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10/01/2019 | FRANCE | N°16/03316

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 7, 10 janvier 2019, 16/03316


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7



ARRÊT DU 10 Janvier 2019

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/03316 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BYI7F



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 Février 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY RG n° 13/04629



APPELANT

Monsieur [S] [A]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

comparant en personne assisté de Me Eric MOUTE

T, avocat au barreau de PARIS,

toque : E0895





INTIMÉE

SAS RAMP TERMINAL ONE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

N° SIRET : 515 192 763 00016

représentée par ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7

ARRÊT DU 10 Janvier 2019

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/03316 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BYI7F

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 Février 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY RG n° 13/04629

APPELANT

Monsieur [S] [A]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

comparant en personne assisté de Me Eric MOUTET, avocat au barreau de PARIS,

toque : E0895

INTIMÉE

SAS RAMP TERMINAL ONE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

N° SIRET : 515 192 763 00016

représentée par Me Isabelle GUENEZAN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0725

PARTIE INTERVENANTE :

[K] [M] DÉFENSEURS DES DROITS

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représenté par Me Nicolas PODOLAK, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE,

toque : PC20

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 novembre 2018 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Philippe MICHEL, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de chambre

Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, conseiller

Monsieur Philippe MICHEL, conseiller

Greffier : Mme Claudia CHRISTOPHE, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

-mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, prorogé ce jour.

- signé par Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de chambre et par Madame Anna TCHADJA-ADJE, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 1er novembre 2009, à la suite d'une reprise de marché, le contrat de travail de M. [S] [A] a été transféré de la société ARS vers la SASU Ramp Terminal One avec reprise d'ancienneté au 19 janvier 2000, pour des fonctions d'assistant avion 1.

Les relations contractuelles de travail entre les parties sont régies par la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises du transport aérien du 22 mai 1959.

La société Ramp Terminal One emploie plus de 11 salariés.

Victime de plusieurs accidents de travail, d'une agression et de problèmes de santé, M. [A] a été régulièrement examiné par le médecin du travail qui a émis des avis d'aptitude avec restrictions à compter du 2 août 2008.

Le 10 décembre 2010, le syndicat Sud Aérien a désigné M. [A] en qualité de délégué syndical au sein de la société Ramp Terminal One à compter du 13 décembre 2010.

Soutenant faire l'objet de nombreux actes de discrimination et de harcèlement depuis la dégradation de son état de santé et, de manière plus importante depuis sa désignation de délégué syndical, M. [A] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny le 5 septembre 2013 à l'effet d'obtenir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, la condamnation de la société Ramp Terminal One à lui verser les sommes suivantes assorties des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil :

- Dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité : 70'000 € ;

- Dommages-intérêts pour discrimination salariale : 30'000 € ;

- Dommages et intérêts pour harcèlement moral : 30'000 € ;

- Rappel de primes exceptionnelles : 550 € :

- Article 700 du code de procédure civile : 2 500 € ;

La cour est saisie de l'appel interjeté par M. [A] le 2 mars 2016 à l'encontre du jugement du conseil de prud'hommes de Bobigny du 8 février 2016, notifié le 29 février 2016, qui l'a débouté de l'intégralité de ses demandes.

Aux termes de ses conclusions déposées le 17 novembre 2017 et développées oralement à l'audience, M. [A] demande à la cour de condamner la société Ramp Terminal One à lui verser les sommes suivantes :

- Dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité : 70'000 € ;

- Dommages-intérêts pour discrimination salariale : 30'000 € ;

- Dommages et intérêts pour harcèlement moral : 30'000 € ;

- Rappel de prime exceptionnelle : 550 € ;

- Article 700 du code de procédure civile : 2 500 €.

Par conclusions également déposées le 17 novembre 2017, la société Ramp Terminal One demande à la cour de :

- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- Débouter M. [A] de l'intégralité de ses demandes.

