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05/12/2018 | FRANCE | N°16/08583

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 05 décembre 2018, 16/08583


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRÊT DU 05 Décembre 2018

(N° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/08583 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZCFU



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Mai 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 14/16338





APPELANT

Monsieur [S] [A]

[Adresse 1]

[

Adresse 1]

né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 1]

comparant en personne, assisté de Me Caroline LECLERE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0586





INTIMÉE

SARL BDO...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRÊT DU 05 Décembre 2018

(N° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/08583 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZCFU

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Mai 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 14/16338

APPELANT

Monsieur [S] [A]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 1]

comparant en personne, assisté de Me Caroline LECLERE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0586

INTIMÉE

SARL BDO FRANCE - [T] ET ASSOCIÉS

[Adresse 2]

[Adresse 2]

SIRET : 480 307 131 00031

représentée par Me Véronique MARTINEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : C0298, et M. [Q] [D] en vertu d'un pouvoir spécial

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Octobre 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Aline DELIÈRE, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Luce GRANDEMANGE, Présidente de chambre

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère

Madame Aline DELIÈRE, Conseillère

Greffier : Mme Martine JOANTAUZY, greffier lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-Luce GRANDEMANGE, Présidente et par Madame Martine JOANTAUZY, greffière, présente lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE

Après avoir été engagé à compter du 28 août 2006 en qualité d'auditeur dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée M. [S] [A] a été engagé à compter du 29 juin 2007 par la société [T] et associés, devenue la société BDO France-[T] et associés, qui a pour objet l'exercice des missions d'expert-comptable et de commissaire aux comptes, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de directeur, niveau 2, coefficient 450, statut cadre.

A compter du 8 mars 2011 il a été inscrit sur la liste des commissaires aux comptes du ressort de la cour d'appel de Paris et à compter du 24 mai 2012 au tableau de l'ordre régional de Paris-Ile de France des experts-comptables comme expert comptable salarié.

Le 16 octobre 2014 il a été convoqué à un entretien préalable à licenciement fixé au 13 novembre 2014 puis il a été licencié le 21 novembre 2014 pour insuffisance professionnelle.

Le 22 décembre 2014 il a saisi le conseil de prud'hommes de Paris en contestation de son licenciement.

Par jugement du 13 mai 2016 le conseil de prud'hommes a déclaré irrecevable sa demande d'indemnité pour exclusion contestée de la qualité d'associé des sociétés DYNA2 et BDO France, l'a débouté de ses autres demandes et a rejeté la demande de la société BDO France - [T] et Associés au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [A] a fait appel le 10 mai 2016.

Il expose ses moyens et ses demandes dans ses conclusions déposées et visées par le greffe le 22 octobre 2018, reprises à l'audience, auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.

Il conclut à l'infirmation du jugement et demande à la cour de dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et que la convention de forfait en jours est nulle et de condamner la société BDO France - [T] et Associés à lui payer les sommes suivantes :

* 229 630 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 167 024,60 euros de rappel d'heures supplémentaires, outre 16 702,46 euros de congés payés afférents,

* 66 349,18 euros d'indemnité pour repos compensateur non pris, outre 6634,92 euros de congés payés afférents,

* 76 543,62 euros d'indemnité pour travail dissimulé,

* 315 365 60 euros de dommages et intérêts pour perte d'avantages financiers en raison de son licenciement,

* 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* les intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la demande.

Il demande également à la cour d'ordonner la remise de ses bulletins de paye rectifiés sous astreinte de 200 euros par jour de retard.

La société BDO France - [T] et Associés expose ses moyens et ses demandes dans ses conclusions déposées et visées par le greffe le 22 octobre 2018, reprises à l'audience, auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.

Elle conclut à la confirmation du jugement et demande à la cour de condamner M. [A] à payer une amende civile de 3000 euros pour avoir formé une demande d'indemnité au titre de son exclusion et des actions cédées des sociétés DYNA2 et BDO France sous la dénomination de demande de dommages et intérêts pour perte d'avantages financiers. Elle réclame la somme de 6500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE L'ARRÊT

1) Sur la demande au titre des heures supplémentaires

Il résulte des dispositions de l'article L3121-39 du code du travail, applicable en l'espèce, que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail et des repos journaliers et hebdomadaires.

