RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 7
ARRÊT DU 17 Janvier 2019
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 15/13029 - N° Portalis 35L7-V-B67-BXVVW
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Novembre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL RG n° 15/00193
APPELANT
Monsieur [M] [R]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me Isabelle GOMME, avocat au barreau de PARIS, toque : J112
INTIMES
Me [D] [C] - Mandataire liquidateur de la SAS CONDITIONNEMENT ROUTAGE PUBLICITE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Jean PRINGAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : C2539 substitué par Me Laure VAYSSADE, avocat au barreau de PARIS, toque : C2539
FRANCE ROUTAGE venant aux droits de la SAS FEELFACT
[Adresse 3]
[Adresse 3]
N° SIRET : 533 921 466 00025
représentée par Me Montaine GUESDON VENNERIE, avocat au barreau de PARIS,
toque : L0119
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA IDF EST
[Adresse 4]
[Adresse 4]
représentée par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS, toque : T10
substitué par Me Charlotte CASTETS, avocat au barreau de PARIS, toque : T10
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Septembre 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de chambre, et Madame Bérengère DOLBEAU, Conseillère, chargées du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de chambre
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Conseiller
Madame Bérengère DOLBEAU, Conseiller
Greffier : Mme Anna TCHADJA-ADJE, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
-mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, prorogé ce jour.
- signé par Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE Présidente de chambre et par Madame Anna TCHADJA-ADJE, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE:
M. [M] [R] prétend avoir intégré le 15 avril 1980 sans contrat de travail écrit en qualité de manutentionnaire la société Conditionnement Routage Publicité, ci-après société CRP, créée en 1977 par son père. Cette société assurait pour le compte de ses clients la gestion globale de leur campagne marketing ( conception, édition, personnalisation, façonnage et routage).
Il prétend avoir occupé ensuite divers postes dans la société et notamment le poste de directeur opérationnel et commercial jusqu'en décembre 2002, rémunéré 6030€ bruts par mois sur 13 mois outre des avantages en nature (nourriture et véhicule).
M. [R] a été nommé Président de la société CRP à compter du 1er janvier 2003. Sa rémunération a alors été portée à 8350€ bruts mensuels, sur 13 mois outre des avantages en nature à hauteur de 3936€ annuels, puis à 9000€ bruts mensuels sur 13 mois avec des avantages en nature de 5300€ par an.
Par jugement en du 6 novembre 2013, le tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société CRP et a désigné M° [C] en qualité d'administrateur et M° [D] comme mandataire judiciaire.
Par jugement du 25 juin 2014, il a arrêté le plan de cession de la société CRP à la société FRANCE ROUTAGE, avec faculté de substitution au profit de la société Feelfact. Le plan prévoyait la reprise de vingt neuf contrats de travail et vingt salariés non repris devaient être licenciés pour motif économique.
Par jugement du 23 juillet 2014, le Tribunal de commerce de Créteil a mis fin à la période d'observation et a prononcé la liquidation judiciaire de la société CRP. Le 24 juillet 2014, M. [R] s'est vu notifier son licenciement économique, sous réserve de l'existence de sa qualité de salarié au moment de la rupture, par l'administrateur judiciaire de la société CRP.
Par actes des 22 et 25 août 2014, est intervenue la cession de l'entreprise au profit de la société Feelfact se substituant à France Routage.
Entre temps par contrat à durée indéterminée en date du 25 juin 2014, M. [R] a été recruté en qualité de Directeur Opérationnel et Commercial par la société Feelfact, statut cadre.
Le 28 janvier 2015, M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Créteil d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Feelfact, en invoquant la violation des dispositions des articles L 1224-1 et L 1224-2 du code du travail.
Suivant courrier remis en main propre le 13 février 2015, la société Feelfact a convoqué M. [R] à un entretien préalable à son éventuel licenciement, programmé le 24 février suivant, avec mise à pied à titre conservatoire avant de lui notifier son licenciement pour faute lourde par courrier recommandé du 5 mars suivant.
Suite à son licenciement, M. [R] a sollicité dans le cadre de l'instance prud'homale en cours, de voir dire que son contrat de travail avec la société CRP a été maintenu à compter du 24 juin 2014, que son contrat de travail avec la société Feelfact du 25 juin 2014 est nul, ordonné la fixation de diverses sommes au passif de la société CRP et condamner la société Fellefact à lui verser divers rappels de salaire et indemnités.
Il a également saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de restitution d'effets personnels déposés dans son bureau.
Par jugement en date du 12 novembre 2015, le conseil de prud'hommes a :
- rejeté la demande de M. [R] d'écarter la pièce n°20 communiquée par la société Feelfact
- s'est déclaré compétent pour statuer sur la demande de restitution du mobilier entreposé dans le bureau de M. [R],
- débouté M. [R] de sa demande de restitution de meubles et d'objets ;
- dit que M. [R] ne justifie pas de son statut de salarié au sein de la SAS C.R.P. avant 2002, date à laquelle il a été élu Président de la SAS C.R.P. ainsi qu'à compter de 2002 jusqu'au prononcé de la liquidation judiciaire qui a mis un terme à son mandat social ;
- déclaré M. [R] irrecevable en ses demandes de violation des articles L.1224-1 et L.1224-2 du code du travail, de responsabilité solidaire du cédant C.R.P. avec celle de la société Feelfact, de maintien du contrat de travail verbal de M. [R] avec la société C.R.P. au sein de la société Feelfact, la nullité du contrat de travail signé le 25 juin 2014 entre la société Feelfact et M. [R], ainsi que toutes les demandes pécuniaires afférentes;
- débouté M. [R] de l'intégralité de ses demandes formulées à l'encontre de la SAS Feelfact au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail ;
- débouté la SAS Feelfact de sa demande reconventionnelle ;
- débouté M. [R] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté la SAS Feelfact de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné M. [R] aux dépens
M. [R] a interjeté appel le 17 décembre 2015 du jugement notifié le 30 novembre 2015.
Aux termes de ses écritures développées oralement à l'audience, M [R] demande à la cour de :
- infirmer le jugement sauf en ce qu'il s'est déclaré compétent pour statuer sur la restitution des biens lui appartenant et qu'il a débouté la société Feelfact de ses demandes reconventionnelles.
