La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/11/2018 | FRANCE | N°17/02184

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 7, 22 novembre 2018, 17/02184


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7



ARRÊT DU 22 Novembre 2018

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/02184 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B2TJH



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 Septembre 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F 15/08208





APPELANTE

Madame Estelle X...

[...]

représentée par Me Olivier Y..., avocat au barre

au de PARIS, toque : B0668

substitué par Me Cyril Z..., avocat au barreau de PARIS





INTIMÉE

SAS C'DIGITAL

[...]

N° SIRET : 520 40 7 0 16

représentée par Me Laurent A....

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7

ARRÊT DU 22 Novembre 2018

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/02184 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B2TJH

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 Septembre 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F 15/08208

APPELANTE

Madame Estelle X...

[...]

représentée par Me Olivier Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : B0668

substitué par Me Cyril Z..., avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

SAS C'DIGITAL

[...]

N° SIRET : 520 40 7 0 16

représentée par Me Laurent A..., avocat au barreau de VAL-DE-MARNE,

toque : PC 427

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Septembre 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Florence DUBOIS-STEVANT, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de chambre

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Conseillère

Madame Bérengère DOLBEAU, Conseillère

Greffier : Mme Anna TCHADJA-ADJE, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame, Marie-Hélène DELTORT, Présidente de chambre et par Madame Anna TCHADJA-ADJE, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Mme Estelle X... a été embauchée par la SAS C'Digital en contrat à durée indéterminée en date du 1er juin 2011, avec effet au 4 juillet 2011, en qualité de graphiste, statut employé, coefficient 140 de la convention collective nationale de la publicité et assimilé. Elle percevait une rémunération mensuelle de 2.877,90€ pour 35 heures travaillées et 4 heures au taux majoré à 25%. L'engagement stipule qu'elle est rattachée à l'annonceur GroupePartouche et qu'elle est affectée dans les locaux de cet annonceur.

Par lettre du 5janvier 2015, la société C'Digital a convoqué Mme X... à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s'est tenu le 15 janvier 2015, puis lui a notifié son licenciement pour motif économique par lettre du 2 février 2015.

Le 2 juillet 2015, Mme X... a saisi le conseil de prud'hommes de Paris aux fins de voir dire et juger sans cause réelle et sérieuse, à titre principal, le licenciement verbal prononcé le 22décembre2004 et confirmé le 15janvier 2015 et, à titre subsidiaire, le licenciement pour motif économique notifié le 2février2015, et de voir condamner la société C'Digital au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, du solde de l'indemnité de licenciement conventionnelle, d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'une indemnité pour inobservation de l'ordre des licenciements, de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Par jugement du 29septembre2016, le conseil des prud'hommes a débouté Mme X... de l'ensemble de ses demandes.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 3février 2017, Mme X... a fait appel de ce jugement et, par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 23juillet2018, elle demande à la cour :

- d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes,

- à titre principal, de dire et juger que son licenciement verbal, prononcé le 22décembre2014 et confirmé le 15janvier2015, est nécessairement sans cause réelle et sérieuse,

- à titre subsidiaire, de dire et juger sans cause réelle ni sérieuse le licenciement pour motif économique notifié le 2février2015,

- en tout état de cause, de condamner la société C'Digital à lui verser les sommes suivantes:

- 51.802,20 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 10.000 euros au titre de l'indemnité pour inobservation de l'ordre des licenciements,

- 1.483,95 euros au titre du solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 20.000euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- 5.755,80euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 575,58 euros au titre des congés payés sur préavis,

- d'assortir les condamnations de l'intérêt au taux légal à compter de la date de convocation à l'audience de conciliation, soit à compter du 25août2015,

- d'ordonner la capitalisation des intérêts,

- de condamner la société C'Digital à payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Mme X... prétend que dès son embauche elle a été en situation de co-emploi à l'égard de la société C'Digital et de la société Groupe Com'plus.

Elle soutient, à titre principal, qu'elle a fait l'objet d'un licenciement verbal et qu'un tel licenciement verbal, nécessairement sans cause réelle et sérieuse, ne peut être régularisé par la notification postérieure du licenciement. Elle fait valoir M.B... a manifesté sa volonté de mettre fin de façon irrévocable à son contrat de travail, ainsi qu'à celui de M.C..., lors d'une réunion informelle tenue le 22décembre2014, en leur annonçant la suppression de leur poste et la possibilité de continuer de travailler en free lance, puis au cours de l'entretien préalable du 15janvier 2015, comme cela résulte du compte rendu de M.D... qui l'a assistée, avant de lui avoir notifié son licenciement par courrier du 2février2015.

