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04/12/2018 | FRANCE | N°16/18088

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 04 décembre 2018, 16/18088


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 1



ARRET DU 04 DECEMBRE 2018



(n° 508 , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 16/18088 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZQR6



Décision déférée à la Cour : Décision du 05 Août 2016 - Bâtonnier de l'ordre des avocats de PARIS - RG n°





APPELANTE

Madame [Z] [Z]

[Adresse 1]

[Adresse

1]



Comparante



Assistée de Me Vincent BRENGARTH, avocat au barreau de PARIS, toque : R143, substituant Me William BOURDON, avocat au barreau de PARIS, toque : R143





INTIMEE

Madame [B...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1

ARRET DU 04 DECEMBRE 2018

(n° 508 , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 16/18088 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZQR6

Décision déférée à la Cour : Décision du 05 Août 2016 - Bâtonnier de l'ordre des avocats de PARIS - RG n°

APPELANTE

Madame [Z] [Z]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Comparante

Assistée de Me Vincent BRENGARTH, avocat au barreau de PARIS, toque : R143, substituant Me William BOURDON, avocat au barreau de PARIS, toque : R143

INTIMEE

Madame [B] [P]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Comparante

Assistée de Me Léonore BOCQUILLON, avocat au barreau de PARIS, toque : E1085

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 19 Septembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Christian HOURS, Président de chambre, chargé du rapport

Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère

Mme Anne DE LACAUSSADE, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Lydie SUEUR

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Christian HOURS, Président de chambre et par Lydie SUEUR, Greffière présent lors du prononcé.

*****

Mme [Z] [Z], qui a prêté serment d'avocat le 6 janvier 2006, exerce à titre individuel.

Selon contrat du 26 janvier 2016, elle a recruté comme collaboratrice libérale, avec effet au 1er février suivant, Mme [B] [P], qui lui avait fait part d'un projet de maternité.

Une période d'essai de trois mois était prévue.

Le 9 février 2016, Mme [P] a annoncé sa grossesse à Mme [Z].

Le 15 février 2016, Mme [Z] a remis à Mme [P] une lettre mettant fin à leur collaboration avec effet au 19 février 2016.

Par courrier électronique du 16 février 2016 Mme [P] a contesté la rupture de son contrat de collaboration, dès lors que le cabinet était informé de son état de grossesse et que celui-ci était confirmé sous quinzaine.

Le 17 février 2016, Mme [Z] a remis à Mme [P] une lettre lui imputant des manquements et l'informant qu'elle lui verserait une somme de 3 439 euros HT pour la période du 19 février au 25 février 2016, soit huit jours de délai de prévenance.

Le 5 avril 2016, Mme [P] a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris.

Par décision du 5 août 2016, la déléguée du bâtonnier a :

- constaté que la rétrocession d'honoraires mensuelle de Mme [P] était de 3 800 euros HT;

- prononcé la nullité de la rupture du contrat de collaboration libérale conclu entre Mme [Z] [Z] et Mme [B] [P], pendant la période d'essai, intervenue le 15 février 2016, non justifiée par des manquements graves aux règles professionnelles ;

- jugé que cette rupture ne présentait pas de caractère discriminatoire ;

- en conséquence fixé à 40 206,45 euros HT la somme due par Mme [Z] à Mme [P] au titre du maintien de sa rétrocession d'honoraires pendant la période de protection, sous déduction des indemnités perçues des régimes de prévoyance ;

- condamné Mme [Z] à payer dès à présent la somme de 24 006,45 euros HT ;

- dit qu'en cas de difficulté, il en sera référé à la déléguée du bâtonnier par la partie la plus diligente ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- dit n'y avoir lieu d'accorder quelque somme que ce soit au titre des frais irrépétibles et laissé à chacune des parties la charge de ses dépens éventuels.

Le 31 août 2016, Mme [Z] a formé un recours contre cette décision. 

