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28/11/2018 | FRANCE | N°16/20776

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 28 novembre 2018, 16/20776


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4



ARRÊT DU 28 NOVEMBRE 2018

OPPOSITION



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 16/20776 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZZ6R



Décision déférée à la Cour : Arrêt du 10 Juin 2015 - Cour d'Appel de PARIS - Pôle 5 / Chambre 4 - RG n° 13/05937





DEMANDERESSE À L'OPPOSITION



SARL LA PREMIERE PAGE>
Ayant son siège social : [Adresse 1]

[Localité 4]

N° SIRET : 401 843 586 (LORIENT)

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège



Représent...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRÊT DU 28 NOVEMBRE 2018

OPPOSITION

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 16/20776 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZZ6R

Décision déférée à la Cour : Arrêt du 10 Juin 2015 - Cour d'Appel de PARIS - Pôle 5 / Chambre 4 - RG n° 13/05937

DEMANDERESSE À L'OPPOSITION

SARL LA PREMIERE PAGE

Ayant son siège social : [Adresse 1]

[Localité 4]

N° SIRET : 401 843 586 (LORIENT)

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Représentée par Me Olivier MAUDRET, avocat au barreau de PARIS, toque : R267

DÉFENDEUR À L'OPPOSITION

Monsieur [H] [M]

né le [Date naissance 3] 1958 à [Localité 6] (TURQUIE)

Demeurant : [Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0515

Représenté par Me Salim BOUREBOUNE, avocat au barreau de PARIS, toque : E1515

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Octobre 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Irène LUC, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Irène LUC, Présidente de chambre, rédacteur

Madame Dominique MOUTHON VIDILLES, Conseillère,

Madame Laure COMTE, Vice-Présidente Placée,

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Cécile PENG

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Irène LUC, président et par Madame Cécile PENG, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte du 30 juin 2006, la société La Première Page a cédé son fonds de commerce à la société Salon de Presse, pour un prix principal de 130.000 euros dont 80.000 euros payable à la signature du contrat et le solde, 50.000 euros, payable en plusieurs échéances.

Par acte du 10 juin 2006, Monsieur [H] [M] s'est porté caution personnelle du remboursement de la somme de 50.000 euros due par la société Salon de Presse à la société La Première Page.

La société Salon de Presse n'a pas respecté ses engagements tenant au paiement du solde. Elle a été condamnée à payer la somme de 5.543,48 euros, par ordonnance de référé du 8 novembre 2007, et a assigné au fond la société La Première Page en résolution de la cession du fonds de commerce.

La société Salon de Presse a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce du 20 mars 2008 ; la société La Première Page a déclaré sa créance entre les mains du liquidateur à hauteur de 68.831,38 euros. Par un jugement du 24 novembre 2008, le tribunal a clôturé la liquidation judiciaire de la société Salon de Presse pour insuffisance d'actifs.

C'est dans ces conditions que, par acte du 18 avril 2008, la société La Première Page a assigné en intervention forcée M. [M], devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de voir ce dernier condamné à lui verser la somme de 50.000 euros plus les accessoires.

Par jugement du 2 avril 2010, le tribunal de commerce de Paris a :

- jugé nul et de nul effet l'acte de cautionnement de Monsieur [M] [H] au profit de la société La Première Page du 10 juin 2006,

- debouté la société La Première Page de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la société La Première Page à payer a Monsieur [M] [H] la somme de 1.000 euros en vertu de l'article 700 code de procédure civile,

- debouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamné la société La Première Page aux dépens dont ceux à recouvrer par le Greffe liquidés a la somme de 82,17 euros TTC (dont TVA 13,25 euros).

Le 9 juin 2010, la société La Première Page a donc interjeté appel du jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 avril 2010 devant la cour d'appel de Paris.