Aux termes de ses observations écrites également déposées le 17 novembre 2017, et soutenues oralement à l'audience, le Défenseur des Droits fait valoir qu'il considère que:

- la société Ramp Terminal One a violé ses obligations résultant des articles L. 4121-1 et L. 4624-1 du code du travail et, ce faisant, l'obligation d'aménagements raisonnables issus de l'article L. 5213-6 du même code à l'égard de M. [A],

- la violation des dispositions susmentionnées est constitutive d'un harcèlement discriminatoire à l'encontre de M. [A] au sens de l'article premier de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 en lien avec son état de santé et son handicap ainsi que ses activités syndicales,

- M. [A], en étant arbitrairement privé d'une possibilité de mobilité professionnelle et de formation, a fait l'objet d'une discrimination en matière d'évolution de carrière en lien avec ses activités syndicales, son état de santé et ou son handicap au sens de l'art des articles L. 1132-1, L. 1133-3 et L. 2141-5 du code du travail.

Après accord de M. [A] et de la société Ramp Terminal One à l'issue des débats, un médiateur a été désigné par ordonnance du 7 décembre 2017.

Par courrier du 27 février 2018, le médiateur a informé la cour que la médiation avait favorablement abouti et qu'un accord entre les parties devait être finalisé.

Par courrier du 3 avril 2018, le médiateur a informé la cour que, contrairement à ce qu'il avait annoncé dans son précédent courrier, les parties n'étaient finalement pas parvenues à un accord.

L'affaire a été rappelée pour mise en délibéré.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'obligation de sécurité de l'employeur

L'article L. 4121-1 du code du travail impose à l'employeur de prendre des dispositions nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Pour infirmation du jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts pour violation par l'employeur de son obligation de sécurité à son égard, M. [A] soutient que la société Ramp Terminal One l'a affecté dans un service totalement inadapté à son état de santé malgré les restrictions imposées par le médecin du travail sur la conduite d'engins aéroportuaires sauf véhicule légers, malgré ses multiples demandes d'affectation sur d'autres postes plus adaptés à son état et pour lesquels il disposait des qualifications nécessaires et malgré les besoins en personnel sur d'autres postes plus adaptés à son état de santé.

Pour confirmation du jugement entrepris sur ce point, la société Ramp Terminal One réplique qu'elle a scrupuleusement respecté les restrictions du médecin du travail telles que figurant dans les avis d'aptitude avec réserves des :

25 novembre 2009 : 'apte sans manutention (...) sans travail en hauteur ou en soute, sans conduite d'origine aéroportuaire, à revoir dans 15 jours,'

4 février 2010 : 'apte avec restriction : sans manutention manuelle de bagages, sans travail en soute, sans conduite d'engins aéroportuaires et sans travail en hauteur, à revoir,'

5 octobre 2010 : 'apte avec restrictions, sans port de charges lourdes, sans travail en hauteur, et sans conduite d'engins aéroportuaires. À revoir dans deux mois. Apte à la conduite d'un UL en zone de trafic,'

23 février 2011 : 'apte avec restrictions sans conduite d'engins aéroportuaires, sans port de charges lourdes et sans travail en hauteur. Il peut conduire un UL en zone de trafic. À revoir dans 6 mois.'

23 avril 2011 : 'apte avec restrictions : pas de port de charges lourdes. Pas de conduite d'engins aéroportuaires. Conduite UL possible sur la zone de trafic.'

27 juin 2012 : 'apte. Part de port de charges lourdes. Pas de conduite d'engins aéroportuaires lourds. Pas de travail en hauteur.'

23 avril 2014 : 'apte avec restrictions : sans manutentions de bagages en soute et son conduite d'engins aéroportuaires lourds. Apte à la conduite de véhicules légers en zone de trafic'.

Ramp Terminal One explique, en effet, qu'elle a affecté M. [A] d'octobre 2011 à fin juin 2012 au transport de fret en piste sans la conduite de poids-lourds mais en conduisant un petit tracteur léger de piste.

Elle conteste la force probante des attestations fournies par M. [A] et relève que le médecin du travail n'a pas répondu au courriel que lui avait adressé le directeur de la filiale au sujet du type d'engin conduit par M. [A] alors qu'il n'aurait pas manqué de lui répondre en cas d'incompatibilité entre le poste de travail du salarié et ses prescriptions.

Se référant aux attestations de collègues de travail de M. [A], le Défenseur des Droits conclut au non-respect par la société Ramp Terminal One des préconisations médicales concernant son salarié.

