RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 07 Décembre 2018
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 14/12555 - N° Portalis 35L7-V-B66-BVCIF
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Septembre 2014 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS RG n° 12-04964
APPELANT
Monsieur [L] [K] [N]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me Léa BENSOUSSAN, avocat au barreau de PARIS
INTIMEES
CPAM DE [Localité 1]
[Adresse 2]e
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
COMMUNE DE ROMAINVILLE représentée par son maire en exercice dûment habilité par une délibération du Conseil Municipal et élisant domicile
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représentée par Me Muriel CAZELLES, avocat au barreau de PARIS, toque : J068 substitué par Me Myriam BENGANA, avocat au barreau de PARIS, toque : J0068
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
[Adresse 4]
[Adresse 4]
avisé - non comparant
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 18 Octobre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Claire CHAUX, Présidente de chambre
Mme Chantal IHUELLOU-LEVASSORT, conseillère
M. Lionel LAFON, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Venusia DAMPIERRE, lors des débats
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Mme Claire CHAUX, Présidente de chambre et Mme Venusia DAMPIERRE, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par M. [N] à l'encontre du jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris en date du 22 septembre 2014 dans un litige l'opposant à la commune de Romainville et à la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 1] (ci-après la caisse ou la CPAM).
EXPOSE DU LITIGE
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard .
Il suffit de rappeler que M. [N], salarié de la commune de Romainville en qualité de chirurgien-dentiste, a sollicité le 12 mars 2008 la reconnaissance d'une maladie professionnelle pour "une cataracte bilatérale".
La caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 1] a pris en charge cette pathologie le 23 juin 2008 au titre du tableau N° 6 des maladies professionnelle. En l'absence de soins et d'arrêt de travail, son état a été déclaré consolidé au 12 mars 2008.
Un taux d'IPP de 50 % lui a été accordé le 22 novembre 2008 . Ce taux a été porté à 55 % le 22 décembre 2011 par le service médical suite à un courrier auquel était joint un certificat médical du 8 juillet 2011 faisant état d'une aggravation.
Par courrier du 8 mars 2012, M. [N] a saisi la caisse d'une demande de reconnaissance de faute inexcusable à l'origine de sa maladie professionnelle.
Par courrier du 24 mai 2012, la caisse a rejeté sa demande, invoquant la prescription.
Contestant cette décision, M. [N] a saisi la commission de recours amiable.
En l'absence de décision dans le délai d'un mois, il a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris le 16 octobre 2012. La commission a rendu une décision explicite le 23 octobre 2012, confirmant la prescription de l'action.
Par un premier jugement du 25 novembre 2013, ce tribunal a :
- débouté M. [N] de son action en responsabilité civile devant la caisse,
- avant dire droit sur l'action en faute inexcusable, ordonné une expertise pour rechercher si l'aggravation du 8 juillet 2011 était due au moins partiellement à une nouvelle exposition au risque.
Après rapport de carence de l'expert, par jugement rendu le 22 septembre 2014, le tribunal a dit M. [N] recevable, mais mal fondé en son recours.
A titre principal, aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 1] soulève l'irrecevabilité de la demande, sollicitant sur ce point confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a retenu l'irrecevabilité des demandes, et rectification de l'erreur matérielle contenue dans le dispositif rédigé en contradiction avec la décision retenue dans le corps du jugement.
Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, M. [N] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déclaré mal fondé en son recours,
- de juger bien fondées ses demandes, ou à défaut, s'adjoindre le concours d'un expert médical,
- de juger que la commune de Romainville a commis une faute inexcusable à l'origine de l'aggravation de son état de santé,
En conséquence,
- de débouter la commune et la caisse de l'intégralité de leurs demandes reconventionnelles,
- d'ordonner la majoration de la rente au montant maximum,
- d'ordonner la désignation d'un expert pour déterminer l'existence et l'ampleur de ses préjudices,
- de condamner la commune à lui verser une indemnité provisionnelle de 10 000 € à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices,
- de dire et juger que la caisse devra procéder à l'avance de la somme,
- de condamner la commune de Romainville à lui verser une somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, la commune de Romainville demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, de rejeter la requête de M. [N] et de le condamner à lui verser une somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 1] sollicite à titre subsidiaire, si les demandes étaient déclarées recevables, de lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte sur la demande de reconnaissance de faute inexcusable, de l'éventuelle majoration de rente et de la demande de provision,
Dans l'hypothèse où la cour retiendrait la faute inexcusable de l'employeur,
- de limiter la mission d'expertise aux postes de préjudices indemnisables au titre de la faute inexcusable et d'exclure de la mission de l'expert éventuellement désigné la fixation de la date de consolidation et du taux d'IPP,
-de rappeler qu'elle fera l'avance des sommes éventuellement allouées à M. [N] et qu'elle en récupèrera le montant auprès de l'employeur,
En tout état de cause,
- de débouter M. [N] de sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile dirigée à son encontre.
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.
SUR CE, LA COUR,
La caisse soutient l'irrecevabilité de l'action, faisant valoir que :
- le jugement entrepris est entaché d'une erreur matérielle en ce qu'il précise dans son dispositif que M. [N] serait recevable mais mal fondé alors que dans le corps du jugement, le tribunal considère que l'action est prescrite,
- la demande M. [N] est limitée à la demande de faute inexcusable de son employeur relative à l'aggravation de son état de santé du 8 juillet 2011,
- la décision du tribunal des affaires de sécurité sociale qui retient la prescription de son recours en faute inexcusable s'agissant de la maladie du 12 mars 2008 doit donc être considérée comme définitive,
- la demande ne serait recevable que si l'aggravation résultait d'une nouvelle exposition au risque et non de l'évolution normale de la pathologie ou de facteurs extrinsèques à l'activité professionnelle,
- en refusant de se soumettre aux opérations d'expertise, M. [N] ne permet pas au tribunal d'être éclairé sur l'origine de l'aggravation,
- il ne rapporte pas plus cette preuve aujourd'hui,
- plus encore, il affirme aujourd'hui que l'aggravation de 2011 correspondait à la première constatation médicale d'une nouvelle maladie professionnelle (kératite) déclarée et prise en charge en 2014,
- que c'est donc au titre de cette maladie professionnelle du 10 mars 2014 qu'il aurait dû invoquer la faute inexcusable de son employeur.
La commune de Romainville s'associe à cette demande, aux motifs que :
- le débat en appel porte sur la recevabilité de l'action en faute inexcusable relativement à l'aggravation de l'état de santé relevée le 8 juillet 2011,
- le jugement du 25 novembre 2013 ordonnant une expertise a autorité de chose jugée,
- en ne se présentant pas à l'expertise ordonnée, M. [N] a empêché le tribunal d'avoir des preuves estimées indispensables à la recevabilité de son action,
- l'absence de documents médicaux faisant état d'une évolution spontanée des séquelles de la pathologie n'établit pas une nouvelle exposition au risque,
- les décisions de reconnaissance de deux nouvelles maladies professionnelles en 2014 n'éclairent pas sur l'origine de l'aggravation de 2011.
M. [N] soutient la recevabilité de son action, expliquant que :
- le tribunal a jugé recevables ses demandes dans ses deux jugements, s'interrogeant juste sur la question de la preuve de l'origine de l'aggravation,
- seul importe ce qui est tranché dans le dispositif,
- compte tenu de l'appel partiel formé par lui et de l'absence d'appel incident, la recevabilité a acquis autorité de chose jugée,
- une rectification ne peut modifier les droits et obligations des parties,
- il justifie de ce que l'aggravation constatée le 8 juillet 2011 est imputée à une nouvelle exposition au risque et non à une évolution spontanée des séquelles de la première maladie,
- cela est confirmé par les deux nouvelles maladies professionnelles reconnues les 1er et 8 septembre 2014 dont il est médicalement admis que les premières manifestations sont apparues le 8 juillet 2011,
- la nouvelle exposition au risque est constituée par une exposition persistante due à l'inertie de l'employeur qui, malgré toutes les alertes, n'a pris aucune mesure.
