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10/12/2018 | FRANCE | N°17/08319

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 10, 10 décembre 2018, 17/08319


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 10



ARRÊT DU 10 DÉCEMBRE 2018



(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/08319 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3FJS



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 07 Mars 2017 -Juge de la mise en état de BOBIGNY - RG n° 16/07283





APPELANTES



SOCIÉTÉ ELITE'S EXCLUSIVE COLLECTION



Ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 1] LUXEMBOURG / GRAND DUCHÉ

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



SARL ELITE PARTNERS

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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 10

ARRÊT DU 10 DÉCEMBRE 2018

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/08319 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3FJS

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 07 Mars 2017 -Juge de la mise en état de BOBIGNY - RG n° 16/07283

APPELANTES

SOCIÉTÉ ELITE'S EXCLUSIVE COLLECTION

Ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 1] LUXEMBOURG / GRAND DUCHÉ

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

SARL ELITE PARTNERS

Ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 1] LUXEMBOURG / GRAND DUCHÉ

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentées par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Représentées par Me Jacques SIVIGNON du PARTNERSHIPS DECHERT (Paris) LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J096

INTIME

Monsieur [G] [P]

Demeurant [Adresse 2]

[Localité 2]

Représenté par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

Représenté par Mme Aurélie ALBOUY VERNHES, avocate au barreau de Toulouse

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 22 Octobre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Edouard LOOS, Président

Madame Sylvie CASTERMANS, Conseillère

Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Conseillère

qui en ont délibéré,

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Mme Cyrielle BURBAN

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Edouard LOOS, président et par Mme Cyrielle BURBAN, greffière à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La société Elite Partners est la gérante du fonds d'investissement spécialisé luxembourgeois Elite's Exclusive Collection.

Le 30 novembre 2012, Monsieur [G] [P] a investi la somme de 30 000 euros dans le compartiment Nobles Crus d'Elite's Exclusive Collection par l'intermédiaire de la société MB Conseils, exerçant la profession réglementée de conseil en investissements financiers.

Par courrier du 17 janvier 2014, l'Autorité des marchés financiers a informé la chambre des indépendants du patrimoine que le fonds Nobles Crus n'était pas autorisé à la commercialisation en France.

Par deux exploits d'huissier du 17 mai 2016, Monsieur [G] [P] a assigné la société Elite Partners et la société Elite's Exclusive Collection devant le tribunal de grande instance de Bobigny aux fins d'obtenir la nullité du contrat de souscription du 30 novembre 2012 et la condamnation in solidum des défenderesses à lui restituer la somme de 30 000 euros et à lui payer la somme de 1 688,19 euros en réparation du préjudice subi au 21 décembre 2014.

Les sociétés défenderesses ont soulevé une exception d'incompétence, de sursis à statuer et de connexité.

Par ordonnance du 7 mars 2017, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Bobigny a, au visa du règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 dit « règlement Bruxelles 1bis » et l'article 101 du code de procédure civile,

- déclaré les juridictions françaises compétentes pour statuer sur les demandes formées par M. [G] [P] à l'encontre des sociétés de droit luxembourgeois Elite's Exclusive Collection et Elite Parners ;

- rejeté en conséquence les exceptions d'incompétence et la demande de sursis à statuer soulevées par les sociétés Elite's Exclusive Collection et Elite Parners ;

- constaté l'existence d'un lien de connexité tel entre la présente affaire et les quatre dossiers actuellement instruits devant le tribunal de grande instance de Toulouse sous les numéros 16/01793, 16/02324, 16/02322 et 16/02323, saisi avant le tribunal de céans, qu'il convient de renvoyer la présente instance devant ledit tribunal de grande instance de Toulouse ;

- réservé dans cette attente les droits des parties et les dépens ;

- dit que le greffe du présent tribunal devra, en l'absence d'appel dans les délais légaux, transmettre le dossier de la procédure avec la copie de la présente ordonnance au greffe du tribunal de grande instance de Toulouse afin qu'il soit statué ce que de droit ;

- rejeté comme injustifiées les demandes plus amples ou contraires.

Les sociétés Elite's Exclusive Collection et Elite Partners ont relevé appel de cette ordonnance le 20 avril 2017.

Par conclusions signifiées le 20 juillet 2018, les sociétés Elite's Exclusive Collection et Elite Parners demandent à la cour, au visa du règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, de la loi luxembourgeoise du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, de les déclarer recevables en leur appel et d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré les juridictions françaises compétentes pour statuer sur les demandes formées par Monsieur [P] à leur encontre et rejeté en conséquence les exceptions d'incompétence et la demande de sursis à statuer qu'elles avaient soulevées et de la confirmer pour le surplus.