Cela étant, les tracteurs Fourmi et Mulag successivement utilisés par M. [A] - jusqu'à fin 2011 et début 2012 pour les premiers et à compter de cette période pour les seconds - répondent, par leur nature et leur fonction utilitaire à la définition d'engins aéroportuaires. Ils ne peuvent être considérés comme des véhicules légers, compte-tenu de leur poids à vide (4,5 T pour le Mulag Comet 4 et le 6 T pour le Mulag Comet 6) et des charges qu'ils sont amenés à tracter (deux palettes de bagages ou de fret de dix pieds).

Il résulte de ce seul fait que la société Ramp Terminal One n'a pas respecté les prescriptions médicales du médecin du travail en laissant M. [A] conduire ce type d'engins et qu'elle a donc manqué à son obligation de sécurité à l'égard de son salarié.

Pour autant, il appartient au salarié qui sollicite des dommages et intérêts en raison du manquement de l'employeur à l'une de ses obligations de rapporter la preuve de l'existence et de l'étendue d'un préjudice qu'il aurait subi de ce fait. Ce principe s'applique également lorsque le manquement de l'employeur porte sur une obligation de sécurité.

Or, pour justifier sa demande de dommages intérêts, M. [A] invoque une obligation de résultat de l'employeur en matière de sécurité et de protection de la santé de ses salariés dont le manquement serait constitutif d'une faute inexcusable. Il procède ainsi par une déclaration de principe d'ordre général qui ne suffit pas à caractériser l'existence d'un préjudice dont aurait personnellement souffert le salarié en raison du manquement de l'employeur, alors que des dommages-intérêts ne sauraient constituer une sanction de l'employeur mais ont pour seul but de réparer un dommage causé au salarié.

Au surplus, comme justement noté par la société Ramp Terminal One, il ne ressort aucunement des différents avis de la médecine du travail que l'état de santé de M. [A] ait été affecté par la nature des postes occupés, et plus particulièrement par la conduite des engins.

Certes, M. [A] produit un certificat établi par son médecin traitant le 19 août 2013 qui relève que son patient présente actuellement des signes de stress et d'anxiété importants depuis 2010 liés à des conditions de travail difficiles, à la conduite de camions et suite à des difficultés relationnelles avec sa hiérarchie. Mais, ce certificat a été rédigé à la demande du patient, selon ses doléances et n'est pas en conformité avec les différents constats effectués par les médecins du travail.

Enfin, il doit être relevé que, comme encore pertinemment observé par la société Ramp Terminal One, les instances représentatives du personnel n'ont pas été particulièrement alertées du cas de M. [A] au sujet d'une éventuelle incompatibilité entre le poste de travail de ce salarié et son état de santé.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [A] de sa demande de dommages-intérêts pour violation par la société Ramp Terminal One de son obligation de sécurité.

Sur le harcèlement moral et la discrimination

Pour infirmation du jugement entrepris et à l'appui de ses demandes distinctes de dommages et intérêts pour harcèlement moral d'une part et pour discrimination d'autre part, Monsieur [A] invoque les mêmes faits en faisant valoir que :

- il a été affecté sans possibilité de refus au service fret fin 2010, poste totalement inadapté à son état de santé,

- il a été amené à effectuer de nombreuses man'uvres dans l'aéroport, et ce, très près des avions, alors même qu'il avait un problème important d'acuité visuelle,

- la société Ramp Terminal One ne lui a proposé aucune évolution d'emploi plus conforme à son état de santé comme, par exemple, chef d'équipe au fret ou agent de trafic,

- la société Ramp Terminal One ne lui a proposé aucune offre alors même qu'un besoin de 'casque anglais' se faisait sentir et qu'il disposait de la formation en la matière,

- la société Ramp Terminal One lui a refusé une formation au poste d'agent de trafic, poste manifestement plus adapté à son état de santé, et ce contrairement à d'autres salariés,

- d'autres salariés avec des anciennetés plus faibles et des formations moindres, ou des intérimaires ou encore des salariés en contrat de travail à durée déterminée n'avaient aucune difficulté à obtenir les postes qu'il avait sollicités,