Par jugement du 29 septembre 2016, le tribunal de grande instance de Paris a ouvert une procédure de redressement à l'égard de Mme [Z] et désigné Me [R] [N] en qualité de mandataire judiciaire.

Par écritures du 12 septembre 2018, reprises à l'audience, Mme [Z] et Me [N], ès-qualités de mandataire judiciaire de son redressement, demandent à la cour, infirmant la décision précitée du bâtonnier sauf en ce qu'elle a constaté l'absence de caractère discriminatoire de la rupture du contrat de collaboration de Mme [B] [P] du 15 février 2016 statuant à nouveau:

- de juger que Mme [Z] a, à bon droit, rompu la période d'essai de Mme [P] ;

- subsidiairement, de constater l'existence de manoeuvres frauduleuses de la part de Mme [P], qui ont été déterminantes de son embauche, d'annuler l'engagement entre les parties et 'd'ordonner l'impossibilité pour Mme [P] de réclamer une rétrocession d'honoraires' ;

- plus subsidiairement, de juger que l'existence de manquements graves de la part de Mme [P] est à l'origine de la rupture de sa période d'essai ;

- en tout état de cause, de débouter Mme [P] de toutes ses demandes et la condamner à leur payer à chacun la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en cause d'appel et à supporter les dépens, dont distraction au profit de Me William Bourdon, en vertu de l'article 699 du code de procédure civile.

Par écritures du 2 août 2018, reprises à l'audience, Mme [P], intimée et appelante incidente, demande à la cour de confirmer la décision dont appel en ce qu'elle a déclaré nulle la rupture du contrat de collaboration intervenue le 15 février 2016, de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, de :

- condamner Mme [Z] et son mandataire judiciaire à lui régler la somme de 40 761 euros ou à tout le moins 37 027 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier résultant de la nullité de la rupture ;

- à titre subsidiaire, les condamner à payer les mêmes sommes à titre de rétrocession d'honoraires;

- en tout état de cause, les condamner à lui payer la somme de 50 000 euros HT à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la discrimination dont elle a fait l'objet, celle de 4 000 euros HT à titre de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive des appelants refusant de lui régler les sommes revêtues de l'exécution provisoire, celle de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- les condamner aux dépens comprenant les éventuels frais d'exécution de la décision à intervenir.

 

SUR CE,

Considérant que Mme [Z] et Me [N] soutiennent que :

- aucune dérogation ne saurait justifier qu'il ne puisse pas être mis un terme à la période d'essai pour des raisons extérieures à l'état de grossesse de la personne dont les compétences sont éprouvées durant ce laps de temps, alors même que la rédaction de l'article 14-4 du RIN s'inspire directement des dispositions contenues dans le code du travail, en particulier de l'article L1225-4 ;

- la décision du bâtonnier encourt l'annulation car elle porte atteinte à la liberté de contracter et à la liberté d'entreprendre de Mme [Z], dès lors qu'il a constaté que la rupture du contrat de collaboration de Mme [P], bénéficiant au demeurant d'une prévoyance, était justifiée même si celle-ci n'avait pas fait état de sa grossesse ;

- subsidiairement, les manoeuvres de Mme [P], qui a mensongèrement fait état d'une expérience de 9 années en droit public, domaine de compétence recherché par Mme [Z], dont l'activité était florissante mais qui recherchait une personne autonome, l'ont délibérément trompée sur ses qualités ; par ailleurs, Mme [P] a dissimulé son état de grossesse qui existait lors de l'embauche, ne faisant état que d'un projet de maternité et l'a utilisé pour s'en prévaloir pour se protéger lorsque Mme [Z] a constaté qu'elle ne disposait pas des compétences annoncées en droit public ; ces manoeuvres dolosives entraînent la nullité du contrat et sont à l'origine d'un important préjudice ;

