La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/11/2018 | FRANCE | N°18/06296

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 15 novembre 2018, 18/06296


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRET DU 15 NOVEMBRE 2018



(n°568, 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/06296 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5LHE



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 13 Mars 2018 -Tribunal de Commerce de CRETEIL - RG n° 2018R00051



APPELANTES



SAS STAFFMATCH FRANCE prise en la personne de son représentant léga

l domicilié [...]

N° SIRET : 824 080 766



SAS STAFFMATCH FRANCE 1 prise en la personne de son représentant légal domicilié [...]

N° SIRET : 809 818 008



Représent...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRET DU 15 NOVEMBRE 2018

(n°568, 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/06296 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5LHE

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 13 Mars 2018 -Tribunal de Commerce de CRETEIL - RG n° 2018R00051

APPELANTES

SAS STAFFMATCH FRANCE prise en la personne de son représentant légal domicilié [...]

N° SIRET : 824 080 766

SAS STAFFMATCH FRANCE 1 prise en la personne de son représentant légal domicilié [...]

N° SIRET : 809 818 008

Représentés par Me Marie-Catherine X... de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

Assistés par Me Jonathan D... C... D'AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0100

INTIMEE

SAS BRIGAD agissant poursuites et diligences en la personne de son président domicilié [...]

N° SIRET : 814 956 744

Représentée par Me Florence Y... de la SELARL SELARL PELLERIN - DE MARIA - Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Assistée par Me Michel Z... E... B... AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B0523

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 11 Octobre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de:

M. Bernard CHEVALIER, Président

Mme Véronique DELLELIS, Présidente

Mme Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par MmeAgnès BODARD-HERMANT, Conseillère, dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : M. Aymeric PINTIAU

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Bernard CHEVALIER, Président et par Aymeric PINTIAU, Greffier.

La A... Staffmatch France et la A... Staffmatch France 1, sociétés du groupe Staffmatch structurées autour de la société holding luxembourgeoise Staffmatch dont la vitrine commerciale est le site internet www.staffmatch.com, exercent une activité de siège social (code Naf 7010Z) pour la première et d'agence de travail temporaire dans l'hôtellerie et la restauration pour la seconde (code Naf 7820Z).

La SAS Brigad, exerce une activité de programmation informatique et particulièrement d'exploitation d'un site internet (www.brigad.co) permettant la mise en relation de professionnels du secteur de la restauration (code Naf 6201Z).

Par acte du 26 janvier 2018, les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1, ont fait assigner la société Brigad devant le juge des référés du tribunal de commerce de Créteil aux fins de voir reconnaître que l'activité de celle-ci leur cause un trouble manifestement illicite et les expose à un dommage imminent et, en conséquence, de voir:

- ordonner à la société Brigad de stopper toute pratique commerciale trompeuse et publicité mensongère, sous astreinte;

- ordonner la suspension par celle-ci de toute mise en relation sur sa plate-forme avec de faux indépendants, sous astreinte;

- la condamner au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par ordonnance rendue le13 mars 2018, le juge des référés du tribunal de commerce de Créteil adit n'y avoir lieu à référé, rejeté les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné les demanderesses aux dépens.

Les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 sont appelantes de cette ordonnance par déclaration du 26 mars 2018 et par conclusions communiquées par voie électronique le 25 septembre 2018, elles demandent à la cour de l'infirmer et de :

- enjoindre sous astreinte à la société Brigad de mettre fin à toute activité relevant de la profession réglementée des entreprises de travail temporaire;

- interdire, sous astreinte, à la société Brigad d'exercer directement ou indirectement les actes relevant du monopole attribué par la loi à la profession d'entreprise de travail temporaire, et plus précisément la mise à disposition de personnel en dehors du cadre légal;

- faire interdiction à la société Brigad, sous astreinte, d'offrir au public de telles prestations dans toute démarche publicitaire ou d'information sur tout support ;

- faire injonction à l'intimée de cesser la diffusion de ces informations sur les sites : www.brigad.co, www.welcometothejungle.co/companies/brigad, www.facebook.com/brigad.co et twitter.com/joinbrigad'lang=en;

- ordonner, sous astreinte, la publication du dispositif de la décision à intervenir, aux frais de l'intimée, dans Les Echos, La Tribune, et Le Parisien;

- condamner la société Brigad au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouter la société Brigad de ses demandes et la condamner aux dépens.