- en mars 2012, il a enfin obtenu une formation d'agent de trafic par le biais de son droit individuel à la formation mais la société Ramp Terminal One ne lui a confié une mission qu'à titre temporaire de technicien de trafic du 1er juillet 2012 au 30 septembre 2012 et l'a fait remplacer par un agent de chargement ayant seulement trois années d'ancienneté, contre dix pour lui-même,

- lors d'une discussion réunion extraordinaire du comité d'entreprise, le délégué syndical du syndicat majoritaire CFTC s'est emporté, l'a menacé et a tenu des propos déplacés sur son état de santé,

- ses demandes d'heures supplémentaires ont été refusées contrairement à d'autres salariés, ce qui n'était pas le cas avant son implication syndicale,

- en décembre 2012, sa candidature au poste d'agent de trafic était une fois de plus rejetée,

- en mai 2013, la société Ramp Terminal One faisait encore état d'une carence en personnes formées au casque anglais sans lui proposer ce poste alors qu'il disposait de la formation adéquate,

- la société Ramp Terminal One a annoncé clairement son intention de laisser les personnes restrictions médicales ainsi que celles non qualifiées au sein du service transfert fret piste (TFP),

- en août 2013, la société Ramp Terminal One l'a écarté une fois encore du poste d'agent de trafic sans explication et alors qu'il validait une formation complémentaire d'agent de trafic sur un logiciel Altea afin de répondre aux évolutions naissantes et aux besoins nouveaux, au profit d'un assistant de piste sans formation d'agent de trafic,

- en mars 2014, une fois de plus, un autre salarié était détaché au trafic à son détriment,

- en juillet 2014, il postulait pour un poste de chef d'équipe sans obtenir de réponse de la société Ramp Terminal One,

- la société Ramp Terminal One a mis de grandes difficultés à lui payer ses heures de délégation en novembre et décembre 2013, puis en novembre et décembre 2014,

- en février 2015, la société Ramp Terminal One n'a pas hésité à différencier les salariés en fonction du motif de leur absence (accident du travail ou autre absence) et de la durée de leur absence (deux mois) pour l'octroi d'une prime de 550 € bruts, ce qui est totalement discriminatoire.

Pour confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [A] de ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement et pour discrimination, la société Ramp Terminal One réplique, en premier lieu, que M. [A] a connu une évolution d'emploi puisqu'il a pu poser sa candidature à une formation d'agent de trafic et a été provisoirement affecté sur un tel poste dans le cadre d'un essai autorisé par la convention collective qui n'a pas été concluant en raison d'une erreur conséquente commise par le salarié lors de la poussée d'un avion ; que, depuis le 1er octobre 2012, le salarié travaillait en piste avec la qualification 'casque anglais' en qualité d'assistant avion conformément aux diverses restrictions médicales et que M. [A] a été écarté de la présélection au poste de chef d'équipe pour des raisons objectives.

Elle affirme, en deuxième lieu, que M. [A] a pu bénéficier de diverses formations depuis qu'il est entré dans la société Ramp Terminal One.

Elle plaide, en troisième lieu, que toutes les heures de délégation ont été régularisées et payées à M. [A] alors que ce dernier lui adressait, et lui adresse encore systématiquement, les bons de délégation avec au moins un mois de retard.

Elle soutient, en dernier lieu, que la prime d'assiduité n'a aucun caractère discriminatoire au vu de ces modalités d'affectation, et que l'absence de sollicitation de M. [A] pour les renforts s'inscrit dans une politique générale de l'entreprise tendant à diminuer le recours aux heures supplémentaires.

Le Défenseur des Droits considère que les différents éléments liés à la carrière de M. [A] caractérisent une discrimination en matière d'évolution de carrière en lien avec ses activités médicales et / ou son état de santé.

Sur le harcèlement

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Dès lors que sont caractérisés ces agissements répétés, fussent sur une brève période, le harcèlement moral est constitué indépendamment de l'intention de son auteur.

Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en 'uvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte des articles L. 1152-1 et L. 1254-1 du code du travail que lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral; dans l'affirmative, il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Cela étant, ni le maintien d'un salarié sur son poste correspondant à ses fonctions, son expérience et ses qualifications, même au détriment des prescriptions et restrictions du médecin du travail, ni le refus de mobilité professionnelle ni celui d'accorder des heures supplémentaires ne caractérisent des méthodes de gestion ayant pour objet ou pour effet de dégrader les conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, au-delà de la déception - même légitime - du salarié.