Par arrêt du 22 février 2012 rendu par défaut, la cour d'appel de Paris a :

- infirmé le jugement en toutes ses disposions,

- condamné M. [H] [M] à payer à la société La Première Page la somme de 50.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2008 ainsi que celle de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [H] [M] aux dépens de première instance et d'appel, lesquels pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le 25 mars 2013, M. [H] [M] a formé opposition à l'encontre de l'arrêt rendu par défaut le 22 février 2012 (RG : 10/12009) par le Pôle 5 ' Chambre 10 de la cour d'appel de Paris.

Par arrêt du 10 juin 2015 rendu par défaut, la cour d'appel de Paris a :

- infirmant le jugement du 2 avril 2010,

- dit le cautionnement régulier,

- déchargé [H] [M] de son engagement vis-à-vis de la société La Première Page,

- dit n'y avoir lieu à indemnité pour frais irrépétibles.

Le 19 octobre 2016, la société La Première Page a formé opposition à l'encontre de l'arrêt rendu par défaut le 10 juin 2015 (RG : 13/05937) par le Pôle 5 ' Chambre 4 de la cour d'appel de Paris.

La procédure devant la cour a été clôturée le 25 septembre 2018.

Vu l'opposition de la société La Première Page et ses conclusions, déposées et notifiées le 10 mai 2017 par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles 573 et 960 et suivants du code de procédure civile, L. 341-2 du code de la consommation et 2314 du code civil, de :

- rejeter la demande de rejet des débats formulée à titre liminaire par M. [M] à l'encontre des pièces 1 à 42 de la société La Première Page, ces pièces ayant été régulièrement communiquées, étant connues des parties depuis l'origine et/ou constituant des pièces de procédure et/ou étant utilisées par M. [M] lui-même,

- déclarer la société La Première Page recevable et bien fondée en son opposition,

- juger sans fondement et en conséquence rejeter la demande d'irrecevabilité soulevée par M. [M] à l'encontre de la présente opposition,

- rétracter l'arrêt rendu par défaut le 10 juin 2015 par le Pôle 5 ' Chambre 4 de la cour d'appel de Paris,

- constater également la violation manifeste par M. [M] des dispositions des articles 960 et suivants du code de procédure civile,

- juger nul et de nul effet l'arrêt rendu par défaut le 10 juin 2015 par le Pôle 5-4 de la cour d'appel de Paris,

et, statuant à nouveau,

- confirmer l'arrêt du 10 juin 2015 en ce qu'il a jugé le cautionnement régulier et par la même infirmé le jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 avril 2010,

- infirmer l'arrêt du 10 juin 2015 en ce qu'il a déchargé M. [M] de son engagement de caution,

- condamner M. [M] à verser à la société La Première Page la somme de 50 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2008,

en tout état de cause,

- débouter Monsieur [M] de l'ensemble de ses demandes fins et prétentions,

- le condamner au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner en tous les dépens ;

Vu les dernières conclusions de Monsieur [H] [M], intimé, déposées et notifiées le 15 juin 2017, par lesquelles il est demandé à la cour de :

vu l'article 906 du code de procédure civile,

- écarter des débats les pièces communiquées par la société La Première Page le 9 janvier 2017,

vu les articles 138 et 571 du code de procédure civile,

- juger irrecevable l'opposition de la société La Première Page,

subsidiairement, au fond,

vu les articles 571 et suivants du code de procédure civile, L. 341-2 du code de la consommation applicable à l'époque des faits, L. 141-2 du code de commerce,1116 du code civil dans sa rédaction applicable à l'époque des faits, 2037, 2313 et 2289 du code civil ,

- constater la nullité de l'engagement de caution souscrit par Monsieur [H] [M],

à titre subsidiaire,

- décharger Monsieur [H] [M] de son engagement de caution,

en tout état de cause,

- débouter la société La Première Page de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société La Première Page à payer à Monsieur [H] [M] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

SUR CE, LA COUR,

Sur la recevabilité de l'opposition

M. [M] soulève l'irrecevabilité de l'opposition formée la société La Première Page car :

- celle-ci n'est ouverte qu'à la partie défaillante ; or, bien que ne justifiant pas de sa constitution dans le cadre de l'instance ayant donné lieu à l'arrêt critiqué, la société La Première Page indique elle-même qu'elle n'était pas défaillante ;

- selon l'article 538 du code de procédure civile, l'opposition doit être formée dans le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt ; or, la société La Première Page n'a formé opposition qu'un an après la signification de l'arrêt du 10 juin 2015, le 19 octobre 2015, sa saisine ayant été reçue par le greffe le 19 octobre 2016.

