RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRÊT DU 28 Novembre 2018
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/07383 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3MEA
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Mars 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F16/05344
APPELANTE
Madame [U] [A] épouse [Y]
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Me Guillaume JEANNOUTOT, avocat au barreau de PARIS, toque : C0578
INTIMEE
SAS JANCARTHIER prise en la personne de son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 2]
N° SIRET : 632 03 2 5 044
représentée par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056
substituée par Me Andreea ACHIM, avocat au barreau de PARIS, toque : E0012
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 octobre 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Françoise AYMES-BELLADINA, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Véronique PAMS-TATU, Président de Chambre
Françoise AYMES-BELLADINA, Conseillère
Madame Florence OLLIVIER, vice président placé faisant fonction de conseiller par ordonnance du Premier Président en date du 05 juillet 2018
Greffier : Madame Sylvie FARHI, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Véronique PAMS-TATU, Président de Chambre et par Madame Sylvie FARHI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu les conclusions de Madame [U] [A] épouse [Y] et celles de la société SAS JANCARTHIER développées à l'audience du 3 octobre 2018.
EXPOSE DU LITIGE
Madame [Y] a été engagée à temps partiel le 15 février 2006 par la société TRAVELIA, agence de voyages pour exercer les fonctions d'opérateur de voyages, agent de vente et de réservation à son domicile auprès de son réseau de relations et de clients qu'elle a constitué.
La société TRAVELIA a été rachetée en 2006 par la société JANCARTHIER exerçant la même activité et ayant repris tous les contrats de travail. La relation contractuelle est régie par la convention collective des agences de voyage et de tourisme.
Elle percevait un fixe de 96,70 euros pour 10 heures de travail par mois plus des commissions avec un objectif minimal de marge brute hors taxe de 803,10 euros par trimestre.
En novembre 2015 une divergence est intervenue entre les parties sur la modification de calcul de commissions et de poursuite de l'activité ; en avril 2016, une rupture conventionnelle a été envisagée.
Le 13 mai 2016, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Paris d'une demande de résiliation judiciaire pour divers manquements de l'employeur sur la durée du travail demandant la requalification de de son contrat de travail à temps plein et sur la modification de la rémunération variable.
Le 17 juin 2016, Madame [Y] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 29 juin 2016, et elle a été licenciée le 21 juillet 2016 pour insuffisance de résultat et abandon de toute activité depuis cinq mois.
Par jugement rendu le 13 mars 2017, Madame [Y] a été déboutée de ses demandes et la société JANCARTHIER de sa demande reconventionnelle et Madame [Y] a été condamnée au paiement des dépens.
Madame [Y] a régulièrement interjeté appel le 22 mai 3017 et demande à la cour de :
Infirmer le jugement,
Requalifier le contrat de travail en contrat à temps plein,
Fixer la moyenne du salaire mensuel de référence à la somme de 1.613,31 euros,
Dire que la société a commis des manquements graves rendant impossible la poursuite du contrat de travail justifiant la résiliation judiciaire de celui-ci aux torts de l'employeur,
Subsidiairement, dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
Condamner la société JANCARTHIER à lui payer les sommes de :
- 44.393,56 euros à titre de rappel de salaire à temps plein,
- 3.397,60 euros à titre de prime d'ancienneté,
- 4.779,12 euros à titre de congés payés afférents,
- 3.037,07 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail,
- 9.679,86 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
- 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Ordonner la remise d'un certificat de travail, d'une attestation Pôle emploi et de bulletins de paie conformes sous astreinte de 100 euros par jour et par document dans les 8 jours de l'arrêt et dire que la cour se réservera la liquidation de l'astreinte,
Condamner la société JANCARTHIER à la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société JANCARTHIER demande à la cour à titre principal :
De confirmer le jugement et de constater que Madame [Y] a cessé toute fonction à compter du mois de février 2016 et que le licenciement est justifié, et que la salariée dévie volontairement le débat en procédant à l'application de principes incompatibles avec la réalité de ses fonctions et de la débouter,
À titre subsidiaire,
De constater que la prescription de trois ans est applicable et que Madame [Y] ne peut demander le paiement de rappel de salaire sur les années 2011 et 2012,
En tout état de cause,
De condamner Madame [Y] à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens avec distraction au profit de Me HARDOUIN, avocat conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
SUR CE,
Sur la requalification du contrat de travail en un contrat de travail à temps plein
Durant plus de dix ans et dès son embauche par la société TRAVELIA jusqu'à la rupture, Madame [Y], dont la qualité de salariée n'est pas contestée, travaillait en télétravail pour un horaire de 10 heures par mois correspondant à un fixe et des commissions avec un objectif minimal de marge brute hors taxe de 803,10 euros par trimestre.
Madame [Y] prétend que ce contrat a violé les règles d'ordre public régissant le contrat de travail à temps partiel pour absence de mention de la durée et de la réparation selon les jours et les semaines du mois et pour avoir exécuté des heures complémentaires portant la durée du travail au niveau de la durée légale depuis mars 2007.
Le code du travail pose la définition suivante du télétravail : « toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon régulière et volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication dans le cadre d'un contrat de travail ou d'un avenant à celui-ci ».
