Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 1
ARRÊT DU 20 NOVEMBRE 2018
(n°152/2018, 12 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 16/24112 -
N° Portalis 35L7-V-B7A-B2D3B
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Novembre 2016 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 15/17039
APPELANTES
SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DES BOUTIQUES D'HABILLEMENT, S.A.S.,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro B 325 330 520
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055
Assistée de Me Gérard LEGRAND de la FIDUCIAL LEGAL BY LAMY, avocat au barreau de LYON
SOCIÉTÉ UNION DISTRIBUTION, S.A.S.,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 319 327 185
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055
Assistée de Me Gérard LEGRAND de la SELAS FIDUCIAL LEGAL BY LAMY, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE
SCP [J] [N],
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés[Localité 1] sous le numéro 377 580 279 dont le siège social est sis [Adresse 3], mandataire judiciaire demeurant [Adresse 4]
prise en la personne de Maître [J] [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL COMPAGNIE THEOPOLITAINE DE CONFECTION et nommé à cette fonction suivant jugement du tribunal de commerce [Localité 1] en datedu 09 décembre 2015.
Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480
Assistée de Me Elena VELEZ DE LA CALLE, substituant Me CHARRIERE-BOURNAZEL, avocats au barreau de PARIS, toque C1357
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 10 Octobre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur David PEYRON, Président de chambre
Mme Isabelle DOUILLET, Conseillère
M. François THOMAS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues à l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON
ARRÊT :
Contradictoire
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
signé par David PEYRON, Président de chambre et par Karine ABELKALON, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
La SOCIETE D'EXPLOITATION BOUTIQUES HABILLEMENT (ci-après la société SEBH), présidée par monsieur [Y] [T], a pour activité principale la création, la fabrication et la vente de tous articles, vêtements pour hommes, femmes et enfants, distribués dans des magasins à [Localité 2] et en province.
La société UNION DISTRIBUTION, également présidée par monsieur [T], exerce une activité de holding et est titulaire de la marque française BRUCE FIELD déposée le 22 février 1983 et enregistrée sous le numéro 1 228 230 pour désigner les produits suivants des classes 18 et 25 : 'Cuir et imitations du cuir, articles en ces matières non compris dans d'autres classes, peaux, malles et valises, parapluies, parasols et cannes, fouets, harnais et sellerie. vêtements, y compris les bottes, les souliers et les pantoufles'.
Par contrat du 7 janvier 1992 inscrit sur les registres de l'INPI le 23 novembre 1998, la société UNION DISTRIBUTION a consenti à la société SEBH une licence exclusive sur la marque 'BRUCE FIELD'.
La société COMPAGNIE THEOPOLITAINE DE CONFECTION (ci-après la société CTC) avait pour activité principale la confection de vêtements ; elle fabriquait jusqu'à sa cessation d'activité des chemises porteuses de la marque '[U] [W]'.
Expliquant avoir été destinataire en octobre 2015 d'un courrier anonyme dont l'auteur indiquait être un ancien salarié de la société CTC selon lequel celle-ci utilisait du tissu appartenant à la société SEBH pour fabriquer des chemises griffées '[U] [W]' et les vendre dans son magasin d'usine, la société SEBH a fait dresser le 29 octobre 2015 un procès-verbal de constat d'achat dans le magasin d'usine de la société CTC.
Les sociétés SEBH et UNION DISTRIBUTION ont ensuite fait réaliser une saisie-contrefaçon dans l'usine et le magasin de la société CTC, le 10 novembre 2015.
Par acte du 20 novembre 2015, les sociétés SEBH et UNION DISTRIBUTION ont assigné la société CTC devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale.
Par jugement du 9 décembre 2015, le tribunal de commerce [Localité 1] a prononcé la liquidation judiciaire de la société CTC et désigné la SCP [J] [N] en qualité de liquidateur qui est intervenue volontairement à 1'instance.