- plus subsidiairement, les manquements constatés sont graves et non liés à l'état de grossesse: profil inadapté (il était recherché de 3 à 5 ans d'expérience dont 2 au moins en pratique du contentieux administratif et en droit de la fonction publique, une parfaite maîtrise de la grammaire et de l'orthographe, un comportement mature, des qualités humaines, le niveau de rétrocession des honoraires, fixe de 3 800 euros HT et variable en fonction des objectifs atteints, étant à la hauteur de ces exigences), alors qu'il s'est avéré que Mme [P] manquait d'autonomie dans le travail et de connaissances juridiques spécifiques dans la gestion des dossiers du cabinet, qu'elle n'avait jamais été comme elle l'affirmait responsable du département du cabinet où elle exerçait antérieurement, lequel ne mentionnait d'ailleurs pas le droit public au titre de ses spécialités ; Mme [P] n'avait en réalité qu'un profil de généraliste civiliste incompatible avec la spécificité du cabinet de contentieux administratif ;

-le comportement général de Mme [P] a été désinvolte s'agissant des horaires de travail très flexibles ; des fautes juridiques grossières ont été commises dans les projets d'écritures de plusieurs dossiers ([F], [O], [X], [D], [Y], [U]), l'orthographe de Mme [P] était au surplus déficiente ; Mme [Z] s'est ainsi trouvée dans une situation extrêmement grave, devant solliciter en urgence des délais et des reports ; elle est poursuivie devant le conseil de l'ordre pour des motifs liés aux dossiers ;

- la rupture du contrat est, comme l'a reconnu le bâtonnier, sans lien avec l'état de grossesse de Mme [P] ;

- Mme [P] ne justifie pas du quantum du préjudice qu'elle invoque, tandis que Mme [Z] se trouve dans une situation financière chaotique, qui doit nécessairement être prise en compte;

Considérant que Mme [P], intimée et appelante incidente, réplique que :

- la rupture du contrat est nulle à trois titres distincts : l'article 14 du RIN interdit toute rupture du contrat dès que le cabinet est informé de l'état de grossesse de la collaboratrice; la nullité est rétroactive dès lors qu'il est justifié par la collaboratrice sous 15 jours de son état de grossesse; toute rupture de contrat de collaboration, fondée sur un motif discriminatoire, fait également l'objet d'une nullité rétroactive en vertu de la loi du 27 mai 2008 ;

- le contrat peut être rompu, même en cas de grossesse de la collaboratrice, seulement si est rapportée la preuve que la rupture résulte d'un manquement grave de celle-ci aux règles de la profession d'avocat ; or, la lettre de rupture ne contient aucun reproche à son encontre et encore moins l'invocation de motifs graves aux règles de la profession ; ce n'est qu'après le rappel de ces règles que Mme [Z] a invoqué des manquements devant le bâtonnier sans toutefois les qualifier de manquements graves aux règles de la profession ;

- c'est à juste titre que le bâtonnier a retenu la nullité de la rupture intervenue, le 15 février 2016, pendant la période d'essai, sans invocation d'un quelconque manquement, alors que Mme [Z] était informée, depuis le 9 février 2016, de l'état de grossesse de Mme [P], au surplus confirmé le 17 février avec un certificat médical ;

- le contrat de collaboration libérale est définitif dès sa signature et il peut seulement être rompu, alors qu'en droit du travail, le contrat ne devient définitif qu'à l'issue de la période d'essai ; en l'espèce, la rencontre des volontés s'est faite dès le 11 décembre, avec confirmation écrite le 14 décembre par Mme [Z] ;

- Mme [Z] avait reconnu dans de précédentes écritures que, lors de l'entretien d'embauche, Mme [P] lui avait indiqué que le cabinet où elle travaillait auparavant n'était pas spécialisé en droit public ;

- elle n'a pas dissimulé, le 11 décembre, son état de grossesse, alors que le début de celle-ci se situe au 9 décembre et qu'elle ne pouvait pas déjà en être informée, que ce soit le 11 ou le 15 décembre ;