L'article 8.1.2.5 de la convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables et commissaires aux comptes dispose : « ' La convention individuelle ne peut prévoir plus de 217 jours travaillés. Ce plafond ne remet pas en cause les jours de repos ou de congés déjà accordés au sein du cabinet.

Afin de concrétiser cette réduction de la durée annuelle du travail, l'employeur et le cadre définissent les moyens permettant, par un effort permanent d'organisation, de maîtriser et d'adapter la nouvelle charge de travail et sa répartition dans le temps. La charge de travail confiée ne peut obliger le cadre à excéder une limite de durée quotidienne de travail effectif fixée à 10 heures et une limite de durée hebdomadaire de travail effectif fixée à 48 heures. Le dépassement doit être exceptionnel et justifié par le cadre. Au plus tard lors de l'appréciation du volume d'activité prévue par l'article 8.1.2.3, l'employeur et le cadre définissent la contrepartie liée à cette surcharge imprévue.

Le cadre établit mensuellement un relevé indiquant pour chaque jour s'il y a eu une journée ou une demi-journée de travail, de repos ou autres absences à préciser. relevés sont conservés par l'employeur pendant une durée de 3 ans conformément aux dispositions légales.

L'employeur et le cadre définissent en début d'année le calendrier prévisionnel de la prise des jours ou demi-journées de repos sur l'année. A défaut de calendrier prévisionnel, ils déterminent au fur et à mesure la prise de ces repos et prennent les dispositions nécessaires pour que l'absence du cadre ne perturbe pas le fonctionnement du cabinet. En cas de désaccord, chaque partie prend l'initiative de la moitié des jours de repos.

L'employeur prend les dispositions nécessaires pour permettre le respect des articles L. 220-1, L. 221-2 et L. 221-4 du code du travail (un repos minimum de 11 heures entre deux journées de travail, limitation à 6 jours par semaine et respect de l'obligation d'un repos hebdomadaire d'une durée minimale de 35 heures consécutives).

Le cadre disposant d'une grande liberté dans la conduite ou l'organisation des missions correspondant à sa fonction et dans la détermination du moment de son travail, le cadre et l'employeur examinent ensemble, afin d'y remédier, les situations dans lesquelles ces dispositions n'ont pu être respectées. »

Il ressort de ces dispositions que les modalités de contrôle exigées par les articles L3121-45 et L3121-48 du code du travail sont laissées à l'initiative de l'employeur et ne sont pas prévues par la convention collective de telle sorte qu'elles ne permettent pas de le respect des durées maximales de travail et des repos journaliers et hebdomadaires.

La convention de forfait en jour stipulée à l'article 7 du contrat de travail de M. [A] ne garantit pas que l'amplitude de son temps de travail est raisonnable et permet de préserver sa santé et sa sécurité. En conséquence, il y a lieu de juger que cette convention est nulle, sans qu'il y ait lieu d'apprécier les conditions effectives dans lesquelles M. [A] a exécuté son travail.

M. [A] réclame le paiement de 2029 heures supplémentaires sur la période du 1er janvier 2010 au 21 novembre 2014, selon le décompte suivant : 2010 465 heures ; 2011 411 heures ; 2012 429,50 heures ; 2013 373 heures ; 2014 350,50 heures.

En application de l'article L3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, la preuve des horaires de travail effectués n'incombe spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande. Au vu de ces éléments le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Les heures effectuées par M. [A] ont été saisies par lui au fur et à mesure dans le programme de gestion informatique de la société BDO France - [T] et Associés. Il n'est pas contesté que chaque mois, les tableaux étaient édités et présentés, avec les notes de frais, pour validation à M. [I], co-gérant, responsable du suivi de l'activité du cabinet. La société BDO France - [T] et Associés, qui a nécessairement eu connaissance des relevés informatiques, n'a jamais contesté le nombre d'heures travaillées déclarées par M. [A] pendant l'exécution de son contrat de travail.