- juger qu'il bénéficiait d'un contrat de travail avec la société CRP du 15/04/1980 au 31/12/2002 , qu'entre le 01/01/2013 et le 23/07/2014, il bénéficiait du cumul de son contrat de travail et de son mandat social au sein de la société CRP,
- juger subsidiairement qu'à compter du 23/07/2013, son contrat de travail suspendu a repris l'intégralité de ses effets,
- juger que le licenciement notifié par Maître [C], administrateur judiciaire le 24 juillet 2014 est sans cause réelle et sérieuse.
- ordonner l'inscription au passif de la liquidation judiciaire de la société CRP des sommes suivantes :
* Indemnité compensatrice de Préavis : 22.830 euros
* Congés payés sur préavis : 2.283 euros
* Indemnité conventionnelle de licenciement: 52.358,70 euros
*Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 91.3520 euros, avec un minimum en tout état de cause de 6 mois de salaire, soit 45.660 euros.
-condamner l'AGS CGEA Ile de France à garantir ces sommes et les condamner à les payer à son profit.
-si le licenciement n'était pas jugé sans cause réelle et sérieuse, dire qu'il pouvait prétendre à l'indemnité compensatrice de préavis ci-dessus, aux congés payés y afférents et à l'indemnité conventionnelle de licenciement et de juger en conséquence que ces sommes devront être inscrite au passif de la société CRP et condamner AGS CGEA à lui garantir leur paiement.
- juger que la société Feelfact a conclu un contrat de travail avec lui en fraude de ses droits--condamner la société Feelfact à lui payer la somme de 200.000 € au titre du préjudice subi de ce chef,
- faire droit à sa demande de résiliation du contrat de travail aux torts de son employeur avec effet à la date du licenciement soit le 6 mars 2015.
-condamner la société Feelfact à lui verser les sommes suivantes :
*une indemnité de préavis égale à 3 mois de salaire: 22.226,37 euros
*les congés payés y afférents, soit 2.222,63 euros
*une indemnité compensatrice de congés payés égale à 10% des salaires perçus depuis l'embauche soit 5.211,15 €,
*une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de 6 mois de salaires, soit 44.452,74 euros.
-Subsidiairement, si son contrat de travail n'était pas résilié aux torts de son employeur, juger son licenciement nul pour avoir été notifié en raison de la demande de résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, la faute lourde n'étant pas démontrée ni même une faute grave.
-condamner la société Feelfact au paiement des sommes suivantes :
*une indemnité de préavis égale à 3 mois de salaire pour 22.226,37 euros
*les congés payés y afférents, soit 2.222,63 euros
*une indemnité compensatrice de congés payés égale à 10% des salaires perçus depuis l'embauche soit 5.211,15 €
*une indemnité pour licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse de 6 mois de salaires, soit 44.452,74 euros majorée de 10.000 € s'il était jugé que le licenciement était nul,
-Infiniment subsidiairement, si la résiliation judiciaire du contrat de travail n'était pas prononcée et le licenciement jugé valable, condamner la société Feelfact à lui payer une indemnité compensatrice de congés payés égale à 10% des salaires perçus depuis l'embauche soit 5.211,15 € ,
-condamner la société Feelfact sous astreinte de 300 € par jour retard commençant de courir dans les 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir à lui restituer divers biens situés dans son bureau, dans la salle des fêtes, le local réfectoire et le local sécurité de l'entreprise.
-condamner la société Feelfact au paiement de l'indemnité de non-concurrence soit pour une durée de 21 mois, 25.024,86 € , outre 5.000€ au titre de l'article 700 CPC et des entiers dépens de première instance et d'appel.
M. [R] fait valoir pour la période du 15 avril 1980 au 31 décembre 2002, durant laquelle il ne détenait pas de mandat social, les bulletins de paie qu'il verse aux débats créent une apparence de contrat de travail, qu'il appartient en conséquence au liquidateur qui conteste cette relation de travail de rapporter la preuve de son caractère fictif.
Il ajoute qu'entré dans la société à 20 ans comme manutentionnaire, il se trouvait sous la subordination de son père et fait remarquer qu'il réglait les cotisations sociales, peu important le salaire qu'il touchait, puisque la fixation du salaire est libre sous réserve de respecter le minimum conventionnel.
Concernant la période du 1er janvier 2003 au 23 juillet 2014 date de la liquidation, M. [R] fait observer qu'il a été nommé au poste de Président à compter du 1er janvier 2003, mais que ce n'est qu'en 2007, qu'un nouveau directeur commercial a été embauché ; de sorte qu'il cumulait son mandat social et des fonctions techniques distinctes. Il ajoute que l'existence d'une rémunération indistincte ne suffit pas à exclure le cumul, son poste de dirigeant n'étant pas rémunéré. Il en déduit que son contrat de travail s'est poursuivi pendant son mandat social ou qu'à tout le moins, il a été suspendu pendant celui-ci.
Concernant la période postérieure à l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, le 23 juillet 2014, M. [R] fait valoir qu'il y ait cumul ou non, que son contrat de travail a repris effet dès le jugement de liquidation judiciaire, soit le 23 juillet 2014 et qu'il devait alors nécessairement faire l'objet d'un licenciement par le liquidateur, lequel a été de fait initié par l'administrateur.
Il soutient que la signature du contrat de travail avec la société Feelfact ne peut s'analyser en une démission de la société CRP , qu'il a été licencié dans le délai de quinze jours de la liquidation, de sorte que les indemnités qui lui sont dues sont garanties par l'AGS. Il relève à cet égard que la procédure de licenciement n'a pas été respectée, que s'agissant d'un licenciement individuel sans lien avec ceux intervenus dans le cadre du plan de cession, devaient lui être proposé un CSP et notifiés les motifs du licenciement, ce qui n'a pas été fait et rend le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, ce qui ouvre droit aux indemnités de rupture et dommages et intérêts demandés. Il ajoute que le licenciement qui est sans lien avec l'exécution des actes nécessaires à la cession du fonds, n'a pas été notifié par une personne qui en avait le pouvoir, puisqu'au 24 juillet 2014, les fonctions de l'administrateur judiciaire avaient cessé, ce qui prive le licenciement de cause réelle et sérieuse. Il présente des demandes chiffrés sur la base de sa rémunération avant son mandat social.