Les sociétés SEBH et UNION DISTRIBUTION ont interjeté appel du jugement réputé contradictoire prononcé le 24 novembre 2016 par le tribunal de grande instance de Paris qui a:
dit que la SEBH a, avec l'acceptation certaine de la SAS UNION DISTRIBUTION, tacitement autorisé la société CTC à exploiter le signe 'BRUCE FIELD' enregistré à titre de marque sous le n°1 228 230 pour les vêtements de la classe 25 ;
rejeté en conséquence l'intégralité des demandes de la SAS UNION DISTRIBUTION et de la SEBH ;
dit que la SAS EXPLOITATION BOUTIQUES HABILLEMENT, en rompant brutalement les relations commerciales établies avec la société CTC, a commis une faute causant directement un préjudice à cette dernière ;
condamné en conséquence la SEBH à payer à la société CTC, prise en la personne de la SCP [J] [N], en sa qualité de liquidateur judiciaire, la somme de 1.198.851,10 € en réparation du préjudice causé par sa faute ;
rejeté les demandes de la SAS UNION DISTRIBUTION et de la SAS SEBH au titre des frais irrépétibles ;
condamné in solidum la SAS UNION DISTRIBUTION et la SEBH à payer à la société CTC, prise en la personne de la SCP [J] [N] en sa qualité de liquidateur judiciaire, la somme de 8 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné in solidum la SAS UNION DISTRIBUTION et la SEBH à supporter les entiers dépens de l'instance qui seront directement recouvrés par Maître CHARRIERE-BOURNAZEL conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;
dit n'y avoir lieu à 1'exécution provisoire du jugement.
Par conclusions du 24 mai 2018, les sociétés SEBH et SAS UNION DISTRIBUTION demandent à la cour de :
déclarer recevable et bien fondé l'appel formé par les sociétés SEBH et UNION DISTRIBUTION du jugement rendu par le tribunal de grande instance de PARIS, le 24 novembre 2016 ;
Y faisant droit ;
réformer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;
Et statuant de nouveau ;
juger que la société CTC s'est indûment appropriée du tissu et des griffes 'BRUCE FIELD' appartenant à la société SEBH, à l'insu de cette dernière ;
juger que la société CTC s'est livrée à une contrefaçon de la marque ainsi qu'à des actes de concurrence déloyale au préjudice des sociétés SEBH et UNION DISTRIBUTION ;
fixer la créance de la société SEBH au passif de la liquidation judiciaire de la société CTC à un montant de 740 085 € à titre chirographaire, conformément à la déclaration de créance à laquelle il a été procédé ;
fixer la créance de la société UNION DISTRIBUTION au passif de la liquidation judiciaire de la société CTC à un montant de 70 000 € à titre chirographaire conformément à la déclaration de créance à laquelle il a été procédé ;
juger que les agissements fautifs imputables à la société CTC engagent sa responsabilité et excluent qu'il puisse être fait droit à quelque prétention que ce soit, formulée par la société CTC;
En conséquence ;
rejeter l'intégralité des demandes présentées et prétentions émises à titre reconventionnel par la société CTC en ce qu'elles sont mal fondées ;
constater que les sociétés SEBH et UNION DISTRIBUTION sont bien fondées en leur demande de revendication ;
En conséquence ;
juger que la revendication des marchandises opérée auprès du Juge commissaire du tribunal [Localité 1] pour laquelle il a été ordonné le sursis dans l'attente d'une décision définitive au regard du présent litige devra donner lieu à restitution ;
condamner la CTC à payer la somme de 15 000 € chacune aux sociétés SEBH et UNION DISTRIBUTION au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société CTC aux entiers dépens avec distraction au profit de la SELARL INGOLD & THOMAS-AVOCATS, sur son affirmation de droit.
