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10/01/2019 | FRANCE | N°18/09537

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 10 janvier 2019, 18/09537


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRET DU 10 JANVIER 2019



(n° 4, 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/09537 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5VXT



Décision déférée à la Cour : Sur renvoi après cassation d'un arrêt du pôle 1 chambre 3 de la cour d'appel de PARIS en date du 25 octobre 2016 rendu sur appel d'une ordonnance de référé du 19 février 2016 du

Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 16/50974



APPELANTE



Madame [H] [Q] épouse [H]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par Me Vincent ...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRET DU 10 JANVIER 2019

(n° 4, 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/09537 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5VXT

Décision déférée à la Cour : Sur renvoi après cassation d'un arrêt du pôle 1 chambre 3 de la cour d'appel de PARIS en date du 25 octobre 2016 rendu sur appel d'une ordonnance de référé du 19 février 2016 du Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 16/50974

APPELANTE

Madame [H] [Q] épouse [H]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Vincent RIBAUT de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

Assistée par Me Frédéric BIBAL de la SELEURL CABINET BIBAL, avocat au barreau de PARIS, toque : J103

INTIMEES

Organisme FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS, agissant diligences de son Directeur Général domicilié au siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Hélène FABRE de la SELARL FABRE-SAVARY-FABBRO, Société d'avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0124

Assistée par Me Patricia FABBRO de la SELARL FABRE-SAVARY-FABBRO, Société d'avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : A0302

Société CNBF - CAISSE NATIONALE DES BARREAUX FRANCAIS

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Défaillante - assignée à personne habilitée le 25 juin 2018

Société REGIME SOCIAL DES INDEPENDANTS (RSI)

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Défaillante - assignée à personne habilitée le 27 juin 2018

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 29 Novembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Bernard CHEVALIER, Président

Mme Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère

Mme Laure ALDEBERT, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par M. Bernard CHEVALIER, Président, dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : M. Aymeric PINTIAU

ARRET :

- RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Bernard CHEVALIER, Président et par Aymeric PINTIAU, Greffier.

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 9 janvier 2015, vers 13h00, un attentat à caractère antisémite a été perpétré dans le magasin Hyper Cacher situé [Adresse 5]. Un terroriste, déclarant agir au nom de l''état islamique', s'est rendu dans ce magasin où il a pris des clients en otage et a tué quatre personnes. Il a été abattu par les forces de l'ordre lorsqu'elles ont donné l'assaut du magasin un peu avant 17h00.

Mme [Q] épouse [H], à la suite de cet attentat, a reçu à titre de provision de la part du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (ci-après le 'FGTI') deux versements de 5 000 euros les 25 février et 20 octobre 2015.

Par acte du 13 janvier 2016, Mme [H] a fait assigner le FGTI, la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) et le Régime social des indépendants (RSI) devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris auquel elle a demandé la condamnation du FGTI à lui verser la somme de 100 000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation définitive de son préjudice et d'ordonner deux expertises, l'une comptable et l'autre médicale.

Par ordonnance rendue le 19 février 2016, la juridiction saisie a :

- rejeté la demande de provision de Mme [H] ;

- ordonné aux frais avancés par celle-ci deux expertises, l'une comptable et l'autre médicale, et désigné pour les effectuer, respectivement, Mme [D] et M. [J], psychiatre.

Par déclaration en date du 23 février 2016, Mme [H] a fait appel de cette ordonnance.

Par un arrêt du 25 octobre 2016, la cour d'appel de Paris a :

- confirmé ladite ordonnance sauf en ce qu'elle a rejeté la demande de provision formulée par Mme [H] ;

statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant

- condamné le FGTI à verser à Mme [H] la somme provisionnelle de 15 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice psychologique ;

- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de Mme [H] en réparation d'un abus de droit ;

- rejeté la demande de modification de la mission de l'expertise médicale ;

- condamné le FGTI aux dépens d'appel et à verser à Mme [H] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La Cour de cassation, par arrêt rendu le 8 février 2018, a cassé et annulé cet arrêt mais seulement en ce qu'il condamne le FGTI à verser à Mme [H] la somme provisionnelle de 15 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice psychologique et dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de celle-ci en réparation d'un abus de droit, a remis en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour de céans autrement composée.

