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29/11/2018 | FRANCE | N°18/07429

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 29 novembre 2018, 18/07429


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE


délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS





Pôle 1 - Chambre 2





ARRET DU 29 NOVEMBRE 2018





(n°603, 11 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/07429 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5PDX





Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 09 Février 2018 -Président du TGI de PARIS - RG n° 17/57789





APPELANTE





SCI

HERLYTTE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés [...]


N° SIRET : [...]





Représentée par Me Jean-Paul X... de l'AARPI Y... AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C0794


Assistée par Me ...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRET DU 29 NOVEMBRE 2018

(n°603, 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/07429 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5PDX

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 09 Février 2018 -Président du TGI de PARIS - RG n° 17/57789

APPELANTE

SCI HERLYTTE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés [...]

N° SIRET : [...]

Représentée par Me Jean-Paul X... de l'AARPI Y... AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C0794

Assistée par Me Sarah Z... substituant Me Jean-Paul X... de l'AARPI Y... AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C0794

INTIMEE

La VILLE DE PARIS prise en la personne de Madame la Maire de Paris , Madame Anne A...

[...]

Représentée et assistée par Me Bruno B...de la selas B... ET ASSOCIE, avocat au barreau de PARIS, toque : R079

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 25 Octobre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de:

M. Bernard CHEVALIER, Président

Mme Véronique DELLELIS, Présidente

Mme Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par M.Bernard CHEVALIER, Président, dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : M. Aymeric PINTIAU

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Bernard CHEVALIER, Président et par Aymeric PINTIAU, Greffier.

EXPOSÉ DU LITIGE

La SCI Herlytte est propriétaire d'un logement meublé situé [...] au premier étage, constituant le lot n° 3 de la copropriété.

Par acte du 15 septembre 2017, la ville de Paris, reprochant à la SCI Herlytte d'avoir donné ce bien en location pour de courtes durées en infraction avec la loi, l'a faite assigner devant le président du tribunal de grande instance de Paris statuant en la forme des référés auquel elle a demandé de :

- constater l'infraction commise par la SCI Herlytte et la condamner en conséquence à payer une amende civile de 50 000 euros ;

- ordonner le retour à l'habitation des locaux transformés sans autorisation sis [...] sous astreinte de 240 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir tout en se réservant la liquidation de ladite astreinte ;

- condamner la SCI Herlytte au paiement d'une somme de 1500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance rendue le9 février 2018, la juridiction saisie :

- a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la SCI Herlytte ;

- a déclaré la ville de Paris recevable à agir ;

- a condamné la SCI Herlytte à payer à la ville de Paris une amende civile de 25 000 euros;

- a ordonné le retour à l'habitation des locaux transformés sans autorisation situés au [...] , lot n° 3 de la copropriété, sous astreinte provisoire de 200 euros par jour de retard pour une durée de 60 jours, à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance ;

- s'est réservée la liquidation de cette astreinte ;

- a condamné la SCI Herlytte à payer à la ville de Paris la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 code de procédure civile ;

- a rejeté le surplus des demandes ;

- a condamné la SCI Herlytte aux dépens.

Par déclaration en date du 9 avril 2018, la SCI Herlytte a fait appel de toutes les dispositions de cette ordonnance.

Au terme de ses conclusions communiquées par voie électronique le 16 octobre 2018, elle a demandé à la cour, sur le fondement des articles 9, 10,11, 31, 32 et 122 du code de procédure civile, L 2122-21 8°, L 2132-1 et L 2132-2 -7 du code général des collectivités territoriales, L 631-7, L 631-7-1, L 631-7-1-A, L 651-2 et L 632-1 du code de la construction et de l'habitation, de la décision n° 2014-691 du Conseil Constitutionnel du 20 mars 2014, des articles L324-2 et suivants et D 324-1 et suivants du code du tourisme, de l'article 1-1 de la loi Hoguet, de l'article 121-1 et 112-2 du code pénal, de :

- infirmer la décision dont appel en toutes ses dispositions ;

statuant de nouveau,

in limine litis :

- dire la ville de Paris irrecevable en ses demandes pour défaut de droit d'agir ;

- débouter la ville de Paris de l'intégralité de ses réclamations ;

sur le fond :

à titre principal :

