas d'une faute inexcusable de la société Valéo,

- dire les consorts [V] et le FIVA irrecevables et mal fondés en l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions dirigées contre elle,

- les en débouter,

- en toute hypothèse, dire que les préjudices tels qu'évalués par le tribunal ne pourront porter intérêts au taux légal qu'à compter de la décision à intervenir,

- rejeter la demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- laisser à chaque parties la charge des dépens.

Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, Mme [L] [V] et MM. [P] et [K] [V] demandent à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* déclaré recevable le recours et la demande du FIVA,

* dit que la maladie professionnelle de M. [D] [V] était due à la faute inexcusable de son employeur, la société Valéo Vision,

* fixé au taux maximum l'indemnité forfaitaire visée à l'article L.452-2 du code de sécurité sociale et la majoration de la rente servie au conjoint survivant,

* entériné l'évaluation faite par le FIVA de l'indemnisation des préjudices personnels de M. [D] [V] et l'indemnisation des préjudices moraux de ses ayants droit,

* donné acte qu'il sera versé à Mme [L] [V] la somme de 1.386,50€ au titre des frais d'obsèques conformément aux dispositions de l'article L.435-1 du code de sécurité sociale,

- infirmer le jugement et statuant à nouveau,

- réparer le préjudice patrimonial non encore indemnisé subi par eux,

- condamner la société Valéo à leur payer 36.379,87€ à ce titre,

- condamner la société Valéo Vision à leur payer une somme de 15.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par sa représentante, le FIVA sollicite la confirmation intégrale du jugement entrepris.

Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.

SUR CE,

1 ° ) Sur la faute inexcusable de l'employeur

Les consorts [V] sollicite la confirmation de la reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur, faisant valoir que :

- M. [V] a travaillé en contact avec de l'amiante du jour de son embauche en 1972 jusqu'au moins en 1986,

- il a aussi fourni son aide au moment de la dépollution de la société à la fin de 1990,

- dès les années 1950, les dirigeants d'entreprise travaillant avec de l'amiante savaient que ce matériau pouvait avoir des effets nocifs pour les salariés,

- malgré cette conscience du danger, l'employeur n'a pris aucune mesure pour les protéger,

- l'expertise réalisée dans le cadre de l'affaire pénale a démontré que M. [V] a eu une activité professionnelle l'exposant à l'inhalation de fibres d'amiante au sein de la société Valéo durant au minimum 13 ans et qu'il y avait un lien de causalité certain entre l'exposition professionnelle et le développement du cancer,

- le rapport de l'inspecteur du travail a également relevé des éléments de preuve d'une exposition à l'amiante sur le site [Localité 1],

- la société ne produit aucun élément prouvant l'exposition de M. [V] à l'amiante dans ces emplois antérieurs à 1973,

- il n'est fait état d'aucun fait justificatif exonérant l'employeur de sa responsabilité,

- compte tenu de son activité et de la taille de l'entreprise, la société Valéo doit être considérée comme un entrepreneur avisé et aurait dû prendre des mesures de nature à protéger ses salariés.

La société s'oppose à cette reconnaissance de faute inexcusable, aux motifs que :

- l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme empêche d'exiger d'une partie qu'elle apporter la preuve en défense sur une période de plus de 30 ans,

- l'état des connaissances scientifiques à l'époque où la maladie a été contractée était insuffisant à établir la conscience du danger par l'employeur,

- l'amiante n'intervenait pas dans le processus de production du site [Localité 1], et l'activité de fabrication des systèmes d'éclairage ne rentrait pas dans le champ d'application des textes relatifs à la protection des travailleurs de l'amiante,

- aucun des postes occupés par M. [V] ne l'exposait habituellement aux poussières d'amiante,

- il bénéficiait alors d'équipements de protection individuelle,

- il n'est pas démontré qu'une éventuelle exposition à l'amiante au sein de la société Valéo soit la cause déterminante du mésothéliome de M. [V],

- l'arrêté du 16 octobre 1995 prévoit d'ailleurs une mutualisation des risques avec l'inscription sur un compte spécial, et les conséquences financières de la maladie et du décès de M. [V] ont bien été inscrites au compte spécial par décision de la CRAMIF,

- le Conseil d'Etat a reconnu la responsabilité de l'Etat du fait de sa carence fautive dans la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante,

- la faute de l'Etat constitue un fait justificatif.

La caisse s'en rapporte sur ce point, et la FIVA s'associe aux conclusions des consorts [V].