Elles prient la cour de juger que :

- les juridictions françaises ne sont pas compétentes pour statuer sur les demandes de Monsieur [P] à l'encontre de la société Elite's Exclusive Collection ;

- seules les juridictions luxembourgeoises sont compétentes pour statuer sur les demandes de Monsieur [P] à l'encontre de la société Elite's Exclusive Collection ;

- les juridictions françaises ne sont pas compétentes pour statuer sur la demande de restitution de Monsieur [P] à l'encontre de la société Elite Partners ;

- les juridictions françaises ne sont pas compétentes pour statuer sur la demande de réparation de Monsieur [P] à l'encontre de la société Elite Partners ;

- seules les juridictions luxembourgeoises sont compétentes pour statuer sur les demandes de Monsieur [P] à l'encontre de la société Elite Partners ;

Et de renvoyer Monsieur [P] à mieux se pourvoir. ;

- à titre subsidiaire, de surseoir à statuer quant aux demandes formées contre la société Elite Partners dans l'attente d'une décision définitive des juridictions luxembourgeoises concernant la validité du contrat de souscription conclu par Monsieur [P] ;

- en tout état de cause, condamner Monsieur [P] à payer à Elite's Exclusive Collection et à Elite Partners la somme de 1 500 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de la SELARL Lexavoue Paris-Versailles.

Par conclusions signifiées le 20 septembre 2018, Monsieur [G] [P] demande à la cour au visa des articles L.214-3, L. 533-16du code monétaire et financier, 411-9 du Règlement Général de l'Autorité des marchés financiers, 1108 et 1128 du code civil ,4, 7. 2, 17. 1 et 18. 1. du règlement Bruxelles 1 bis et 101 du code de procédure civile, de confirmer l'ordonnance entrepris en toutes ses dispositions et, en conséquence, de juger que les juridictions françaises sont seules compétentes pour statuer sur le fond des demandes formulées par le demandeur tant à l'égard de la société Elite's Exclusive Collection que de la société Elite Partners ;

Il prie la cour, en tout état de cause, de condamner in solidum les sociétés Elite's Exclusive Collection et Elite Partners à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

La clôture de l'instruction est intervenue par ordonnance du 1er octobre 2018.

SUR CE,

Sur la compétence à l'égard de la société Elite's Exclusive Collection

M. [P] soutient qu'il ne peut pas être qualifié d'investisseur averti ou d'investisseur expérimenté dans la mesure où il investissait pour la première fois et non en qualité de professionnel, dans un produit pouvant être qualifié d'atypique. Il soutient que l'attestation produite par les appelantes rédigée en Anglais et signé par lui ne justifie pas du caractère d'investisseur expérimenté puisque ce document ne permet pas à la juridiction saisie d'évaluer sa connaissance quant aux risques encourus du fait de la souscription litigieuse ; qu'il en est de même s'agissant de l'attestation rédigée en Anglais par la société MB Conseils et qui n'est pas contresignée par lui. Il soutient également qu'il ne peut pas être qualifié d'investisseur expérimenté puisque les conditions requises par le prospectus Elite's Exclusive Collection en mai 2010 ne sont pas réunies en l'espèce et que ce prospectus n'est pas paraphé par lui ; que seul le bulletin de souscription rédigé en Français, signé et complété par ses soins est recevable. Il invoque l'article 533-12 du code monétaire et financier et l'absence de questionnaire préalable concernant l'expérience et les connaissances de l'investisseur en matière d'investissement.

Il expose qu'il a investi dans le compartiment Nobles Crus, en sa qualité de personne physique exerçant la profession d'artiste musicien, la totalité de son épargne, en vue de la faire fructifier en vue de réaliser ses projets personnels à moyen et long termes et non à des fins susceptibles d'entrer dans le cadre de son activité professionnelle ; que les sociétés appelantes dirigent bien l'ensemble de leurs activités vers de nombreux pays dont la France ; que les conditions prévues à l'article 17.1 du règlement Bruxelles 1bis sont réunies de sorte que, conformément à l'article 18.1 dudit règlement, son action devait être intentée devant la juridiction du lieu où il est domicilié, en l'espèce, le tribunal de grande instance de Bobigny, son domicile étant à [Localité 3].