La société La Première Page invoque, en réponse, des manquements procéduraux graves et manifestes de M. [M] qui rendent irrégulier l'ensemble de cette procédure. En effet, selon la société La Première Page, M. [M] a violé l'article 960 du code de procédure civile. Elle invoque que, après l'arrêt rendu par défaut le 22 février 2012, M. [M] a formé opposition et la SCP Monin a constitué avocat pour le représenter, que, suite à la cessation d'activité de la SCP Monin, une ordonnance de radiation a été rendue le 12 février 2013 car M. [M] n'avait pas constitué un nouvel avocat dans le délai qui lui était imparti et, enfin, que ce même bulletin ordonnait la remise au rôle de l'affaire sous la condition de l'accomplissement de la formalité qui avait fait défaut, à savoir de la constitution par l'appelant d'un nouvel avocat postulant. Elle explique que le 19 mars 2013, un nouveau conseil s'est alors bien constitué aux lieu et place de la SCP Monin, mais que cette constitution est entachée d'une grave irrégularité car elle n'a pas été signifiée au conseil de l'intimée de l'époque, Me [T] [D]. De plus, elle relève que le greffe de la cour d'appel n'a pas adressé les bulletins portant cette constitution nouvelle aux lieu et place, au conseil de la concluante, ni informé ce dernier du nouveau calendrier de procédure, procédure qui s'est ainsi déroulée hors de la présence du conseil de la société La Première Page. C'est dans ces conditions qu'est intervenu l'arrêt du 10 juin 2015 rendu par défaut et que la société La Première Page a formé opposition contre cet arrêt et donné lieu à la présente procédure. La société La Première Page soutient que du fait de la violation de l'article 960 du code de procédure civile par M. [M], l'arrêt du 10 juin 2015 qui a résulté de cette procédure irrégulière est entaché de nullité. Cette procédure et cet arrêt lui seraient donc, selon elle, inopposables aujourd'hui. Ainsi, aucune irrecevabilité ne saurait être valablement déduite de la présente procédure d'opposition alors que l'arrêt en cause du 10 juin 2015 est entaché de nullité manifeste qui n'a pu faire courir de quelconques délais.

Le délai pour former opposition ne pouvait courir à l'encontre de la société La Première Page, en l'absence de toute signification valable de l'arrêt du 10 juin 2015.

La signification de l'arrêt du 10 juin 2015 rendu sur opposition de M. [M] au premier arrêt du 22 février 2012 a en effet été effectuée le 19 octobre 2015 et a donné lieu à un procès-verbal de vaines recherches sur le fondement de l'article 659 du code de procédure civile, la société et son gérant étant inconnus à l'adresse mentionnée. Il en a été de même de l'opposition formée le 28 mars 2012 contre le premier arrêt du 22 février 2012, qui, comme l'arrêt précité et le bulletin de la cour, ont fait l'objet, pour les mêmes raisons, d'un procès-verbal de vaines recherches.

Or, il résulte des pièces du dossier que, à la suite de la radiation prononcée le 12 février 2013 par la cour à cause de la cessation d'activité de la SCP Monin, avocat de M. [M], un nouveau conseil s'est alors bien constitué aux lieu et place de la SCP Monin, le 19 mars 2013 et l'affaire a été réinscrite au rôle de la cour. Cependant, cette constitution n'a pas été signifiée au conseil de la société La Première Page, intimée de l'époque, Me [T] [D]. De plus, le greffe de la cour d'appel n'a pas adressé les bulletins portant cette constitution nouvelle aux lieu et place, à Maître [D], ni informé ce dernier du nouveau calendrier de procédure, procédure qui s'est ainsi déroulée hors de la présence du conseil de la société La Première Page.