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers lui d'une obligation de sécurité de résultat, et le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L.452-1 du code de sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Dès lors, la reconnaissance par le Conseil d'Etat de la responsabilité de l'Etat du fait de sa carence fautive dans la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante ne constitue pas pour autant une cause exonératoire de la responsabilité de l'employeur.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie du salarié mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que sa responsabilité soit engagée.

Lors de sa déclaration de maladie professionnelle du 30 juin 2006, M. [V] a désigné son dernier employeur, la société Valéo, mais aussi ses anciens employeurs, indiquant avoir été aussi exposé au risque de la maladie dans ces emplois. Il a produit un certificat médical initial du 12 juin 2006 visant un mésothéliome et une première constatation médicale du

9 novembre 2005.

Le tableau 30 des maladies professionnelles, qui mentionne un mésothéliome malin primitif, pose une présomption d'origine professionnelle dès lors que le salarié justifie de travaux l'exposant à l'inhalation de poussières d'amiante avec un délai de prise en charge de 40 ans.

L'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et le droit au procès équitable ne sauraient s'appliquer dés lors que la maladie exige que soit prévu un délai de prise en charge de 40 ans.

Il ressort de la décision de prise en charge à titre professionnel de la pathologie de M. [V] que celui-ci a bénéficié de la présomption d'origine professionnelle de sa pathologie, présomption qui le dispense d'avoir à établir le lien de causalité entre ses conditions de travail et sa maladie, et présomption que la société Valéo Vision ne renverse pas devant la cour.

M. [V] a été embauché par la société Cibié Projecteur devenue aujourd'hui Valéo Vision, le 1er mars 1973 en qualité de tuyauteur. Il a été licencié le 10 juillet 2002.

En l'espèce, il est produit :

- un rapport de l'inspecteur du travail du 31 décembre 2014 qui indique n'avoir retrouvé aucune archive antérieure à 1979, que sur la période de 1979 à 1986, il n'y a pas de référence à une utilisation ou à une exposition à l'amiante, mais invoque toutefois un courrier du 21 novembre 1983 de son prédécesseur faisant état de la présence de menzolit (produit composé notamment de fibre de verres décrit comme ayant pu se substituer à l'amiante) et d'une atmosphère de travail chargée en particules de fibres de verre dans l'atelier de presses à injecter,

- une attestation de M. [U], retraité du groupe Valéo, indiquant que M. [V] l'a assisté lors des travaux de dépollution avant destruction du site [Localité 1] (a priori en 1990),

- une déclaration sur l'honneur de M. [O], employé de la société Valéo jusqu'en 2003,qui indique avoir vu M. [V] intervenir dans les fonctions de son travail à plusieurs reprises sur des areo-thermes fixés sur des plaques d'amiante et sur des fours isolés par des plaques d'amiante,

Ces attestations ne sont pas contestées.

Or, la fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation de poussières renfermant de l'amiante a été inscrite au tableau 25 des maladies professionnelles dés le 2 août 1945. L'asbestose, qui trouve aussi sa cause dans l'inhalation de poussières d'amiante, a été inscrite au tableau des maladies professionnelles le 31 août 1950.

Le décret du 17 août 1977 a imposé des mesures particulières d'hygiène pour les établissements où les salariés étaient exposés aux poussières d'amiante et a notamment exigé des contrôles de l'atmosphère, la mise en place d'installations de protection collective et la mise à disposition des salariés des équipements de protection individuelle.

Enfin, le danger inhérent aux poussières d'amiante a été mis en évidence par un décret du 10 mars 1984 qui imposait que les poussières soient évacuées au fur et à mesure de leur production et que soient installés dans les ateliers des systèmes de ventilations aspirantes. Des décrets ultérieurs ont édicté des réglementations de plus en plus strictes pour préserver les salariés de ces poussières.

Les connaissances scientifiques auraient dû alerter l'employeur sur les dangers présentés par l'inhalation de poussières d'amiante, même si la société n'était pas un site classé amiante et que ce matériau n'entrait pas dans le processus de fabrication des projecteurs pour véhicules, dès lors que M. [V] était exposé même ponctuellement aux poussières d'amiante.

Si la société Valéo Vision prétend qu'il bénéficiait alors d'équipements de protection individuelle, elle n'en justifie nullement.