Subsidiairement, Mme X... prétend que le licenciement économique est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En premier lieu, elle fait valoir, en invoquant l'article L.6321-1 du code du travail, que la société C'Digital a méconnu son obligation de formation et d'adaptation, aucune formation ne lui ayant été proposée et aucune adaptation de son poste de travail n'ayant été recherchée.

Mme X... estime, en deuxième lieu, que l'obligation de reclassement a été méconnue, aucune offre de reclassement ne lui ayant été proposée, l'employeur et le co-employeur ne justifiant pas d'une recherche active de reclassement au niveau du groupe, alors même que l'organisation et le lieu d'exploitation des différentes entreprises rendaient possible une permutation puisqu'elle travaillait dans les locaux de la société Groupe Com'plus depuis janvier 2014.

Mme X... observe, en troisième lieu, que les critères d'ordre des licenciements prévus par la convention collective n'ont pas été respectés dans la mesure où deux salariés ayant moins d'ancienneté n'ont pas été licenciés et que les notes d'évaluation des compétences professionnelles ont été attribuées de manière arbitraire et non sur des éléments objectifs et vérifiables, ce qui justifie l'allocation de dommages-intérêts.

MmeX... conteste, en quatrième lieu, l'existence d'un motif économique et conteste les termes de la lettre de licenciement. Elle estime également que M. B... a agi avec une légèreté blâmable dès lors que son licenciement est intervenu dans une période d'intense activité en 2014 et en 2015, que la société C'Digital a procédé à une embauche deux mois avant son licenciement, qu'une offre d'emploi de directeur artistique graphiste a été faite par le Groupe Com'plus en octobre 2015, par le biais de la société Com&Joy, qu'elle aurait pu elle-même occupé, que le recours aux travailleurs indépendants était important dans les semaines précédant son licenciement et que son licenciement avait pour seul objectif la réalisation d'économies et l'amélioration de la rentabilité.

Mme X... sollicite l'application de l'article L.1235-3 du code du travail, soutenant qu'elle avait une ancienneté de 3 ans et 9 mois et que la société C'Digital comptait plus de 10salariés, et une indemnité de licenciement équivalente à 18 mois de salaire, compte tenu de son âge, de la difficulté de retrouver un emploi comparable et de la perception des seules allocations d'aide au retour à l'emploi jusqu'en septembre 2016. Elle demande en outre une indemnité compensatrice de préavis correspondant à 2 mois de préavis, les congés payés afférents et un solde d'indemnité de licenciement, faisant valoir la convention collective et l'intégration dans le calcul de cette indemnité de la durée du préavis.

Elle demande également une somme de 10.000€ au titre du non-respect des critères d'ordre des licenciements et des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail en arguant de la légèreté blâmable de l'employeur qui l'a licenciée verbalement et lui a proposé de travailler en free lance pour lui.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 30mars2018, la société C'Digital demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter MmeX... de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 5.000euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Elle expose que Mme X... a été embauchée pour intégrer l'équipe dédiée aux prestations fournies à la société Complus pour son client le groupe Partouche, qu'à la suite de l'adoption d'un plan de sauvegarde le groupe Partouche s'est désengagé de sa relation commerciale avec la société Complus et qu'une équipe de quatre personnes dédiées à ce marché ne pouvait plus être maintenue.

La société C'Digital prétend que Mme X... ne rapporte pas la preuve d'un licenciement verbal intervenu le 22décembre 2014 puis le 15 janvier2015, les attestations produites étant de complaisance, car émanant de deux salariés également licenciés pour motif économique le 2 février 2015, et insuffisamment probantes.

Elle affirme que Mme X... ne peut soutenir, compte tenu de sa formation initiale et de son expérience, que ses compétences étaient inadaptées au poste qu'elle occupait ou qu'une formation était justifiée au regard de l'évolution de l'emploi ou des technologies.

Elle conteste l'existence d'un groupe entre les sociétés C'Digital et Com'plus et la situation de co-emploi qui n'est pas, selon elle, démontrée par Mme X.... Elle soutient avoir satisfait à son obligation de reclassement dès lors qu'aucun poste n'était disponible le 2février2015 et qu'elle avait sollicité en vain la société Com'plus et la société Groupe Partouche.

La sociétéC'Digital fait valoir que Mme X... a sollicité les critères d'ordre des licenciements après le délai et qu'elle-même a respecté les critères d'ordre définis par la convention collective qui sont très proches de ceux prévus par la loi.