Le contrat de travail initial à temps partiel avait prévu ce mode de relation contractuelle sans qu'aucune des parties ne remette en cause la situation contractuellement fixée jusqu'en novembre 2015. Si la durée du travail est fixée, la répartition de celle-ci ne l'est pas, la salariée devant organiser son temps de travail en toute indépendance selon l'article 6 du contrat de travail, l'employeur pouvant vérifier la réalité de son activité uniquement avec le minimum fixé trimestriellement pour les commissions, minimum qui tenait compte des heures de prospection nécessaires pour générer ce montant selon l'annexe au contrat de travail TRAVELIA.
Sont produits des avenants au contrat de travail à compter d'août 2013 qui ont régulièrement modifié la durée du travail mensuelle, mais uniquement pour le mois cité par l'avenant et sans que cette durée soit identique, et ce à la demande de la salariée, l'avenant précisant aussi en son article 2 que Madame [Y] s'opposait à la réévaluation de la durée du travail prévue dans le contrat initial.
La cour relève que la modification des horaires est intervenue à l'initiative de la salariée qui a signé tous les avenants ; en effet le nombre d'heures a été arrêté à sa convenance personnelle, l'employeur s'en remettant à la répartition proposée par elle ce qui constituait un accord ; celle-ci ne peut donc plus le contester, d'autant qu'elle ne justifie pas être restée à la disposition de l'employeur.
En conséquence, la demande de requalification à temps plein de Madame [Y] sera rejetée. Elle sera déboutée de ses demandes en rappel de salaire à temps complet, de prime d'ancienneté et de congés payés et au titre de l'indemnité pour travail dissimulé, la prescription de l'action sur le rappel de salaires soulevée à titre infiniment subsidiaire par l'employeur étant dès lors sans objet.
Sur la résiliation judiciaire
Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat de travail est justifiée et notamment si les manquements de l'employeur sont suffisamment graves pour que la résiliation judiciaire du contrat de travail soit prononcée à ses torts, et la charge de la preuve de ces manquements pèse sur le salarié ; si la résiliation judiciaire est prononcée, elle prend effet à la date de la décision judiciaire la prononçant sauf si la rupture du contrat de travail est intervenue entre temps pour autre cause, auquel cas, elle prend effet à la date de la rupture effective ; dans le cas où la résiliation judicaire n'est pas retenue par le juge, il doit alors se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.
En novembre 2015, l'employeur a voulu modifier le montant de l'objectif à compter du 1er janvier 2016 pour le porter à 2.700 euros, indiquant qu'en cas de refus de cette réactualisation, il serait dans la nécessité d'envisager un licenciement ; Madame [Y] n'a pas voulu signer l'avenant ; elle a informé l'employeur de son incompréhension et souhaité la modification de la durée du travail pour la passer à 24 heures par semaine au lieu de 10 heures par mois, soutenant que ce nouveau volume contractuel correspondait à son investissement et à la loi du 14 juin 2013 ; la société a souhaité la recevoir en janvier 2016 à ce sujet décalant l'augmentation de l'objectif trimestriel ; une rupture conventionnelle a été envisagée en avril 2016 sans recevoir l'accord des parties ; Madame [Y] a alors sollicité la résiliation judiciaire de son contrat de travail en engageant une procédure le 13 mai 2016, puis l'employeur l'a licenciée le 21 juillet 2016 pour un inexécution volontaire de son contrat de travail.
Madame [Y] évoque plusieurs manquements et notamment la modification unilatérale du contrat de travail par l'employeur en novembre 2015 sous menace de la licencier en cas de refus.
Ce manquement est établi au vu des pièces produites par les parties et suffisamment grave pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur laquelle sera fixée à la date du licenciement soit le 21 juillet 2016 sans qu'il y ait lieu d'examiner la cause du licenciement.
Compte tenu de l'ancienneté de la salariée, de sa rémunération (934,14 euros) et des circonstances de la rupture, il convient de lui accorder une indemnité à titre de dommages-intérêts dont le montant sera fixé à la somme de 10.000 euros et une indemnité de licenciement de 2.456,09 euros ; en revanche, Madame [Y] sera déboutée de sa demande au titre de l'exécution fautive du contrat de travail, la salariée ne justifiant pas d'un préjudice distinct qui n'aurait pas été réparé par les dommages et intérêts alloués au titre de la rupture sur le même fondement.
Sur les autres demandes
L'équité et la solution du litige commandent tout à la fois d'allouer à Madame [Y] une indemnité de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La société JANCARTHIER qui succombe dans la présente instance sera déboutée de ce chef de demande et condamnée aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement déféré, excepté sur la rupture,
Le réformant de ce chef,
Dit que la résiliation judiciaire aux torts de l'employeur doit être fixé au 21 juillet 2016,
Condamne société SAS JANCARTHIER à payer à Madame [U] [Y] les sommes de :
- 2.456,09 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Ordonne à la société SAS JANCARTHIER la remise d'un certificat de travail, d'une attestation Pôle emploi et d'un bulletin de paie conformes sans qu'il y ait lieu d'ordonner une astreinte,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne la société SAS JANCARTHIER aux dépens.
LE GREFFIERLE PRESIDENT