S'agissant de la conclusion du contrat de travail avec la société Feelfact, M. [R] fait valoir qu'il n'a pas entendu commettre une fraude au préjudice de la liquidation, qu'il a avisé les organes de la procédure de l'existence d'un contrat avec la société CPR et aurait dû être intégré dans la liste des salariés à reprendre, ce que n'a pas fait l'administrateur.
Il soutient que le responsable de la société Feelfact avait intérêt à ce qu'il ne figure pas parmi les salariés transférés ce qui lui évitait de reprendre son ancienneté, mais qu'il avait tout de même besoin de lui pour assurer la transition avec les clients, qu' en lui cachant la possibilité d'un transfert de contrat, il a vicié son consentement, qu'il a subi un préjudice étant privé d'une rémunération supérieure et de son ancienneté qui aurait eu des conséquences sur les indemnités dues en cas de résiliation judiciaire du contrat.
Concernant la rupture du contrat de travail, M. [R] fait valoir que la société Feelfact n'a pas exécuté le contrat de manière loyale, qu'elle l'a trompé sur le montant de la rémunération qu'il devait percevoir, qu'il n'était pas destinataire des chiffres lui permettant de calculer sa rémunération forfaitaire. Il ajoute qu'il n'a pas été payé de ses frais professionnels pendant plusieurs mois et que la société Feelfact le traitait de façon humiliante dès lors qu'il invoquait sa situation financière précaire. Enfin, M. [R] fait valoir que la société Feelfact a tenté de faire rédiger une pétition à son encontre par les autres salariés mais que ces derniers ont refusé, ce qui justifie la résiliation judiciaire aux torts de la société.
Subsidiairement il fait valoir que son licenciement a été initié en réaction à sa saisine du Conseil de Prud'hommes, droit d'agir en justice qui relève d'une liberté fondamentale et précise que cette situation résulte de la concomitance des faits et du contexte. M. [R] fait valoir que la société Feelfact a initié la procédure de licenciement sans la moindre preuve et qu'elle a tenté de rassembler des preuves a posteriori via la procédure de l'article 145 du code de procédure civile,
En tout état de cause, il soutient que son licenciement n'est pas fondé en l'absence de preuve de l'intention de nuire à l'employeur, ce qui exclut une faute lourde ou même grave.
M. [R] ajoute que les faits avancés par la société Feelfact sont prescrits et que M. [A] était parfaitement informé de l'existence de cette société dès avant la signature du contrat de travail , puisqu'elle était sous-traitante de CRP depuis des années. M. [R] ajoute qu'il n'a pas été rémunéré sur le chiffre d'affaires de cette société au titre de la rémunération variable.
Concernant la concurrence déloyale et la violation de la clause de confidentialité, M. [R] fait valoir que le seul ordinateur qu'il utilisait chez lui était la propriété de 2B GRAPHIC qui avait son siège social à son domicile. M. [R] ajoute que son employeur ne démontre pas le bénéfice pour la société 2B Graphic ou le préjudice qui en est résulté pour l'intimée. M. [R] précise qu'il n'a pas transféré le fichier client lui-même mais qu'il a demandé à un informaticien de CRP/Feelfact, de le faire afin de le mettre à jour et préparer la fin d'année et plus particulièrement, les cadeaux d'entreprise aux clients. M. [R] fait valoir qu'il n'utilisait qu'une seule et même adresse et qu'il a pu recevoir des demandes qui ne relevaient pas de l'activité directe de Feelfact ou pour lesquelles les deux entreprises travaillaient de concert de sorte que le détournement de clientèle n'est pas avéré.
Concernant la demande sur la restitution de ses effets personnels, M. [R] fait valoir que les objets et meubles étant sur place depuis des années, il est difficile pour lui d'apporter des factures ou autres pièces justificatives. Il ajoute que les meubles dont il s'agit n'ont pas fait l'objet de l'offre de reprise de la société FRANCE ROUTAGE/Feelfact et ils ne lui ont pas été cédés.
Concernant la demande relative à l'indemnité de non-concurrence, M. [R] fait valoir qu'il n'a pas perçu la totalité de l'indemnisation à laquelle il avait le droit.
Aux termes de ses écritures développées à l'audience, maître [D] en qualité de liquidateur de la société CRP demande à la cour de :
- A titre principal :
- dire que M. [R] ne démontre pas avoir été lié à la société CRP par un lien de subordination juridique,
-confirmer le jugement en toutes ses dispositions et condamner M. [R] aux entiers dépens.
A titre infiniment subsidiaire :
-dire que M. [R] ne démontre pas avoir exercé des fonctions techniques distinctes dans le cadre d'un lien de subordination et moyennant une rémunération distincte vis-à-vis de la société CRP pour la période postérieure au 1er janvier 2003, date à laquelle il a pris ses fonctions de Président de la société ,
- dire que le contrat de travail de Monsieur [R] a été suspendu à compter du 1er janvier 2003 jusqu'au 23 juillet 2014 suite au prononcé de la liquidation judiciaire de la SAS CRP ,
- dire que son licenciement notifié le 24 juillet 2014 par Me [C] ès qualités d'Administrateur Judiciaire de la SAS CRP repose sur une cause réelle et sérieuse.
-dire qu'en tout état de cause, M. [R] ne pourrait prétendre au titre de la relation contractuelle qui l'aurait lié à la SAS CRP pour la période allant du 15 avril 1980 au 31 décembre 2002 qu'à l'inscription au passif de la liquidation judiciaire des sommes suivantes:
- Indemnité compensatrice de préavis : 18.090,00 €,
- Congés payés afférents : 1.809,00 €
- Indemnité conventionnelle de licenciement : 47.697,30 €
- Débouter M [R] du surplus de ses demandes.