- dire que la ville de Paris n'établit pas l'usage du local meublé propriété de la société Herlytte;

- juger que la ville de Paris n'établit pas son changement d'usage par la répétition de locations de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile ;

- juger, en conséquence, que la ville de Paris succombe dans la démonstration d'un changement d'usage prohibé ;

- débouter la ville de Paris de l'intégralité de ses réclamations ;

à titre subsidiaire :

- ramener l'amende à de plus juste proportions ;

en tout état de cause :

- débouter la ville de Paris de sa demande d'augmentation de l'amende à la somme de 50000 euros ;

- débouter la ville de Paris de sa demande de retour à l'habitation sous astreinte ;

à titre reconventionnel :

- condamner la ville de Paris à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la ville de Paris aux dépens avec application de l'article 699 du même code au profit de Maître X....

La ville de Paris, par conclusions transmises par voie électronique le 17 octobre 2018, a demandé à la cour, sur le fondement des articles 2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 modifiée par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 et L.631-7 et L.651-2 du code de la construction et de l'habitation, de :

- débouter la SCI Herlytte de l'ensemble de ses moyens, fins et conclusions;

- confirmer l'ordonnance entreprise sauf en ce qui concerne le montant de l'amende civile et, statuant à nouveau sur ce chef, la porter à la somme de 50 000 euros ;

- condamner la SCI Herlytte au paiement de la somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles en appel ainsi qu'aux dépens et, pour ces derniers, faire application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Maître B....

Mme le Procureur général a été régulièrement avisée de l'affaire.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour la connaissance des moyens et des arguments exposés au soutien de leurs réclamations, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE LA COUR

Le législateur a pris des dispositions destinées à lutter contre la pénurie de locaux offerts à la location dans des zones géographiques dans lesquelles il existe une grande disparité entre l'offre et la demande.

Ainsi, en vertu de l'article L 631-7 du code de la construction et de l'habitation, le changement d'usage d'un local destiné à l'habitation dans les communes de plus de 200 000 habitants est soumis à autorisation préalable.

Selon ce texte, constituent des locaux à usage destiné à l'habitation toutes catégories de logements et leurs annexes, y compris les logements-foyers, logements de gardien, chambres de service, logements de fonction, logements inclus dans un bail commercial, locaux meublés donnés en location dans les conditions de l'article L. 632-1. Pour l'application de cette disposition, un local est réputé à usage d'habitation s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970. Cette affectation peut être établie par tout mode de preuve.

La loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 a ajouté à cet article un alinéa aux termes duquel le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile constitue un changement d'usage au sens du présent article.

L'article L 651-2 du code de la construction et de l'habitation, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, était rédigé comme suit :

"Toute personne qui enfreint les dispositions de l'article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article est condamnée à une amende de 25 000 euros.

Cette amende est prononcée à la requête du ministère public par le président du tribunal de grande instance du lieu de l'immeuble, statuant en référé ; le produit en est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé l'immeuble.

Le président du tribunal ordonne le retour à l'habitation des locaux transformés sans autorisation dans un délai qu'il fixe. A l'expiration de celui-ci, il prononce une astreinte d'un montant maximal de 1 000 euros par jour et par mètre carré utile des locaux irrégulièrement transformés. Le produit en est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé l'immeuble.

Passé ce délai, l'administration peut procéder d'office, aux frais du contrevenant, à l'expulsion des occupants et à l'exécution des travaux nécessaires."

En vertu de l'article 59 de la loi n° 2016-1547 entrée en vigueur le 20 novembre 2016, l'article L 651-2 du code de la construction et de l'habitation a été modifié comme suit :

"Toute personne qui enfreint les dispositions de l'article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article est condamnée à une amende civile dont le montant ne peut excéder 50 000 euros par local irrégulièrement transformé.

Cette amende est prononcée par le président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés, sur requête du maire de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé ou de l'Agence nationale de l'habitat et sur conclusions du procureur de la République, partie jointe avisée de la procédure. Le produit de l'amende est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé ce local. Le tribunal de grande instance compétent est celui dans le ressort duquel est situé le local.

Sur requête du maire de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé ou de l'Agence nationale de l'habitat, le président du tribunal ordonne le retour à l'usage d'habitation du local transformé sans autorisation, dans un délai qu'il fixe. A l'expiration de celui-ci, il prononce une astreinte d'un montant maximal de 1 000 euros par jour et par mètre carré utile du local irrégulièrement transformé. Le produit en est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé."