Elles soutiennent ce qui suit:

- la société Brigad exerce illégalement une activité d'agence d'interim sans supporter les contraintes de cette activité réglementée, en employant de faux auto-entrepreneurs, à qui elle impose le statut d'indépendant mais dont les conditions réelles d'exécution du travail correspondent à celles d'un emploi d'extra qu'elles rémunèrent,

- cette activité est, en conséquence, constitutive des délits de prêt illicite de main d'oeuvre, marchandage, travail dissimulé par dissimulation d'activité et complicité de ce délit par dissimulation d'emploi salarié,

- l'activité de la société Brigad échappe à la réglementation des plate-formes numériques en vertu de la jurisprudence récente de la Cour de Justice de l'Union européenne et en ce que cette réglementation ne vise que les consommateurs ou l'échange de services.

Elles en déduisent que la concurrence qui leur est faite par la société Brigad est déloyale et que la publicité comparative à laquelle elle se livre est d'autant plus trompeuse qu'elle laisserait entendre par la reproduction du logo 'French Tech' qu'elle aurait obtenu une autorisation de l'Etat pour exercer son activité alors qu'elle est illicite.

La société Brigad , intimée, demande à la cour, par conclusions transmises par voie électronique le 25 juin 2018, d'infirmer l'ordonnance entreprise mais seulement du chef de l'article 700 du code de procédure civile, de rejeter les demandes des sociétés StaffMatch France et StaffMatch France 1 et de les condamner à lui payer une indemnité de procédure de 20.000 euros ainsi qu'aux dépens.

Elle soutient :

- qu'elle est une plate-forme de mise en relation par voie électronique régie par la directive commerce électronique, les articles L. 7342 et suivants du code du travail, 242 bis du code général des impôts, et L. 111-7 et suivants du code de la consommation,

- qu'elle n'est donc pas une entreprise de travail temporaire telle que définie aux articles L. 1251-1 et suivants du code du travail,

- et que les allégations de « faux indépendants », « concurrence déloyale », « publicités comparatives trompeuses » et d'infractions pénales ne reposent sur aucun élément tangible.

La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE LA COUR

En vertu de l'article 873 alinéa 1er du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut toujours, dans les limites de la compétence de ce tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou non, constitue une violation évidente de la règle de droit et le dommage imminent s'entend de celui qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation dénoncée perdure.

Les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 sont des entreprises de travail temporaire qui interviennent dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration et dont l'activité consiste à mettre à disposition provisoire d'entreprises clientes, dites entreprises utilisatrices, des salariés qu'elles recrutent et rémunèrent.

La société Brigad exploite une plate-forme internet ayant pour objet de mettre en relation des professionnels de la restauration et de l'hôtellerie. Son activité consiste:

- à identifier des profils d'indépendants inscrits gratuitement sur cette plate-forme sous réserve de justifier de leur expérience dans le domaine de l'hôtellerie et de leur immatriculation au Registre du commerce et des sociétés.

- et à les mettre en relation avec les entreprises du secteur ayant publié une annonce correspondant à leurs besoins de services occasionnels d'un professionnel. Au vu des pièces produites, elle n'intervient manifestement pas dans ce choix et, à l'évidence, ne rémunère pas les indépendants.

Au vu des pièces produites et de ce qui précède , les griefs invoqués par les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 à l'encontre de la société Brigad pour caractériser des faits d'exercice illégal de la profession réglementée d'entreprise de travail temporaire, de contournement frauduleux du régime des micro-entrepreneurs, de marchandage, de prêt illicite de main d'oeuvre, constitutifs d'un trouble manifestement illicite et d'un dommage imminent par leur réitération, reposent sur le présupposé que les travailleurs indépendants inscrits sur la plate-forme litigieuse seraient en réalité des salariés.

En outre, c'est 'le modèle économique'en soi de la plateforme numérique (conclusions p. 20 et 31 par exemple) dont elles contestent la licéité - comme étant constitutif d'infractions pénales, au code du travail et à celui du code de la consommation - pour en déduire d'une part, une concurrence déloyale ne leur permettant pas d'être compétitives dans le cadre réglementé qui s'impose aux entreprises de travail temporaire dont ce modèle s'affranchirait et, d'autre part, une publicité comparative trompeuse qui promeut ce modèle alors qu'il serait illicite.

Or, il est créé un nouveau titre, aux articles L7341-1 et suivants du code du travail - issus de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels et du décret du 4 mai 2017 relatif à la responsabilité sociale des plate-formes de mise en relation par voie électronique - 'applicable aux travailleurs indépendants recourant, pour l'exercice de leur activité professionnelle, à une ou plusieurs plate-formes de mise en relation par voie électronique définies à l'article 242 bis du code général des impôts' et prévoyant les conditions d'exercice de cette responsabilité sociale.

Ainsi, l'essor des plate-formes numériques telles que celle en litige est encadré par ces dispositions.

Certes, en vertu de l'article L. 8221-6 de ce code, si les travailleurs indépendants sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation au Registre du commerce et des sociétés, l'existence d'un tel contrat peut néanmoins être établie lorsque ces personnes fournissent, directement ou par une personne interposée, des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.