Me [D] es qualités fait valoir que M. [R] ne produit pas de preuves à l'appui de l'affirmation de l'existence d'une relation contractuelle le liant à la société CRP avant le 1er janvier 2003. Il ajoute que la remise des bulletins de paie , très peu nombreux pour une relation contractuelle de vingt deux ans ne permet pas de caractériser à elle seule l'existence d'un lien de subordination juridique, non plus que les attestations versées aux débats. Il ajoute que les derniers bulletins de paie mentionnent le coefficient 362 de la convention collective, qui correspond à un salaire de 3419€ et non de 6030€ ; que de plus le poste de directeur commercial invoqué relève du coefficient 310 et d'un salaire minimum conventionnel de 2900€. Il observe que le salarié ne justifie d'aucun diplôme expliquant ce niveau de rémunération.
Même si l'existence d'un contrat de travail était reconnu, le liquidateur soutient que M [R] ne peut se prévaloir d'un cumul de fonctions qui suppose des rémunérations distinctes, des fonctions techniques distinctes et le maintien d'un lien de subordination, conditions qui ne sont pas remplies en l'espèce. Il relève que M [R] n'a alors plus perçu de rémunération que pour ses fonctions de président, laquelle a augmenté de 38%, étant revalorisée en A1, qu'il n'est plus du tout fait mention de ses fonctions de directeur commercial ; qu'en outre en sa qualité de président d'un SAS M [R] disposait des pouvoirs les plus étendus et que le lien de subordination n'était pas envisageable vis à vis des associés ,tous membres de sa famille; qu'enfin les pièces produites montrent que M [R] occupait des fonctions de ressources humaines, commerciales et même comptables, rattachées toutes à son mandat. Il ajoute que l'appelante ne se présentait que comme président de la société pour les tiers. Il en déduit que le contrat a été suspendu jusqu'à la liquidation judiciaire, puisque l'appelant est demeuré président étant seulement assisté de l'administrateur pendant la période de redressement judiciaire.
Concernant la contestation de son licenciement notifié par Me [C], Me [D] fait valoir qu'à la date du jugement arrêtant le plan de cession de la société CRP, les « fonctions salariées» de M. [R] étaient toujours suspendues du fait de son mandat social de Président toujours en cours, de sorte que son contrat de travail n'était pas transférable et qu'il n'existe pas de fraude sur ce point. Il ajoute que s'il s'estimait salarié, M. [R] pouvait demander à la société Feelfact d'intégrer son poste dans l'offre de reprise, le poste de directeur commercial étant supprimé, ce qu'il n'a pas fait ayant entrepris de négocier de manière opportuniste son intégration au sein de la société cessionnaire.
Me [D] remarque que le licenciement de M. [R], sous réserves, relevait de la compétence de Me [C] ès qualités d'Administrateur Judiciaire de la SAS CRP par l'effet du jugement arrêtant le plan de cession. Il soutient que le jugement de liquidation judiciaire a mis fin aux fonctions de l'administrateur découlant de la période d'observation, mais pas à ses fonctions découlant de l'adoption du plan de cession , qu'il pouvait donc valablement licencier M [R], une fois le lien de subordination rétabli , s'agissant d'un acte nécessaire à la réalisation de la cession au sens de l'article L 631-22 du code de commerce.
Aux termes de ses écritures développées oralement à l'audience, l'AGS demande à la cour de -débouter M. [R] de l'intégralité de sa demande dirigée à l'encontre du mandataire liquidateur de la société C.R.P. et de prononcer la mise hors de cause pure et simple de l'AGS CGEA IDF EST.
-condamner M. [R] à lui régler la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
S'agissant de l'existence d'un contrat de travail avec la société CRP, l'AGS fait valoir qu'il s'associe aux explications et pièces produites par le mandataire liquidateur. Concernant la période de travail du 1er avril 1980 au 31 décembre 2002, l'AGS précise que M. [R] était beaucoup mieux rémunéré qu'un simple salarié ayant la même qualification et qu'il ne produit pas d'autres pièces pour démontrer le lien de subordination qui le soumettait à la société et donc à ses parents.
Concernant la période du 1er janvier 2003 au 23 juillet 2014, l'AGS relève l'absence d'éléments de preuve caractérisant le lien de subordination. Elle ajoute que M. [R] ne peut invoquer l'exercice de fonctions techniques distinctes de son mandat social à compter du 4 décembre 2007, date de recrutement d'un nouveau directeur commercial et fait remarquer que dans le cadre du plan de cession, il n'a jamais revendiqué la qualité de directeur commercial. Elle ajoute que M [R] avait souscrit un nouveau contrat de travail à temps plein avec la société Feelfact ce dont il se déduit qu'il a rompu toute éventuelle relation contractuelle avec la société CRP de sorte que le licenciement économique ne peut produire d'effet.
Aux termes de ses écritures développées oralement à l'audience, la société FRANCE ROUTAGE, venant aux droits de la société Feelfact demande à la cour de :
-déclarer l'appel de M [R] irrecevable et de l'en débouter.
-confirmer le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement pour faute lourde justifié et débouté M [R] de ses demandes,
- dire M. [R] mal fondé à prétendre que son contrat de travail au sein de la société CRP aurait dû être transféré au sein de la société Feelfact sur le fondement de l'article L 1224-1 du Code du Travail ;
- de dire et juger que Mr [R] est mal fondé dans sa demande en nullité et/ou de résiliation judiciaire du contrat de travail signé avec la société Feelfact le 25 juin 2014 ;l'en débouter
-concernant la restitution du mobilier, dire que la cour d'appel de Paris n'est pas compétente pour connaître de cette demande et la renvoyer devant le tribunal d'instance ou de grande instance de Créteil.
-dire en tout état de cause qu'il ne rapporte pas la preuve de la propriété des objets mobiliers listés de condamner Mr [R] à restituer à la société Feelfact les indemnités de non concurrence et de congés payés y afférents, perçues sur la période de mars à mai 2015, soit la somme totale de 3.574,98 euros bruts.
-reconventionnellement, condamner M [R] à lui restituer les indemnités de non-concurrence et de congés payés afférents perçues de mars à mai 2015 soit 3574,98€ et au paiement des dépens comprenant les frais d'huissier, de serrurier et d'expert au titre des frais de signification et du constat d'huissier autorisé par le tribunal de Créteil,
-condamner M [R] au paiement de 6000€ de frais irrépétibles.