Le code de la construction et de l'habitation prévoit l'habilitation d'agents municipaux pour constater les infractions précitées.

L'article L 651-6 de ce code est rédigé ainsi :

"Les agents assermentés du service municipal du logement sont nommés par le maire. Ils prêtent serment devant le juge du tribunal d'instance de leur résidence et sont astreints aux règles concernant le secret professionnel.

Leur nombre est fixé à 1 par 30 000 habitants ou fraction de ce chiffre. Ce nombre peut être augmenté par décision ministérielle.

Ils sont habilités à visiter les locaux à usage d'habitation situés dans le territoire relevant du service municipal du logement.

Ils doivent être munis d'un ordre de mission personnel ainsi que d'une carte d'identité revêtue de leur photographie.

La visite des locaux ne peut avoir lieu que de huit heures à dix-neuf heures ; l'occupant ou le gardien du local est tenu de laisser visiter sur présentation de l'ordre de mission ; la visite s'effectue en sa présence.

En cas de carence de la part de l'occupant ou du gardien du local, l'agent assermenté du service municipal du logement peut, au besoin, se faire ouvrir les portes et visiter les lieux en présence du maire ou du commissaire de police. Les portes doivent être refermées dans les mêmes conditions."

L'article L 651-7 dudit code énonce :

"Les agents assermentés du service municipal du logement constatent les conditions dans lesquelles sont effectivement occupés les locaux qu'ils visitent. Ils sont habilités à recevoir toute déclaration et à se faire présenter par les propriétaires, locataires ou autres occupants des lieux toute pièce ou document établissant ces conditions. Sans pouvoir opposer le secret professionnel, les administrations publiques compétentes et leurs agents sont tenus de communiquer aux agents du service municipal du logement tous renseignements nécessaires à l'accomplissement de leur mission de recherche et de contrôle.

Quiconque fait volontairement obstacle, en violation des prescriptions ci-dessus, à la mission des agents du service municipal du logement est passible de l'amende civile prévue à l'article L. 651-4."

Sur la recevabilité de l'action de la ville de Paris

La SCI Herlytte soutient que la ville de Paris est irrecevable à agir au motif que l'article L 651-2 du code de la construction et de l'habitation dans sa rédaction postérieure au 20 novembre 2016 attribue la compétence pour agir au maire de la commune. Elle souligne que le maire succède au ministère public et qu'il n'est pas le représentant naturel de la commune en justice, celle-ci étant représentée par le conseil municipal.

Ce moyen n'est pas fondé, cela pour les motifs suivants.

L'article L 651-2 du code de la construction et de l'habitation tel que modifié par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 doit être lu au regard de l'article L 2122-21, 8° du code général des collectivités territoriales, selon lequel le maire est chargé de représenter la commune en justice et des dispositions de l'article L 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation. En vertu de ces dernières, l'autorisation de changement d'usage visée à l'article L 631-7, à compter du 1er janvier 2009, relève aussi de la compétence du maire de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé et il revient au conseil municipal, ou à l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale si ce dernier dispose de la compétence «plan local d'urbanisme», de fixer les conditions dans lesquelles l'autorisation est délivrée ainsi que les compensations exigées au regard des objectifs de mixité sociale.

Il s'ensuit que le pouvoir conféré par l'article L 651-2, deuxième alinéa, du code de la construction et de l'habitation au maire de la commune dans lequel l'immeuble transformé irrégulièrement est situé vise à lui permettre d'assurer le respect des conditions déterminées par le conseil municipal ou l'établissement public de coopération intercommunal dans lesquelles le changement d'usage de locaux destinés à l'habitation est autorisé.

Il s'en déduit que, dans l'exercice de ce pouvoir, le maire agit au nom de la commune.

Il a été jugé, en outre, que les dispositions de la loi n° 2016-1547, en ce qu'elles énoncent que l'amende prévue à l'article L 651-2 du code de la construction et de l'habitation est prononcée par le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés sur requête du maire de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé ou de l'Agence nationale de l'habitat et sur conclusions du procureur de la République, partie jointe avisée de la procédure, constituent des règles de procédure applicables immédiatement aux situations en cours, de sorte que la ville de Paris est recevable à agir au titre de faits antérieurs au 20 novembre 2016, date d'entrée en vigueur de cette loi.