Au surplus, dans le cas particulier de M. [A] , il résulte des éléments développés ci-dessus qu'il n'est pas nécessaire de répéter que les conditions d'emploi du salarié n'ont pas entraîné de dégradation de l'état de santé de l'intéressé puisse que les avis et restrictions du médecin du travail depuis 2008 sont identiques d'une année à l'autre. Par ailleurs, comme justement relevé par la société Ramp Terminal One, les instances représentatives du personnel n'ont jamais été alertées sur une situation susceptible de caractériser un harcèlement au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail en ce qui concerne M. [A].

Selon les propres documents produits par M. [A], la régularisation tardive des heures de délégation prises par le salarié en novembre et décembre 2013 s'explique par le retard de celui-ci à transmettre sa demande de paiement à l'employeur puisqu'il apparaît que l'employeur a été saisi d'une telle demande en octobre 2014 soit presqu'un an après l'utilisation des heures de délégation. Ce retard trouve également sa source dans un débat entre l'employeur et le salarié sur la possibilité de prendre ou non de telles heures de délégation durant une période d'arrêt de travail pour accident du travail. Or, Ramp Terminal One a procédé au règlement des heures de délégation de M. [A] pour novembre et décembre 2013 après un rappel de la législation et de la jurisprudence applicables en la matière par l'inspecteur du travail et la production par le salarié de justificatifs sur ses heures de sorties autorisées par le médecin au cours de la période d'arrêt de travail pour accident de travail maladie ou maladie professionnelle.

M. [A] ne produit aucune pièce relative aux menaces et aux propos déplacés sur son état de santé que lui aurait tenus le délégué syndical CFTC. En outre, un tel événement, auquel l'employeur est étranger et qui n'apparaît pas lui avoir été signalé, n'a pas le caractère répétitif exigé par les textes pour caractériser le harcèlement.

Toutes les autres circonstances évoquées par M. [A] tendent à démontrer un traitement différencié de la part de l'employeur qui ne caractérise pas harcèlement au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail mais qui devra être examiné dans le cadre de la discrimination.

En l'état des explications et des pièces fournies, la matérialité d'éléments de fait précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral n'est pas démontrée. La demande de M. [A] en dommages-intérêts pour harcèlement doit être rejetée et le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté le salarié à ce titre.

Sur la discrimination

Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi n°'2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son étatde santé ou de son handicap.

Selon l'article 1er de la loi n°'2008-496 du 27'mai'2008 portant diverses mesures d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations:

- constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou de son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable,

- constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs précités, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés,

- la discrimination inclut'tout agissement lié à l'un des motifs précités et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

L'article L.1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article'1er de la loi n°'2008-496 du 27'mai'2008, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, s'il résulte des documents produits la société Ramp Terminal One que M. [A] a bénéficié de plusieurs actions de formation, il apparaît également que le salarié s'est vu systématiquement refuser toutes ses demandes d'évolution de poste portant sur des fonctions pour lesquelles il avait l'expérience et la formation requises et qui constituaient pour lui une évolution favorable de carrière, de responsabilité, et par voie de conséquence, de rémunération.

M. [A] établit ainsi l'existence matérielle de faits pouvant laisser présumer l'existence d'une discrimination à son encontre.

Les explications données par la société Ramp Terminal One pour justifier cette situation sont soit contredites par les propres documents de l'employeur, soit ne reposent que sur ses seules affirmations, soit ne constituent pas des motifs objectifs étrangers à toute discrimination.

En effet, la société Ramp Terminal One soutient que M. [A] n'a pu être maintenu aux fonctions de technicien trafic qui lui ont été dévolues à partir du 1er juillet 2012 en raison d'une grave erreur commise au cours du poussage d'un avion incompatible avec le maintien du salarié sur un tel poste.

Mais, la société Ramp Terminal One ne verse aucune pièce relative à une quelconque faute ou erreur qui aurait été commise par M.[A] dans le cadre de ses prestations de travail entre le 1er juillet et le 30 septembre 2012.