Par conclusions du 4 mai 2018, la SCP [J] [N] venant aux droits de la société CTC, demande à la cour de :
confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf sur le quantum alloué à la société CTC au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
Ce faisant ;
/ débouter les sociétés SEBH et UNION DISTRIBUTION de l'ensemble de leurs demandes ;
/ condamner la société SEBH à verser à la SCP [J] [N] ès-qualité la somme de 2 028 000 € correspondant au préavis de rupture du contrat ;
À titre subsidiaire ;
/ condamner la société SEBH à verser à la SCP, [J] [N] ès-qualité la somme de 1 874 480,40 € correspondant au préavis de rupture du contrat ;
Y ajoutant ;
juger que la demande de SEBH tendant à faire dire et juger par la Cour de céans que l'action en revendication actuellement pendante devant le tribunal de commerce [Localité 1] devra donner lieu à restitution constitue une demande nouvelle en cause d'appel et doit donc être écartée à ce titre ;
condamner les sociétés SEBH et UNION DISTRIBUTION à verser à la SCP [J] [N] ès-qualité la somme de 10 000 € chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d'appel ;
les condamner aux entiers dépens qui pourront être recouvrés par Me Frédéric Lallement conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 4 septembre 2018.
MOTIVATION
Sur la contrefaçon
Les appelantes soutiennent que si tant est qu'elles aient donné une autorisation tacite à la société CTC de procéder à une exploitation de la marque Bruce Field, ce qui n'est pas établi, elles ne l'ont pas autorisée à détourner du tissu appartenant à la société SEBH pour son propre compte.
Les sociétés UNION DISTRIBUTION et SEBH rappellent qu'étant respectivement titulaire et bénéficiaire d'un contrat de concession, elles seules peuvent exploiter la marque Bruce Field. Elles déclarent que la société CTC assurait seulement la confection des chemises portant cette marque et ne disposait d'aucun droit sur les produits ou l'usage de la marque, de sorte qu'en produisant et en commercialisant des chemises en fraude de leurs droits avec du tissu qu'elle s'est appropriée, la CTC a commis des actes de contrefaçon.
Selon elles, il est établi que la société CTC s'est approprié du tissu appartenant à la société SEBH pour fabriquer les chemises contrefaites. Elles ajoutent que monsieur [T] connaissait l'existence du magasin d'usine mais pas les conditions dans lesquelles la société CTC y vendait sa production, que cette société ne justifie ni d'une autorisation générale et tacite de cette commercialisation, ni d'une autorisation d'utiliser le stock de tissu mis à sa disposition.
La société CTC conteste toute contrefaçon en soutenant que le dirigeant de la société SEBH était au courant de la fabrication et de l'exploitation par elle des articles litigieux, qu'il avait par ailleurs lui-même autorisées verbalement, comme c'était d'usage entre les deux sociétés depuis plus de vingt ans et ainsi que le démontrent un ensemble d'éléments et de circonstances d'espèce.
Elle conteste la crédibilité de la lettre anonyme, au vu des témoignages qu'elle produit. Selon elle, la société SEBH ne peut faire état d'un détournement de tissu alors qu'elle connaissait cette pratique et l'a encouragée, et qu'une de ses employées contrôlait chaque semaine l'état des stocks de tissus et chemise détenus par la société CTC.
Sur ce
L'atteinte portée au droit du propriétaire de la marque constitue une contrefaçon -pouvant être prouvée par tout moyen- qui engage la responsabilité de son auteur, selon les articles L716-1 et L716-7 du code de la propriété intellectuelle.
Le procès-verbal de constat dressé le 29 octobre 2015 établit que le magasin d'usine de la société CTC, sis dans la zone artisanale de [Localité 3], commercialise des chemises griffées Bruce Field, ce que confirme aussi le procès-verbal de constat du 10 novembre 2015.
La société CTC, qui a produit pendant plus de vingt années des chemises griffées Bruce Field pour le compte des appelantes, reconnaît la vente de chemises marquées Bruce Field dans son magasin d'usine, mais soutient qu'elle bénéficiait du consentement des sociétés appelantes.
Les dirigeants des sociétés appelantes et intimée ont entretenu d'étroites relations dans le cadre de leurs activités professionnelles depuis plus de 20 années, monsieur [T] étant titulaire de parts de la société CTC lors de la rédaction de ses statuts en 1990 et s'étant ensuite porté caution de cette société. De même était-il présent lors de l'inauguration du magasin d'usine de la société CTC, comme en a témoigné l'ancienne comptable de l'intimée.