- il n'a existé aucun des manquements graves, invoqués pour la première fois en cause d'appel, définis comme ceux rendant impossible tout travail en commun et ce de manière immédiate ; or, Mme [Z] a entendu, dans un premier temps, que Mme [P] exécute son délai de prévenance ;

- s'agissant du profil prétendument inadapté de Mme [P], celle-ci, titulaire d'un master 1 de droit public, présente une solide expérience en droit public, ayant travaillé comme juriste entre 2008 et 2010 au cabinet Adamas Affaires publiques, puis dans le cadre de son projet pédagogique individuel de l'EFB à la 5ème sous-section du contentieux du Conseil d'Etat ; elle a traité de droit administratif au sein du cabinet Berthier Chapelier, assuré à trois reprises des formations en droit public à l'EFB (recours pour excès de pouvoir, pratique des marchés publics et procédure dématérialisée télérecours) ; elle a représenté le barreau du Val de Marne à la commission droit administratif de la conférence des bâtonniers d'Ile de France à compter de janvier 2014 et participé à d'autres événements en droit administratif ; Mme [Z] a une activité de niche très spécialisée et l'annonce qu'elle a passée n'exigeait pas une parfaite autonomie du candidat dans ce domaine, tandis qu'elle-même n'a jamais fait état d'une activité exclusive en droit administratif, insistant au contraire sur sa formation pluridisciplinaire ;

- elle s'est investie dans le cabinet de l'appelante comme le montrent l'envoi d'emails en soirée et la note de taxi du 2 février 2016 ; elle devait simplement partir une fois par semaine à 17h 50 pour aller chercher son fils à la crèche de [Localité 1] avant 19 h ;

- s'agissant du suivi des affaires, aucun dossier ni document n'était en réseau sauf un agenda ainsi qu'une liste de dossiers et de clients ; la discussion alléguée de savoir si un agent de la fonction publique territoriale pourrait être agent de la fonction publique d'Etat est contestée ; les reproches faits dans les différents dossiers ne sont pas davantage reconnus ;

- en vertu de la loi du 27 mai 2008 applicable aux avocats, la concomitance ou la proximité entre la mesure de rupture du contrat de collaboration et l'événement fondant la discrimination (la maternité) laisse présumer l'existence d'une discrimination, engendrant ainsi un renversement de la charge de la preuve et imposant à la partie adverse de justifier que la mesure est fondée sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; la rupture est intervenue le 15 février dans la plus grande précipitation et confusion alors que la grossesse avait été annoncée le 9 février ; la commission de l'ordre des avocats a conclu dans son avis du 30 mai 2016 au caractère discriminatoire de la rupture du contrat de Mme [P] ;

- les simples observations qui, avant la rupture n'avaient pour objet que d'indiquer les points à améliorer (coquilles, erreurs de forme ) ou des méthodes de travail à adapter aux exigences du cabinet ne peuvent devenir après celle-ci des reproches justifiant une rupture à compter de l'annonce de la grossesse ; le bâtonnier n'a pas appliqué l'aménagement de la charge de la preuve mise en place par le législateur pour démontrer les situations de discrimination ; or, il n'a jamais été question de rupture du contrat avant l'annonce de la grossesse ; Mme [Z] a témoigné sa confiance envers Mme [P] en lui demandant d'assurer une audience, d'accompagner un client à un entretien préalable, d'échanger directement au téléphone et par courrier avec les clients ; la veille de la rupture, elle organisait la publication du profil de sa collaboratrice sur le site internet du cabinet, démontrant qu'elle n'avait alors aucune intention de mettre un terme au contrat, contrairement à ce qu'elle soutient désormais ;

- à la rupture de son contrat, elle s'est retrouvée sans rétrocession d'honoraires et n'a même pas pu prétendre aux indemnités chômage d'un salarié ;