Il soutient qu'il a souscrit en France un produit financier dont la commercialisation était diffusée dans plusieurs Etats membres dont la France et ne peut pas obtenir le rachat de ses parts sociales du fait de l'absence d'agrément en France de sorte que le fait à l'origine du dommage qu'il subit est intervenu en France, peu important que la suspension des rachats s'est matérialisée au Luxembourg puisque la cause du dommage résulte de l'absence d'agrément en France.

Ceci étant exposé, Les dispositions de l'article 4 du règlement UE 1215/2012 du Parlement européen et du conseil du 12 décembre 2012, les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat membre. Des règles dérogatoires à ce principe permettent d'attraire le défendeur devant la juridiction d'un autre Etat membre.

Les appelantes soutiennent que les dispositions du règlement Bruxelles 1 bis en matière de contrats conclus par les consommateurs sont inapplicables en l'espèce au motif que la souscription au fonds Nobles Crus était réservée aux investisseurs expérimentés ; que le prospectus applicable à la souscription du fonds précisait très distinctement qu'est qualifié d'investisseur expérimenté tout investisseur qui, d'une part, déclare par écrit son adhésion au statut d'investisseur expérimenté et, d'autre part, soit investit au moins 125 000 euros, soit, s'il investit moins que 125 000 euros, dispose de l'appréciation d'une entreprise d'investissement attestant de sa qualité ; qu'afin d'être autorisé à souscrire au fonds Nobles Crus une somme inférieure à 125 000 euros, Monsieur [P] était tenu de fournir une déclaration écrite de son statut d'investisseur expérimenté et une attestation d'une entreprise d'investissement attestant de sa qualité ; que dans un courrier en date du 30 novembre 2012 adressé à Caceis Bank Luxembourg, M. [P] a attesté être un «investisseur expérimenté » et dans un courrier du même jour, MB Conseils a certifié à Caceis Bank Luxembourg le statut d'investisseur expérimenté de M. [P] et précisé que celui-ci était « conseiller en produits financiers » ; que ces attestations ont été établies dans le but de tromper Caceis Bank Luxembourg quant à la qualité de M. [P] et au fait qu'il était en droit de souscrire

Elles exposent qu'en l'espèce, s'agissant d'un contrat de souscription d'actions émises par un fonds d'investissement, la prestation caractéristique est donc nécessairement l'émission d'actions par le fonds en échange du prix ; que le lieu d'exécution de l'obligation caractéristique, qui sert donc de base à la demande en nullité, doit quant à lui être déterminé «conformément à la loi qui régit l'obligation litigieuse», elle-même désignée par la règle de conflit de la juridiction saisi ; que le bulletin de souscription de M. [P] stipule que « l'investisseur est informé que le droit du Fonds est applicable à la souscription » ; que c'est donc en application du droit luxembourgeois, désigné par les parties, que le lieu d'exécution d'une émission d'actions doit être déterminé ; qu'en application des articles 39, 40 et 103 relatifs aux sociétés en commandite par actions de la loi luxembourgeoise du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, c'est donc au siège social luxembourgeois d'Elite's Exclusive Collection que les actions souscrites par M. [P] ont été émises et c'est donc au Luxembourg que l'émission des actions, l'obligation caractéristique du contrat en l'espèce, a été exécutée ; qu'ainsi, que ce soit au regard de l'article 4 (lieu du domicile du défendeur) ou de l'article 7, 1), a) du règlement Bruxelles 1 bis, les juridictions luxembourgeoises sont seules compétentes, à l'exclusion de toutes autres, pour connaître de l'action en nullité de M. [P] et de ses conséquenc

Ceci étant exposé, M. [P] sollicite la nullité du contrat d'investissement conclu avec Elite's Exclusive Collection, la restitution des sommes versées par lui et l'allocation de dommages et intérêts. Le litige est donc de nature contractuelle.

M. [P] invoque les articles 17 et 18 du règlement prévoyant des règles dérogatoires au profit du consommateur, qualité qui est contestée par les appelants pour revendiquer la possibilité d'assigner devant la juridiction dans le ressort duquel il est domicilié, en l'espèce le tribunal de grande instance de Bobigny.

Les dérogations ont pour finalité d'assurer une protection adéquate au consommateur, partie réputé économiquement plus faible et juridiquement moins expérimentée que son cocontractant professionnel. La notion de consommateur doit être interprétée en se référant à la position de cette personne dans un contrat déterminé en rapport avec la nature et la finalité de celui-ci et non pas à la situation subjective de cette personne, une même personne pouvant être considérée comme un consommateur dans le cadre de certaines opérations et comme un opérateur économique dans le cadre d'autres opérations.

