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20/12/2018 | FRANCE | N°18/15685

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 20 décembre 2018, 18/15685


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRET DU 20 DECEMBRE 2018



(n°669, 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/15685 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B55IV



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 11 Juin 2018 -Président du TGI de PARIS - RG n° 18/53140



APPELANTE



LAVILLE DE PARIS Prise en la personne de Madame la Maire de Paris, Madame [K]

[A]

[Adresse 1]

[Localité 1]



Représentée et assistée par Me Fabienne DELECROIX de l'ASSOCIATION DELECROIX GUBLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R229



INT...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRET DU 20 DECEMBRE 2018

(n°669, 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/15685 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B55IV

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 11 Juin 2018 -Président du TGI de PARIS - RG n° 18/53140

APPELANTE

LAVILLE DE PARIS Prise en la personne de Madame la Maire de Paris, Madame [K] [A]

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentée et assistée par Me Fabienne DELECROIX de l'ASSOCIATION DELECROIX GUBLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R229

INTIMES

Monsieur [G] [J]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

ETATS-UNIS

né le [Date naissance 1] 1964

Madame [W] [T]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

ETATS-UNIS

née le [Date naissance 2] 1966

Représentés et assistés par Me Jean-Paul YILDIZ de l'AARPI YS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C0794

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 22 Novembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Bernard CHEVALIER, Président

Mme Véronique DELLELIS, Présidente

Mme Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par M. Bernard CHEVALIER, Président, dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : M. Aymeric PINTIAU

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Bernard CHEVALIER, Président et par Aymeric PINTIAU, Greffier.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [J] et Mme [T] sont propriétaires d'un petit appartement meublé d'une superficie de 23 m² situé au 2ème étage de l'immeuble soumis au droit de la copropriété sis [Adresse 3], constituant le lot n°[Cadastre 1].

La ville de Paris leur reproche d'avoir donné ce bien en location meublée pour de courtes durées en violation de la loi.

Par acte du 20 décembre 2017, la ville de Paris a fait assigner M. [J] et Mme [T] devant le président du tribunal de grande instance de Paris statuant comme en matière de référé auquel elle a demandé de :

- constater l'infraction commise par M. [J] et Mme [T] ;

- condamner in solidum M. [J] et Mme [T] à lui payer une amende de 50 000 euros ;

- ordonner le retour à l'habitation des locaux transformés sans autorisation, sis [Adresse 3], sous astreinte de 1 000 euros/ m² par jour de retard à compter de l'expiration du délai qu'il plaira au tribunal de fixer ;

- se réserver la liquidation de l'astreinte ;

- condamner in solidum M. [J] et Mme [T] à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance rendue en la forme des référés le 11 juin 2018, la juridiction saisie a :

- déclaré recevable l'action de la ville de Paris ;

- débouté la ville de Paris de l'intégralité de ses demandes ;

- condamné la ville de Paris à payer à M. [J] et Mme [T] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de l'instance.

Par déclaration en date du 22 juin 2018, la ville de Paris a fait appel des dispositions de cette ordonnance la déboutant de ses réclamations et la condamnant aux dépens ainsi qu'en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Au terme de ses conclusions communiquées par voie électronique le 21 septembre 2018, la ville de Paris a demandé à la cour de :

- la dire recevable et bien fondée en son appel ;

- confirmer l'ordonnance sur la recevabilité de son action ;

- l'infirmer en ce qu'elle a dit que M. [J] et Mme [T] n'ont pas commis d'infraction et l'a déboutée de ses demandes de condamnation ;

statuant à nouveau ;

- constater l'infraction commise par M. [J] et Mme [T] ;

- les condamner in solidum à lui payer une amende civile de 50 000 euros ;

- ordonner le retour à l'habitation des locaux transformés sans autorisation, sis [Adresse 3], sous astreinte de 1 000 euros/m² par jour de retard à compter de l'expiration du délai qu'il plaira au tribunal de fixer ;

- se réserver la liquidation de l'astreinte ;

- condamner in solidum M. [J] et Mme [T] à lui payer au titre de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 1 500 euros pour la procédure de première instance et 1.500 euros pour celle d'appel.