- la précipitation de l'annonce de la rupture a été telle que le contrat n'a pas été respecté sur le délai de prévenance de 8 jours ; elle a été mise à la porte du cabinet en moins de 48 heures ;

- la rétrocession d'honoraires doit être maintenue pendant le congé-maternité qui s'étend du 26 août au 15 décembre 2016 ou à tout le moins du 29 juillet au 17 novembre 2016 ; il existe en outre une période de protection de deux mois à compter du retour de congé maternité soit jusqu'au 15 février 2017 ou à tout le moins jusqu'au 17 janvier 2017 puis un délai de prévenance de 3 mois jusqu'au 15 mai 2017 ou à tout le moins jusqu'au 17 avril 2017 ; l'augmentation prévue de la rétrocession à 4 000 euros doit être prise en compte dont à déduire les indemnités journalières perçues du barreau de Paris et le chèque adressé par Mme [Z] ;

- le caractère discriminatoire de la rupture justifie l'octroi de dommages et intérêts, d'autant que la collaboratrice libérale ne bénéficie pas des indemnités de chômage et que l'annonce de la rupture du contrat à l'annonce de la grossesse lui crée un préjudice d'anxiété exacerbé

- la résistance abusive ouvrant droit à des dommages et intérêts supplémentaires résulte de l'absence de paiement des sommes soumises à exécution provisoire dans la limite de 9 mois de rétrocession d'honoraires ;

Considérant qu' à compter de la déclaration par la collaboratrice libérale de son état de grossesse, qui peut être faite par tout moyen et jusqu'à l'expiration de la période de suspension de l'exécution du contrat à l'occasion de la maternité, le contrat de collaboration libérale ne peut être rompu par le cabinet, sauf manquement grave aux règles professionnelles non lié à l'état de grossesse ou à la maternité ;

Considérant que, sauf manquement grave aux règles professionnelles non lié à l'état de grossesse ou à la maternité, la rupture du contrat de collaboration est nulle de plein droit lorsque le cabinet est informé de la grossesse de la collaboratrice dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la rupture ;

Considérant qu'en l'espèce, le 9 février 2016, Mme [P] a informé de sa grossesse Mme [Z] qui a décidé de rompre le contrat de collaboration le 15 février 2016 sans viser aucun manquement grave de sa collaboratrice dans sa lettre de rupture ;

Considérant de surcroît que Mme [P] a adressé un certificat médical attestant de sa grossesse à Mme [Z], par courrier électronique et par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 février 2016 à savoir dans les quinze jours de la notification de la rupture du contrat ;

Considérant que ce ne sont pas les dispositions relatives au droit du travail qui s'appliquent à la situation litigieuse, mais celles, spéciales, prévues à l'article 14 du RIN, lequel dispose que le contrat de collaboration libérale est définitif dès sa signature ; que la période d'essai permet de rompre le contrat en respectant un délai de prévenance de 8 jours et qu'à l'issue de cette période d'essai, la rupture du contrat est possible sans motif sous réserve d'un délai de prévenance de 3 à 6 mois en fonction de l'ancienneté de la collaboration ; qu'ainsi, le contrat de collaboration n'a pas à être validé par la période d'essai ; qu'il n'en résulte pour autant aucune atteinte au principe de la liberté contractuelle et ni à celui de la liberté d'entreprendre, protégés par l'article 1102 du code civil et l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

Considérant que les reproches de Mme [Z] à l'encontre de son ancienne collaboratrice à propos de manoeuvres qualifiées de dolosives, sa mauvaise foi sur son profil jugé inapproprié et ses carences dans la gestion des dossiers, ne sont ni fondés ni constitutifs de manquements graves ;