M. [A] produit les éditions des fiches mensuelles de son activité pour la période considérée et les tableaux correspondant à ces fiches, par semaine, de ses heures travaillées. La société BDO France-[T] et Associés ne conteste pas l'adéquation entre les saisies mensuelles d'activité de M. [A] et le tableau des heures supplémentaires dont il demande le paiement.

M. [A] était cadre de niveau 2. Il n'avait pas la qualification de cadre dirigeant, réservée, selon la convention collective, au cadre de niveau 1. Par ailleurs, s'il était indépendant dans l'organisation de son emploi du temps, s'il était autonome pour la prise de certaines décisions et si sa rémunération était élevée, il ne participait pas effectivement à la direction de l'entreprise, ce que la société BDO France - [T] et Associés reconnaît à plusieurs reprises dans ses conclusions. Le seul fait qu'il détenait quelques parts de la société BDO France - [T] et Associés, en l'espèce moins de 1% des parts, avait la qualité d'associé et disposait d'un droit de vote ne suffit pas, dans ces conditions, pour qu'il soit considéré comme un cadre dirigeant.

Il n'était donc pas cadre dirigeant au sens de l'article L3111-2 du code du travail.

Peu importent par ailleurs les observations de la société BDO France - [T] et Associés quant à la charge de travail de M. [A] et aux tâches réalisées pendant ses heures de travail, dès lors qu'elle a eu connaissance au fur et à mesure des heures déclarées par M. [A], qu'elle était en mesure de contrôler ses activités et qu'elle ne démontre pas qu'il n'était pas à sa disposition pendant les heures déclarées.

Quant au montant de la demande, le rappel de salaire du à M. [A] au titre des heures supplémentaires doit nécessairement être calculé sur la base de son salaire mensuel contractuel, quelles que soient les critères qui ont été pris en compte pour fixer celui-ci.

Au vu des éléments qu'il verse à la procédure la demande de M. [A] au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents est fondée à hauteur des sommes qu'il réclame et il y sera fait droit après infirmation du jugement.

Les intérêts au taux légal courront sur les montants alloués à compter du 6 janvier 2015, date de réception par la société BDO France - [T] et Associés de la convocation devant le conseil de prud'hommes.

2) Sur la demande d'indemnité de repos compensateur

En application de l'article L3121-11 du code du travail les heures effectuées au delà du contingent légal de 220 heures par année ouvrent droit à un repos compensateur.

A défaut, la demande en paiement d'une indemnité d'un montant équivalent à 10 % du montant des heures supplémentaires effectuées au delà du contingent est bien fondée.

M. [A] a réalisé au total 929 heures d'heures supplémentaires au delà du contingent légal (245 en 2010 ; 191 en 2011 ; 209,50 en 2012 ; 153 en 2013 ; 130,50 en 2014) et, après infirmation du jugement, il sera fait droit à sa demande à hauteur de 66 349,78 euros.

Les intérêts au taux légal courront sur ce montant à compter du 6 janvier 2015, date de réception par la société BDO France - [T] et Associés de la convocation devant le conseil de prud'hommes.

La demande d'indemnité pour congés payés afférents à cette indemnité, qui n'est pas une rémunération au sens de l'article L3141-22 du code du travail, n'est pas fondée et sera rejetée.

3) Sur la demande d'indemnité pour travail dissimulé

Aux termes de l'article L8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

M. [A] n'a réclamé le paiement d'heures supplémentaires à la société BDO France - [T] et Associés que dans le cadre de la procédure qu'il a engagée en contestation de son licenciement et de la validité de la clause de forfait en jours. Il ne démontre pas que la société BDO France - [T] et Associés a agi de manière intentionnelle pendant l'exécution du contrat de travail en ne mentionnant pas sur ses bulletins de salaire la totalité de ses heures de travail.

Le jugement sera confirmé pour avoir rejeté sa demande au titre du travail dissimulé.

4) Sur la rupture du contrat de travail

Selon l'article L1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

La lettre de licenciement mentionne trois principaux griefs à l'encontre de M. [A].

a) Le manquement à ses obligations et responsabilités

M. [A] était directeur, cadre principal, et son emploi correspond, selon la convention collective, à des fonctions de conception et d'animation de l'entreprise. Il était autonome dans son travail.

Il détenait 100 parts sociales de la société BDO France - [T] et Associés, avait le statut d'associé et portait le titre « d'Associé » dans le cadre de son activité professionnelle. Ce statut combiné à son emploi de directeur impliquait qu'il devait s'impliquer personnellement et participer activement au développement de l'entreprise, par le développement de la clientèle et du chiffre d'affaires.

Il soutient qu'il n'a pas été engagé pour assurer le développement commercial de la société et qu'aucun objectif ne lui avait été fixé.

Cependant il ne lui est pas reproché dans la lettre de licenciement de ne pas avoir atteint un objectif chiffré au préalable mais de ne pas avoir assumé pleinement ses fonctions de telle sorte qu'il ne s'est pas donné les moyens de développer le chiffre d'affaires de la clientèle qu'il avait en charge et n'a pas généré une clientèle propre, notamment dans le secteur bancaire, qu'il revendique comme étant sa spécialité.

Le tableau d'activité et de résultats versé à la procédure par la société BDO France - [T] et Associés établit la diminution du chiffre d'affaires généré par son activité. Ce tableau est complété par le relevé détaillé issu du système informatique auto-déclaratif de saisie du temps de travail et de repos de M. [A], relevé alimenté par chaque collaborateur et associé, pour les années 2012 à 2014. Ce relevé a été complété par M. [A] lui-même dans le logiciel de saisie des temps de travail et de repos dans l'entreprise. Les collaborateur y précisent en outre la nature de leurs activités ou des congés et les heures facturables et non facturables y sont détaillées.

Le nombre d'heures annuelles facturables qu'il réalisait a baissé d'une façon importante entre 2008 et 2014 (du 1er octobre au 30 septembre de l'année suivante) : 1412 heures en 2008-2009 ; 1515 heures en 2009-2010 ; 742 heures en 2010-2011 ; 490 heures en 2011-2012 ; 455 heures en 2012-2013 ; 580 heures en 2013-2014. Parallèlement le nombre d'heures non facturables qu'il réalisait augmentait pour passer de 608 en 2008-2009 à 1792 en 2013-2014. Le chiffre d'affaires généré par son activité, au travers des heures facturables, est ainsi passé de 1 094 834 euros en 2008-2009 à 346 594 euros en 2013-2014.

C'est donc à compter de 2010-2011 que son chiffre d'affaires a fortement chuté et n'a pas été redressé au niveau antérieur.

M. [A] fait valoir que M. [T], associé et co-gérant de la société BDO France - [T] et Associés, ne lui fournissait plus autant de dossiers à traiter mais d'une part il ressort de mails échangés avec M. [T] en 2013 et 2014 que M. [A] a refusé d'exécuter des missions et d'autre part il devait, comme les autres associés, agir pour développer la clientèle de l'entreprise. Il ressort d'ailleurs de ses relevés d'activité qu'il a déclaré pour les années 2013 et 2014 1144 heures d'activité commerciale, sans qu'il justifie pour autant de l'objet et des résultats de cette activité, et en contradiction avec l'affirmation qu'il avait été engagé seulement pour ses compétences techniques.

b) L'exécution déloyale et déficiente du contrat de travail

Les échanges de mails avec M. [A] en juin 2013 et mai 2014 établissent qu'il a refusé de prendre des dossiers en charge sous différents prétextes, notamment parce qu'il ne serait pas le plus qualifié pour les missions d'audit, parce que le dossier est complexe ou parce que son niveau d'anglais est insuffisant. A l'occasion de ces échanges il lui a été rappelé qu'il ne faisait pas beaucoup d'actions de développement alors qu'il n'est pas le plus chargé des associés et qu'il devrait davantage s'investir.

Il avait été engagé dans le cadre d'une convention de forfait en jours et en raison de son statut et de sa position organisait comme il le souhaitait son temps de travail. C'est dans ce cadre qu'il a pu déclarer un nombre important d'heures non facturables et non rattachées à des dossiers spécifiques comme les heures déclarées sous la rubrique DNF7 (heures non facturables - divers) : 686 heures en 2012/ 2013 et 529 heures en 2013/2014. Il n'avait pas de fonctions administratives et ces heures ne correspondent donc pas à une activité générale de gestion de l'entreprise.