Les appelantes ne contestent du reste pas que monsieur [T] connaissait l'existence du magasin CTC et que des ventes de produits Bruce Field ont pu y intervenir (page 12 de leurs conclusions), ce qui révèle l'existence d'une autorisation implicite, mais soutiennent qu'il ne s'agissait selon elles que de ventes ponctuelles.
Cependant, madame [C], une ancienne employée de la société CTC qui y travaillait comme vendeuse depuis l'ouverture de la boutique en 1996, a attesté que divers articles y étaient vendus porteurs de la marque Bruce Field, ce dont monsieur [T] était forcément au courant puisqu'il était venu à de très nombreuses reprises dans l'établissement, déclaration confirmée par madame [P], employée depuis 1994, selon laquelle monsieur [T] savait que les chemises vendues portaient la marque Bruce Field.
Le seul courrier anonyme expédié le 28 octobre 2015, soit la veille du procès-verbal de constat d'achat, selon lequel le magasin d'usine aurait été vidé du stock de produits griffés Bruce Field le jour même de la venue de monsieur [T], n'est corroboré par aucune autre pièce, et est contredit par le témoignage de madame [G], couturière de la société CTC, qui précise que monsieur [T] avait passé la journée sur place et était accompagné de caméras, comme par celui de madame [J].
Des reportages télévisés montrent que les chemises fabriquées par la société CTC étaient griffées Bruce Field, la gérante de cette société déclarant dans une interview qu'elle ne fabriquait que pour cette griffe.
Le reportage du site bip.tv présente le magasin d'usine de la société CTC comme étant 'assez connu dans le coin, beaucoup de gens viennent directement à l'entreprise' ; sa gérante y déclare que les ventes qui sont réalisées dans ce magasin d'usine représentent 'à peine 10%, je dirai 5% du chiffre d'affaires' ; aussi, les sociétés appelantes ne pouvaient-elles ignorer que des ventes aux particuliers y étaient réalisées, ni la part non négligeable qu'elles représentaient dans le chiffre d'affaires de la société CTC.
De même, la société SEBH étant le seul client de la société CTC, les appelantes ne pouvaient ignorer que les produits proposés par le magasin d'usine CTC -dont la nature même est d'écouler la production fabriquée sur place- étaient griffés Bruce Field, puisque provenant de l'usine même qui les fabriquait ; ce d'autant que la gérante de la société CTC revendiquait dans un reportage télévisuel ne produire que pour la marque Bruce Field, laquelle figurait en enseigne sur la façade de la société CTC, comme en témoigne madame [K].
Il sera également relevé que le reportage diffusé par bip.tv contient des images de l'intérieur du magasin d'usine CTC montrant que des chemises griffées y étaient vendues sur des rayonnages et dans les mêmes conditions que ceux photographiés par l'huissier lors de la saisie-contrefaçon du 10 novembre 2015.
Par ailleurs, la société SEBH a adressé des factures pour des produits textiles à la boutique de la société CTC dès 1996, dont neuf entre 2011 et 2014, ce qui confirme encore le fait qu'elle savait que cette société proposait à la vente des produits BRUCE FIELD et qu'elle lui fournissait notamment d'autres produits porteurs de cette marque (plusieurs factures portant les initiales BF à côté de la désignation du produit), la société CTC ne fabriquant que des chemises.
Les appelantes ne fournissent aucune indication quant à l'identification ou quant au volume du stock de tissu appartenant à la société SEBH qui aurait été détourné, alors que la société SEBH était informée par la société CTC de la réception des nouveaux tissus qu'elle avait commandés.
De plus, lors de la saisie-contrefaçon la gérante de la société CTC a indiqué que 'tous les produits présents dans le magasin d'usine sont griffés Bruce Field' et que 'les chemises présentes dans le magasin ne sont que des chemises pour homme fabriquées soit à partir du tissu fourni par la société SEBH soit avec du tissu que la société CTC achète de son côté directement auprès de différents fournisseurs' et sont annexées au procès-verbal alors dressé des factures d'approvisionnement de tissu au nom de la société CTC. Aussi, et à défaut de tout élément de preuve, les appelantes n'établissent pas le volume du tissu appartenant à la société SEBH qui aurait été détourné et utilisé par la société CTC afin de réaliser les chemises en vente dans son magasin d'usine, et ne peuvent utilement soutenir qu'elles n'avaient autorisé que des ventes ponctuelles mais pas dans les proportions pratiquées par la société CTC.