Considérant en effet que Mme [P] possède une formation et une expérience professionnelle en droit public au vu des pièces produites ; qu'elle a travaillé durant deux ans en tant que juriste au cabinet ADAMAS Affaires Publiques en traitant des dossiers de droit public et de droit de l'environnement, a effectué son stage à la 5ème sous -section du contentieux du Conseil d'Etat dans le cadre de son projet pédagogique individuel de l'EFB, a assuré des formations en droit public au sein du barreau (sur le recours pour excès de pouvoir, la pratique des marchés publics, la procédure dématérialisée Télérecours) ainsi qu'en partenariat avec [T], et enfin a représenté le barreau à la commission droit administratif de la conférence des bâtonniers d'Ile de France et le bâtonnier à l'occasion d'une réunion de travail organisée dans le cadre de la visite du vice-président du Conseil d'Etat à la cour administrative d'appel de Paris ;

Considérant que Mme [P] bénéficie également d'une expérience en droit social et en droit de la famille acquise en tant que stagiaire dans le cadre de la formation au CAPA puis en tant que collaboratrice au cabinet Berthier Chapelier et associés ;

Considérant que le grief d'absence de respect des horaires par Mme [P] reposant sur le témoignage insuffisant d'une stagiaire présente seulement un ou deux jours par semaine n'est pas établi et est contredit par l'envoi de mails en soirée, comme par la note de taxi en date du 2 février 2016 ; que le départ de Mme [P] le vendredi soir à 17h50 pour aller chercher son fils à la crèche apparaît avoir été prévu par les parties ; que les insuffisances professionnelles reprochées à Mme [P] dans la gestion des dossiers [F], TVL Voyages, [O], [X], [D], [Y], [U] ne sont pas davantage démontrées à la lecture de l'échange des mails entre les parties qui mettent en évidence l'urgence et la technicité des dossiers confiés à Mme [P] ;

Considérant en conséquence qu'il n'existe pas de manquements graves de la part de Mme [P] à ses règles professionnelles, rendant impossible, de manière immédiate, la poursuite du contrat de collaboration ; que, de surcroît, il convient de relever que les manquements graves ont été invoqués pour la première fois en appel par Mme [Z] ;

Considérant que Mme [P] n'a pas dissimulé lors de son embauche son état de grossesse, puisqu'elle ne pouvait pas encore le connaître compte tenu de son caractère très récent ; qu'elle n'a ainsi proféré aucun mensonge ;

Considérant dès lors qu'il convient de confirmer la décision du 5 août 2016 du bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris qui a prononcé la nullité de la rupture du contrat de collaboration pendant la période d'essai ;

Considérant que la loi du 27 mai 2008 relative à la lutte contre les discriminations s'applique aux personnes 'exerçant une activité professionnelle indépendante' dans son article 5 ; qu'en application de l'article 2 de la loi du 27 mai 2008, '3°, toute discrimination directe ou indirecte est interdite en raison de la grossesse ou de la maternité, y compris du congé maternité' ;

Considérant que l'article 4 de la loi du 27 mai 2008 organise un partage de la preuve en présence d'une présomption de discrimination ; que toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence ; qu'au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ;'

Considérant que la concomitance ou la proximité entre la rupture du contrat et l'annonce de la maternité laisse présumer l'existence d'une discrimination qui entraîne un renversement de la charge de la preuve imposant à la partie adverse de justifier que la mesure est fondée sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ;

Considérant qu'en l'espèce, la concomitance entre l'annonce de la grossesse le 9 février 2016 et la remise de la lettre de rupture du contrat de collaboration le 15 février 2016, laisse présumer la discrimination à l'encontre de Mme [P], même si celle-ci avait fait part à Mme [Z] lors de son embauche de son projet de grossesse ;

Considérant que Mme [Z] ne rapporte pas la preuve que la rupture du contrat est fondée sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination et que cette mesure avait été décidée avant l'annonce de la grossesse de sa collaboratrice alors même que la veille de la rupture de la période d'essai, elle publiait le profil de sa collaboratrice sur le site internet du cabinet ; qu'il y a lieu de relever que le délai de prévenance de 8 jours n'a pas été respecté, Mme [Z] ayant rompu le contrat de collaboration en moins de 48 heures ;