L'ordonnance attaquée sera ainsi confirmée en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la SCI Herlytte et déclaré la ville de Paris recevable à agir.

Sur l'affectation du bien en cause à l'usage d'habitation au 1er janvier 1970

Conformément à l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à la ville de Paris de faire la preuve de l'affectation du bien concerné à l'usage d'habitation à la date du 1er janvier 1970.

Dans l'affaire en examen, la ville satisfait à cette exigence par la production aux débats de la déclaration modèle H2 afférente au bien en cause ainsi que du relevé de propriété de la SCI Herlytte relatif à celui-ci.

La SCI Herlytte conteste que ces documents établissent l'usage de ce bien au 1er janvier 1970 au motif que la déclaration remplie sur le formulaire H2 l'a été en 1978 et, par conséquent, que son auteur n'a pu attester de l'usage qui était fait du bien au 1er janvier 1970 alors qu'il n'en était pas le propriétaire ni l'occupant à cette date.

Elle expose également que le passage d'un usage de fait autre que l'habitation à un usage d'habitation ne nécessitait pas de dépôt de permis de construire ou de déclaration de travaux.

Il s'ensuit, selon l'appelante, que la ville de Paris ne saurait, sans renverser la charge de la preuve, lui demander de prouver l'usage de fait du bien en 1970 ou un changement d'usage vers un usage d'habitation entre 1970 et 1978 alors qu'un tel changement ne devait pas être matérialisé par une autorisation.

Cette argumentation n'est pas fondée.

Ainsi que l'appelante l'indique elle-même, les propriétaires de biens immobiliers bâtis, en application de la loi n° 68-108 du 2 février 1968, ont dû remplir une déclaration destinée à permettre la révision des évaluations devant servir de base à l'établissement d'impôts directs locaux en fonction de la situation du marché locatif au 1er janvier 1970.

La déclaration établie selon le modèle H2 fournie par l'administration fiscale correspond ainsi aux appartements et aux dépendances situés dans un immeuble collectif. Les propriétaires, comme l'examen de la déclaration produite par la ville de Paris le démontre, devaient préciser l'état d'occupation du local et indiquer le montant du loyer au 1er janvier 1970 pour les locations autres que commerciales ou en meublé.

L'examen de la déclaration produite aux débats par la ville de Paris montre qu'elle a été remplie par M. et Mme C..., acquéreurs de ce bien et que ces derniers ont indiqué qu'il était occupé par une personne tierce et loué en meublé.

Il en ressort également, et ce point n'est pas contesté, que cette déclaration porte sur le local en cause dans ce litige, situé [...] au 1er étage.

Le fait que ladite déclaration a été remplie en juin 1978 ne saurait justifier de la priver de sa valeur probante de l'usage de ce bien au 1er janvier 1970 alors que, comme la ville de Paris l'expose, elle a pour objet de décrire l'usage dudit bien à cette date.

Les réponses manuscrites de ses propriétaires, selon lesquelles ce bien est occupé par une tierce personne dont le nom est cité et qu'il est loué en meublé, établissent à suffisance de droit que le bien litigieux était affecté à usage d'habitation au 1er janvier 1970.

En outre, le relevé cadastral de propriété de la SCI Herlytte relatif à ce local, dans laquelle figure la lettre H pour habitation dans la case Af pour affectation, indique que ce local n'a pas fait l'objet de travaux ayant eu pour conséquence d'en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 et, ainsi, d'avoir changé l'usage qu'il avait à cette date.

Au vu de ces considérations, il sera retenu que la ville de Paris a démontré que le local litigieux était à usage d'habitation au 1er janvier 1970 au sens de l'article L 631-7 du code de la construction et de l'habitation.

Sur le changement d'usage de ce bien

Il incombe à la ville de Paris de démontrer que le logement meublé de la SCI Herlytte sis [...] au premier étage, constituant le lot n°3 de la copropriété, a été loué de manière répétée, pour de courtes durées, à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile.

La ville de Paris a rapporté cette preuve par la production aux débats du constat d'infraction établi par Mme D..., agent assermenté du service municipal du logement de la ville de Paris en date du 11 janvier 2017.