La Cour de cassation a fondé cette décision sur les motifs suivants :

- Sur le moyen unique du pourvoi principal du FGTI, pris en sa première branche :

Vu l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile, ensemble les articles L. 126-1 et L. 422-2 du code des assurances ;

Attendu que, pour condamner le FGTI à payer à Mme [H] une somme provisionnelle à valoir sur l'indemnisation de son préjudice psychologique, l'arrêt énonce que, si le FGTI peut contester la qualité de victime d'acte de terrorisme d'une personne qui la saisit directement en estimant relever de son régime d'indemnisation, il en est différemment des victimes, directes ou indirectes, recensées sur la liste unique dressée par le parquet de Paris et qui fait foi, conformément aux prescriptions de l'instruction interministérielle du 6 octobre 2008, que Mme [H] figure sur cette liste, qu'en conséquence les contestations du FGTI ne sont pas sérieuses ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la qualité de victime d'une personne inscrite sur la liste unique des victimes d'actes de terrorisme établie par le parquet du tribunal de grande instance de Paris pouvait être contestée par le FGTI, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

- Sur le moyen unique du pourvoi principal du FGTI, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article L. 422-2, alinéa 1, du code des assurances ;

Attendu, selon ce texte, que le fonds de garantie est tenu, dans un délai d'un mois à compter de la demande qui lui est faite, de verser une ou plusieurs provisions à la victime d'actes de terrorisme qui a subi une atteinte à sa personne ou, en cas de décès de la victime, à ses ayants droit, sans préjudice du droit pour ces victimes de saisir le juge des référés ;

Attendu que, pour condamner le FGTI à payer à Mme [H] une somme provisionnelle à valoir sur l'indemnisation de son préjudice psychologique, l'arrêt énonce que, si le FGTI invoque l'application des dispositions de l'article L. 422-2 du code des assurances pour justifier ces versements, il n'en demeure pas moins que les provisions prévues par ce texte sont réservées aux victimes d'attentat, qu'en conséquence les contestations du FGTI ne sont pas sérieuses ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le versement de provisions, en vertu de ce texte, à la personne qui en fait la demande, à la suite d'un acte de terrorisme, ne prive pas le FGTI de la possibilité de contester ultérieurement sa qualité de victime, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

- Sur le moyen unique du pourvoi principal du FGTI, pris en sa troisième branche :

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;

Attendu que, pour condamner le FGTI à payer à Mme [H] une somme provisionnelle à valoir sur l'indemnisation de son préjudice psychologique, l'arrêt énonce que les lettres du FGTI accompagnant les versements de provisions des 25 février et 20 octobre 2015 n'émettent aucune réserve sur la qualité de victime d'attentat de Mme [H] mais uniquement sur l'étendue des préjudices invoqués par cette dernière et l'imputabilité directe aux faits de certains d'entre eux, qu'en conséquence les contestations du FGTI ne sont pas sérieuses ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, dans la lettre du 20 octobre 2015 adressée par le FGTI à l'avocat de Mme [H], il était écrit : "Les troubles psychologiques ( ... ) sont à considérer sous toutes réserves d'imputabilité (...)."A cet égard, j'attire votre attention sur le fait que je ne dispose à ce jour d'aucun document probant décrivant le déroulement exact des faits, tels qu'ils ont été vécus par Mme [H] et ses proches ( ... )", la cour d'appel a dénaturé ce document clair et précis et a violé le principe susvisé ;

- Sur le moyen unique du pourvoi incident de Mme [H] :

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil, ensemble l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile ;

Attendu que, pour dire n'y avoir lieu à référé sur la demande de Mme [H] en réparation d'un abus de droit, l'arrêt énonce que le FGTI indique avoir appris l'inscription de celle-ci sur la liste unique du parquet seulement au cours de la première instance de référé introduite en janvier 2016, ce que réfute cette dernière qui soutient que le FGTI aurait dissimulé volontairement son inscription portée à sa connaissance depuis le mois de février 2015 ; que Mme [H] ajoute que cette dissimulation au juge présente un caractère abusif compte tenu du rôle institutionnel du FGTI dans l'indemnisation des victimes d'attentats ; qu'il n'appartient toutefois pas au juge des référés, juge de l'évidence, de trancher ce différend qui suppose la caractérisation d'une faute et du lien de causalité avec le préjudice invoqué ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la juridiction des référés a le pouvoir de statuer sur le dommage causé par le comportement abusif de parties à la procédure dont elle est saisie, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Le 14 mai 2018, Mme [H] a saisi la cour d'appel de Paris de ce renvoi de cassation.