Il ressort de ce qui précède que le dirigeant des sociétés appelantes savait que la société CTC proposait dans son magasin d'usine des produits griffés Bruce Field, et qu'il ne s'agissait pas seulement de produits fabriqués avec les chutes de tissu. Aussi le tribunal a justement déduit que cette tolérance prolongée traduisait une acceptation tacite de l'exploitation de la marque Bruce Field par la société CTC dans son magasin d'usine, l'existence d'un contrat de licence ne nécessitant pas l'existence d'un écrit.
Par conséquent, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés UNION DISTRIBUTION et SEBH au titre de la contrefaçon, et du préjudice en résultant.
Sur la concurrence déloyale
Les sociétés UNION DISTRIBUTION et SEBH soutiennent que la commercialisation par la CTC des articles litigieux à un tarif inférieur a affecté la vente de ces produits dans les boutiques, et a porté atteinte à l'image de la marque litigieuse. Elles ajoutent que la société CTC a indûment profité de la renommée de la marque, se rendant coupable de concurrence déloyale.
La société CTC explique que la vente dans son magasin d'usine des chemises Bruce Field à un prix inférieur n'affecte pas les ventes réalisées en boutique, car son usine est située à 200 kilomètres du magasin Bruce Field le plus proche, de sorte qu'aucune captation de clientèle ne peut être caractérisée. Elle ajoute que ces ventes ont permis de faire connaître la marque Bruce Field dans la région, et que les sociétés appelantes ne peuvent faire état d'un quelconque préjudice d'image du fait de ces ventes à bas coûts alors que la société SEBH vend elle-même à prix cassé sur son site internet.
Sur ce
La cour relève que les sociétés UNION DISTRIBUTION et SEBH n'invoquent plus en cause d'appel le parasitisme, demande dont elles ont été déboutées en première instance.
Le magasin d'usine de la société CTC est situé dans la zone artisanale [Localité 3], soit selon cette société à plus de 200 kilomètres de tout autre magasin proposant à la vente des produits griffés Bruce Field, et les appelantes ne produisent pas de pièces établissant le contraire, de sorte qu'il n'est pas justifié qu'une boutique commercialisant des produits Bruce Field ait souffert d'une désaffection de sa clientèle qui se serait orientée vers le magasin d'usine CTC.
Par ailleurs, un magasin d'usine étant destiné à écouler directement sur le lieu de production les marchandises qui y sont fabriquées, une offre à moindre prix y est couramment pratiquée ; la direction des sociétés appelantes était, comme il a été vu précédemment, au courant des ventes au magasin CTC, de sorte qu'aucune faute - au sens de l'article 1240 du code civil - n'est constituée du fait de cette vente à prix réduits.
Au vu de ces seuls faits, et alors que les appelantes ne justifient pas du préjudice qu'aurait subi la marque Bruce Field du fait de cette vente en magasin d'usine, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés UNION DISTRIBUTION et SEBH de leur demande au titre de la concurrence déloyale.
Sur la rupture brutale des relations commerciales
Les sociétés appelantes soutiennent que la rupture, si tant est qu'elle soit intervenue brutalement, serait justifiée par les fautes de l'intimée, qui ne pourrait pas en solliciter l'indemnisation. Elles allèguent que la société SEBH a accompagné la société CTC durant leurs relations commerciales, a fait montre de transparence à son égard, et s'est engagée à maintes reprises à son profit. Elles expliquent que les difficultés rencontrées par la société SEBH l'ont amenée à réduire le volume de ses commandes auprès de la société CTC, et ont donné à leurs relations un caractère précaire.