La société France Routage fait valoir qu'il n'existe pas de fraude aux dispositions de l'article L 1224-1 du code de travail, relatives au transfert de plein droit des contrats de travail, dès lors que l'existence d'un contrat de travail avec la société CRP n'est pas établie, qu'en tout état de cause l'appelant ne remplit pas les conditions pour voir reconnaître un cumul entre un contrat de travail et ses fonctions de président. Elle ajoute que lors de l'élaboration du plan de cession, M [R] ne s'est jamais prévalu d'un contrat de travail en qualité de directeur commercial, ayant validé la liste du personnel où son non ne figurait pas.
Elle fait observer que si un contrat de travail était admis, il a nécessairement été suspendu pendant la durée du mandat jusqu'à la liquidation judiciaire du 23 juillet 2014, de sorte qu'il n'était pas transférable à la date du jugement de cession. Elle soutient que M [R] était parfaitement au fait de cette impossibilité sinon il n'aurait pas manqué de demander la reprise de son contrat lui conservant ainsi l'ancienneté acquise au sein de CRP. Elle en déduit qu'il n'y a pas plus de vice du consentement ou cause de nullité du contrat conclu en juin 2014 que le salarié a pu étudier.
La société soutient que M [R] ne démontre pas de manquements graves justifiant la résiliation du contrat à ses torts, que les congés en juillet 2014 ne pouvaient être que des congés sans solde compte tenu de l'absence de droits acquis depuis le 25, juin 2014 ; qu'il a été réglé au montant convenu et ne démontre pas avoir réalisé les objectifs commerciaux générant une rémunération variable, alors qu'il avait perçu une avance de 22329€ à ce titre. Elle relève par ailleurs que M [R] de par ses fonctions avait accès à l'ensemble du chiffre d'affaires , qu'il ne peut invoquer des faits postérieurs au licenciement.
Concernant le licenciement pour faute lourde, la société FRANCE ROUTAGE fait valoir que les motifs du licenciement sont justifiés au regard de l'activité de concurrence déloyale développée par M. [R] au profit de la société 2 B Graphic et de ses relations avec un concurrent dont attestent les pièces produites et notamment ses mails à son épouse.
Elle objecte s'agissant de la restitution d'objets mobiliers, que M. [R] n'explique pas dans quelles circonstances les objets se seraient trouvés dans les locaux de l'entreprise laquelle est réputée propriétaire de l'ensemble des biens mobiliers corporels se trouvant dans les locaux de la société reprise. La société FRANCE ROUTAGE ajoute que M. [R] n'est pas recevable à former des demandes pour sa fille et sa mère à l'encontre de la société Feelfact. La société FRANCE ROUTAGE précise que l'action de M. [R] a la nature d'une action personnelle mobilière qui relève de la compétence du tribunal d'instance ou de la compétence du tribunal de grande instance.
Concernant le rejet de la demande au titre de la restitution de l'indemnité de non concurrence, elle fait valoir que M. [R] n'a pas respecté cette clause étant demeuré gérant de la société 2B Graphic et qu'il doit restituer les sommes que la société lui a versées à ce titre.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère expressément aux écritures développées à l'audience.
MOTIFS :
- Sur l'existence d'un contrat de travail avec la société CRP:
Le contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination de leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée la prestation de travail.
Il se caractérise par trois critères cumulatifs, une prestation de travail, une rémunération et un lien de subordination juridique, critère décisif.
Ce lien de subordination est lui-même caractérisé par l'exécution d'un contrat sous l'autorité d'une employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Au soutien de sa demande, M [R] verse aux débats des bulletins de salaires d'avril à juin 1980 en qualité de manutentionnaire, puis conducteur de machine, ainsi que des bulletins de salaire de janvier 2001 à décembre 2002 en qualité de directeur commercial , puis des bulletins de paie couvrant la période de janvier 2003 à juin 2014 en qualité de président de la société, qualité acquise à la suite de la délibération de l'assemblée générale de la société du 27 décembre 2002. En outre, il produit une attestation de M [T] qui témoigne de ce que l'appelant était son interlocuteur commercial depuis 1986.
S'agissant de la période antérieure à janvier 2003, ces bulletins de salaire qui mentionnent un début d'activité le 15 avril 1980 et opèrent une retenue de l'ensemble des cotisations sociales salariales sont suffisants pour créer une apparence de contrat de travail avec la société CRP, ce d'autant qu'il est attesté que M [R] occupait des fonctions commerciales depuis 1986. Il appartient dès lors au liquidateur de rapporter la preuve de l'absence de lien de subordination et du caractère fictif du contrat. Or, Maître [D] es qualités ne rapporte pas cette preuve. Il ne peut notamment invoquer l'importance du niveau de rémunération de M [R] dès lors que la fixation du salaire demeure libre entre les parties sous réserve de respecter le minimum conventionnel. Par ailleurs, il ne produit aucune pièce de nature à établir que M [R] travaillait pendant cette période sans le moindre contrôle de la part de la société. En conséquence est établie la qualité de salarié de l'appelant au sein de la société CRP avant le 1er janvier 2003. Le jugement sera réformé sur ce point.
S'agissant de la période postérieure au 1er janvier 2003 jusqu'à la liquidation judiciaire, pendant laquelle M [R] était Président de la SAS CRP, le liquidateur ainsi que la société France Routage relèvent à juste titre que les bulletins de salaire produits ne font aucune référence à une activité de directeur commercial, aucune cotisation n'étant d'ailleurs prélevée au titre de la part salariale de l'Assedic. Ils relèvent de la même façon justement que M [R] percevait une rémunération unique de la société au titre de ses fonctions de président. Par ailleurs, le recrutement d'un directeur commercial à compter de 2007, contredit clairement les attestations de l'expert comptable et d'un client témoignant d'un cumul de fonctions distinctes jusqu'en 2014.
Il s'en déduit que le cumul à compter de janvier 2003 et jusqu'à la liquidation judiciaire , par M [R] de fonctions techniques spécifiques de directeur commercial et des fonctions de président de la société n'est pas caractérisé, de sorte que le contrat de travail de M. [R] a été suspendu à compter de sa nomination en tant que Président le 1er janvier 2003 et ce jusqu'au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire de la société CRP le 23 juillet 2014, puisqu'il n'a pas été dessaisi de l'administration de la société par l'ouverture du redressement judiciaire de la société le 6 novembre 2013 et la désignation de Maître [C] en qualité d'administrateur, lequel avait uniquement une mission d'assistance du débiteur.