Au terme de ses conclusions communiquées par voie électronique le 5 novembre 2018, elle a demandé à la cour, sur le fondement des articles L.126-1 et L.422-1 à L 422-3 du code des assurances, 808 et 809 du code de procédure civile, 1142 du code civil, de :

- la déclarer recevable et bien fondée son appel ;

- infirmer partiellement la décision entreprise ;

sur la provision :

- condamner le FGTI à lui verser la somme de 30 000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation définitive de son préjudice ;

sur l'abus de droit :

- dire que la dissimulation intentionnelle de son inscription sur la Liste Unique des Victimes est constitutive pour le FGTI d'un abus de droit ;

- condamner le FGTI à lui verser 1 euro au titre de l'abus de droit ;

sur l'expertise :

- constater que l'ordonnance de référé rendue le 19 février 2016 a été définitivement confirmée par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 octobre 2016 ;

- ordonner la reprise des opérations d'expertise confiée au docteur [J] avec la mission confiée initialement ;

en tout état de cause :

- condamner le FGTI à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance et d'appel.

Mme [H] a fait valoir en substance les éléments suivants :

- sa qualité de victime de l'acte de terrorisme commis dans le magasin Hyper Cacher est démontrée par les témoignages d'autres personnes présentes sur les lieux ainsi que de deux policiers qui faisaient partie de l'équipe venue la secourir avant l'assaut et l'aider à sortir de son automobile stationnée devant l'entrée du magasin où elle était prostrée avec une jeune fille ;

- cette qualité est également prouvée par les troubles dont elle est atteinte depuis cet attentat, mis en évidence par l'expert judiciaire M. [J] et les psychothérapeutes qui la soignent, troubles qui sont décrits comme étant la conséquence directe de celui-ci ;

- elle souffre d'un stress post traumatique grave associé à des troubles dépressifs et anxieux sévères ; ces troubles l'ont contrainte à interrompre son activité d'avocate fiscaliste pendant plusieurs mois ;

- l'ampleur de son préjudice est certain ; elle consulte son psychiatre tous les quinze jours ; elle n'a pas souhaité donné suite à l'expertise comptable parce que celle-ci l'aurait contrainte à aménager le secret professionnel auquel elle est tenue mais elle déplore déjà plus de 100 000 euros de pertes professionnelles ;

- le FGTI a commis un abus de droit en affirmant dans ses premières conclusions du 27 janvier 2016 qu'elle ne figurait pas sur la liste unique des victimes constituée par le parquet ; l'argument de l'intimé selon lequel il s'agit d'une simple inadvertance n'est pas crédible au regard du fait qu'il a corrigé cette affirmation aussitôt après qu'elle eut saisi le parquet ; cette affirmation de sa non-inscription a provoqué chez elle un trouble psychologique supplémentaire.

Le FGTI, par conclusions transmises par voie électronique le 5 novembre 2018, a demandé à la cour, sur le fondement des articles R. 422-6 du code des assurances et 809 du code de procédure civile, de :

- constater que Mme [H] ne rapporte pas en l'état et de manière incontestable la preuve qu'elle remplit les conditions légales pour obtenir une indemnisation de sa part ;

- constater qu'il existe des contestations sérieuses interdisant au juge des référés de faire droit aux demandes de provisions et les rejeter ;

- confirmer l'ordonnance du 19 février 2016 en toutes ses dispositions ;

- dire et juger, par conséquent, que la mission d'expertise de consolidation confiée au docteur [J] sera conforme à la mission telle que stipulée par l'ordonnance du19 février 2016 ;

- débouter Mme [H] de ses demandes tendant à l'application des dispositions des articles 699 et 700 du code de procédure civile.

Le FGTI a exposé en résumé ce qui suit :

- la mise en oeuvre du régime d'indemnisation prévu à l'article 9 de la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 nécessite la reconnaissance de la qualité de victime ; en vertu de l'article R.422-6 du code des assurances, le procureur de la République l'informe sans délai de l'identité des victimes et toute personne qui s'estime victime peut le saisir ; il est alors tenu de verser des provisions au demandeur afin que celui-ci puisse faire face aux dommages engendrés par son dommage corporel mais, avant de statuer définitivement sur la demande d'indemnisation, il est en droit de vérifier que le demandeur est bien victime directe ou par ricochet d'un acte de terrorisme ayant entraîné une atteinte à sa personne ;

- il n'appartient pas au juge des référés d'apprécier la qualité de victime de Mme [H] en raison des contestations sérieuses qui s'opposent à la demande de celle-ci, cette qualité de victime ne reposant sur aucune base juridique et étant contredite par l'absence de procès-verbal d'audition, Mme [H] n'ayant pas déposé plainte et ne s'étant pas non plus constituée partie civile ;