Elles contestent s'être opposées au rachat de la société CTC, dont la défaillance leur a porté préjudice, et dont l'absence d'initiative lui est exclusivement imputable. Elles font état d'un taux de marge allégué par la société CTC déraisonnable, au vu des charges qu'elle devait supporter.
La société CTC avance qu'en cas de rupture brutale de relations commerciales de plus de 15 années, le préavis à respecter est de deux ans, et rappelle les conditions dans lesquelles un produit est considéré comme vendu sous marque de distributeur. Elle en déduit qu'au vu de l'ancienneté des relations entre les sociétés, un préavis de quatre années aurait dû être respecté. Elle soutient que les appelantes lui ont fait supporter la baisse des ventes de la marque Bruce Field, quitte à la détruire. Elle demande la confirmation du jugement mais son infirmation sur le quantum, et soutient qu'un préavis de trois années aurait dû être retenu. Elle demande l'augmentation du montant des dommages et intérêts sur la base d'un délai de préavis de trois ans.
Sur ce
L'article L446-2 I 5ème du code de commerce prévoit que
«Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :... De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels».
Il sera rappelé que monsieur [T] a participé à la création de la société CTC, qui a commencé son activité selon le registre du commerce et des sociétés le 6 avril 1990, en souscrivant à son capital, et qu'il s'en est porté caution en 1992 auprès d'un organisme bancaire et en 1995 lorsqu'elle a contracté un crédit-bail immobilier. Il est aussi attesté de sa présence lors de l'inauguration du magasin de la société CTC en 1996, et du fait qu'il a effectué de nombreuses visites sur place.
La réalité des relations commerciales entre les sociétés SEBH et CTC est notamment établie par les factures saisies par l'huissier lors de la saisie-contrefaçon.
L'importance des relations commerciales établies entre la société SEBH et la société CTC ressort de l'attestation, produite par les appelantes, de monsieur [Q], chef d'entreprise, qui a projeté au début de l'année 2015 de reprendre la société CTC et qui indique qu'à l'occasion d'une réunion dans les bureaux de la société SEBH, en présence notamment de son expert comptable et de celui de la société CTC, il avait compris 'l'attachement de monsieur [T] pour l'unité de production CTC, ainsi que sa reconnaissance vis-à-vis de l'ensemble du personnel'.
La cour relève que si la société CTC produit peu de pièces établissant le caractère continu des relations commerciales avec la société SEBH, les appelantes ne contestent par l'ancienneté des relations commerciales. En outre, les courriers de la société SEBH des 18 novembre 2014 et 1er juin 2015 annonçant la réduction du volume des commandes à la société CTC à 1300 chemises par semaines, puis 1000 chemises par semaine, révèlent la réalité et l'importance de ces relations, dont le caractère établi n'est pas non plus contesté.
Aussi, la société CTC revendiquant un début des relations commerciales en 1992, et n'étant pas contesté que leur fin est intervenue en 2015, une durée de plus de vingt années -en l'occurrence 23 ans- sera retenue.
Il n'est pas contesté qu'à la suite de la saisie-contrefaçon du 10 novembre 2015, les relations commerciales entre les sociétés CTC et SEBH ont cessé, les appelantes ne faisant état d'aucune commande passée après cette date, et la société SEBH indiquant dans un courrier du 11 décembre 2015 adressé à une société tierce (la société LORDSON) avoir été contrainte de cesser toutes ses relations commerciales avec la société CTC.
Les appelantes ne justifient pas de l'envoi d'un courrier par la société SEBH à la société CTC l'informant de la rupture de leurs relations commerciales, de sorte qu'aucun préavis n'a été respecté.
La brutalité de la rupture est ainsi établie, puisque les relations commerciales entre les sociétés ont brusquement cessé à compter du mois de novembre 2015.
Faute pour les sociétés appelantes d'avoir démontré la réalité des griefs allégués à l'encontre de la société CTC, elles ne peuvent en tirer argument pour écarter toute indemnisation du fait de la rupture brutale des relations commerciales.