Le délai d'un mois de l'article 538 du code de procédure civile est donc inopposable à la société La Première Page, puisqu'elle n'avait aucun moyen de connaître la survenance de l'arrêt du 10 juin 2015, par suite des irrégularités de procédure de M. [M].

Son opposition est donc recevable.

Sur la communication tardive des pièces de la société La Première Page

M. [M] sollicite, sur le fondement du délai imposé par l'article 906 du code de procédure civile, et sur celui du délai raisonnable (« en temps utile ») imposé par la jurisprudence, que soit prononcée l'irrecevabilité des pièces communiquées par la société La Première Page le 9 janvier 2017, soit à quatre jours de l'expiration du délai dont disposait M. [M] pour conclure, et ce après deux sommations de communiquer. M. [M] invoque notamment l'article 576 du code de procédure civile qui dispose qu'en matière d'opposition, l'affaire est instruite et jugée selon les règles applicables devant la juridiction qui a rendu la décision frappée d'opposition. Il en déduit que, la décision frappée d'opposition étant une procédure d'appel avec représentation obligatoire, les délais du décret « Magendie » s'appliquent.

Mais, la société La Première Page réplique à juste raison que les pièces 1 à 30 (ex: contrats) ont déjà été communiquées dans les précédentes instances, et que les pièces 31 à 42 communiquées dans le cadre de la présente opposition, sont des pièces de procédure (ordonnances, arrêts), de sorte qu'elles ont été communiquées en temps utile pour garantir les droits de la défense de M. [M].

Il y a donc lieu de débouter M. [M] de sa demande de rejet des pièces communiquées le 9 janvier 2017.

Sur le fond

Selon l'article 572 du code de procédure civile, la présente décision se substitue à la décision contre laquelle les oppositions ont été faites, soit les arrêts du 22 février 2012 et du 10 juin 2015.

Sollicitant l'infirmation du jugement et la confirmation de l'arrêt du 10 juin 2015, la société Première Page soutient que l'article L. 341-2 du code de la consommation exigeant que l'engagement de caution respecte un certain formalisme ne peut être invoqué par la caution en l'espèce, car elle n'a pas la qualité de créancier professionnel. En effet, selon elle, l'engagement de caution intervient dans le cadre d'une cession de fonds de commerce à la société La Première Page et non dans le cadre ou à l'occasion d'une opération exécutée par cette société dans le cadre de ses activités professionnelles ou en rapport direct avec celles-ci.

Elle demande également l'infirmation de l'arrêt du 10 juin 2015 en ce qu'il a jugé qu'il y avait lieu de décharger la caution de son obligation au motif que le cédant du fonds de commerce, la société La Première Page, ne justifierait pas de l'inscription de privilège et nantissement du fonds de commerce au greffe du tribunal de commerce de Paris dans la quinzaine de la date de l'acte. En effet, elle soutient qu'elle avait bien inscrit les sûretés consenties et produit les certificats d'inscription. Ainsi, elle prétend que l'acte de caution est régulier et que la société La Première Page n'a commis aucune faute susceptible de causer un dommage à la caution, M. [M].

M. [M] invoque la nullité de l'engagement de caution sur le fondement de l'article L. 341-2 ancien du consommation et sur celui du dol, ainsi que la décharge de la caution en application de l'article 2037 du code civil.

Sur la nullité de l'engagement de caution sur le fondement de l'ancien article L. 341-2 du code de la consommation

M. [M] soutient que la cession par une société commerciale de son fonds de commerce, se trouve en rapport direct avec l'activité professionnelle du cédant, et à tout le moins est née dans l'exercice de sa profession. Il expose que la société La Première Page étant donc un créancier professionnel et l'ancien article 341-2 du code de la consommation étant applicable en l'espèce au cautionnement consenti par M. [M], la mention manuscrite portée par celui-ci sur l'acte de cautionnement ne répond pas aux exigences de ce texte, car elle ne comporte pas certaines mentions obligatoires et contient en revanche des mentions supplémentaires que le texte n'autorise pas.