En l'espèce le document intitulé « prospectus » de mai 2012 distribué par Elite's Exclusive Collection définit le cadre dans lequel pouvaient être vendues et acquises les actions émises par Elite's Exclusive Collection sur les différents compartiments proposés don't « Nobles Crus ». Il énonce clairement que les souscriptions sont réservées exclusivement aux investisseurs avertis qui, sur la base du prospectus, du contrat de souscription ont procédé à leur propre évaluation des conditions de leur participation dans la société. Il définit trois catégories d'investisseurs dont celle d'investisseur expérimenté qui est celui qui déclare par écrit dans son adhésion au statut d'investisseur son statut d'investisseur expérimenté qui soit s'engage à investir au moins 125 000 euros dans la société, soit bénéficie d'une appréciation par un établissement de crédit au sens de la directive 2006/48/CE, d'une entreprise d'investissement au sens de la directive 2004/39/C ou d'une société de gestion, au sens de la directive 2001/107/CE certifiant son expertise, son expérience et sa connaissance pour apprécier de manière adéquate l'investissement dans la société.

Le bulletin de souscription signé par M. [P] énonce que la souscription est régie par les dispositions du prospectus. Le soussigné déclare avoir reçu et pris connaissance du dernier prospectus du Fonds en vigueur et confirme être autorisé à investir conformément au prospectus.

Le prospectus peut donc être considéré comme un document contractuel liant les parties.

Ainsi, lorsque M. [P] a souscrit au compartiment « Nobles Crus », il ne pouvait pas ignorer qu'il ne pouvait le faire qu'en qualité d'investisseur expérimenté, qualité dont il a reconnu disposer et dont il a adressé la justification par le biais de l'attestation de MB Conseils et Patrimoine. Il ne peut donc pas revendiquer à son profit les dispositions des articles 17 et 18 du règlement. Il est mal fondé à invoquer son incompréhension du document écrit en Anglais, document qu'il n'aurait pas signé si tel avait été le cas, sans demander d'explications complémentaires.

L'argument selon lequel le fait qu'il serait déclaré être un investisseur expérimenté ne pourrait le priver de la qualité de consommateur dès lors qu'il a souscrit les actions à titre personnel, avec des capitaux provenant de sa propre épargne ainsi que l'établit le bulletin de souscription ne saurait être retenu dans la mesure où la qualité d'investisseur expérimenté fait justement obstacle à la qualité de consommateur.

L'article 533-12 du code monétaire et financière invoqué par M. [P] touche au fond du litige relativement à la qualité de l'information délivrée et aux diligences pré-contractuelles du prestataire de service d'investissement et n'a pas d'incidence sur la détermination des règles de compétence.

Selon l'article 7 1) du règlement susvisé, en matière contractuelle, une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande.

En l'espèce, l'obligation qui sert de base à la demande en nullité est l'émission d'actions. Le bulletin de souscription énonce que le droit du Fonds est applicable à la souscription. Les dispositions des articles 39, 40 et 103 de la loi luxembourgeoise du 10 août 2015 relative aux sociétés commerciales prévoient qu'au siège social de la société est tenu un registre des actions nominatives concernant notamment la désignation précise de chaque actionnaire, l'indication du nombre de ses actions ou coupures, l'indication des versements effectués.

Les actions nominatives au nom de M. [P] ont été émises au siège social de la société au Luxembourg. L'obligation caractéristique du contrat résulte de l'émission d'actions et a donc été exécutée au Luxembourg.

L'action en nullité de la souscription de titres et en restitution des fonds versés lors de la souscription relève de la compétence exclusive des juridictions luxembourgeoises.

L'ordonnance entreprise sera donc infirmée en ce qu'elle a déclaré le tribunal de grande instance de Bobigny compétent pour statuer sur les demandes de M. [P] à l'encontre de la société Elite's Exclusive collection.

Sur la compétence à l'égard de la SARL Elite Partners

M. [P] soutient que son action à l'encontre de la SARL Elite Partners a un fondement délictuel et quasi-délictuel et invoque l'article 7.2 du règlement susvisé. Il expose que le dommage qu'il a subi s'est produit en France puisqu'il ne peut pas obtenir le rachat de ses parts sociales en vertu de l'absence d'agrément par l'Autorité des Marchés Financiers de la commercialisation des titres litigieux en France.