Elle soutient que les difficultés économiques sont avérées et résultent de la diminution notable du volume d'affaires généré par le contrat de sous-traitance affecté par les difficultés de la société Groupe Partouche. Elle estime que MmeX... ne démontre pas le recours à des free lance, conteste que l'offre d'emploi alléguée soit en lien avec elle et affirme être aujourd'hui sans activité ni salarié.

Subsidiairement, la société C'Digital estime inapplicable à l'espèce l'article L.1235-3 du code du travail puisqu'elle ne comptait que 8 salariés. Elle soutient que Mme X... ne justifie d'aucun préjudice alors qu'elle s'est installée en free lance après le licenciement, a été en congé-maternité puis a trouvé un emploi en novembre 2016. Elle réfute toute légèreté blâmable justifiant des dommages-intérêts et conteste avoir proposé à MmeX... de travailler pour elle en free lance.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des moyens des parties, aux dernières conclusions notifiées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement verbal :

M.C..., salarié de la société C'Digital qui l'a licencié pour motif économique par lettre du 2février2015, indique qu' 'avant notre entretien individuel préalable, M. Jean-Luc B... avait reçu Estelle X... et moi-même pour nous expliquer notre licenciement. Il nous a déclaré qu'il préférait nous licencier pour ne pas prendre de risques économiques mais comme il y aurait beaucoup de travail au sein de l'agence, il nous a proposé de nous prendre comme free lance pour continuer à travailler pour l'agence.' Si M. C... ne précise pas la date de cet entretien, il le situe avant l'entretien préalable au licenciement. Au-delà des explications qu'un employeur est légitime à donner aux salariés sur la situation économique de l'entreprise et les mesures qu'il envisage, ce témoignage évoque bien une décision prise de licencier deux salariés, dont Mme X..., avant l'entretien préalable au licenciement.

M. D..., qui a assisté Mme X... lors de l'entretien préalable, a daté du 20janvier2015 - 17 heures 59 le compte rendu de cet entretien. Il reprend ainsi les termes employés par M.B... : 'suite à une perte importante de budget par rapport à notre principal client, je suis obligé de procéder à un licenciement économique d'une partie des équipes car le chiffre d'affaires a fortement chuté. Je suis donc obligé de vous licencier car cela me revient plus cher de vous garder que de vous licencier.' M. D... est salarié de la société Com'Plus qui l'a licencié pour motif économique par lettre du 2février2015.

Ces attestations, dont la validité ne peut être remise en cause au seul motif qu'elles émanent d'anciens salariés également licenciés, sont concordantes et établissent que la décision de mettre fin au contrat de travail de MmeX... avait été prise de manière irrévocable par l'employeur bien avant l'engagement de la procédure.

MmeX... est toutefois restée en poste et le contrat de travail a continué d'être exécuté par les parties jusqu'au 6février2015 comme en atteste le registre du personnel.

La décision de licenciement ainsi prise par la société C'Digital avant l'entretien préalable et confirmée pendant cet entretien avant l'envoi de la lettre de licenciement motivée constitue une irrégularité de procédure qui n'a pas pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Mme X... sera donc déboutée de sa demande principale et le jugement confirmé sur ce point.

Sur le licenciement économique

- sur l'obligation de formation et d'adaptation :

L'employeur est tenu d'assurer l'adaptation des salariés à leur poste de travail et de veiller au maintien de la capacité des salariés à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.

Mme X... est titulaire d'un diplôme multimedia maîtrise graphique obtenu en 2001. Elle a suivi une formation multimédia en 2010 et présente à la date de son recrutement par la société C'Digital en 2011 une expérience professionnelle dans ce domaine depuis 2001. Compte tenu de cette expérience et de l'ancienneté de MmeX... au sein de la société C'Digital, il n'est pas démontré que Mme X... occupait un poste de travail nécessitant des mesures de formation et d'adaptation ou qu'elle ait été inadaptée à l'évolution de son emploi. Ce premier moyen doit donc être écarté.

- sur l'obligation de reclassement :

Selon l'articleL.1233-4 du code du travail, applicable en l'espèce, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise. Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, sur un emploi d'une catégorie inférieure. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.

Il convient au préalable d'établir si la société C'Digital fait partie d'un groupe et si la société Groupe Com'Plus s'est comportée comme le co-employeur de MmeX... comme elle l'affirme.

MmeX... produit des captures d'écran de la localisation à Paris du 'groupe' Com'Plus, [...], et du site internet de ce 'groupe' et de celui de la société C'Digital. Il en ressort que la dénomination 'groupecomplus' recouvre quatre entités, dont C'Digital décrite comme l'agence digitale du groupe, et que ce 'groupe' a pour président M.Jean-LucB..., directeurs associés MM. Olivier E... et Frédéric B... et digital manager Mme Mélanie F.... La troisième capture d'écran, celle du site C'Digital, qui décrit l'évolution de Com'plus, ne donne aucune indication sur les entités juridiques et leurs éventuels liens. MmeX... se prévaut également de ce qu'elle était subordonnée au pouvoir de direction de M.Jean-LucB... en produisant deux courriels.