En conséquence, il est établi que la société Valéo Vision aurait dû avoir conscience du danger encouru par ses salariés et prendre toutes les mesures de prévention nécessaires pour assurer leur sécurité, ce qu'elle ne démontre pas avoir fait ; sa faute inexcusable est ainsi établie. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

2 ° ) Sur la demande d'inopposabilité des décisions de prise en charge et sur l'action récursoire de la caisse

L'employeur invoque l'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie et du décès sur le fondement des dispositions de l'article R 441 - 11 du code de la sécurité sociale, en faisant valoir que la caisse n'a pas communiqué l'intégralité des pièces de la procédure de prise en charge de la maladie et du décès, et en particulier, qu'elle ne justifie pas l'avoir informée de la clôture de l'instruction et de la possibilité de venir consulter le dossier avant de prendre ces deux décisions. Elle en déduit l'absence de toute action récursoire contre elle, la modification de l'article L.452-3-1 du code de sécurité sociale n'étant pas applicable aux procédures introduites après le 1er janvier 2013.

La caisse ne conteste pas le non-respect du principe du contradictoire au cours de la procédure d'instruction, mais indique que l'irrégularité de procédure permettait quand même à la caisse d'exercer son action récursoire.

L'article L.452-3-1 du code de sécurité sociale issu de la loi du 17 décembre 2012, applicable aux procédures introduites devant les TASS à compter du 1er janvier 2013

dispose : Quelles que soient les conditions d'information de l'employeur par la caisse au cours de la procédure d'admission du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l'obligation pour celui-ci de s'acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L.452-1à L.452-3.

Or, y compris pour les procédures engagées avant le 1er janvier 2013, l'irrégularité de la procédure ayant conduit à la prise en charge par la caisse, au titre de la législation professionnelle, d'un accident, d'une maladie ou d'une rechute, était déjà sans incidence sur l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et ne privait pas la caisse du droit de récupérer auprès de l'employeur, après reconnaissance de cette faute, les compléments de rente et d'indemnités versées par elle.

Dès lors, même si dans le cas d'espèce, l'action a été introduite en 2008, la caisse peut exercer son action récursoire contre la société Valéo Vision.

3 ° ) Sur les contestations du montant des indemnisations :

Les consorts [V] sollicitent de voir réparer le préjudice patrimonial non encore indemnisé subi par eux, et de voir condamner la société Valéo à leur payer la somme de 36.379,87€ à ce titre,

expliquant que :

- depuis l'arrêt du Conseil Constitutionnel du 18 juin 2010, les victimes et ayants droit peuvent demander réparation de préjudices nouveaux non réparés par les prestations servies,

- à ce titre, Mme [V] doit obtenir le remboursement des frais d'acquisition d'un fauteuil électrique, d'un lit médicalisé, d'un matelas, des frais de deux déménagement successifs et des frais d'obsèques de M. [V],

- ces frais n'ont fait l'objet que d'une prise en charge de 5.187,48€ pour le fauteuil, de 1.030€ pour le lit et le matelas, et 1.386,50€ pour les frais d'obsèques,

- les déménagements ont été imposés par l'impossibilité de placer un lit médicalisé dans leur premier logement, et la nécessité pour Mme [V] de trouver un loyer moins cher après le décès de son mari.

Le FIVA requiert de confirmer le jugement entrepris qui a entériné son évaluation de l'indemnisation des préjudices personnels de M. [D] [V] et l'indemnisation des préjudices moraux de ses ayants droit,

aux motifs que :

- le code opère une distinction entre les souffrances physiques et morales,

- pour les victimes atteintes de maladies dues à l'amiante, le préjudice moral est spécifique consistant en une anxiété permanente,

- en raison de sa maladie, M. [V] ne pouvait plus se livrer à la moindre activité,

- pour ce qui est des préjudices moraux, Mme [V] a perdu son mari alors qu'il n'avait que 60 ans et après 38 ans de mariage, avec ses enfants, et elle l'a accompagné durant toute sa maladie,

- l'article 53-IV de la loi du 23 décembre 2000 rend irrecevable toute demande financière des ayants droit indemnisés par le FIVA.

La caisse sollicite de ramener à de plus justes proportions les sommes réclamées par le FIVA au titre des souffrances endurées par M. [V] et du préjudice moral de ses ayants droit, et de débouter le FIVA de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice d'agrément, faisant valoir que les souffrances endurées englobent les souffrances physiques et morales, que les sommes allouées doivent être réduites eu égard à la jurisprudence, tout comme l'indemnisation des préjudices moraux allouée aux ayants droit, et que le préjudice d'agrément n'est pas démontré.

La société Valéo Vision conclut au rejet de la demande d'indemnisation du préjudice patrimonial présentée par Mme [V], ces prestations étant couvertes par l'article L.431-1 du code de sécurité sociale et les rentes allouées, que Mme [V] a déjà été indemnisée par le FIVA de son préjudice moral, tout comme MM. [V] et que le FIVA doit être débouté de sa demande au titre du préjudice d'agrément qui n'est pas établi.