Il ressort, en effet, de ce constat que le bien de la SCI Herlytt a été proposé à la location sur les sites internet suivants :

- https://www.only-apartments.com

- https://www.nyhabitat.com

- https:www.myparisagency.com

- https://wwwall-paris-apartments.com

- https://gowithoh.fr

- https://booking.com

- https://www.airbnb.fr

- https://www.parissweethome.com,

que, lors de sa visite de l'appartement litigieux le 16 novembre 2016, l'agent assermenté a constaté que les photographies mises en lignes sur ces sites et la description du bien proposé étaient bien celles de l'appartement de la SCI Herlytte situé [...] , 1er étage, correspondant au lot n° 3, et qu'il a donné lieu à 23 commentaires entre le 23 mars 2013 et le 22 octobre 2016 sur le site https://www.only-apartments.com ainsi qu'à 13 commentaires entre le 23 octobre 2015 et le 23 mai 2016 sur le site https://booking.com.

Ces éléments établissent à suffisance de droit que la SCI Herlytte a fait du bien en cause un usage prohibé par les articles L 631-7 et L 651-2 du code de la construction et de l'habitation, consistant en sa location de manière répétée, pour de courtes durées, à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile.

La ville de Paris justifie également que les faits se sont poursuivis postérieurement au 20 novembre 2016, date de l'entrée en vigueur de la loi 2016-1547, puisqu'il a été constaté par l'agent assermenté qu'il était encore possible de faire une réservation de l'appartement en cause sur le site https://www.only-apartments.com le 7 décembre 2016 pour la période du 31 janvier au 6 février 2017.

La SCI Herlytte conteste avoir enfreint les articles L 631-7 et suivants du code de la construction et de l'habitation pour les motifs suivants.

Elle soutient, en premier lieu, qu'elle a loué le logement en cause à des étudiants et, notamment, à M. E... du 7 octobre 2016 au 10 mai 2017.

Cependant, force est de constater que la SCI Herlytte ne produit aucun justificatif au soutien de cette affirmation pour la période antérieure au 7 octobre 2016, de sorte que cette simple affirmation ne saurait mettre en cause les conclusions du rapport d'enquête de la ville de Paris pour la période antérieure à cette date.

Ensuite, les pièces produites par l'appelante afin de faire la preuve du contrat qu'elle aurait conclu avec M. E... à compter du 7 octobre 2016 ne permettent pas d'en connaître la durée, tant il est vrai que la convention qu'elle a remise à la ville de Paris mentionne qu'elle porte sur la période 'du 7 octobre 2016 au 10 mai 2016" (sic) et qu'elle ne démontre pas avoir reçu le versement de loyers de M. E..., directement ou par l'intermédiaire de l'agence Lodgis, après le mois d'octobre 2016.

L'affirmation de l'appelante, selon laquelle le bien aurait été loué à M. E... jusqu'au 10 mai 2017, est, en outre, contredite par le fait que l'agent assermenté a pu réserver le bien en cause au mois de décembre 2016 pour la période du 31 janvier au 6 février 2017 et a constaté, lors de sa visite des lieux le 16 novembre 2016, que le nom de ce prétendu locataire ne figurait sur aucune boîte aux lettres de l'immeuble.

En l'état des baux produits par la SCI Herlytte, celle-ci justifie qu'elle a donné à bail le logement litigieux en location à Mme F... pour une durée d'un an à compter du 1er novembre 2017, que cette dernière a donné congé pour le 15 janvier 2018, qu'elle a conclu un nouveau bail d'un an avec Mme G... en date du 14 janvier 2018 à effet du même jour, que celle-ci a donné congé pour le 5 juillet 2018 et qu'un nouveau contrat d'une durée de neuf mois non renouvelable a été conclu avec Mme H... et Mme I... à compter du 1er août 2018.

La SCI Herlytte n'a donc pas démontré avoir loué l'appartement litigieux à des étudiants avant le 1er novembre 2017, en dehors du mois d'octobre 2016 à M. E....

La SCI Herlytte conteste en deuxième lieu la valeur probante du constat d'infraction produit par la ville de Paris au motif, tout d'abord, que la fiche de synthèse communiquée par celle-ci en pièce n° 3 indique que l'enquête a débuté le 14 octobre 2016, lors d'une visite dans l'immeuble, alors que des copies de captures d'écran jointes au constat d'infraction sont pour quelques-unes d'entre elles antérieures à cette date.