Cependant, les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1, qui établissent avoir dénoncé aux services du Ministère du travail et de la DGCCRF , dès les 14 et 19 juin 2017, le caractère illégal à cet égard de l'exercice par la société Brigad de son activité, ne s'expliquent pas sur les suites effectivement données par ces services à leurs signalements ni sur les procédures initiées par les intéressés en vue de se voir reconnaître la qualité de salarié.

Par ailleurs, elles soutiennent vainement que la réglementation applicables aux plate-formes numériques ne s'appliquerait pas à l'activité de la société Brigad, au visa de l'article L111-7 du code de la consommation qui ne viserait que les consommateurs ou les plate-formes d'échange de services et de l'arrêt rendu par la Cour de Justice de l'Union, rendu sur renvoi préjudiciel, dans l'affaire Association Profasion Profesional Elite Taxi/ Uber Systèms Spain SL (CJUE, 20 décembre 2017, C 434-15) qui l'excluerait.

En effet, d'une part, les termes généraux de l'article L111-7 précité ne confortent pas à l'évidence la limitation alléguée de son champ d'application aux seuls consommateurs et plate-formes d'échange de services. En outre, cette allégation n'est étayée d'aucune jurisprudence ni doctrine.

D'autre part, les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 se bornent à considérer comme transposable la solution retenue par l'arrêt précité de la Cour de Justice, rendu sur renvoi préjudiciel, qu'elles n'analysent pas, ne citant pas même ce qu'elle a dit pour droit, à savoir que 'l'article 56 TFUE, lu conjointement avec l'article 58 , § 1, TFUE, ainsi que l'article 2 , § 2, sous d), de la directive 2006/123 et l'article 1er , point 2, de la directive 98/34, auquel renvoie l'article 2, sous a), de la directive 2000/31 doivent être interprétés en ce sens qu'un service d'intermédiation, tel que celui en cause au principal, qui a pour objet, au moyen d'une application pour téléphone intelligent de mettre en relation contre rémunération, des chauffeurs non professionnels utilisant leur propre véhicule avec des personnes qui souhaitent effectuer un déplacement urbain doit être considéré comme étant indissociablement lié à un service de transport et comme relevant , dès lors, de la qualification de 'service dans le domaine des transports', au sens de l'article 58, § 1 TFUE. Un tel service doit, partant, être exclu du champ d'application de l'article 56 TFUE, de la directive 2006/123 et de la directive 2000/31.'(point 48).

En cet état, les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 n'établissent pas, même avec l'évidence requise en référé, en quoi cet arrêt et l'analogie alléguée entre 'l'ubérisation' des transports et celle de l'intérim doivent à l'évidence conduire à la requalification de l'activité de la société Brigad , dont la société Uber serait l'un des investisseurs principaux, en une activité d'agence d'interim, exclue du bénéfice de la réglementation des plate-formes numériques.

En conclusion, la reconnaissance légale manifeste du modèle économique contesté de la société Brigad et l'absence d'indices suffisants permettant à l'évidence de renverser la présomption de l'article L 8221-6 du code du travail privent de caractère manifeste l'illicéité invoquée de son activité et ne saurait non plus causer aux sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 de dommage imminent au sens de l'article 873 du code de commerce qui fonde leurs demandes.

Les activités de concurrence déloyale et de publicités trompeuses reprochées à la société Brigad se déduisant du caractère manifestement illicite de son activité, leurs demandes à ce titre s'avèrent sans objet.

Pour le surplus, les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 n'établissent pas que la société Brigad n'est manifestement pas une start up de la French Tech dont elle utiliserait le logo, ce qui en tout état de cause, ne résulte pas avec l'évidence requise en référé du procès verbal de constat dressé les 4 et 7 novembre 2017, non contradictoirement.

L'ordonnance entreprise qui a dit n'y avoir lieu à référé sera donc confirmée.

Le premier juge a fait une application fondée de l'article 696 du code de procédure civile et équitable de l'article 700 du même code . L'ordonnance entreprise sera donc également confirmée de ces chefs.

En appel, conformément à ces mêmes articles, les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1, partie perdante, doivent supporter la charge des dépens et ne peuvent prétendre à une indemnité de procédure mais doivent payer à ce titre à la société Brigad la somme indiquée au dispositif.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions;

y ajoutant,

Condamne in solidum les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 aux dépens d'appel;

Condamne in solidum les sociétés Staffmatch France et Staffmatch France 1 à payer à la société Brigad une indemnité de procédure de 12.000 euros et rejette toute autre demande à ce titre.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 18/06296
Date de la décision : 15/11/2018

Références :

Cour d'appel de Paris A2, arrêt n°18/06296 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-11-15;18.06296 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award