M. [J] et Mme [T], par conclusions transmises par voie électronique le 18 octobre 2018, ont demandé à la cour de :

- confirmer la décision dont appel en toutes ses dispositions ;

statuant de nouveau,

in limine litis :

- dire la ville de Paris irrecevable en ses demandes pour défaut de droit d'agir ;

- débouter la ville de l'intégralité de ses réclamations ;

sur le fond :

à titre principal :

- dire qu'ils ne louent pas leur bien de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile au sens de l'article L.631-7, dernier alinéa, du code de la construction et de l'habitation ;

- juger en conséquence qu'ils ne se sont pas rendus coupables d'un changement d'usage prohibé au sens dudit article ;

- débouter la ville de Paris de l'intégralité de ses réclamations ;

à titre subsidiaire :

- ramener l'amende à de plus justes proportions ;

en tout état de cause :

- débouter la ville de Paris de sa demande de retour à l'habitation sous astreinte ;

à titre reconventionnel :

- condamner la ville de Paris à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens, avec application de l'article 699 du même code au profit de Maître Yildiz.

Mme le Procureur général près la cour d'appel de Paris a été avisée de la procédure.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour la connaissance des moyens et des arguments exposés au soutien de leurs réclamations, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE LA COUR

Le législateur a pris des dispositions destinées à lutter contre la pénurie de locaux offerts à la location dans des zones géographiques dans lesquelles il existe une grande disparité entre l'offre et la demande.

Ainsi, en vertu de l'article L 631-7 du code de la construction et de l'habitation, le changement d'usage d'un local destiné à l'habitation dans les communes de plus de 200 000 habitants est soumis à autorisation préalable.

Selon ce texte, constituent des locaux à usage destiné à l'habitation toutes catégories de logements et leurs annexes, y compris les logements-foyers, logements de gardien, chambres de service, logements de fonction, logements inclus dans un bail commercial, locaux meublés donnés en location dans les conditions de l'article L. 632-1. Pour l'application de cette disposition, un local est réputé à usage d'habitation s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970. Cette affectation peut être établie par tout mode de preuve.

La loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (dite 'loi ALUR), à son article 16, a ajouté à l'article L 631-7 du code de la construction et de l'habitation

un alinéa aux termes duquel le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile constitue un changement d'usage au sens du présent article.

La loi ALUR a également inséré au code de la construction et de l'habitation l'article L 631-7-1 A, selon lequel, lorsque le local à usage d'habitation constitue la résidence principale du loueur, au sens de l'article 2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, l'autorisation de changement d'usage prévue à l'article L. 631-7 du présent code ou celle prévue au présent article n'est pas nécessaire pour le louer pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile.

L'article L 632-1 du code de la construction et de l'habitation dispose :

'Toute personne qui loue un logement meublé, que la location s'accompagne ou non de prestations secondaires, bénéficie d'un contrat établi par écrit d'une durée d'un an dès lors que le logement loué constitue sa résidence principale. A l'expiration de ce contrat, le bail est tacitement reconduit pour un an sous réserve des dispositions suivantes.

Lorsque la location est consentie à un étudiant, la durée du bail peut être réduite à neuf mois. Dans ce cas, la clause de reconduction tacite prévue au premier alinéa est inapplicable.

[...]

Lorsque le bailleur est titulaire d'un bail commercial venant à expiration ou lorsque la cessation d'activité est prévue, le contrat peut être d'une durée inférieure à un an et doit mentionner les raisons et événements justificatifs.

Toutefois, si le bail commercial est renouvelé ou si l'activité est poursuivie, la durée du contrat est portée à un an.

Le locataire peut résilier le contrat à tout moment sous réserve du respect d'un préavis d'un mois.'

L'article L 651-2 du code de la construction et de l'habitation, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, était rédigé comme suit :

"Toute personne qui enfreint les dispositions de l'article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article est condamnée à une amende de 25 000 euros.

Cette amende est prononcée à la requête du ministère public par le président du tribunal de grande instance du lieu de l'immeuble, statuant en référé ; le produit en est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé l'immeuble.

Le président du tribunal ordonne le retour à l'habitation des locaux transformés sans autorisation dans un délai qu'il fixe. A l'expiration de celui-ci, il prononce une astreinte d'un montant maximal de 1 000 euros par jour et par mètre carré utile des locaux irrégulièrement transformés. Le produit en est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé l'immeuble.