La société La Première Page expose que, faute de concerner une créance née dans l'exercice ou en rapport direct avec son activité, l'engagement de la caution n'est pas soumis au formalisme de l'article L. 341-2 ancien du code de la consommation.

L'article L.341-2 du code de la consommation prévoit que ' Toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : "En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de ... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de ..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui-même.'

Le créancier professionnel au sens de l'article L 341-2 du code de la consommation est celui dont la créance est née dans l'exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l'une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n'est pas principale.

La créance de la société La Première Page, relative au prix de cession de son fonds de commerce, n'est pas née de son activité, ni ne se trouve en rapport direct avec elle.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fait application de l'article L 341-2 du code de la consommation.

Sur la nullité de l'engagement de caution pour dol

M. [M], caution, soutient que la société La Première Page, créancière, a commis un dol portant sur la valeur du fonds de commerce cédé, à l'encontre de la société Salon de Presse, débiteur principal. En effet, selon lui, la société La Première Page n'a pas respecté son obligation de fournir à l'acquéreur les livres de comptabilité des trois derniers exercices, imposée par l'article L. 141-2 du code de commerce et a fourni des informations mensongères, ce qui a vicié le consentement de l'acquéreur, la société Salon de Presse, qui s'est engagée au vu d'éléments fournis ne reflétant pas la véritable valeur du fonds de commerce. Or, il souligne que si la caution ne peut se prévaloir d'un dol commis par le créancier à l'encontre du débiteur principal, elle peut s'en prévaloir lorsque celui-ci lui a dissimulé le caractère compromis ou lourdement obéré de la situation du débiteur. M. [M] soutient alors qu'il a été victime d'un dol car il s'est porté caution du paiement du prix de vente au vu d'éléments fournis par le créancier de nature à l'induire en erreur sur les capacités du débiteur à honorer son engagement. L'engagement est donc, selon lui, nul.

Mais M. [M] ne démontre pas en quoi les prétendues informations mensongères sur la valeur du fonds compromettraient nécessairement la rentabilité de l'activité du débiteur principal, la société Salon de Presse, de sorte qu'il aurait été induit en erreur sur sa capacité à rembourser le prix de cession du fonds.

Ce moyen sera donc écarté.

Sur la décharge de la caution en application de l'article 2037 du code civil

M. [M] invoque que :

- alors que le premier impayé est en date du 15 septembre 2006 et que la société Salon de Presse n'a été mise en liquidation que le 20 mars 2008, la société La Première Page, en tardant à assigner son débiteur au fond, le 18 avril 2008, a privé la caution du bénéfice du gage visé à l'acte de cession, ainsi d'ailleurs que de la possibilité de pouvoir utilement poursuivre le débiteur principal.

- de plus, la société La Première Page n'a pas justifié des inscriptions du droit au gage et du nantissement qui devaient avoir lieu conformément à l'article L. 142-4 du code de commerce, à peine de nullité dans un délai de 15 jours à compter de la cession. Elle ne justifie pas non plus, en tout état de cause, avoir sollicité l'attribution judiciaire de son gage. Or selon lui, de jurisprudence constante, ces abstentions du créancier sont fautives au sens de l'article 2037 du code civil et emportent décharge de la caution et il en est de même pour une mise en 'uvre trop tardive des sûretés.

La société La Première Page répond qu'elle justifie avoir inscrit un nantissement du fonds de commerce et un privilège de vendeur et action résolutoire au greffe du tribunal de commerce le 30 juin 2006, soit dans le délai de quinze jours imposé par le contrat de cession de fonds de commerce (pages 7 et 8). Elle ne répond pas sur les autres points.