-Sur la rupture du contrat de travail avec la société CRP:
M. [R] a été licencié par courrier notifié le 24 juillet 2014, par Maître [C] en qualité d'administrateur pour motif économique et impossibilité de reclassement.
Il est constant que le licenciement notifié par une personne qui n' a pas qualité pour le faire est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
En l'espèce, le mandat social de M [R] ayant pris fin à la date du jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire le 23 juillet 2014, la fin de la suspension de son contrat de travail est intervenue à la même date, aucune rupture antérieure ne pouvant en toute état de cause se déduire de l'initiative de l'appelant de conclure un contrat de travail avec la société Feelfact le 25 juin 2014. Or, le jugement de liquidation a mis fin aux fonctions de l'administrateur. Le liquidateur ne peut soutenir que Maître [C] avait toujours qualité pour procéder à ce licenciement, en ce qu'il se rattache aux actes nécessaires à la cession, visés dans le jugement de cession d'activité du 25 juin 2014, alors que le contrat de travail de M. [R] n'entrait pas dans le périmètre des emplois non repris visés dans le plan de cession. En effet, si un poste de directeur commercial est mentionné parmi les emplois supprimés dans le jugement, il concerne le poste occupé par M [H] recruté en 2007. Il s'en déduit que le licenciement de M [R] étant étranger à l'exécution du plan de cession, il devait être mis en oeuvre par le liquidateur, dans le cadre des opérations de liquidation de la société CRP. En conséquence, le licenciement économique réalisé à l'initiative d'un mandataire qui n'avait pas qualité pour y procéder est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
M. [R] peut donc prétendre tel qu'il le demande sur la base de sa rémunération antérieure à sa désignation comme président, égale à 7610,62€ par mois en y intégrant les avantages en nature, à une indemnité de préavis de trois mois de salaire, soit 22830€, outre 2283€ de congés payés afférents et une indemnité conventionnelle de licenciement de 52358,70€.
En application de l'article L 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, il a également doit à une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse de 45664€, n'ayant pas subi de période d'inactivité. Ces sommes seront fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société CRP et garanties par l'AGS .
- Sur la conclusion du contrat de travail avec la société Feelfact:
Dès lors que son contrat de travail a été suspendu jusqu'à la liquidation judiciaire de la société CRP le 24 juillet 2014 et demeurait exclu du plan de cession, M. [R] ne peut prétendre qu'il aurait dû être transféré à la société Feelfact dans le cadre du plan de cession et qu'il existe une fraude au disposition d'ordre public de l'article L 1224-1 du code du travail.
De la même façon, il ne démontre pas l'existence d'un vice ayant affecté son consentement lors de la signature du contrat du 25 juin 2014, plus particulièrement en raison de manoeuvres de la part de son nouvel employeur. La nullité du contrat ne peut être prononcée. Sa demande indemnitaire à hauteur de 200000€ à l'encontre de la société France Routage venant aux droits de la société Feelfact doit en conséquence être rejetée.
- Sur la rupture du contrat de travail avec la société Feelfact :
*Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat :
En application de l'article L. 1231-1 du code du travail, le contrat de travail peut être résilié en cas de manquements graves de l'employeur dans l'exécution de ses obligations, qu'il appartient au salarié de démontrer. Si le salarié a été licencié postérieurement à son action en résiliation, le juge doit d'abord examiner si la résiliation est justifiée, laquelle produit alors les conséquences d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, dont les effets sont fixés à la date du licenciement.
M. [R] invoque une exécution déloyale du contrat par l'employeur tenant à ce qu'il a été trompé sur le montant de sa rémunération, qui devait être identique à celle reçue en tant que président de l'ordre de 9000€ . Au soutien de cette affirmation, il verse aux débats des SMS dont la réalité de l'envoi n'est pas démontrée et qui en tout état de cause ne font pas état du niveau de rémunération alléguée.
Il fait également état du défaut de communication du chiffre d'affaire lui permettant de vérifier sa rémunération forfaitaire. Or, la société fait remarquer à juste titre qu' en raison de ses fonctions mêmes, M [R] disposait d'un accès au chiffre d'affaire réalisé par la société. A cet égard, il convient de relever que dans le mail du 13 octobre 2014 qu'il produit aux débats (pièce 40), il admet que l'employeur applique son contrat à la lettre et demande en fait une renégociation de sa rémunération à son niveau antérieur de président de la société CRP, reconnaissant avoir mal anticipé les conséquences du mode de rémunération contractuel, qui est clairement détaillé à l'article 5 du contrat. Dès lors, le manquement de l'employeur n'est pas établi.
Il fait également état d'un défaut de paiement de ses frais professionnels pendant plusieurs mois. Il produit sur ce point trois mails d'octobre 2014 rappelant le défaut de paiement des frais du mois de septembre dont le montant n'est cependant pas précisé et un mauvais fonctionnement du processus de règlement le 15 du mois. La société ne produit pas de pièce sur ce point hormis un mail de Mme [W] qui admet la lourdeur des procédures. La société ne justifie pas non plus des conditions dans lesquelles ces frais ont été réglés.
Si l'employeur dans son mail du 31 juillet 2014 a répondu vivement à la demande de M [R] de rediscuter sa rémunération dans des proportions non négligeables un peu plus d'un mois après la signature du contrat, ses propos ne sont toutefois pas humiliants ni ne dénigrent l'appelant, M [A] lui demandant de faire preuve de plus de réalisme en lui rappelant les termes de son contrat.
Aucun manquement de l'employeur n'est dès lors établi.
M. [R] verse aux débats une attestation de Mme [B] qui témoigne de ce qu'à la suite de sa saisine du conseil des prud'hommes, l'employeur a organisé une réunion du personnel pour mettre en place une pétition. Toutefois, ce document qui n'est accompagné d'aucune pièce d'identité comme l'exige l'article 202 du code de procédure civile et n'est corroboré par aucune autre pièce, présente une valeur probante insuffisante pour caractériser la déloyauté invoquée.