Passé ce délai, l'administration peut procéder d'office, aux frais du contrevenant, à l'expulsion des occupants et à l'exécution des travaux nécessaires."

En vertu de l'article 59 de la loi n° 2016-1547 entrée en vigueur le 20 novembre 2016, l'article L 651-2 du code de la construction et de l'habitation a été modifié comme suit :

"Toute personne qui enfreint les dispositions de l'article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article est condamnée à une amende civile dont le montant ne peut excéder 50 000 euros par local irrégulièrement transformé.

Cette amende est prononcée par le président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés, sur requête du maire de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé ou de l'Agence nationale de l'habitat et sur conclusions du procureur de la République, partie jointe avisée de la procédure. Le produit de l'amende est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé ce local. Le tribunal de grande instance compétent est celui dans le ressort duquel est situé le local.

Sur requête du maire de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé ou de l'Agence nationale de l'habitat, le président du tribunal ordonne le retour à l'usage d'habitation du local transformé sans autorisation, dans un délai qu'il fixe. A l'expiration de celui-ci, il prononce une astreinte d'un montant maximal de 1 000 euros par jour et par mètre carré utile du local irrégulièrement transformé. Le produit en est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé."

Le code de la construction et de l'habitation prévoit à ses articles L 651-6 et suivants l'habilitation d'agents municipaux pour constater les infractions précitées.

Sur la recevabilité à agir de la ville de Paris

M. [J] et Mme [T] exposent en substance que, au vu des deux versions de l'article L 651-2 du code de la construction et de l'habitation successivement en vigueur, seul le procureur de la République est habilité à poursuivre des infractions antérieures au 20 novembre 2016 et seul le maire, et non la commune, peut agir afin de poursuivre celles commises postérieurement à cette date.

Ce moyen n'est pas fondé, cela pour les motifs suivants.

Tout d'abord, les dispositions de la loi n° 2016-1547, en ce qu'elles énoncent que l'amende prévue à l'article L 651-2 du code de la construction et de l'habitation est prononcée par le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés sur requête du maire de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé ou de l'Agence nationale de l'habitat et sur conclusions du procureur de la République, partie jointe avisée de la procédure, constituent des règles de procédure applicables immédiatement aux situations en cours.

Ensuite, l'article L 651-2 du code de la construction et de l'habitation tel que modifié par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 doit être lu au regard de l'article L 2122-21, 8° du code général des collectivités territoriales, selon lequel le maire est chargé de représenter la commune en justice et des dispositions de l'article L 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation.

En vertu de ces dernières dispositions, l'autorisation de changement d'usage visée à l'article L 631-7, à compter du 1er janvier 2009, relève aussi de la compétence du maire de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé et il revient au conseil municipal, ou à l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale si ce dernier dispose de la compétence «plan local d'urbanisme», de fixer les conditions dans lesquelles l'autorisation est délivrée ainsi que les compensations exigées au regard des objectifs de mixité sociale.

Il s'ensuit que le pouvoir conféré par l'article L 651-2, deuxième alinéa, du code de la construction et de l'habitation au maire de la commune dans lequel l'immeuble transformé irrégulièrement est situé vise à lui permettre d'assurer le respect des conditions déterminées par le conseil municipal ou l'établissement public de coopération intercommunal dans lesquelles le changement d'usage de locaux destinés à l'habitation est autorisé.

Il s'en déduit que, dans l'exercice de ce pouvoir, le maire agit au nom de la commune et que, à compter du 20 novembre 2016, il est recevable à saisir le président du tribunal de grande instance

statuant comme en matière de référé au titre d'infractions commises antérieurement à cette date.

L'ordonnance attaquée sera donc confirmée en ce qu'elle a déclaré l'action de la ville de Paris recevable.

Sur l'affectation du bien en cause à l'usage d'habitation au 1er janvier 1970

Selon l'article L 631-7 du code de la construction et de l'habitation, un local est réputé à usage d'habitation s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970 et cette affectation peut être établie par tout mode de preuve.