Les appelantes soutiennent que les juridictions françaises sont incompétentes pour connaître de la demande de M. [P] visant à obtenir la condamnation in solidum d'Elite Partners à lui restituer la somme qu'il a investie dans Elite's Eclusive Collection en conséquence de la nullité alléguée de son contrat de souscription. Puisque aucun des chefs de compétence spéciale ou exclusive du règlement Bruxelles 1 bis n'a vocation à s'appliquer ; que cette demande ne relève pas de la matière contractuelle que la qualification de consommateur dont M. [P] se prévaut à l'égard de la société Elite's Exclusive Collection est inapplicable et que la demande de M. [P] contre la société Elite Partners ne relève pas non plus de la matière délictuelle ou quasi-délictuelle au sens de l'article 7.2. du règlement Bruxelles 1 bis puisque la restitution du prix ne constitue pas un dommage dans une action en nullité, n'est pas une réparation et ne relève pas du droit de la responsabilité mais une action relevant du principe qualifié de «fondamental» par la CJCE de la compétence des juridictions du domicile du défendeur.

Elles soutiennent que, si la cour considérait que la demande de restitution relève de la matière délictuelle, elle constaterait, qu'en l'espèce le lieu où le fait dommageable s'est produit est le Luxembourg puisque l'impossibilité pour M. [P] d'obtenir le rachat de ses titres ne résulte pas de l'absence d'agrément en France mais uniquement de la décision du régulateur luxembourgeois de suspendre les rachats afin de protéger les investisseurs du fonds suite aux demandes de rachats massifs des investisseurs institutionnels. Elles ajoutent que la souscription aux fonds Elite's Exclusive Collection a eu lieu au siège de cette société, au Luxembourg, où se situe le registre des actions émises par cette dernière.

Ceci étant exposé, M. [P] sollicite la condamnation in solidum des deux appelantes à lui restituer les fonds qu'ils a investis à hauteur de 30 000 euros et à lui payer la somme de 2 090,63 euros à titre de dommages et intérêts. Il est constant qu'aucun contrat ne lie M. [P] à la société Elite Partners et que l'action en restitution des fonds sur la base de la nullité du contrat de souscription est irrecevable à l'égard de la SARL Elite Partners ; cette demande ne pouvant être étudiée que par le prisme d'une demande d'indemnisation sur un fondement délictuel ou quasi-délictuel

L'article 7 2) du règlement susvisé dispose qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat en matière délictuelle ou quasi-délictuelle devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire.

Le bulletin de souscription signé par M. [P] a été signé en France. L'émission des titres consécutive au versement des fonds a eu lieu au siège social de la société Elite's Exclusive Collection au Luxembourg.

La suspension des rachats qui est à l'origine de l'impossibilité pour M. [P] de racheter ses titres Nobles Crus ne résulte pas de l'absence d'agrément de l'autorité des marchés financiers pour le Fonds Nobles Crus qui empêche la commercialisation en France de ces titres mais de la décision de suspension prise par la Commission de Surveillance de Secteur Financier, autorité de surveillance du secteur financier du Luxembourg.

En conséquence, le lieu où le fait dommageable s'est produit des suites des divers manquements reprochés à la SARL Elite Partners se situe au Luxembourg et ne peut se confondre avec le lieu du domicile où est localisé le patrimoine de M. [P].

L'action en responsabilité délictuelle engagée par M. [P] à l'encontre de la SARL Elite Partners relève de la compétence des juridictions du Luxembourg.

L'ordonnance entreprise sera dès lors infirmée en ce qu'elle a rejeté les exceptions d'incompétence et estimé que l'action relevait de la compétence du tribunal de grande instance de Toulouse.

Elle sera également infirmée en ses dispositions relatives liées à la connexité ; ce chef de demande étant devenu sans objet.

M. [P], partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.

Les circonstances de la cause et l'équité commandent de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

INFIRME l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Bobigny le 7 mars 2017 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

DECLARE Le tribunal de grande instance de Bobigny incompétent pour connaître de l'action engagée par Monsieur [G] [P] à l'encontre de la société Elite's Exclusive Collection et de la SARL Elite Partners ;

RENVOIE Monsieur [G] [P] à mieux se pourvoir ;

CONDAMNE Monsieur [G] [P] aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SELARL Lexavoue Paris-Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

DIT n'y avoir à lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

C. BURBAN E. LOOS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 17/08319
Date de la décision : 10/12/2018

Références :

Cour d'appel de Paris J1, arrêt n°17/08319 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-12-10;17.08319 ?
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