Seul est donc établi le retard dans le remboursement des frais professionnels, manquement qui ne présente pas un caractère de gravité suffisant pour justifier la réalisation du contrat. Cette demande sera en conséquence rejetée comme les demandes pécuniaires qui en découlent.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
* Sur le licenciement :
M. [R] a été licencié pour faute lourde le 5 mars 2015, pour avoir enfreint son obligation de loyauté au moment de son embauche en cachant la réalité de sa situation et également pendant l'exécution du contrat par des agissements commis avec une volonté de nuire à l'entreprise.
Il est ainsi reproché à M [R] :
-d'occuper les fonctions de gérant de la société 2 B Graphic domiciliée à son adresse personnelle sans en avoir averti la société lors de son embauche, société ayant une activité concurrente de celle de la société Feelfact,
-d'utiliser les moyens informatiques de la société pour satisfaire l'activité de cette entreprise concurrente aminée par son épouse,
-d'avoir transmis le fichier client de la société à 2B Graphic, dans les premiers jours de la collaboration, transféré des bons de commandes de clients de l'adresse mail de l'entreprise à la société 2 B Graphic notamment en janvier 2015, transférés d'autres opérations commerciales à cette société,
-de s'être vanté de réaliser une marge de 15000€ 'dans le dos' de son employeur;
-d'avoir opéré un détournement de clientèle au profit de cette société ,
-d'avoir sollicité d'un client une sur facturation au préjudice de la société pour bénéficier en contre partie à titre personnel d'un carton de douze bouteilles de vin;
-d'avoir rendu visite à un concurrent pendant son temps de travail,
-d'avoir ainsi favorisé les intérêts de son conjoint et manifesté une volonté de nuire à la société.
M [R] prétend que le licenciement a été initié en rétorsion à son action prud'homale, affirmation qui ne peut être corroborée par la seule attestation irrégulière de Mme [B], comme précisé ci-dessus de sorte que sa demande de voir déclarer le licenciement nul ne peut être accueillie.
M [R] invoque la prescription de plusieurs faits fautifs qui lui sont reprochés, en application de l'article L 1332-4 du code du travail, pour être antérieurs de plus de deux mois à la date de convocation à l'entretien préalable du 13février 2015.
A cet égard il apparaît que la société Feelfact verse aux débats et se prévaut pour établir l'existence d'une faute lourde d'un mail de M [N] et de M [R] à son épouse transférant le fichier client de la société Feelfact à la société 2 B Graphic le 4 août 2014, d'un transfert de commande de l'appel d'offre Revue d'[Localité 1] par mail du 16 septembre 2014, de l'appel d'offre Unapei par mail du 18 juillet 2014, d'une marge opérée au détriment de son employeur le 25 novembre 2014, du transfert de l'appel d'offre groupe moniteur par mails des 23 juillet et 8 octobre 2014, d'une sur facturation demandée à un fournisseur par mail du 11 décembre 2014, ensemble de faits antérieurs de plus de deux mois à la date d'engagement de la procédure de licenciement, la convocation à l'entretien préalable du 13 février 2015. Dès lors que la société France Routage ne justifie pas de la date exacte à laquelle ces faits ont été portés à sa connaissance, que la plainte pénale dont il est question dans les écritures de la société a été déposée en mars 2017, ces faits sont prescrits et ne peuvent être invoqués au soutien du licenciement.
Toutefois, la société justifie de plusieurs échanges par mails de M [R] des 20 et 21 et 23 janvier 2015, non prescrits et qui ne résultent pas des investigations opérées sur autorisation du tribunal de Créteil, relatifs à une commande de la société Select Adress, adressés à ce client comme à son épouse qui établissent clairement que le salarié utilisait les moyens de la société Feelfact , sa boîte mail professionnel et son temps de travail chez son employeur pour traiter des commandes au bénéfice de la société dont il était gérant 2 B Graphic et dont l'objet social comme le montre le Kbis était en grande partie identique à celui de son employeur.
M [R] ne peut prétendre que la société Feelfact était au fait de sa situation de gérant de la société 2 B Graphic et de son exacte activité, sur la foi de sms qu'il verse aux débats censés relater des échanges avec l'intimée avant la signature de son contrat de travail, alors qu'aucune pièce n'assure l'authenticité et l'envoi effectif de ces sms contestés . Par ailleurs, le courrier adressé sur le modèle d'une lettre circulaire par la société Feelfact à la société 2B Graphic, le 7 juillet 2014, révèle la prise en compte de cette société comme client et non comme sous-traitant habituel de l'ancienne société CRP M. [R], tandis qu'il n'est pas établi que le rapport spécial sur les conventions réglementées de l'exercice clos en décembre 2012 ait été effectivement communiqué à l'intimée dans le cadre de la mise en place du plan de cession . Les comptes de la société 2 B Graphic qu'il produit ne permettent pas de mettre en évidence des relations suivies entre les deux sociétés depuis la cession de la société CRP en juin 2014 et aucune facture n'est produite de la société 2 B Graphic à l'égard de la société Feelfact depuis cette époque/
En outre, il résulte de mails de M [R] du 20 janvier 2015 comme de billets de train , que ce dernier est allé visiter une entreprise concurrente à [Localité 2], sans que ces échanges ne mentionnent un envoi en copie à son employeur, sans que le salarié ne fournisse d'explication sur cette décision et sa cohérence au regard de la politique de la société à l'égard de ses concurrents.
Ces faits suffisent à caractériser de la part du salarié une déloyauté dans l'exécution du contrat de travail. S'ils sont insuffisants pour établir une intention de nuire à l'employeur en réalisant des actes de concurrence déloyale par un détournement de clientèle et par suite une faute lourde, ils constituent par contre des fautes qui au regard du poste occupé par M [R] dans la société, justifient la rupture immédiate de la relation contractuelle et par suite constituent une faute grave privative des indemnités de préavis et de licenciement. Il en résulte que la demande indemnitaire de M [R] au titre de la rupture du contrat doit être rejetée. Par contre, M. [R] a droit au paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés. Au vu des bulletins de paie, de ce que selon le contrat, la part variable de la rémunération s'entend congés payés inclus, l'indemnité compensatrice sur la base d'une rémunération perçue de 31921,59€ est égale à 3192,15€, qui sera versée par la société France Routage. Le jugement sera réformé sur ce point.