Conformément à l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à la ville de Paris de faire la preuve de l'affectation du bien concerné à l'usage d'habitation au sens de l'article L 631-7, précité.

Dans l'affaire en examen, la ville de Paris satisfait à cette exigence par la production aux débats, de la déclaration "modèle H2" afférente au bien en cause ainsi que du relevé de propriété des intimés relatif à celui-ci.

Il ressort, en effet, de la déclaration "modèle H2" établie par M. [K] en date du 1er octobre 1970 que le bien en cause, au 1er janvier 1970, était loué à Mme [X] [R] moyennant un loyer de 425 francs. Il résulte du relevé de propriété des intimés afférent à ce bien, dans lequel figure la lettre H pour habitation dans la case Af pour affectation, qu'il n'a pas fait l'objet de travaux ayant eu pour conséquence d'en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 et, ainsi, d'avoir changé l'usage qu'il avait à cette date.

En outre, cette affectation à usage d'habitation du bien concerné au sens de l'article L 631-7 du code de la construction et de l'habitation n'est pas contestée par les intimés.

Sur le changement d'usage de ce bien

Il incombe à la ville de Paris de démontrer que le bien des intimés a fait l'objet d'un changement d'usage prohibé par l'article L 631-7 du code de la construction et de l'habitation.

La ville de Paris expose en substance les élément suivants :

- le changement d'usage prohibé par l'article L 631-7, précité, est établi aux motifs que le bien en cause, ainsi qu'il ressort du constat d'infraction dressé le 18 mai 2017, ne constitue pas la résidence principale de ses propriétaires, laquelle se trouve aux Etats-Unis d'Amérique, et a été loué du 16 mars au 16 juillet 2016 à la société Sony puis du 16 juillet 2016 au 20 janvier 2017 à la société Les Trois Mousquetaires, soit dix mois et quatre nuits pour un tarif de 14 085 euros ;

- il se déduit des articles L 631-7 et L 632-1 du code de la construction et de l'habitation, 2 et 25-3 de la loi 89-462 du 6 juillet 1989 que, si la location n'est pas consentie à titre de résidence principale, c'est-à-dire d'une durée de huit mois au moins, ou pour une durée d'un an ou de neuf mois pour un étudiant, il y a changement d'usage prohibé ;

- cette analyse résulte également de la décision n° 2014-691 du 20 mars 2014 du Conseil constitutionnel, selon lequel l'article L 631-7 du code de la construction et de l'habitation est d'interprétation stricte et la seule exclusion visée est celle relevant des dispositions de l'article L 631-2 du code de la construction et de l'habitation ;

- en outre, en vertu des deux contrats litigieux, les locataires ont admis que le meublé loué ne constituait pas leur résidence principale.

Cette argumentation n'est pas fondée, cela pour les motifs suivants.

Tout d'abord, il ressort du constat d'infraction établi par l'agent assermenté du service municipal du logement de la ville de Paris en date du 18 mai 2017 et il est constant que l'appartement en cause, depuis qu'il a été acquis par les intimés par acte du 11 septembre 2015, a fait l'objet de deux locations, la première à la société Sony Music Entertainment du 16 mars au 16 juillet 2016, la seconde à la société Les Trois Mousquetaires du 16 juillet 2016 au 20 janvier 2017.

Il ressort, en outre, de ce constat que ce bien n'avait été proposé à la location que sur le site :

'https://www.paristay.com' et que cette annonce était désactivée lorsque l'agent assermenté a effectué la visite des lieux le 4 mai 2017.

Ensuite, dans sa décision n° 2014-691 du 20 mars 2014, le Conseil constitutionnel, à laquelle la loi ALUR avait été déférée avant sa promulgation dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, a dit à propos de l'article 16 de cette loi :

'35. Considérant qu'il est loisible au législateur d'apporter aux conditions d'exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l'article 2 de la Déclaration de 1789, et à la liberté contractuelle, qui découle de son article 4, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ;

36. Considérant que, par les dispositions contestées qui complètent l'article L. 631-7, le législateur a soumis au régime de l'autorisation préalable de changement d'usage le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation, dès lors que cette location est faite de manière répétée, pour de courtes durées, à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile ; que la location d'un local meublé destiné à l'habitation qui ne répond pas à l'une de ces conditions, notamment lorsque le logement est loué dans les conditions fixées par l'article L. 632-1 du code de la construction et de l'habitation, n'entre donc pas dans le champ d'application du régime de l'autorisation de changement d'usage institué par ces dispositions '.