Selon ses statuts, la société C'Digital a pour associés MM. Jean-Luc B... (90%), Frédéric B... (5%) et Olivier E... (5%) et pour présidente Mme G.... La société Com'Plus est une société anonyme monégasque qui a pour associé à hauteur de 5% et président administrateur M. Jean-LucB... et pour dénomination commerciale'Groupe Com Plus' comme le montrent des courriers produits aux débats. Les deux sociétés n'ont pas de lien capitalistique et ni l'une ni l'autre ne détient sur l'autre de droits de vote.

Ni le contrôle ni l'influence dominante de l'une de ces entreprises sur l'autre n'étant ainsi établis, l'existence d'un groupe entre les sociétés C'Digital et Com'plus au sens de l'article L.2331-1 du code du travail n'est pas démontrée.

En outre, MmeX... n'apporte aucun élément propre à caractériser une situation de co-emploi avec la société Com'plus, à l'égard de laquelle elle ne formule d'ailleurs aucune demande, situation qui se déduit d'une confusion d'intérêts, d'activité et de direction.

Il s'ensuite que le respect de l'obligation de reclassement doit être examinée à l'échelle de la seule société C'Digital.

Le licenciement économique d'un salarié ne pouvant intervenir que si le reclassement de l'intéressé dans l'entreprise est impossible, il appartient à l'employeur de justifier qu'il a recherché toutes les possibilités de reclassement existantes ou qu'un reclassement était impossible. A défaut, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, ce qui ouvre droit au profit du salarié au paiement de dommages-intérêts.

Dans le cadre d'un licenciement économique, la recherche de reclassement doit débuter avant l'engagement de la procédure, celle-ci étant un subsidiaire à l'absence de reclassement.

Il est constant que MmeX... n'a reçu aucune offre de reclassement ni de proposition de modification de son contrat de travail ou de ses conditions de travail de la part de son employeur avant l'engagement de la procédure de licenciement.

Pour justifier de sa recherche de reclassement, la société C'Digital produit, d'une part, une lettre qu'elle a adressée le 20janvier 2015 à la société Com'Plus à laquelle elle demande si elle a des besoins en ressources humaines pour gérer son client, le Groupe Partouche, ou si elle peut en faire directement la demande à ce dernier, et, d'autre part, la réponse de la société Com'Plus datée du 22 janvier 2015 l'informant de l'absence de besoin de personnel en son sein et de l'impossibilité dans laquelle se trouvait le Groupe Partouche, sollicité, de recruter du personnel supplémentaire. Cette recherche de reclassement à l'extérieur de la société C'Digital est donc postérieure à l'engagement de la procédure de licenciement puisque MmeX... a été convoquée à l'entretien préalable par lettre du 5janvier 2015 et que ledit entretien a eu lieu le 15janvier2015.

La société C'Digital n'a donc pas procédé à une recherche de reclassement de MmeX.... Le licenciement litigieux est dès lors dépourvu de cause réelle et sérieuse et il sera fait droit à la demande de dommages-intérêts.

Le jugement sera donc infirmé sans qu'il y ait lieu d'examiner les moyen relatifs aux critères d'ordre de licenciement, à la légèreté blâmable dont aurait fait preuve l'employeur et à l'absence de motif économique.

Sur les demandes financières :

- sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

L'article L.1235-3 du code du travail dispose que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis, et que si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Il résulte de l'article L.1235-5 du même code que ne sont pas applicables au licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, les dispositions relatives à l'absence de cause réelle et sérieuse, prévues à l'article L. 1235-3, et au remboursement des indemnités de chômage, prévues à l'article L. 1235-4. Le salarié peut prétendre, en cas de licenciement abusif, à une indemnité correspondant au préjudice subi.

L'appréciation de l'effectif habituel doit se faire au jour du licenciement et c'est à l'employeur qu'il appartient de démontrer que la condition de l'effectif de l'entreprise -occupation habituelle de moins de 11 salariés - est satisfaite.

La société C'Digital produit le registre du personnel. Il en ressort que si au 31décembre2014 elle comptait 9 salariés, elle en avait compté 12 au 31 décembre 2012 et 13 au 31 décembre 2013. Une telle évolution des effectifs n'établit pas que la société C'Digital employait habituellement moins de onze salariés.

L'article L.1235-3 du code du travail est dès lors applicable à l'espèce.

Il ressort des pièces produites par MmeX... qu'elle a perçu une allocation de sécurisation professionnelle de mars 2015 à décembre 2015, de 2.258,35€ ou de 2.185,50€ selon les mois et de 582,80€ en décembre, qu'elle a été en congé-maternité du 9décembre2015 au 29mars 2016, qu'elle a perçu l'allocation de retour à l'emploi d'avril 2016 (98€) à septembre 2016 pour un montant de 1.470€ ou de 1.519€ selon les mois. Elle verse aux débats ses recherches d'emploi demeurées vaines pendant la période. Son CV publié sur LinkedIn fait apparaître qu'elle se déclare en free lance depuis février 2015 et qu'elle travaille pour la société Hopscotch group depuis novembre 2016.

Compte tenu de son ancienneté dans la société C'Digital, de sa période sans emploi et des revenus de substitution perçus, une indemnité de 12.000€ pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sera allouée à MmeX....

- sur l'indemnité compensatrice de préavis et les congés afférents :

L'article 30 de la convention collective applicable prévoit que l'employé licencié ayant plus de deux ans d'ancienneté bénéficie d'un préavis de deux mois ou, le cas échéant, de l'indemnité correspondante.

Le registre du personnel montre que Mme X... n'a pas effectué de préavis.

Il sera fait droit à sa demande à hauteur de 5.755,80 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de 575,58€ au titre des congés payés y afférents.

- sur le solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement :

L'article 30 de la convention collective applicable dispose qu'une indemnité distincte du préavis est allouée au salarié licencié ayant au minimum deux ans d'ancienneté dans l'entreprise, que cette indemnité s'établit, pour la période d'ancienneté jusqu'à 15 ans, à 33% de mois des derniers appointements perçus par l'intéressé, par année complète de présence et pour toute fraction d'année supplémentaire au prorata des mois de présence compris dans cette fraction.

L'ancienneté de Mme X... étant de 3 années et 9 mois de présence, l'indemnité de licenciement s'élève à la somme de 3.561,40€. La société C'Digital ne lui ayant versé que la somme de 2.077, 76€, elle sera condamnée à payer à la salariée la différence s'élevant à la somme de 1.483,64€ au titre de l'indemnité de licenciement.

Sur les autres demandes :

- sur la demande d'indemnité pour inobservation de l'ordre des licenciements :

Lorsque le licenciement d'un salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse, il ne peut cumuler des indemnités pour perte injustifiée de son emploi et pour inobservation de l'ordre des licenciements. Ayant retenu l'absence de cause réelle et sérieuse, il n'y a pas lieu d'examiner la demande d'indemnité fondée sur le non-respect des critères d'ordre de licenciement. MmeX... en sera déboutée.

- sur la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail:

MmeX... invoque l'annonce verbale de son licenciement avant l'entretien préalable et la proposition qui lui aurait été faite de travailler ensuite pour la société C'Digital en free lance.

Ce faisant, elle n'allègue pas de faits susceptibles de caractériser l'exécution déloyale du contrat de travail. Mme X... sera donc déboutée de sa demande.

Sur le remboursement des indemnités de chômage :

Aux termes de l'article L.1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L.1235-3 et L.1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Il convient de faire application de ces dispositions et d'ordonner à la société C'Digital de rembourser au Pôle emploi Ile-de-France les indemnités de chômage versées à MmeX... dans la limite de trois mois d'indemnités de chômage.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement en ce qu'il a dit qu'il n'y avait pas eu de licenciement verbal le 22décembre2014;

L'infirme pour le surplus;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Dit que le licenciement de MmeEstelleX... est dépourvu de cause réelle et sérieuse;

Condamne la société C'Digital à payer à MmeEstelleX... les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes pour les sommes à caractère salarial et à compter du prononcé de l'arrêt pour celle à caractère indemnitaire et capitalisation des intérêts :

- 12.000euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 5.755,80euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 575,58 euros au titre des congés payés sur préavis,

- 1.483,64euros au titre du solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement;

Déboute MmeEstelleX... de sa demande d'indemnité pour inobservation de l'ordre des licenciements et de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail;

Ordonne à la société C'Digital de rembourser au Pôle emploi Ile-de-France les indemnités de chômage versées à MmeX... dans la limite de trois mois d'indemnités de chômage;

Condamne la société C'Digital à payer à MmeEstelleX... la somme de 2.000euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

Condamne la société C'Digital aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 17/02184
Date de la décision : 22/11/2018

Références :

Cour d'appel de Paris K7, arrêt n°17/02184 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-11-22;17.02184 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award