- la reconnaissance de la qualité de victime de Mme [H] supposerait que le juge des référés qualifie juridiquement l'infraction dont elle a été victime alors que le parquet antiterroriste n'en a déterminé aucune ;

- il n'a pas commis d'abus de droit dans la mesure où Mme [H] ne figurait pas sur la liste des victimes communiquée par le parquet le 22 janvier 2015 et elle n'y a été ajoutée que sur celle qu'il a reçue le 13 février 2015 ; il a aussitôt corrigé ses conclusions, de sorte que Mme [H] n'a pas eu à souffrir de cette erreur devant le premier juge.

La CNBF et le RSI n'ont pas constitué avocat. Mme [H] leur a fait signifier sa saisine de la cour et ses conclusions par actes des 25 et 27 juin 2018.

SUR CE LA COUR

Selon l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile, le juge des référés du tribunal de grande instance peut accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.

En vertu de l'article L126-1 du code des assurances, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3 ; la réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime.

L'article 421-1 du code pénal définit les actes de terrorisme comme les infractions qu'il cite, parmi lesquelles figurent les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, l'enlèvement et la séquestration, lorsqu'elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur.

L'article L 422-1 du code des assurances prévoit que, pour l'application de l'article L. 126-1, précité, la réparation intégrale des dommages résultant d'une atteinte à la personne est assurée par l'intermédiaire du FGTI.

L'article L 422-2 du même code prévoit :

' Le fonds de garantie est tenu, dans un délai d'un mois à compter de la demande qui lui est faite, de verser une ou plusieurs provisions à la victime qui a subi une atteinte à sa personne ou, en cas de décès de la victime, à ses ayants droit, sans préjudice du droit pour ces victimes de saisir le juge des référés.

Le fonds de garantie est tenu de présenter à toute victime une offre d'indemnisation dans un délai de trois mois à compter du jour où il reçoit de celle-ci la justification de ses préjudices. Cette disposition est également applicable en cas d'aggravation du dommage.'

Selon l'article L 422-3 dudit code, en cas de litige, le juge civil, si les faits générateurs du dommage ont donné lieu à des poursuites pénales, n'est pas tenu de surseoir à statuer jusqu'à décision définitive de la juridiction répressive et les victimes des dommages disposent, dans le délai prévu à l'article 2226 du code civil, du droit d'action en justice contre le fonds de garantie.

Pour la mise en oeuvre de ces dispositions, l'article R. 422-6 du code des assurances énonce :

' Dès la survenance d'un acte de terrorisme, le procureur de la République ou l'autorité diplomatique ou consulaire compétente informe sans délai le Fonds de garantie des circonstances de l'événement et de l'identité des victimes. En outre, toute personne qui s'estime victime d'un acte de terrorisme peut saisir directement le Fonds de garantie.

Le Fonds de garantie assiste les victimes dans la constitution de leur dossier d'indemnisation. Il les informe de toutes les pièces justificatives et renseignements à fournir, qui comprennent notamment l'indication :

1° Des demandes de réparation ou d'indemnité présentées par ailleurs et, en particulier, des actions en dommages et intérêts qui ont été engagées ainsi que des sommes qui leur ont été versées en réparation du préjudice ;

2° Le cas échéant, des organismes publics ou privés dont elles relèvent ou auprès desquels elles sont assurées et qui sont susceptibles de les indemniser de tout ou partie du préjudice subi.'

Dans l'affaire examinée, il est admis par le FGTI dans ses conclusions et il n'est pas contestable que l'attentat commis le 9 janvier 2015 dans le magasin Hyper Cacher de la [Localité 1] à [Localité 2] à caractère antisémite par un individu se réclamant de l''état islamique', au cours duquel quatre clients du magasin ont été tués par celui-ci et plusieurs autres séquestrées pendant près de quatre heures, constitue un acte de terrorisme au sens des articles L 126-1 du code des assurances et L 421-1 du code pénal.

Il incombe à Mme [H] de faire la preuve, avec l'évidence requise en référé, qu'elle est victime de cet attentat au sens de l'article L 126-1, précité.

Comme elle l'admet dans ses écritures, le fait qu'elle a été inscrite sur la liste unique des victimes d'acte de terrorisme établie par le parquet du tribunal de grande instance de Paris et transmise au FGTI en application de l'article R 422-6 du code des assurances et que cet organisme lui a versé deux provisions en application de l'article L 422-2 du même code ne suffit pas à rapporter cette preuve dès lors que cet organisme, ainsi qu'il en a la possibilité, a contesté ensuite sa qualité de victime.