Dans son jugement du 25 novembre 2013, le tribunal des affaires de sécurité sociale a, avant dire droit sur l'action en faute inexcusable, ordonné une expertise pour rechercher si l'aggravation du 8 juillet 2011 était due au moins partiellement à une nouvelle exposition au risque, expliquant que c'est seulement au vu de cette expertise que le tribunal pourra déterminer si l'action en faute inexcusable est ou non recevable.
Il en ressort que la question de la recevabilité de l'action n'était pas tranchée et il ne saurait être tiré de conclusion définitive sur celle-ci, ni dans le sens d'une recevabilité, ni dans celle d'une irrecevabilité.
Quant au jugement du 22 septembre 2014, curieusement, le tribunal a dans son dispositif, dit M. [N] recevable, mais mal fondé en son recours, alors même que dans le corps du jugement, il indiquait :
"Faute de s'être prêté à l'expertise, M. [N] a empêché le tribunal d'avoir les éléments de preuve qu'il avait estimé indispensables pour statuer sur la recevabilité de son action. M. [N] ne peut donc qu'être déclaré irrecevable en son action en faute inexcusable relativement à l'aggravation relevée dans le certificat du 8 juillet 2011."
A l'évidence, le tribunal a commis une erreur matérielle en qualifiant le recours de recevable dans son dispositif.
De plus, demander à la cour, comme le fait la caisse aujourd'hui, l'irrecevabilité de la demande, sollicitant confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a retenu l'irrecevabilité des demandes, revient à former appel incident du dispositif du jugement sur ce point, ce qui lui est parfaitement possible dans le cadre d'une procédure orale.
La question de la recevabilité de la demande en reconnaissance de faute inexcusable présentée par M. [N] doit être examinée.
Cette demande a été présentée par courrier du 8 mars 2012 adressée à la caisse et vise les suites de la décision notifiée le 22 décembre 2011 concernant l'aggravation de sa maladie professionnelle. Il s'en déduit qu'elle ne peut porter que sur les conséquences de la maladie professionnelle déclarée le 12 mars 2008 pour "une cataracte bilatérale" prise en charge le 23 juin 2008, aucune autre maladie professionnelle n'ayant alors été reconnue à son profit.
Or il résulte clairement des certificats médicaux et des conclusions de M. [N] (cf p.18) qu'il y a "absence de lien de causalité direct et exclusif entre l'aggravation et la première maladie professionnelle", car, d'une part, le certificat médical d'aggravation du 8 juillet 2011 ne fait aucunement état d'une évolution spontanée des séquelles de la maladie initiale, et que d'autre part, le certificat médical initial du 10 mars 2014, certificat à l'origine de la prise en charge d'une kératite déclarée le 10 mars 2014 mentionne une première constatation médicale du 8 juillet 2011.
Dès lors, il ne peut y avoir demande de reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur pour une aggravation du 8 juillet 2011 d'une maladie professionnelle déclarée le 12 mars 2008, alors que cette prétendue aggravation est en réalité le premier symptôme d'une maladie professionnelle déclarée le 10 mars 2014 pour laquelle aucune demande de reconnaissance de faute inexcusable n'a été présentée.
En conséquence, il y a donc lieu de d'infirmer le jugement entrepris et de déclarer irrecevable la demande de reconnaissance de faute inexcusable pour l'aggravation du 8 juillet 2011.
Eu égard à la décision rendue, il convient de rejeter la demande présentée par l'appelant sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et d'allouer à la commune de Romainville , contrainte d'exposer de nouveaux frais de procédure, une somme complémentaire de 1 000 € sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement,
Statuant à nouveau :
Déclare irrecevables la demande de M. [N] en reconnaissance de faute inexcusable au titre de l'aggravation du 8 juillet 2011 et les autres demandes qui en sont l'accessoire,
Y ajoutant,
Déboute M. [N] du surplus de ses demandes,
Condamne M. [N] à verser à la commune de Romainville une somme de 1 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,