S'agissant du volume de ces relations, la société CTC soutient qu'elles s'élevaient à 1900 chemises par semaine, avant que la SEBH ne réduise à 1300 chemises, puis 1000 chemises par semaine, et les appelantes reconnaissent dans leurs conclusions (p4, p21) que les commandes étaient, pour la période de 2010 à 2103, de 1900 chemises par semaine.
La société SEBH a annoncé, par courrier du 18 novembre 2014, à la société CTC une diminution de ses commandes à 1300 chemises par semaine puis, par un autre courrier du 1er juin 2105, une seconde réduction de ses commandes à 1000 chemises par semaine (cette réduction étant annoncée plusieurs mois avant, comme le montre le mail du 31 mars 2015 -pièce 43 des appelantes, annexe 3-), diminution qu'elle a expliquée par l'importance de son stock et la baisse de ses ventes.
Il s'en suit que les commandes de la société SEBH à la société CTC ont pratiquement diminué de moitié entre le mois de novembre 2014 et novembre 2015, au cours duquel les relations commerciales ont cessé.
S'agissant de la relation d'exclusivité, il a déjà été indiqué que lors d'un interview télévisé, la gérante de la société CTC revendiquait n'avoir comme client que la société SEBH.
Les appelantes contestent que la société SEBH ait exigé que la société CTC soit exclusivement dédiée à la production de ses produits et font état notamment d'un fax de la société CTC portant sur la marque BALMORAL et d'un autre du 18 juin 2009 révélant que la société CTC était aussi dans l'attente de commandes pour d'autres marques ([R] Dimension, Pin Up).
Cependant, l'enseigne BRUCE FIELD figurait sur le magasin d'usine, et la communication sur la marque BRUCE FIELD soulignait que l'atelier de confection situé près [Localité 1] était uniquement dédié à la fabrication de ses chemises et chemisiers (pièce 6 intimée), ce qui révèle qu'une exclusivité de la production de la société CTC au profit de cette enseigne avait été exigée.
Pour autant, il résulte de l'attestation de monsieur [Q], qui s'est intéressée au rachat de la société CTC en 2014 et 2015 et a cherché à diversifier les clients de cette société (pièces19, 40, 43 appelantes), que monsieur [T] ne s'y est pas opposé alors qu'il contactait des marques concurrentes des siennes, et il ressort des pièces que c'est la gérante de la société CTC qui a alors refusé les tentatives de diversification qui étaient proposées, en expliquant que son atelier était formaté BRUCE FIELD.
Aussi, s'agissant de l'année précédant sa liquidation, la société CTC n'a pas cherché à diversifier sa clientèle et s'est maintenue en situation de dépendance à l'égard de la société SEBH, alors que les commandes de cette société étaient en nette diminution et que celle-ci n'exigeait plus d'exclusivité.
S'agissant du doublement du préavis, sollicité par la société CTC en soutenant qu'elle produisait pour le compte de la société SEBH sous marque de distributeur, il sera rappelé qu'est considéré comme produit vendu sous marque de distributeur le produit dont les caractéristiques ont été définies par l'entreprise ou le groupe d'entreprises qui en assure la vente au détail et qui est le propriétaire de la marque sous laquelle il est vendu.
Un produit est réalisé sous marque de distributeur si quatre critères cumulatifs sont réunis, soit:
les caractéristiques du produit doivent être définies par le distributeur ;
le produit est destiné à la vente (revente) au détail ;
le produit doit faire l'objet d'une vente (revente) par le distributeur ;
le produit doit être vendu (revendu) sous une marque dont le distributeur est propriétaire.
En l'espèce, faute pour la société CTC de démontrer avoir reçu un cahier des charges de la société SEBH précisant les caractéristiques des produits qu'elle fabriquait pour son compte, elle ne peut bénéficier du doublement du préavis prévu pour les marques de distributeur.
Au vu des éléments qui précèdent, le tribunal a fait une juste appréciation en indiquant que la société CTC aurait dû bénéficier d'un préavis d'une durée de 18 mois, et le jugement sera confirmé sur ce point.