Mme [H] démontre avec l'évidence requise en référé qu'elle s'est trouvée dans la zone de danger au moment de l'attentat et que celui-ci lui a causé un traumatisme psychologique important.

Elle explique, en effet, que, le 9 janvier 2015, elle s'apprêtait à entrer dans le magasin Hyper Cacher lorsqu'elle a entendu des cris à la suite de la première rafale de tirs et qu'elle s'est réfugiée dans sa voiture stationnée à quelques mètres du magasin.

Ces explications sont confirmées par les attestations régulières en la forme en date des 9 mai et 7 juin 2016 de M. [E] [O] et de M. [Q] [A], fonctionnaires de police arrivés les premiers sur les lieux vers 13h15 avec deux autres agents, selon lesquelles Mme [H], avec huit autres personnes, se trouvaient [Adresse 6], dans une voie sans issue, sur le versant gauche de la façade du magasin, en face d'une sortie de celui-ci, et que ces personnes, indique M. [O], n''avaient pas la possibilité de quitter les lieux sans s'exposer dangereusement aux abords de l'épicerie'.

M. [O] précise que Mme [H] était recroquevillée à l'intérieur de son véhicule, à l'arrière de celui-ci aux côtés d'une jeune fille. Il indique les avoir découvertes, alerté par leurs pleurs et les secousses du véhicule, alors qu'il était lui-même dissimulé derrière un autre véhicule garé à proximité.

Il précise encore 'La zone où elles se trouvaient présentait un réel danger pour leur intégrité physique dans la mesure où un échange de coups de feu entre le terroriste et mon équipage était potentiellement probable'.

Il expose que Mme [H], paniquée à l'idée de quitter son véhicule, a finalement accepté d'en sortir, qu'il a pu la mettre en sûreté à l'extrémité de la rue de [Localité 3] avec les huit autres personnes secourues par son équipe et que, arrivée à cet endroit, elle a fait un malaise.

M. [A], qui décrit de la même manière les conditions dans lesquelles les neuf personnes se trouvant dans cette voie sans issue ont été secourues, confirme que Mme [H] était terrorisée.

Les deux policiers indiquent, enfin, qu'il a été nécessaire de découper un grillage afin de mettre les neuf personnes concernées à l'abri du danger.

Il résulte, ensuite, du rapport d'expertise médicale définitif établi par le docteur [J] en date du 14 décembre 2016 que Mme [H] souffre d'une 'symptomatologie anxieuse post-traumatique associée à une symptomatologie dépressive sévère' qui présente un 'lien direct, certain et exclusif avec les faits dont [elle] a été victime'.

L'expert judiciaire expose ainsi que, lorsqu'il a procédé à l'examen de Mme [H] le 5 octobre 2016, celle-ci, âgée de 49 ans, présentait une grande fragilité psychique en lien direct avec les faits décrits ci-dessus, fragilité se matérialisant par une 'symptomatologie dépressive majeure avec inhibition anxieuse dans le cadre d'un stress post-traumatique encore vif', avec une péjoration de l'avenir, dévalorisation de soi, troubles du sommeil et crises d'angoisse, retentissement important sur sa vie sexuelle, sociale et professionnelle.

L'expert judiciaire a conclu ainsi son rapport en ce qui concerne la description des préjudices subis par Mme [H] :

' Pas d'état antérieur

[...]

La consolidation médico-légale n'est pas acquise du fait des conséquences traumatiques d'une exceptionnelle intensité.

Postes de préjudice temporaires :

- Déficit fonctionnel temporaire total absence

- Déficit fonctionnel temporaire partiel : 25 % du 9 janvier 2015 au 31 janvier 2016 (reprise d'une activité professionnelle partielle) puis d'au moins 15 % actuellement

- Préjudice professionnel temporaire : incapacité totale à reprendre une activité professionnelle en lien total, direct et exclusif avec les faits traumatiques du 9 janvier au 31 janvier 2016 possibilité de reprendre une activité professionnelle de façon aménagée depuis le 1er février 2016 (équivalent d'un tiers temps, tel qu'effectué depuis le 01/02/2016). Ce temps partiel est à imputer au dommage et sera évalué par l'expert-comptable

- Les postes de préjudice tiennent compte des conséquences dommageables sur l'ensemble de

la vie de la victime : vie professionnelle, disparition de sa vie sociale avec isolement à domicile, perte de sa place au sein de sa famille, impossibilité d'amener son fils à l'équitation comme elle le faisait précédemment

- Les souffrances endurées ne sauraient être inférieures à 4 sur une échelle de 7

- Préjudice sexuel temporaire : impossibilité d'avoir des rapports sexuels avec son mari par absence de libido et ne partageant plus le lit conjugal.'