-Sur les demandes présentées par les consorts [V],

Les frais d'acquisition d'un fauteuil électrique, d'un lit médicalisé, et d'un matelas sont des frais médicaux, et donc, des dépenses de santé rentrant le cadre du Livre IV du code de sécurité sociale, notamment de l'article L.431-1. De plus, s'il est justifié de la dépense engagée pour ces frais, aucun élément ne permet de connaître le montant réglé au titre d'une éventuelle prise en charge. Cette demande sera en conséquence rejetée.

Quant aux frais funéraires, leur prise en charge est prévue par l'article L.435-1 du même code mais seulement dans les limites d'un barème, soit en l'espèce, 1.386,50€. La demande de somme complémentaire sera également rejetée.

Quant aux deux déménagements successifs, si le premier est à l'évidence le résultat de l'impossibilité d'adapter le premier logement aux nouvelles conditions de vie de M. [V], tel n'est pas le cas du second survenu après le décès de ce dernier. Aussi la somme de 3.000€ retenue par le tribunal sera déclarée satisfactoire.

-Sur la demande de remboursement présentée par le FIVA,

Les souffrances endurées ont fait l'objet d'une indemnisation à hauteur de 71.000€ pour les souffrances morales et 25.000€ pour les souffrances physiques. Compte tenu des pièces médicales versées aux débats, de la nature de la pathologie, de son évolution et de la jurisprudence habituelle en la matière, ces souffrances seront indemnisées globalement par la somme de 70.000€.

Le préjudice d'agrément résulte de l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir, n'empiétant pas sur la réparation déjà accordée par la rente d'incapacité au titre du déficit fonctionnel permanent. Cependant, en l'espèce, aucun élément ne vient démontrer l'existence d'activités de loisirs que M. [V] aurait pu avoir avant que sa pathologie ne se déclare. Dès lors, la demande de remboursement présentée par le FIVA à hauteur de 21.000€ à ce titre sera rejetée.

Quant au préjudice moral, le FIVA a accordé à ce titre, 32.600€ à l'épouse, 8.700€ à chacun de ses deux enfants et à la mère du défunt, et 3.300.€ à chacun de ses quatre petits-enfants. Eu égard aux circonstances du décès et des souffrances qui l'ont précédé d'une part, et à la jurisprudence habituelle en la matière d'autre part, le montant de cette indemnisation sera confirmé.

Compte tenu de ce qui précède, la caisse devra rembourser au FIVA un montant total de :

189.900€ - 26.000€ -21.000€ soit 142.900€.

S'agissant d'une créance indemnitaire, cette somme ne pourra porter intérêts au taux légal qu'à compter de la notification du présent arrêt.

4 ° ) Sur la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Eu égard à la décision rendue, il convient d'allouer une somme complémentaire de 3.500€ aux consorts [V].

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a :

- déclaré inopposable à la société Valeo Vision la décision de la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne de prise en charge de la maladie professionnelle de M. [D] [V] avec toutes conséquences de droit,

- entériné l'évaluation faite par le FIVA de l'indemnisation des préjudices personnels de

M. [D] [V] et l'indemnisation des préjudices moraux de ses ayants droit,

- dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne devra procéder au remboursement des sommes versées par le FIVA pour un montant de 189.900€,

Confirme le dit jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les point infirmés :

Déclare opposable à la société Valéo Vision la décision de la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne de prise en charge de la maladie professionnelle de M. [D] [V] avec toutes conséquences de droit,

Fixe l'indemnisation au titre des souffrances physiques et morales endurées à la somme de 70.000€,

Rejette l'indemnisation au titre du préjudice d'agrément,

Dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne devra procéder au remboursement des sommes versées par le FIVA pour un montant de 142.900€,

Condamne la société Valéo Vision à supporter l'ensemble des conséquences financières liées à la reconnaissance de sa faute inexcusable,

Rappelle que les sommes allouées ne pourront porter intérêts au taux légal qu'à compter de la notification du présent arrêt,

Y ajoutant,

Condamne la société Valéo Vision à verser aux consorts [V] une somme complémentaire de 3.500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rappelle que la présente procédure est exempte de dépens.

La Greffière,La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 18/00434
Date de la décision : 18/01/2019

Références :

Cour d'appel de Paris L4, arrêt n°18/00434 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-01-18;18.00434 ?
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