-Sur l'indemnité de concurrence :
Le contrat de travail de M. [R] prévoyait une clause de non concurrence, aux termes de laquelle le salarié s'interdisait d'entrer au service d'une entreprise fabriquant ou vendant des produits pouvant concurrencer ceux de Feelfact et du groupe France Routage ; de s'intéresser ou collaborer directement ou indirectement et sous quelque forme que ce soit à toute fabrication, tout commerce outre toutes autres activités pouvant concurrencer les activités de Feelfact et du groupe France Routage. Cette interdiction était limitée à une période de deux ans à compter du jour de la cessation effective du contrat et couvrait le territoire de l'Ile de France et une zone de 200 kms autour. En contrepartie de cette obligation le salarié devait percevoir dans la période de deux ans une indemnisation équivalente à 25% sur salaire annuel brut hors intéressement ou rémunération variable.
Il n'est pas discuté que cette clause n'a pas été levée au départ de M [R] de l'entreprise le 5 mars 2015. Or, comme le fait remarquer la société, M [R] a continué à gérer la société 2 B Graphic dont le siège social est situé dans le Val de Marne et qui développe des activités concurrentes de celles de la société intimée. Par ailleurs, il n'est pas justifié que comme le soutient M. [R] cette société a été mise en sommeil. Cette affirmation est au contraire contredite par les comptes de la société produits par l'appelant lui-même qui révèlent une poursuite d'activité notamment en 2015 . Dès lors que cette clause n'a pas été respectée après le départ du salarié, elle ne peut donner lieu au paiement de sa contrepartie et la société France Routage est fondée à obtenir restitution des sommes versées à ce titre en avril et mai 2015 soit une somme de 3574,98€ congés payés inclus, que M [R] sera condamné à lui verser. Le jugement sera réformé sur ce point.
-Sur la restitution des objets mobiliers :
Cette demande de restitution, qui ne relève pas de la compétence exclusive d'une juridiction, s'inscrit dans le cadre d'un litige entre employeur et salarié visé par l'article L 1411 du code du travail et est en tout état de cause l'accessoire d'un litige de droit du travail. Le juridiction prud'homale est donc compétente pour l'examiner.
M. [R] sollicite la restitution de divers objets mobiliers restés dans les locaux de la société. Toutefois, comme le relève la société France Routage, la demande concerne pour partie des cartons propriétés de sa fille et de sa mère, de sorte qu'il n'a pas qualité pour en demander la restitution.
Pour les autres biens, outre que la propriété de M [R] n'en est pas justifiée, à défaut d'inventaire, leur présence dans les locaux de la société avant le plan de cession à la société Feelfact comme leur maintien dans ces locaux n'est pas établie, l'attestation de M [I] se rapportant à du matériel de sonorisation et d'éclairage de 2003 et les photographies produites aux débats ne portant aucune date certaine. Il s'en déduit que la demande de M [R] ne peut être accueillie. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Il n'apparaît pas inéquitable que chaque partie conserve la charge de ses frais irrépétibles les demande à ce titre seront rejetées.
Maître [D] es qualité sera condamné aux dépens de première instance et d'appel. Il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M [R], les frais d'huissier, d'informaticien et de constats autorisés par le tribunal de grande instance de Créteil dès lors que ces frais ont été engagés postérieurement au licenciement de M [R] et indépendamment de l'instance prud'homale en première instance et de l'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant publiquement, en dernier ressort, contradictoirement par mise à disposition au greffe,
-Confirme le jugement en ce que :
*il s'est déclaré compétent pour statuer sur la restitution des objets mobiliers et a débouté M. [R] de cette demande,
*il a débouté M. [R] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat aux torts de la société Feelfact devenue France Routage,
-Réforme pour le surplus,
Statuant à nouveau,
-Reconnaît l'existence d'un contrat de travail liant M [R] à la société CRP à compter du 15 avril 1980,
-Dit que le contrat de travail a été suspendu à compter de sa désignation en qualité de président de la société CRP à compter du 1er janvier 2003 jusqu'au 23 juillet 2014, date de la liquidation judiciaire de la société,
-Dit que le licenciement de M. [R] le 24 juillet 2014 est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
-Fixe la créance de M [R] au passif de la liquidation judiciaire de la société CRP aux sommes suivantes :
*22830€ d'indemnité compensatrice de préavis, outre 2283€ de congés payés,
*52358,70€ d'indemnité de licenciement,
*45664€ d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-Déboute M. [R] de ses demandes au titre d'une fraude au transfert de droit du contrat de travail prévu par l'article L 1224-1 du code du travail et de la nullité du contrat de travail du 25 juin 2014,
-Déboute M. [R] de sa demande de voir déclarer son licenciement par la société Feelfact nul,
-Dit que le licenciement de M. [R] est justifié par une faute grave,
-Déboute M. [R] de ses demandes d'indemnité de préavis, de licenciement et de licenciement abusif,
-Condamne la société France Routage venant aux droits de la société Feelfact à verser à M. [R] la somme de 3192,15€ d'indemnité compensatrice de congés payés,
-Déboute M. [R] de sa demande de paiement de la contrepartie de la clause de non concurrence,
-Condamne M [R] à restituer à la société France Routage venant aux droits de la société Feelfact la somme de 3574,98€ versée au titre de la clause de non concurrence,
-Rappelle que les sommes de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation au bureau de conciliation, les autres sommes portent intérêts au taux légal à compter de l'arrêt,
-Rappelle que l'ouverture de la liquidation judiciaire arrête le cours des intérêts légaux,
-Déclare la présente décision opposable à l'AGS CGEA IDF Est dans les limites légales prévues par les articles L 3253-8 à L3253-13 du code du travail et conformément aux plafonds prévus aux articles L 3253-17 et D 3253-1 à 3253-5 du code du travail,
-Rejette les demandes au titre des frais irrépétibles,
-Condamne Maître [D] es qualités aux dépens de première instance et d'appel, sans qu'il y ait lieu d'y inclure les frais d'huissier, de serrurier , d'expert informaticien et de constat engagés par la société France Routage, ni de les mettre à la charge de M [R].
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE