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05/12/2018 | FRANCE | N°15/13309

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 05 décembre 2018, 15/13309


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRÊT DU 05 Décembre 2018



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 15/13309 - N° Portalis 35L7-V-B67-BXXJG



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 Septembre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 14/06707





APPELANT

Monsieur [N] [S]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1

] 1966 à [Localité 2]

- comparant en personne

assisté de Me Stéphane VOLFINGER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0802 à l'audience du 19 mars 2018,

- non comparant non repré...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRÊT DU 05 Décembre 2018

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 15/13309 - N° Portalis 35L7-V-B67-BXXJG

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 Septembre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 14/06707

APPELANT

Monsieur [N] [S]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 2]

- comparant en personne

assisté de Me Stéphane VOLFINGER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0802 à l'audience du 19 mars 2018,

- non comparant non représenté à l'audience du 8 octobre 2018

ayant pour conseil Me Stéphane VOLFINGER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0802

INTIMEE

SA SOCIETE GENERALE

[Adresse 2]

[Localité 2]

- représentée par Me Emmanuelle ORENGO, avocat au barreau de PARIS, toque : P0077 à l'audience du 19 mars 2018,

- non comparante non représentée

ayant pour avocat Me Emmanuelle ORENGO, avocat au barreau de PARIS, toque : P0077 à l'audience du 8 octobre 2018

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 mars 2018 et venue pour suivi de la médiation le 08 Octobre 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Antoinette COLAS, Présidente, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Antoinette COLAS, Président de chambre

Madame Françoise AYMES-BELLADINA, conseiller

Madame Florence OLLIVIER, vice président placé faisant fonction de conseiller par ordonnance du Premier Président en date du 5 juillet 2018

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Valérie LETOURNEUR, lors des débats

ARRET :

- contradictoire à l'audience du 19 mars 2018 et réputé contradictoire à l'audience du 8 octobre 2018

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Antoinette COLAS, président de chambre et par Madame Valérie LETOURNEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSÉ DES FAITS

La SA Société Générale a engagé Monsieur [N] [S] le 31 mars 2015 suivant un contrat de travail à durée indéterminée.

Il a occupé les fonctions de responsable planification des projets jusqu'au 31 mars 2015 puis, à compter du 02 avril 2015, celles de Directeur de programme SI.

Le lieu de résidence du salarié est situé au [Adresse 1], tandis que son lieu de travail est à [Localité 3] dans le Val de Marne.

Depuis le 1er janvier 2017, il occupe les fonctions de responsable d'équipe ' gestion PFE à [Localité 4].

En 2012 il a déclaré à son employeur qu'il utilisait un pass Navigo de trois zones pour ses déplacements en région parisienne et un abonnement SNCF pour se rendre sur son lieu de travail depuis son domicile. Il a été procédé au remboursement de ces abonnements à hauteur de 50% du mois d'octobre 2012 à octobre 2013.

L'employeur a ensuite cessé d'assurer le remboursement de l'abonnement SNCF de Monsieur [S] et lui a proposé un échéancier de remboursement pour les sommes reçues à ce titre pendant la période antérieure.

Le salarié a saisi le Conseil de prud'hommes de Paris en sa formation de référé qui, par ordonnance du 10 mars 2014, a dit qu'il n'y avait pas lieu à référé.

Monsieur [S] a saisi le Conseil de prud'hommes sur le fond.

Par jugement en date du 11 septembre 2015, le Conseil a débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes.

Contestant le bien-fondé de la décision, Monsieur [S] a interjeté appel. L'audience a été fixée au 20 octobre 2016 et, compte tenu de faits nouveaux intervenus en décembre 2015, la cour a renvoyé l'affaire sur demande de l'appelant au 19 mars 2018.

Il sollicite de la cour l'infirmation du jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Paris et, statuant à nouveau et y ajoutant, la condamnation de l'employeur au paiement des sommes de':

- 15 048 euros à titre de remboursement des frais d'abonnement SNCF depuis la décision de non prise en charge par la société, à parfaire au jour du délibéré,

- 4 850,55 euros à titre de remboursement des frais d'abonnement SNCF indûment perçus par la société,

- 125 538 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 125 538 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour des faits de discrimination,

- 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société conclut à la confirmation du jugement rendu le 11 septembre 2015, et demande à la cour, statuant sur les demandes nouvelles, d'écarter des débats les pièces communiquées par Monsieur [S] sous les numéros 36, 37, 38, et 45 bis, de le débouter de l'ensemble de ses demandes et de le condamner sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ordonnance du 27 mars 2018, la cour a ordonné une médiation et a prorogé la mission du médiateur jusqu'au 27 septembre 2018.

La médiation n'a pas abouti à un accord.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour renvoie pour un ample exposé des faits, des prétentions et des moyens développés, aux conclusions respectives des parties, visées par le greffier et soutenues oralement lors de l'audience.

MOTIFS'

Sur la demande visant à écarter les pièces n°36, 37, 38 et 45bis'

La cour relève que les pièces visées correspondent à des organigrammes et des tableaux comportant, au plus, le nom de personnes présentes à une réunion et leur entité de rattachement, ne nécessitent pas de traduction particulière.

Dès lors, la demande tendant à écarter ces pièces sera rejetée.

Sur la demande de remboursement des frais d'abonnement SNCF depuis la décision de non prise en charge par la société'

Selon l'article L.3261-2 du Code du travail, «'l'employeur prend en charge, dans une proportion et des conditions déterminées par voie réglementaire, le prix des titres d'abonnements souscrits par ses salariés pour leurs déplacements entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail accomplis au moyen de transports publics de personnes ou de services publics de location de vélos'».

Sur la résidence habituelle du salarié

Monsieur [S] fait d'abord valoir que l'éloignement géographique entre le lieu de travail et son domicile ne doit pas être pris en compte pour l'application de l'article L.3261-2 du Code du travail.

Il produit à l'appui de son affirmation une lettre du cabinet du ministère du travail, de l'emploi et du dialogue social du 29 avril 2014 qui lui confirme que la prise en charge par l'employeur d'une partie des frais de transports engagés par les salariés au titre des trajets réalisés entre leur domicile et leur lieu de travail se fait «'sans distinguer selon la situation géographique de cette résidence'».

Il conclut encore que son lieu de résidence habituelle se situe bien à [Localité 5] puisque ses enfants y sont scolarisés de façon permanente, qu'il y retourne chaque week-end pour les retrouver, qu'il bénéficie depuis le mois de mai 2016 du dispositif de télétravail, et qu'il était hébergé de manière alternée et temporaire par sa mère et ses amis en région parisienne mais qu'un tel hébergement ne présente pas le caractère de stabilité indispensable à la définition d'une résidence personnelle habituelle.

Monsieur [S] apporte à ce titre plusieurs attestations. Monsieur [K] atteste qu'il accueille «'de manière occasionnelle et non permanente à [son] domicile Monsieur [N] [S] certaines fois à sa demande, afin de lui permettre de regagner son lieu de travail le lendemain matin'». L'attestation de Madame [W] indique que':'«'j'atteste inviter occasionnellement Monsieur [N] [S] à mon domicile et qu'il dort également ici'». Madame [D] atteste «(...) avoir hébergé plusieurs fois par mois et certaines semaines plusieurs fois par semaine Monsieur [S] [N].'Monsieur [N] [S] et moi partageons alors une chambre d'hôtel en région parisienne. Le reste du temps, Monsieur [S] [N] est hébergé par sa famille ou chez des amis'». Enfin, Madame [S], mère de monsieur [S], témoigne en ces termes «'j'atteste accueillir de manière occasionnelle et non permanente à mon domicile Monsieur [N] [S], certaines fois à sa demande, afin de lui permettre de regagner son lieu de travail le lendemain matin. Mon domicile constitue pour Monsieur [N] [S] un simple lieu d'accueil purement précaire'».

Il verse également au débat, d'une part son avenant au contrat de travail selon lequel il devra exercer son «'activité professionnelle depuis [son] lieu de résidence habituel déclaré au service du personnel, au [Adresse 1] ...'», et d'autre part l'accord télétravail de la Société Générale qui stipule en son article 3 que le domicile pour l'exercice du télétravail se définit comme «'le lieu de résidence principale du collaborateur tel que déclaré à la DRH dans les outils de gestion (') ou tout autre lieu fixe et pérenne déclaré par les collaborateurs sous réserve de remplir les conditions requises propres à l'exercice du télétravail'».

Le salarié avance que la direction des ressources humaines du groupe a indiqué que les salariés pouvaient prétendre au remboursement de leur titre de transport SNCF sans préciser qu'ils devaient rentrer tous les soirs à leur domicile. Il ajoute que le caractère habituel de la résidence ne se définit pas par la possibilité ou non de rejoindre tous les jours cette résidence.

Pour étayer son affirmation, Monsieur [S] fournit la note explicative de la direction des ressources humaines groupe aux termes de laquelle les bénéficiaires sont «'les salariés travaillant en Ile-de-France ou en province utilisant les transports en commun'» et que la base de prise en charge est de «'50% des 11/12ème du tarif du titre d'abonnement utilisé entre la résidence habituelle et le lieu de travail'».

Il mentionne par ailleurs qu'il a fait une demande de mobilité afin de se rapprocher de sa famille. Au surplus, il indique que son ancien responsable lui a imposé de prendre ses lundis en jours de congés afin qu'il puisse occuper ses fonctions de télétravail les mardis, de telle sorte qu'en 2016, jusqu'au renouvellement de l'avenant télétravail de juin 2017, il dormait deux nuits chaque semaine en région parisienne et cinq nuits dans l'Hérault.

Il produit à ce titre un échange de courriels montrant qu'il a recherché un poste dans la région de [Localité 6], et un historique de congés payés.

Il fait aussi valoir qu'il n'a pas pu saisir lui-même ses demandes de remboursement tant en raison des procédures de contrôle internes qu'en raison du process informatique limitant le montant des demandes à 300 euros, plafond inférieur à ses frais de transports.

Le salarié fournit à ce titre l'illustration du processus de déclaration des frais de transports à la Société Générale montrant le blocage pour les sommes supérieures à 300 euros, et un livret explicatif des mesures de sécurité informatique.

Enfin, Monsieur [S] souligne que, s'il a reçu un refus de sa demande de remboursement le 28 septembre 2012, il a, après information des instances représentatives du personnel, perçu le remboursement de ses frais avec rattrapage depuis le mois de juin 2012.

Il renvoie, au soutien de son affirmation, aux échanges de courriels avec les représentants du personnel et la direction des ressources humaines.

La société répond que la notion de résidence habituelle au sens de l'article L.3261-2 du Code du travail se comprend comme celle à partir de laquelle le salarié se rend quotidiennement sur son lieu de travail. Elle poursuit en affirmant que, compte tenu de la distance entre le domicile du salarié et son lieu de travail, il ne pouvait pas effectuer quotidiennement ce trajet de sorte que ce domicile ne peut constituer sa résidence habituelle au sens des dispositions précitées.

L'employeur conclut que Monsieur [S] reconnaît lui-même résider en région parisienne durant la semaine depuis plusieurs années, établissant ainsi la stabilité de sa résidence habituelle.

La Société Générale affirme également que la demande de mobilité faite en mars 2013 par le salarié a été refusée et qu'elle n'a pas été renouvelée.

A ce titre, elle renvoie à la pièce adverse détaillant l'échange de courriels sur la mobilité de Monsieur [S], lesquels indiquent': «'je regrette de préciser que votre mobilité n'est pas validée, elle avait été acceptée uniquement dans le cadre de votre regroupement familial dans le sud'». La société porte également à la connaissance de la cour les entretiens d'évaluation de Monsieur [S] au titre des années 2015, 2016 et 2017 où il est répondu «'non'» par le salarié à la question d'un intérêt pour une mobilité géographique.

L'employeur fait valoir que la note d'instruction interne précise que le salarié travaillant à [Localité 2] et retournant tous les week-end en province ne peut bénéficier d'une prise en charge des frais de transports liés au week-end, le salarié n'utilisant pas son abonnement province pour se rendre sur son lieu de travail.

La société note encore que Monsieur [S] s'appuie sur l'article 3 de l'accord d'entreprise, qui définit le domicile où peut s'exercer le travail comme étant la résidence principale du salarié, et l'avenant à son contrat de travail qui fixe le télétravail au lieu de la résidence déclarée au service du personnel, alors qu'il est nécessaire de distinguer la notion de résidence habituelle avec celles de domicile et de résidence principale.

L'employeur se réfère également à la définition de la notion de résidence habituelle donnée par l'URSSAF sur son site internet et selon laquelle': «'La notion de résidence habituelle doit s'entendre du lieu où le salarié réside pendant les jours travaillés. Ainsi, dans l'hypothèse d'un salarié ayant une double résidence (la semaine à [Localité 2] où il travaille, le week-end en province où réside sa famille) il doit être considéré, au regard de la législation domicile/lieu de travail, comme ayant sa résidence habituelle à [Localité 2]. Par conséquent, il n'ouvre pas droit à la prise en charge obligatoire de son titre d'abonnement province-[Localité 2]. Il n'ouvre droit qu'à la prise en charge de son titre de transport parisien'».

De plus, la société soutient que le salarié a procédé lui-même aux remboursements, que les procédures de contrôle qu'il verse au débat concernent l'activité de la banque de financement et que le blocage pour les sommes supérieures à 300 euros n'est en réalité qu'un message d'avertissement.

Enfin, la Société Générale rappelle qu'elle s'est initialement opposée à ces remboursements.

Elle apporte à ce titre une lettre du 28 septembre 2012 adressée à Monsieur [S] aux termes de laquelle il est indiqué': «'je vous confirme que nous ne pouvons pas donner de suite favorable à votre demande de prise en charge'».

La libre détermination du lieu de domicile relève d'un droit fondamental, protégé par la Convention européenne des droits de l'Homme et les articles 9 du Code civil et L.1121-1 du Code du travail, dont il appartient au juge d'assurer l'effectivité.

Le critère de résidence habituelle se définit dès lors comme le lieu où l'intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts.

Monsieur [S] a, d'une part, exprimé le souhait de bénéficier d'une mobilité dans l'Hérault afin de se rapprocher de sa famille, et d'autre part demandé à bénéficier du télétravail pour pouvoir passer un maximum de temps près de sa famille dans ce département où se situe le cadre stable et habituel de ses intérêts. En outre, il ressort, sans que cela ne soit contredit par les parties, que le salarié n'a jamais accompli de démarche afin de rapprocher son lieu de résidence de la région parisienne.

L'employeur a d'ailleurs accédé à la demande du salarié s'agissant du télétravail dont il n'ignore pas qu'il s'exerce à partir de l'Hérault.

Le lieu de résidence habituelle de Monsieur [S] est par conséquent dans l'Hérault.

En termes de droit fondamental, seules les restrictions limitées par les nécessités impératives du travail et proportionnelles à celles-ci peuvent être imposées par l'employeur.

C'est donc sans considération de la situation géographique du lieu de résidence du salarié que doit être appliqué l'article L.3261-2 du Code du travail.

En conséquence, l'employeur ne pouvait, sans contrevenir à ses obligations issues des dispositions légales, cesser d'assurer le remboursement des frais d'abonnement SNCF de Monsieur [S]. Le jugement sera donc infirmé sur ce point et il sera fait droit à sa demande de remboursement.

Sur le quantum des demandes'

Monsieur [S], demande d'une part le remboursement des frais d'abonnement SNCF depuis la décision de non prise en charge par la société, et d'autre part des frais d'abonnement SNCF que la société a indûment récupérés.

Il fait valoir que les frais de transport non remboursés représentent une charge constante pour lui et demande donc leur remboursement. Il y ajoute 10 000 euros de dommages et intérêts correspondant au total des sommes qu'il a dû payer lui-même chaque mois depuis la cessation de la prise en charge de ses frais de transport SNCF.

Il soutient également qu'il a dû utiliser sa prime d'intéressement d'un montant de 1 771,11 euros afin de rembourser les sommes demandées par la Société Générale et demande un ajout de 10 000 euros de dommages et intérêts.

Il verse au débat l'attestation sur l'honneur d'utilisation de transports en commun, ses bulletins de paie, et l'échéancier sur 12 mois.

La société fait valoir dans un premier temps que les calculs de Monsieur [S] comportent des doublons et s'en rapporte à ce titre au tableau qu'il verse au débat.

Dans un deuxième temps, elle soulève le fait que le salarié demande des dommages et intérêts à hauteur de 10 000 euros, ce qui constitue une seconde réparation du même préjudice.

Enfin, dans un troisième temps, l'employeur fait valoir que Monsieur [S] affecte sa prime d'intéressement au paiement des frais de transports alors qu'il n'y était pas contraint et qu'il ne peut donc pas lui être reproché de ne pas avoir abondé cette somme.

En application de l'article R.3261-3 du Code du travail, la prise en charge par l'employeur est effectuée sur la base des tarifs deuxième classe. Le bénéficiaire peut demander la prise en charge du ou des titres de transport lui permettant d'accomplir le trajet de la résidence habituelle à son lieu de travail dans le temps le plus court. Lorsque le titre utilisé correspond à un trajet supérieur au trajet nécessaire pour accomplir dans le temps le plus court le trajet de la résidence habituelle au lieu de travail, la prise en charge est effectuée sur la base de l'abonnement qui permet strictement de faire ce dernier trajet.

Le montant de l'abonnement SNCF de Monsieur [S] n'étant pas contesté, il sera fait droit à sa demande de remboursement de son abonnement et des sommes indûment récupérées par la Société Générale, soit au paiement des sommes de 4 850,55 euros au titre du remboursement des frais d'abonnement SNCF indûment perçus par la société et de 15 048 euros au titre du remboursement des frais d'abonnement SNCF depuis la décision de non prise en charge par la société, selon compte arrêté à la date de transmission des conclusions à l'employeur.

Enfin, pour honorer ses obligations contractuelles, Monsieur [S] a dû faire l'avance de sommes aux fins de régler l'intégralité de ses frais de transport. Cette avance a créé un préjudice financier dont il est fondé à demander réparation et que la cour évalue à 3 000 euros.

Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral'

Aux termes de l'article L.1152-1 du Code du travail, «'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'».

En cas de litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Monsieur [S] fait valoir qu'il a subi des faits de harcèlement fondés sur la modification de son contrat de travail mise en 'uvre à la suite de man'uvres fallacieuses de son management sans son accord, qui ont conduit à sa rétrogradation sans motif ni justification le 18 avril 2016 et à la baisse de sa rémunération variable.

Il assure que jusqu'à cette date du 18 avril 2016, il était Directeur de programme IBIS et membre du Comité de Direction et qu'il a subitement disparu de l'organigramme de sa direction.

Il en veut pour preuve les deux organigrammes qu'il produit aux débats montrant sa disparition dans l'un d'eux ainsi qu'un compte-rendu de réunion dans lequel il figure au côté des membres du Comité de Direction.

Le salarié affirme que cette évolution est consécutive à l'audience prud'homale du 11 septembre 2015 et qu'ainsi, le 14 décembre 2015, la société publiait son poste sans qu'il en soit informé ou consulté.

Le comité d'entreprise a été informé en septembre 2016 et le changement de poste ne lui été annoncé officiellement qu'en décembre 2016. Son poste est désormais occupé par Monsieur [Z].

Monsieur [S] fait valoir que cette rétrogradation lui a été présentée comme étant la conséquence de l'interruption du programme IBIS alors qu'il est toujours maintenu et poursuivi.

Il apporte à ce titre l'entretien d'écoute dans le cadre d'une procédure pour prévention de harcèlement du 20 janvier 2017, dans lequel est mentionné l'arrêt du projet IBIS, et un tableau montrant des décisions prises sur le projet IBIS datant de mars 2017.

Il soutient par ailleurs que ses missions actuelles ne correspondent plus à celles de son ancien poste, ce qui constitue une modification de la nature de ses fonctions et une baisse de qualification. Au surplus, il souligne qu'il se voit confier, en contrepartie, le management de deux collaborateurs proches du départ en retraite.

Monsieur [S] fait observer que le montant de son bonus a fortement diminué, passant de 7 000 euros pour l'année 2015 à 5 000 euros pour l'année 2016.

Enfin, il renvoie au compte rendu de l'entretien d'écoute dans le cadre d'une procédure pour prévention du harcèlement faisant état des propos que son supérieur hiérarchique, Monsieur [I], a tenus ': «'tu as vraiment un cerveau de goldfish (') va passer un scanner du cerveau, j'en ai marre'».

Ainsi, Monsieur [S] établit des éléments de fait qui pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'un harcèlement.

La société répond que Monsieur [S] n'établit pas la preuve de ses allégations, de la nature des actes de harcèlement moral qu'il aurait subis, de leur caractère répété, ou qu'ils ont entraîné une dégradation de ses conditions de travail, altéré sa santé physique ou mentale ou compromis son avenir professionnel.

Elle fait valoir que Monsieur [S] a été affecté aux fonctions de Directeur de programme SI au sein du pôle IBFS à compter du 2 avril 2015, et montre à ce titre la déclaration de changement d'affectation et le descriptif des missions de son programme d'affectation.

S'appuyant sur l'évaluation du salarié au titre de l'année 2015, l'employeur soutient ensuite que son supérieur hiérarchique relevait des difficultés dans la prise de fonction et que les progrès réalisés devaient être amplifiés pour atteindre les objectifs attachés au poste.

La société avance que début 2016, elle a repositionné Monsieur [S] sur un poste de responsable dans un périmètre plus limité afin de l'aider à la prise de son poste de Directeur de programme, et qu'il ressort de son évaluation qu'il «'s'est montré plus à l'aise sur un périmètre recentré'» et ce, bien avant l'embauche de Monsieur [Z].

L'employeur rappelle également que le programme IBIS n'a pas été arrêté comme l'affirme le salarié. Il explique que ce vaste programme a fait l'objet d'une mutualisation des infrastructures conduisant à l'interruption de la zone Europe du programme dans laquelle travaillait Monsieur [S], ce qu'elle étaye par un compte rendu de réunion au sujet dudit programme.

Dès lors, elle affirme que le poste de directeur de programme de Monsieur [S] n'avait plus vocation à perdurer et qu'il en a été informé.

Elle souligne par ailleurs que son poste est rattaché au code emploi «'responsable d'équipes infrastructures'» correspondant à la qualification, à l'expérience et aux compétences du salarié.

L'employeur verse au débat l'annonce de nomination de Monsieur [S] à son nouveau poste et la fiche de changement d'affectation.

La Société Générale maintient que le changement de poste de Monsieur [S] à compter de janvier 2017 résultait d'un transfert d'équipe et répondait à des axes stratégiques et organisationnels. Elle mentionne également le mail de Monsieur [S] du 16 décembre 2016 dans lequel il indique avoir conscience de la réorganisation du pôle IBFS.

S'appuyant sur un organigramme, la société avance que le positionnement de Monsieur [S] est resté identique, et que ses fonctions ne sont pas moins importantes que précédemment.

A ce titre, la société verse l'échange de courriels entre Monsieur [S] et son supérieur hiérarchique, dans lequel ce dernier indique':'«'Il ne s'agit donc aucunement de te changer de fonction ou de te rétrograder mais simplement d'orienter la façon d'aborder la préparation du portefeuille projets dans le cadre de la constitution budgétaire et dans l'intérêt de tout ICR. Il me semble important que ton équipe apporte plus de support actif aux chefs de projets pour constituer ce portefeuille'».

L'employeur répond ensuite aux affirmations de Monsieur [S] quant à son appartenance au Comité de Directions d'IBFS en rappelant que ce dernier n'en a jamais fait partie, mais qu'en sa qualité de directeur de programme SI il a participé à des comités de pilotage dont certains participants étaient membres du Comité de Direction. Ces comités ont cessé suite à l'interruption du programme IBFS.

Sur la part variable de Monsieur [S], la société indique qu'elle a un caractère discrétionnaire et n'est garantie ni dans son principe ni dans son montant.

Elle verse à l'appui de son propos la lettre de notification adressée à chaque salarié dans laquelle il est mentionné': «'Cette part variable, qui n'est garantie ni dans son principe ni dans son montant, est attribuée en dehors de toute obligation légale, conventionnelle ou contractuelle. Elle tient compte de votre prestation individuelle et de votre comportement au travail, de la performance de l'unité au sein de laquelle vous êtes affecté(e), ainsi que plus généralement de l'évolution du marché du travail'».

L'employeur soulève enfin que Monsieur [S] invoque être victime de harcèlement moral pour la première fois en cause d'appel dans un litige initié en 2014, par conclusions signifiées le 24 mars 2017, alléguant d'un comportement déplacé de Monsieur [I] alors qu'il n'est plus son supérieur hiérarchique depuis le 1er janvier 2017. La société expose avoir diligenté une enquête concluant à l'absence de harcèlement moral.

Au regard de l'ensemble des éléments apportés par les parties, la cour observe que le repositionnement de Monsieur [S], bien qu'initialement contesté, a été accepté par ce dernier comme s'inscrivant dans une réorganisation globale du pôle en question.

Elle relève ensuite, en comparant les deux fiches de changement de poste, qu'ils correspondent au même niveau de qualification.

Enfin, la cour constate que la part variable est fixée discrétionnairement.

Les propos tenus par le supérieur hiérarchique du salarié, bien qu'inappropriés, n'ont pas été réitérés.

Dans ces conditions, et dans la mesure où les décisions prises par l'employeur reposent sur des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, il ne sera pas fait droit à la demande de Monsieur [S].

En conséquence, le salarié sera débouté sur ce point.

Sur la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour des faits de discrimination

Selon l'article L.1132-1 du Code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou d'une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français.

L'article L.1134-1 du même Code dispose qu'en cas de litige le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Monsieur [S] fait valoir qu'il a été victime de discrimination, à l'occasion de sa demande de télétravail, fondée sur son lieu de résidence. Il soutient en effet que la décision de l'employeur de lui imposer les mardis et jeudis comme jours éligibles au télétravail le plaçait dans l'impossibilité de bénéficier pleinement de ce dispositif compte tenu de la distance entre son domicile et son lieu de travail, et alors même que d'autres salariés bénéficient de jours de télétravail différents.

Il verse au débat les différents échanges de courriels afin d'établir la durée entre le moment de sa demande et la mise en place du dispositif, un tableau montrant le bénéfice d'autres jours de télétravail par des salariés, et l'accord télétravail ne se référant aucunement à des jours précis.

Il présente ainsi des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination en lien avec son lieu de résidence.

La société soulève d'abord que le salarié n'établit pas les faits allégués.

Compte tenu des éléments apportés par le salarié, ce moyen ne peut être retenu.

L'employeur fait ensuite valoir que le dispositif de télétravail n'est pas imposé au salarié, qu'il a souhaité en bénéficier, et qu'il ne peut lui être reproché d'avoir refusé au salarié les lundis et vendredis comme jours de télétravail.

A ce titre, il se réfère à l'accord télétravail en vigueur dans l'entreprise qui stipule en son article 4': «' la décision du manager d'accorder ou non le télétravail ainsi que la fixation du nombre et de la répartition des jours ou demi-journées de télétravail est fonction des conditions de faisabilité technique et organisationnelle du service'».

La société conclut qu'il appartenait à Monsieur [I] de déterminer les jours possibles pour le télétravail et qu'il a été expliqué que la présence des salariés était nécessaire le vendredi en raison des mises en productions durant le week-end, ainsi que le lundi pour en faire le point.

Enfin, l'employeur rappelle que Monsieur [S] a obtenu de travailler à distance chaque vendredi depuis juillet 2017.

La cour relève que l'employeur a accepté que le salarié soit en congé le lundi. Il ne peut donc se prévaloir, dans le même temps, de sa nécessaire présence au sein de l'entreprise ce jour là, pour lui refuser de télétravailler.

Observation faite du temps considérable écoulé entre la demande de télétravail faite par le salarié et sa mise en 'uvre effective, l'employeur n'apporte donc pas d'éléments objectifs justifiant sa décision de refuser d'organiser le télétravail le lundi, étrangers à toute discrimination fondée sur lieu de résidence.

En conséquence, c'est à juste titre que Monsieur [S] sollicite la réparation de son préjudice, que la cour évalue à 5 000 euros.

Sur les frais de procédure'

La Société Générale, succombant à l'instance, sera condamnée aux dépens.

Elle sera en outre condamnée au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS'

La Cour,

INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris du 11 septembre 2015,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la SA Société Générale au paiement des sommes de':

- 15 048 euros à titre de remboursement des frais d'abonnement SNCF depuis la décision de non prise en charge par la société, selon compte arrêté à la date de transmission des conclusions à l'employeur,

- 4 850,55 euros à titre de remboursement des frais d'abonnement SNCF indûment perçus par la société,

- 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour les frais engagés par Monsieur [S],

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi du fait de la discrimination,

- 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la SA Société Générale aux entiers dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 15/13309
Date de la décision : 05/12/2018

Références :

Cour d'appel de Paris L1, arrêt n°15/13309 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-12-05;15.13309 ?
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