La cour relèvera cependant que cette note de synthèse, qui n'est pas signée et dont l'auteur n'est pas cité, ne saurait mettre en cause les constatations exposées par l'agent assermenté dans son rapport du 11 janvier 2017 ni que cet agent est bien l'auteur des captures d'écran jointes à celui-ci.

La SCI Herlytte fait valoir, ensuite, que l'enquête n'a pas permis de constater des locations saisonnières effectives, les visites des 14 octobre et 16 novembre 2016 n'ayant pas révélé la présence de touristes de passage dans les lieux et qu'une simple offre à la location ne suffit pas à constituer l'infraction. Elle soutient, à cet égard, que les commentaires d'internautes ne sont pas probants, ceux-ci pouvant être le fait des sites de location eux-mêmes afin de rendre le bien attractif. Elle souligne aussi que plusieurs de ces commentaires sont en langue étrangère et non traduits. Elle expose, par ailleurs, que les captures d'écran jointes au constat ont été effectuées sans respecter les diligences techniques destinées à en garantir la sincérité alors que ces exigences s'imposent aux huissiers de justice. Elle indique, enfin, que la société All Apartments, qui gère les sites All Paris Apartments, Only Apartments et Gowithoh ainsi que les sociétés NY Habitat et Agence de Paris ont confirmé l'absence de toute location par leur intermédiaire.

Mais la cour retiendra les éléments suivants.

Le législateur, aux articles L 651-6 et L 651-7 du code de la construction et de l'habitation, a conféré aux agents assermentés du service municipal du logement de la commune dans laquelle le logement loué en infraction est situé le pouvoir de constater les infractions aux dispositions de l'article L 631-7 du même code et aucun texte de loi ne régit les constats sur internet. En outre, les captures d'écran effectuées par ces agents assermentés et joints en annexe à leur rapport sont soumises à un débat contradictoire devant le juge chargé du litige et elles sont susceptibles d'être combattues par la partie à laquelle elles sont opposées.

Il s'ensuit que les captures d'écran effectuées par l'agent assermenté de la ville de Paris sans l'accomplissement des diligences pouvant être exigées d'un huissier de justice ne sauraient être dépourvues de force probante.

Ensuite, la SCI Herlytte ne conteste pas que les photographies accessibles sur les sites internet et la description du bien figurant sur les captures d'écran jointes au constat d'infraction du 11 janvier 2017 sont bien celles de son logement sis [...] . Elle n'explique pas comment ces éléments sont entrés en possession des sites énumérés par l'agent assermenté. Elle a indiqué dans l'attestation sur l'honneur qu'elle a établie en date du 16 novembre 2016 qu'elle avait proposé le bien en cause à la location sur 'le Bon coin' mais elle n'en rapporte pas la preuve et l'agent assermenté n'a trouvé aucune annonce sur ce site.

Il s'en déduit que la SCI Herlytte a bien proposé le bien en cause à la location par l'intermédiaire de sites dont l'objet est la mise à disposition de meublés à une clientèle de passage pour de courtes durées.

En ce qui concerne les commentaires des internautes, le fait que plusieurs d'entre eux sont rédigés en langue étrangère ne saurait non plus les priver de valeur probante dès lors que l'ordonnance de Villers Cotterêts d'août 1539 ne vise que les actes de procédure et qu'il appartient au juge d'accepter ou non les autres documents lorsqu'ils ne sont pas traduits.

Compte tenu de leur brièveté et de leur contenu, qui se limite à une appréciation très brève de leur séjour dans le logement litigieux ou à un exposé très concis des avantages ou, le cas échéant, des inconvénients de celui-ci, ces commentaires doivent être admis aux débats.

Ces commentaires sont ainsi au nombre de 23 sur le site 'only apartments', du 23 mars 2013 au 27 octobre 2016 et de 15 sur le site booking.com mis en ligne entre le 23 octobre 2015 et le 23 mai 2016.