Surtout, l'explication donnée par la société Ramp Terminal One est contredite par les termes mêmes de la lettre du 1er juillet 2012, qui insiste sur le caractère temporaire de l'affectation de M. [A], en lui précisant les dates de prise de poste, soit du 1er juillet 2012 au 30 septembre 2012, en lui notifiant le retour à sa situation professionnelle antérieure au terme fixé, et en utilisant plusieurs fois le terme 'temporaire' ('le salaire du poste que vous occuperez temporairement ... Cette prise de fonction est faite à titre temporaire').

En conséquence, Ramp Terminal One ne justifie d'aucune raison objective qui expliquerait les raisons pour lesquelles M. [A] n'a pas été maintenu sur le poste de technicien trafic qui lui a été présenté comme temporaire mais qui a été par la suite affecté de façon durable à un autre salarié.

Aucun document ne vient attester de la réalité et de l'effectivité de la politique générale de réduction du recours aux heures supplémentaires avancées par la société Ramp Terminal One pour expliquer le refus opposé à M. [A] à ses demandes de participer aux renforts. En outre, la société ne démontre pas qu'une telle politique, à la considérer comme effective, a été appliquée de manière indifférenciée à tous les salariés placés dans la même situation que M. [A] et uniquement en fonction des besoins de l'entreprise sur tel ou tel domaine d'activité.

La société Ramp Terminal One explique le rejet de la candidature de M. [A] au poste d'agent de trafic dès le stade de la pré-sélection sur dossier par les impératifs du bon fonctionnement du service qui nécessitent de la part du salarié, outre une grande régularité, une implication et une présence constantes aux côtés des équipes, conditions que, selon l'employeur, ne réunissait pas M. [A]. Pour autant, elle ne verse aucun élément relatif aux qualités professionnelles du salarié, comme par exemple des entretiens annuels d'évaluation, à l'exception d'un rapport d'incident du 2 avril 2010, donc rédigé à une date bien antérieure à l'ouverture des candidatures.

La société Ramp Terminal One invoque également les problèmes de santé du salarié, plus particulièrement, l'incompatibilité du poste avec les restrictions formulées par le médecin du travail.

Mais, outre que ces restrictions n'ont pas interdit à la société Ramp Terminal One de maintenir M. [A] à la conduite d'engins aéroportuaires que le médecin du travail préconisait pourtant d'écarter, cette affirmation de l'employeur ne repose que sur un a priori, comme relevé par le Défenseur des Droits, puisque la société Ramp Terminal One n'a pas pris la peine de consulter le médecin du travail préalablement à sa décision de rejeter du processus de présélection la candidature de M. [A] pour vérifier la compatibilité du poste avec l'état de santé du candidat ou, en cas de réponse négative, pour examiner les possibilités éventuelles d'aménagement et d'adaptation du poste de travail.

De même, Ramp Terminal One justifie le rejet de la candidature de M. [A] au poste de chef d'équipe au motif que le chef d'équipe doit parfaitement connaître ses hommes, gérer des individus, des susceptibilités, des inimitiés et que, pour ce faire, doit être présent à leurs côtés depuis quelques années, ce qui n'est pas le cas de M. [A] dont les absences cumulées l'ont nécessairement isolé de ses collègues. De telles considérations portent exclusivement sur l'état de santé du salarié, cause de ses absences, indépendamment de l'expérience, des capacités et des aptitudes de l'intéressé.

Enfin, il doit être relevé que M. [A] verse le procès-verbal de la réunion des délégués du personnel du 2 mai 2013 dans lesquelles il est indiqué au point 8 que les personnes en restrictions médicales, exemptées de port de charges en particulier, sont principalement affectées au TFP RTO poste aménagé à leurs restrictions, que les personnels valides ayant leur qualification actuellement au TFP sont donc destinés à intégrer le service pistes et que la personne en restrictions médicales en poste de service piste qui ne peut plus travailler à son poste ne peut pas refuser un transfert au service TFP, poste aménagé en fonction des restrictions médicales de la personne. Il produit également le procès-verbal de la réunion des délégués du personnel du 13 juin 2013 indiquant au point 3 'transfert fret / piste et piste / fret' : 'au TFP fret doivent rester en priorité les personnes en restriction médicale et non qualifiées'. Il en résulte que les affectations des salariés ayant des restrictions médicales ne sont pas faites en fonction du cas particulier de chacun de ceux-ci mais au regard de dispositions générales prédéfinies par l'entreprise, conduisant ainsi cette dernière à différencier les salariés en raison de leur état de santé sans prise en compte de leur situation propre ni de la nature des restrictions médicales qui les affectent.