Il se déduit de ces points, d'une part, que l'article L 631-7 du code de la construction et de l'habitation, en ce qu'il soumet à autorisation préalable un changement d'usage d'un bien à usage d'habitation et, partant, apporte une restriction aux conditions d'exercice du droit de propriété, doit faire l'objet d'une interprétation stricte.

Il en résulte, d'autre part, que seules les locations d'un local meublé à usage d'habitation qui répondent aux quatre conditions énoncées à l'alinéa ajouté à l'article L 631-7 du code de la construction et de l'habitation par la loi AlUR, selon lesquelles il s'agit de locations de manière répétée, pour de courtes durées, à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile, relèvent du champ d'application de ce texte et doivent être soumises à une autorisation préalable.

Ainsi, selon le Conseil Constitutionnel, les locations d'un meublé qui ne remplissent pas toutes ces conditions ne sont pas soumises à ce régime d'autorisation préalable et l'emploi de l'adverbe 'notamment' avant la référence aux locations visées à l'article L 632-1 du même code confirme que ces dernières ne sont citées qu'à titre d'exemple.

Il s'en déduit que, contrairement à ce que la ville de Paris a soutenu, la 'notion de courte durée' visée à l'article L 631-7, dernière alinéa, du code de la construction et de l'habitation ne recouvre pas toute location d'une durée inférieure à un an ou à neuf mois lorsque le local meublé est loué à un étudiant.

Les quatre conditions litigieuses, en particulier les notions de 'courtes durées' et de 'répétées', doivent être interprétées à l'aune de l'objectif poursuivi par l'article L 631-7 du code de la construction et de l'habitation, rappelé par le Conseil constitutionnel au point 31 de la décision n° 2014-691, selon lequel cet article a pour but de limiter la transformation de locaux d'habitation en locaux à usage de bureaux ou en locaux meublés touristiques.

En ce qui concerne ce second cas de figure et comme la ville de Paris l'a rappelé très clairement en introduction de ses écritures, il vise à lui permettre de lutter contre le comportement de bailleurs, favorisé par Internet, consistant à proposer leur bien à la location pour de courtes durées à une clientèle de passage afin d'en tirer des revenus très supérieurs à ceux procurés par un bail soumis à la loi du 6 juillet 1989 tout en échappant aux contraintes de celle-ci (selon la ville de Paris, ces revenus sont supérieurs en moyenne de 2.6 fois et de 3,5 fois dans les quartiers les plus touristiques).

Il s'en déduit que les deux seules locations de leur studio conclues pour le compte des intimés par l'intermédiaire du site www.parisattitude, d'une durée de 4 et 6 mois, à des sociétés qui ont déclaré dans le bail y loger la même personne avec laquelle elles étaient liées par un contrat de travail, ne constituent pas des locations répétées de courte durée à une clientèle de passage au sens de l'article L 631-7 du code de la construction et de l'habitation.

Par conséquent, l'ordonnance attaquée doit être confirmée en ce qu'elle a débouté la ville de Paris de l'intégralité de ses demandes.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le premier juge a fait une application équitable de l'article 700 du code de procédure civile et fondée de l'article 696 du même code. L'ordonnance attaquée doit aussi être confirmée en ce qu'elle a fait application de ces articles.

En cause d'appel, la ville de Paris, dont le recours est rejeté, devra supporter les dépens, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.

Maître Yildiz pourra recouvrer directement les dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité commande de décharger la partie intimée des frais non répétibles qu'elle s'est trouvée contrainte d'exposer. Il lui sera alloué la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 11 juin 2018 par le président du tribunal de grande instance de Paris ;

ajoutant à celle-ci,

Condamne la ville de Paris aux dépens d'appel et à payer à M. [J] et Mme [T] la somme globale de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que Maître Yildiz pourra recouvrer directement les dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 18/15685
Date de la décision : 20/12/2018

Références :

Cour d'appel de Paris A2, arrêt n°18/15685 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-12-20;18.15685 ?
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