La réparation du préjudice créé par la rupture de cette relation commerciale établie sera donc déterminée au vu de la marge brute qu'aurait réalisée la société CTC pendant une période de 18 mois, à raison d'un volume de vente de 1000 chemises par semaine.
La société CTC fait état d'un taux de marge brute de 92,64% en 2014, et de 92,22% en 2013, soit une moyenne de 92,43%.
Ce taux de marge allégué est contesté par les sociétés appelantes, paraît très élevé dans le secteur de la confection sur une unité de production située en France, et la société CTC n'a pas produit d'attestation d'un expert comptable attestant d'un tel taux.
L'état financier de la société CTC au 31 décembre 2014 fait apparaître un chiffre d'affaires net de 1.127.195 euros, dont il faut notamment déduire les charges du personnel (salaires et traitements : 718.476 euros) et les autres charges (matières premières, coûts de production).
Dès lors, et au vu des éléments dont dispose la cour, il convient de retenir un taux de marge de 25%.
Le chiffre d'affaires net réalisé par la société CTC pour les années 2013 et 2014 est en moyenne de 1.160.854 euros.
Aussi, l'indemnisation due au titre du préavis de 18 mois s'élève à 435.320 euros, et il convient d'infirmer le jugement en condamnant la société SEBH au paiement de ce montant.
Sur le coût de la liquidation judiciaire de la société CTC
Le jugement a condamné la société SEBH au paiement de la somme de 261.610,99 euros correspondant au coût du licenciement des salariés de la société CTC, en retenant que l'arrêt des commandes de la société SEBH et la rupture brutale et sans fondement des relations commerciales entre les sociétés étaient la cause directe de la cessation de l'activité de la société CTC et de son impossibilité de faire face à son passif exigible, fondant sa liquidation judiciaire prononcée le 9 décembre 2015 par le tribunal de commerce [Localité 1].
Si les sociétés appelantes soutiennent que la liquidation judiciaire de la CTC s'expliquerait par les décisions portant sur sa gestion et une absence d'initiative, il apparaît qu'une relation d'exclusivité existait au profit de la société SEBH ; les appelantes ne peuvent arguer que le maintien d'une telle exclusivité n'était plus exigé dans les mois précédant la liquidation -au cours desquelles la société SEBH a grandement réduit ses commandes avant de les arrêter-, pour expliquer la liquidation judiciaire de la CTC par ses décisions de gestion.
La liquidation judiciaire de la société CTC a été prononcée par le tribunal de commerce [Localité 1] le 9 décembre 2015, donc dans le mois suivant la cessation des commandes de la société SEBH, alors que celles-ci, qui étaient auparavant de 1900 chemises par semaine, avaient été réduites à 1300 puis 1000 chemises par semaine en novembre 2014 et juin 2015.
Il apparaît ainsi que la rupture brutale des relations commerciales établies, du fait de la cessation des commandes de la SEBH, est la cause de la cessation d'activité de la société CTC et de sa liquidation, ainsi que des licenciements de ses salariés.
Par conséquent, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société SEBH au paiement de la somme de 261.610,99 euros, correspondant à la somme des créances déclarées par le Centre de Gestion et d'Etudes AGS.
Sur les demandes des sociétés appelantes
Les sociétés appelantes succombant au principal, elles seront déboutées de leurs demandes.
Sur les autres demandes
Les sociétés appelantes seront condamnées au paiement des dépens.
Elles seront également condamnées au paiement de la somme totale de 8000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf sur le quantum alloué à la société CTC au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, et condamne la société SEBH à verser à la SCP, [J] [N] ès qualités la somme de 435.320 € correspondant au préavis de rupture du contrat, outre la somme de 261.610,99 € au titre du coût de la liquidation judiciaire,
Y ajoutant,
Déboute les sociétés SEBH et UNION DISTRIBUTION de toutes leurs demandes,
Condamne les sociétés SEBH et UNION DISTRIBUTION à verser à la SCP [J] [N] ès-qualité la somme totale de 8 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d'appel,
Les condamne aux entiers dépens qui pourront être recouvrés par Me Frédéric Lallement conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LE PRÉSIDENTLE GREFFIER