L'employeur échoue ainsi à démontrer que les faits matériellement établis par M. [A] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison de l'état de santé. La discrimination est établie et le jugement doit être infirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de Monsieur [A] à ce titre.

Compte tenu des circonstances de la discrimination subie, de sa durée, et des conséquences dommageables qu'elle a eu pour Monsieur [A] en termes d'évolution de carrière et de rémunération telles qu'elles ressortent des pièces et des explications fournies, le préjudice en résultant pour le salarié sera réparé par l'allocation d'une somme de 20'000 € à titre de dommages et intérêts.

Sur la prime d'assiduité

Pour infirmation du jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de rappel de primes d'assiduité, M. [A] fait valoir qu'en février 2015 la société Ramp Terminal One n'a pas hésité à différencier les salariés en fonction du motif de leur absence (accident du travail ou autre cause) et de la durée de celle-ci (inférieure ou supérieure à deux mois) pour l'octroi d'une prime de 550 € bruts et qu'une telle différenciation est discriminatoire.

La société Ramp Terminal One réplique que la prime d'assiduité est subordonnée à la condition d'un défaut d'absence du salarié quel qu'en soit le motif et n'est donc pas discriminatoire.

Cela étant, l'employeur peut tenir compte des absences pour le paiement d'une prime , dès lors que toutes les absences, hormis celles qui sont légalement assimilées à un temps de travail effectif, entraînent les mêmes conséquences sur son attribution.

En l'espèce, l'accord d'entreprise du 9 février 2015 prévoit, entre autres, le versement d'une prime exceptionnelle en deux échéances, la première (seule intéressant le présent litige) se concrétisant par le 'versement d'une prime exceptionnelle d'un montant brut de 550 € avec la paie du mois de mai 2015 (acompte au début du mois de mai 2015) à l'ensemble des salariés n'ayant pas fait l'objet :

° De plus de deux mois d'absence AT et / ou CM cumulée, au cours de la période de référence à savoir du 1er janvier 2015 au 30 avril 2015,

° D'une absence continue quel qu'en soit le motif pendant toute la période de référence, à savoir du 1er janvier 2015 au 30 avril 2015.'

Il ressort de ces dispositions que toutes les absences, indépendamment de leurs motifs, sont prises en considération pour déterminer le versement ou non de la prime d'assiduité, mais qu'il est accordé une condition plus favorable aux salariés faisant l'objet d'arrêts de travail ou d'un congé maternité puisque seule une absence prolongée de plus de deux mois est susceptible d'entraîner l'absence de versement de la prime dans leur cas. Il ne peut y avoir donc de discrimination au détriment de ces salariés, bénéficiaires au contraire d'un régime de faveur.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de rappel de primes de M. [A].

Sur les frais non compris dans les dépens

Par application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Ramp Terminal One sera condamnée à verser à M. [A], accueilli partiellement en ses demandes en cause d'appel, la somme de 2 500 €, au titre des frais exposés par celui-ci qui ne sont pas compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

DÉCLARE recevable l'appel de Monsieur [S] [A],

INFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur [S] [A] de sa demande de dommages et intérêts pour discrimination,

Statuant à nouveau de ce chef,

CONDAMNE la société Ramp Terminal One à verser à Monsieur [S] [A] la somme de 20'000 € (vingt mille euros) à titre de dommages et intérêts pour discrimination,

CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Ramp Terminal One à verser à Monsieur [A] la somme de 2 500 € (deux mille cinq cents euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Ramp Terminal One aux dépens.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 16/03316
Date de la décision : 10/01/2019

Références :

Cour d'appel de Paris K7, arrêt n°16/03316 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-01-10;16.03316 ?
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