Considérant que la rétrocession d'honoraires doit être maintenue pendant le congé-maternité qui s'étend du 26 août au 15 décembre 2016 ; qu'il existe en outre une période de protection de deux mois à compter du retour de congé maternité soit jusqu'au 15 février 2017, puis un délai de prévenance de 3 mois jusqu'au 15 mai 2017 ; que l'augmentation prévue de la rétrocession à 4 000 euros doit être prise en compte ; qu'il y a lieu de déduire les indemnités journalières perçues du barreau de Paris et le chèque adressé par Mme [Z] ;

- du 01/02/2016 au 31/07/2016 : 3800 x 6 = 22800 euros ;

- du 01/08/2016 au 31/03/2017 : 4000 x 7 = 28 000 euros ;

- 17 premiers jours d'avril 2017 : 4000 / 30 x 17 = 2 266 euros ;

- à déduire les indemnités journalières perçues 3150 x 4 = 12 600 euros,

soit une somme totale de 40 466 euros ;

Considérant qu'un chèque d'un montant de 3 439 euros HT, a été adressé par courrier recommandé par Mme [Z] à Mme [P] qui l'a encaissé le 2 mars 2016 ;

Considérant que Mme [Z] n'ayant pas exécuté le contrat de collaboration de Mme [P], conformément aux dispositions contractuelles et réglementaires, devra lui verser la somme de 40 466 - 3 439 = 37 027 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi ;

Considérant que le caractère discriminatoire de la rupture justifie l'octroi de dommages et intérêts distincts, d'autant qu'il n'est pas démontré que la collaboratrice libérale ait bénéficié des indemnités de chômage et que la rupture du contrat à l'annonce de la grossesse lui a créé un préjudice d'anxiété ; que Mme [Z] devra à ce titre verser à Mme [P] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Considérant que sont de droit exécutoires à titre provisoire les décisions du bâtonnier qui ordonnent le paiement de sommes au titre des rémunérations dans la limite maximale de 9 mois de rétrocession d'honoraires ou de salaires calculés sur la moyenne des trois derniers mois ; qu'en l'espèce Mme [Z] et le mandataire judiciaire Me [N] n'ont versé aucune somme à Mme [P] après la rupture du contrat ;

Considérant eu égard toutefois aux difficultés financières de Mme [Z] ayant débouché sur une procédure collective, qu'il n'y a pas lieu à dommages et intérêts de ce chef en l'absence de démonstration d'une résistance abusive ;

Considérant que Mme [Z] devra verser à Mme [P] la somme de 3 000 euros pour compenser les frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens ; qu'elle devra en outre supporter les dépens de première instance et d'appel, avec possibilité de recouvrement direct au profit de Me Eléonore Bocquillon, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

 

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Confirme la décision du bâtonnier du 5 août 2016 en ce qu'elle a annulé la rupture du contrat de collaboration et l'infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau, condamne Mme [Z] à régler à Mme [P] la somme de 37 027 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier résultant de la nullité de la rupture ;

Juge que cette rupture présente un caractère discriminatoire et condamne Mme [Z] à payer à Mme [P] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Déboute Mme [P] de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la résistance abusive à régler les condamnations revêtues de l'exécution provisoire ;

Déboute Mme [Z] et Me [N], ès qualités de mandataire judiciaire de son redressement judiciaire, de leurs demandes ;

Condamne Mme [Z] à payer à Mme [P] la somme de 3 000 euros pour compenser les frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens ; la condamne à supporter les dépens de première instance et d'appel, avec possibilité de recouvrement direct au profit de Me Eléonore Bocquillon, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER,LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 16/18088
Date de la décision : 04/12/2018

Références :

Cour d'appel de Paris C1, arrêt n°16/18088 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-12-04;16.18088 ?
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