La société BDO France - [T] et Associés produit les tableaux de synthèse, pour les exercices fiscaux 2012-2013 et 2013-2014, de l'activité de ses collaborateurs d'après les déclarations de ceux-ci. Il en ressort que M. [A] a, parmi l'ensemble des associés et collaborateurs, le temps non facturable le plus important et le temps facturable parmi les moins importants.

Les deux tableaux de synthèse sur l'évolution des heures facturables et sur le temps facturable et non facturable par associé produits par M. [A] ont été dressés par lui à partir de données qu'il a sélectionnées en fonction de la démonstration qu'il souhaitait faire. Ils ne sont pas pertinents, alors que les documents produits par la société BDO France - [T] et Associés sont fiables, et ne démontrent pas que M. [A] s'investissait dans l'entreprise comme il était attendu de lui.

Par ailleurs la société BDO France - [T] et Associés fait état, sans être démentie, que M. [A] avait le nombre de clients le plus faible dans son portefeuille par rapport aux autres associés dont la situation est comparable à la sienne.

Il n'est pas contesté non plus que M. [A], à qui avait été confiée une mission interne d'audit sur la formation en mars 2014, n'a rendu aucun rapport avant son licenciement, intervenu 8 mois plus tard, et qu'il avait des difficultés à mener à terme ses missions, comme celle consistant à mettre en place un reporting mensuel de la gestion du cabinet.

c) Sur les relations difficiles avec des collègues

La société BDO France - [T] et Associés produit plusieurs témoignages de collaborateurs de M. [A] et d'associés qui évoquent leurs difficultés à travailler avec lui, son comportement négatif et les conséquences sur les relations avec certains clients.

M. [J], manager, a constaté lors de la réalisation de deux missions avec M. [A], qu'il n'a pas abordé le fond des dossiers et s'est montré incapable de prioriser les sujets d'audit et de donner des consignes claires et concises aux équipes. Il conclut que comme beaucoup de ses collègues il a fait en sorte de ne plus avoir de dossiers communs avec M. [A]. M. [N], autre manager, a témoigné dans le même sens, précisant que les interventions de M. [A] entraînait des pertes de temps.

M. [E], associé, expose qu'il a travaillé avec M. [A] sur certains dossiers, notamment du secteur financier, et que le comportement de M. [A] a toujours rendu leurs échanges difficiles, à défaut d'esprit de collaboration et par souci extrême de formalisme, ce qui a pu nuire aux relations avec les clients. Ainsi le client HSBC a exprimé son mécontentement et sa volonté de ne plus travailler avec M. [A].

M. [Q], autre associé, expose qu'il est arrivé dans l'entreprise en novembre 2010 pour succéder à M. [A] dans le cadre du dossier du client le plus important du cabinet qui ne voulait plus travailler avec lui et qu'à l'occasion de missions conjointes ponctuelles dans le secteur bancaire, il a eu à déplorer le caractère tatillon de M. [A], son manque de vision et d'esprit commercial et le fait qu'il se limitait à faire des constats négatifs, sans capacité de proposer des solutions constructives et efficaces. Il ajoute que les collaborateurs qui devaient travailler avec lui se plaignaient de sa manière de travailler et vivaient son comportement comme une sorte de harcèlement moral et que l'image de M. [A] auprès des associés n'était pas positive et qu'il suscitait des remarques peu amènes.

Chargé d'une mission d'expertise sur le préjudice financier d'un client en avril 2014, celui-ci a fait connaître son mécontentement devant le manque de pertinence et la maladresse de M. [A] à l'occasion d'une réunion téléphonique de telle sorte que le dossier lui a été retiré, comme l'expose le conseil de ce client dans une déclaration écrite. M. [A] ne démontre pas la fausseté de cette déclaration. Notamment il ne ressort pas des mails de Mme [C], qu'elle avait ce dossier en charge depuis l'origine mais il en ressort qu'elle a pris sa suite.