La cour constate que les inscriptions sont justifiées par les pièces du dossier (pièces 41 et 42 de La Première Page).

En revanche, M. [M] expose que la société La Première Page ne justifie pas avoir sollicité l'attribution judiciaire de son gage. Or, l'attribution judiciaire du gage constitue un droit préférentiel dont le non exercice entraîne décharge de la caution, en vertu de l'article 2037 du code civil, qui dispose : « La caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution. Toute clause contraire est réputée non écrite'». Il soutient à cet égard que la mise en oeuvre trop tardive des sûretés emporte décharge de la caution, citant l'article L. 622-21 alinéa 3 du code de commerce, dans sa version antérieure au 1er janvier 2006, selon lequel «'Le créancier gagiste, même s'il n'est pas encore admis, peut demander, avant la réalisation, l'attribution judiciaire. Si la créance est rejetée en tout ou en partie, il restitue au liquidateur le bien ou sa valeur, sous réserve du montant admis de sa créance ».

La société La Première Page ne répond rien sur ce point.

Il résulte de l'article 2314 du code civil que la caution est déchargée, lorsque la subrogation dans un droit exclusif ou préférentiel, conférant un avantage particulier pour le créancier pour le recouvrement de sa créance, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution. La caution doit démontrer une opération ou une abstention fautive de la part du créancier.

Or, la caution n'a pas établi le droit précis qu'elle aurait perdu du fait de l'inaction de la société La Première Page. En effet, la cour ne dispose d'aucun élément de nature à démontrer que le fonds de commerce avait gardé toute sa consistance au jour de l'ouverture de la procédure, le bilan n'étant pas versé aux débats ; de plus, le droit de poursuite individuelle ouvert par l'article L. 643-2 du code de commerce n'a pas pour effet de modifier l'ordre des paiements des différents créanciers ; or, la cour ne dispose d'aucun élément sur ce point, de sorte qu'aucune faute ne peut être imputée à la société La Première Page pour n'avoir pas engagé une poursuite individuelle, dont la cour ne sait si elle avait quelque chance de réussir.

En outre, il ne peut être reproché à la société La Première Page d'avoir tardé à assigner au fond son débiteur principal, la société Salon de Presse, l'ayant assignée en référé le 8 novembre 2007, soit bien avant sa mise en liquidation, le 20 mars 2008, ni d'avoir délivré une assignation en intervention forcée contre M. [M] seulement le 18 avril 2008, après la mise en liquidation.

Aucune faute n'a donc été commise par la société La Première Page.

En définitive, il y a lieu de condamner M. [M] à payer à la société La Première Page la somme de 50 000 euros, au paiement de laquelle il s'est engagé dans l'acte de caution, avec intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2008, date de l'assignation de M. [M] devant le tribunal.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Succombant au principal M. [M] sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à la société La Première Page la somme de 3 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

DECLARE l'opposition de la société La Première Page recevable ;

REJETTE la demande tendant à écarter les pièces versées aux débats par la société La Première Page le 09 janvier 2017 ;

RETRACTE les arrêts des 22 février 2012 et 10 juin 2015 de cette cour ;

INFIRME le jugement du 2 avril 2010 ;

et, statuant à nouveau,

DIT le cautionnement régulier ;

CONSTATE l'inscription régulière des sûretés au registre du tribunal de commerce ;

REJETTE le surplus des demandes de M. [M] ;

CONDAMNE M. [M] à payer à la société La Première Page la somme de 50 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2008, date de l'assignation de M. [M] devant le tribunal ;

CONDAMNE M. [M] aux dépens de première instance et d'appel ;

CONDAMNE M. [M] à payer à la société La Première Page la somme de 3 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier La Présidente

Cécile PENG Irène LUC


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 16/20776
Date de la décision : 28/11/2018

Références :

Cour d'appel de Paris I4, arrêt n°16/20776 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-11-28;16.20776 ?
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