Il ressort de ces éléments avec l'évidence requise en référé que Mme [H] a donc été victime de l'attentat commis le 9 janvier 2015 dans le magasin Hyper Cacher de la [Localité 1] à [Localité 2], cela nonobstant le fait qu'elle ne s'est pas constituée partie civile et sans qu'il soit besoin que la présente juridiction précise la nature et les éléments matériels de l'infraction qu'elle retient comme ayant été commise au préjudice de Mme [H], contrairement à ce que le FGTI demande.

Au vu de la description de son préjudice par l'expert judiciaire psychiatre et en l'absence d'éléments comptables précis permettant de connaître le préjudice financier restant à charge de Mme [H], la demande de provision complémentaire présentée par celle-ci s'avère non sérieusement contestable à hauteur de la somme de 15 000 euros.

L'ordonnance rendue le 19 février 2016 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris sera donc infirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de provision présentée par Mme [H] à l'encontre du FGTI.

Statuant à nouveau, le FGTI sera condamné à payer à Mme [H] une indemnité provisionnelle complémentaire de 15 000 euros.

En ce qui concerne la demande de Mme [H] au titre d'un abus de droit du FGTI, la cour retiendra qu'elle n'est pas fondée à suffisance de droit.

En effet, le FGTI produit aux débats la lettre que lui a adressée le parquet de [Localité 2] en date du 22 janvier 2015 ayant pour objet la communication de la liste unique des victimes de l'attentat en cause en application de l'article R 422-6 du code des assurances sur laquelle Mme [H] n'est pas citée, de sorte qu'il n'est pas démontré que les premières conclusions de l'intimé en première instance en date du 27 janvier 2016 mentionnant que Mme [H] ne figurait pas sur la liste des victimes étaient alors erronées.

Il ressort, en outre, de l'ordonnance attaquée que l'affaire, à l'audience du 29 janvier 2016, a été renvoyée à la demande des parties à celle du 12 février 2016 afin que les services du parquet soient interrogés sur ce point, que le procureur de la République a répondu par courrier du 8 février 2016 que Mme [H] se trouvait sur le liste unique des victimes en qualité de personne impliquée, c'est-à-dire de témoins choqués, et que cette qualité lui a été reconnue par le FGTI dans ses conclusions du 12 février 2016.

Il s'ensuit que la preuve n'est pas rapportée de ce que le FGTI a cherché à dissimuler la qualité de victime de Mme [H] qui sera donc déboutée de sa demande à ce titre.

En ce qui concerne la demande de Mme [H] visant à voir ordonner la reprise des opérations d'expertise confiée au docteur [J] avec la mission confiée initialement à celui-ci au motif que l'ordonnance rendue le 19 février 2016 a été définitivement confirmée par l'arrêt du 25 octobre 2016, elle s'avère sans objet au vu du dépôt par cet expert judiciaire de son rapport définitif.

Le premier juge, en l'état des éléments dont il disposait, a fait une application fondée de l'article 696 du même code, de sorte que l'ordonnance attaquée doit aussi être confirmée de ce chef.

En cause d'appel, le recours de Mme [H] ayant abouti pour l'essentiel, le FGTI devra supporter les dépens, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.

En outre, l'équité commande de la décharger des frais non compris dans les dépens qu'elle a dû engager dans le cadre du présent litige et de lui allouer ainsi, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance rendue le 19 février 2016 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris en ce qu'elle a rejeté la demande de provision présentée par Mme [H] à l'encontre du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions ;

statuant à nouveau de ce chef et ajoutant à l'ordonnance,

Condamne le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions à payer à Mme [H] une indemnité provisionnelle complémentaire de 15 000 euros ;

Rejette comme sans objet la demande de Mme [H] visant à voir ordonner la reprise des opérations d'expertise confiée au docteur [J] avec la mission confiée initialement à celui-ci ;

Condamne le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions aux dépens d'appel et à payer à Mme [H] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 18/09537
Date de la décision : 10/01/2019

Références :

Cour d'appel de Paris A2, arrêt n°18/09537 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-01-10;18.09537 ?
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