La société BDO France - [T] et Associés reproche essentiellement à M. [A] son comportement dans la gestion de ses fonctions et l'exécution de son travail. Aussi les messages de remerciements et de sympathie de clients envers M. [A], qui sont aussi des manifestations de politesse à l'annonce de son départ, qui lui ont été adressés fin 2013 et d'octobre à décembre 2014, comme les trois messages de remerciement pour son travail sur des missions ponctuelles, de M. [D] et M. [T] en juillet 2013 et juin 2014, ne sont pas contradictoires avec le fait que ses collègues se plaignaient de son comportement et que certains clients ne voulaient plus travailler avec lui.

Les griefs tenant à l'insuffisance professionnelle de M. [A] sont donc établis et le jugement, qui a retenu que son licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et a rejeté la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sera confirmé.

5) Sur la demande de dommages et intérêts pour perte d'avantages financiers liée au licenciement

Devant le conseil de prud'hommes M. [A] réclamait des dommages et intérêts pour exclusion contestée de la qualité d'associé des sociétés DYNA2 et BDO France. Cette demande a été déclarée irrecevable au motif que seules ces sociétés peuvent répondre d'une telle demande et qu'elles ne sont pas dans la cause.

Devant la cour M. [A] abandonne cette demande et réclame des dommages et intérêts à la société BDO France - [T] et Associés parce que son licenciement a eu pour conséquence la cession forcée, en application des statuts, des actions qu'il détenait auprès de ces sociétés, la perte de la qualité d'associé et la perte de chance de profiter des bénéfices espérés des avantages particuliers et du montage financier mis en place dans le cadre des sociétés BDO France et DYNA2.

En effet les associés de la société BDO France, selon leur classification, bénéficient d'avantages particuliers, comme un droit à dividende inégalitaire. Par ailleurs le groupe BDO a mis en place un montage financier permettant aux actionnaires, par revalorisation chaque année des actions de la société DYNA2, d'augmenter le capital initial investi.

Dans ces conditions la demande de dommages et intérêts formée par M. [A], qui invoque un lien de causalité entre son licenciement par la société BDO France - [T] et Associés et la perte de ses actions et de la possibilité d'accroître son patrimoine est bien recevable.

Sur le fond, dès lors que le licenciement de M. [A] est bien fondé et qu'il ne démontre pas que la société BDO France - [T] et Associés a commis une faute qui le prive des gains qu'il espérait réaliser au 30 septembre 2018, terme du premier cycle du montage financier, il doit être débouté de sa demande de dommages et intérêts.

6) Sur la demande au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile

La mise en oeuvre et le prononcé d'une amende civile sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile relèvent de la seule appréciation du juge.

En l'espèce, il n'y a pas lieu à amende civile.

7) Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

Après infirmation du jugement, les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de la société BDO France - [T] et Associés, partie partiellement perdante, dont la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

Il n'est pas équitable de laisser à la charge de M. [A] les frais qu'il a exposés qui ne sont pas compris dans les dépens et il lui sera alloué la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté la demande de M. [A] au titre des heures supplémentaires, de l'indemnité de repos compensateur et de la remise des bulletins de paye rectifiés,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société BDO France - [T] et Associés à payer à M. [A] les sommes suivantes :

- 167 024,60 euros à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires effectuées du 1er janvier 2010 au 21 novembre 2014, outre 16 702,46 euros au titre des congés payés afférents,

- 66 349,18 euros d'indemnité au titre du repos compensateur,

- les intérêts au taux légal à compter du 6 janvier 2015,

- 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute M. [A] de sa demande au titre des congés payés sur l'indemnité au titre du repos compensateur,

Ordonne la remise à M. [A] de bulletins de paye rectifiés conformément à la présente décision,

Déclare recevable la demande de dommages et intérêts de M. [A] pour perte d'avantages financiers liée au licenciement,

Le déboute de cette demande,

Dit qu'il n'y a pas lieu à amende civile,

Condamne la société BDO France - [T] et Associés aux dépens de première instance et d'appel et rejette sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 16/08583
Date de la décision : 05/12/2018

Références :

Cour d'appel de Paris K6, arrêt n°16/08583 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-12-05;16.08583 ?
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