Quant à l'affirmation de la SCI Herlytte, selon laquelle la société All Apartments, qui gère les sites All Paris Apartments, only apartments et Gowithoh ainsi que les sociétés NY Habitat et Agence de Paris ont confirmé l'absence de toute location par leur intermédiaire, force est de constater qu'elle ne met pas en cause l'authenticité des commentaires relevés sur le site booking.com. Et aucun des messages électroniques qu'elle produit à son dossier n'émane ou ne vise le site 'only aparments'.

Il s'ensuit que, au vu de leur nombre et de la période sur laquelle ils ont été mis en ligne, les messages joints en copie par l'agent assermenté à son constat d'infraction du 11 janvier 2017 doivent être tenus pour faire la preuve de la location répétée du bien en cause pour de courtes durées, à une clientèle de passage qui n'y a pas élu domicile.

Quant à la prolongation de l'infraction à compter du 20 novembre 2016, elle ne saurait être contestée aux motifs qu'aucune location effective n'a été constatée après cette date et qu'une offre de location n'équivaut pas à une location.

En effet, la continuité de l'offre du bien à des locations en infraction avec la législation démontre la persistance du changement de destination non autorisée caractérisée par les locations illicites antérieures.

Il en résulte que le montant maximal de l'amende encourue par la SCI Herlytte est celui prévu par la loi du 18 novembre 2016, soit 50 000 euros.

Cette amende doit être fixée en fonction de l'objectif d'intérêt général poursuivi par la législation dont elle vise à garantir le respect dans une ville comme Paris où il existe une grande disparité entre l'offre et la demande de logements à la location, des revenus procurés par les locations illicites et la bonne foi dont l'intéressé a fait preuve.

Dans l'affaire examinée, il ressort des pièces produites et des débats que la SCI Herlytte, ainsi qu'il a été vu ci-dessus, a régularisé l'usage du logement en cause à compter du 1er novembre 2017.

Il doit cependant être tenu compte aussi du fait que cette régularisation est intervenue postérieurement à son assignation devant le premier juge et que la SCI Herlytte ne justifie pas ni même n'indique avoir déclaré les revenus générés par les locations illicites ni n'a cité leur montant dans le cadre de cette instance.

La SCI Herlytte a fait également valoir que, avant la loi ALUR du 24 mars 2014, la location d' un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage ne constituait pas un changement de destination prohibée.

Mais cet argument ne saurait ni mettre en cause les conclusions qui précèdent relativement à la constitution de l'infraction ni attester de la bonne foi de la SCI Herlytte, tant il est vrai que, d'une part, l'alinéa ajouté à l'article l'article L 631-7 du code de la construction et de l'habitation par l'article 16 de cette loi n'a fait qu'apporter une précision à un dispositif existant et, d'autre part, la SCI Herlytte a poursuivi les locations prohibées postérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi, le 27 mars 2014.

Au vu de l'ensemble de ces considérations, le montant de l'amende a été fixé justement par le premier juge à la somme de 25 000 euros et l'ordonnance attaquée sera confirmée de ce chef.

En revanche, au vu des baux conclus par la SCI Herlytte à compter du 1er novembre 2017, il sera dit qu'il n'y a plus lieu d'ordonner le retour à l'habitation du logement concerné.

Le premier juge a fait une application équitable de l'article 700 du code de procédure civile et fondée de l'article 696 du même code, de sorte que l'ordonnance attaquée doit aussi être confirmée de ces chefs.

En cause d'appel, la SCI Herlytte, dont le recours est rejeté pour l'essentiel, devra supporter les dépens, conformément à l'article 696 du code de procédure civile. En vertu de l'article 699 du même code, Maître B... pourra recouvrer directement les frais dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision.

L'équité commande de décharger la ville de Paris des frais non compris dans les dépens qu'elle a dû engager dans le cadre du présent litige et de lui allouer ainsi, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 1 000 euros.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance rendue le 9 février 2018 sauf à dire que, vu l'évolution du litige, il n'y a plus lieu d'ordonner le retour à l'habitation de l'appartement sis [...] ;

Ajoutant à celle-ci,

Condamne la SCI Herlytte aux dépens d'appel et à payer à la ville de Paris la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que Maître B... pourra recouvrer directement les frais dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 18/07429
Date de la décision : 29/11/2018

Références :

Cour d'appel de Paris A2, arrêt n°18/07429 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-11-29;18.07429 ?
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