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14/11/2018 | FRANCE | N°17/03724

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 14 novembre 2018, 17/03724


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 6



ARRÊT DU 14 NOVEMBRE 2018



(n° , 2 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/03724 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B233B



Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Février 2017 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F14/15368







APPELANTE



Madame [D] [D]



[Adresse 1]

[Localité 1]

née le [Date naissance 1] 1969

Représentée par Me Frédéric INGOLD, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055 ayant pour avocat plaidant Me François ILLOUZ, avocat au...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRÊT DU 14 NOVEMBRE 2018

(n° , 2 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/03724 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B233B

Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Février 2017 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F14/15368

APPELANTE

Madame [D] [D]

[Adresse 1]

[Localité 1]

née le [Date naissance 1] 1969

Représentée par Me Frédéric INGOLD, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055 ayant pour avocat plaidant Me François ILLOUZ, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

SASU AUREL BGC

[Adresse 2]

[Localité 2]

RCS de [Localité 3] n° 652 051 178

Représentée par Me Eric MANCA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 18 Septembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Marie-Luce GRANDEMANGE, Présidente de chambre

Mme Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère

Mme Aline DELIÈRE, Conseillère, rédactrice

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Marie-Luce GRANDEMANGE, Présidente de chambre dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Martine JOANTAUZY

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-Luce GRANDEMANGE, présidente et par Madame Martine JOANTAUZY, greffière, présente lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 13 juin 2008 Mme [D] [D] a été engagée dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de vendeur département crédit par la société Aurel BGC, entreprise d'investissement exerçant une activité réglementée d'intermédiation sur les marchés de capitaux.

L'article 1 de son contrat de travail dispose : « Vos fonctions revêtent un caractère évolutif tenant d'une part aux impératifs d'adaptation de la Société et à ses besoins, et d'autre part aux capacités et à l'approfondissement de vos compétences.

Ceci étant, il est expressément convenu que vous assurerez la couverture exclusive des gérants dénommés ci-après, au sein des sociétés suivantes : CICAM (L. [M]), GROUPAMA (E. [V], D. [A]) et AG2R (G. [K]), sans que l'affectation de la couverture de tout ou partie de ces clients puisse être transférée, pour quelque cause que ce soit, à une autre personne travaillant pour la Société, ou pour toute société affiliée à la Société. Cette couverture exclusive s'applique aux certificats de dépôt, aux obligations (crédit) et aux produits structurés ainsi qu'à tout autre produit financier traités au sein du département « crédit » auquel vous serez rattachée. Cette couverture exclusive ne s'applique pas à d'autres gérants des institutions précédemment précitées. »

Le 28 novembre 2014 Mme [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris en résiliation judiciaire de son contrat de travail et en paiement de rappels de salaire.

Le 25 novembre 2014 elle avait été placée en arrêt de travail. Elle a repris son poste le 13 avril 2015 et par avis du 23 avril 2015 le médecin du travail l'a déclarée apte.

Le 1er septembre 2015 elle a été convoquée à un entretien préalable fixé au 9 septembre 2015 puis licenciée par courrier du 15 septembre 2015 pour insuffisance professionnelle.

Elle a complété ses demandes devant le conseil de prud'hommes en sollicitant des dommages et intérêts pour harcèlement moral et des indemnités pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 22 février 2017 le conseil de prud'hommes a débouté Mme [D] de toutes ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

Elle a fait appel le 10 mars 2017.

Elle expose ses moyens et ses demandes dans ses conclusions notifiées et remises au greffe le 18 juin 2018 auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.

Elle conclut à l'infirmation du jugement et demande à la cour de :

- prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société AUREL BGC pour des faits antérieurs à son licenciement,

- condamner la société AUREL BGC à lui payer la somme de 450 000 euros au titre du rappel de rémunération variable concernant le client CICAM pour la période du 1er janvier 2013 à la date de rupture de son contrat de travail, outre la somme de 45 000 euros au titre des congés payés afférents, et si la cour l'estime nécessaire, elle lui demande à titre subsidiaire la communication sous astreinte de 150 euros par jour de retard des chiffres d'affaires réalisés par la société Ginalfi Finances puis par la société AUREL BGC avec le client CICAM sur la période du 1er janvier 2013 au 15 septembre 2015, qui auront été préalablement certifiés fidèles, sincères et exacts par un expert-comptable indépendant,

- condamner la société AUREL BGC à lui restituer la somme de 248 841 euros au titre du rappel des salaires prélevés indûment par l'employeur sans son accord préalable du fait de l'attribution d'actions abusivement qualifiées de « gratuites », ou à titre subsidiaire, la somme de 165 841 euros, outre la somme de 24 884 euros en principal et subsidiairement 16 584 euros au titre des congés payés afférents,

- condamner la société Aurel BGC à lui payer la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant de la violation de son obligation de sécurité de résultat concernant sa santé et des agissements constitutifs de harcèlement moral à son encontre,

- déclarer nul ou à titre subsidiaire sans cause réelle et sérieuse le licenciement intervenu le 15 septembre 2015 et condamner la société Aurel BGC à lui payer la somme de 300 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- ordonner la remise des documents de fin de contrat conformes sous astreinte de 50 euros par jour de retard,

- condamner la société AUREL BGC à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Aurel BGC expose ses moyens et ses demandes dans ses conclusions notifiées et remises au greffe le 3 juillet 2018 auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.

Elle conclut à la confirmation du jugement et réclame la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE L'ARRÊT

1) Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et les demandes de rappel de salaire et de dommages et intérêts

Mme [D] invoque quatre motifs à l'appui de sa demande de résiliation de son contrat de travail et de ses demandes de rappel de salaire et de dommages et intérêts.

a) La violation de la clause d'exclusivité du contrat de travail

Mme [D], aux termes de l'article 1 de son contrat de travail, devait assurer la couverture exclusive du gérant de la société CICAM. Elle soutient que le 21 décembre 2012 la société Ginalfi Finances a été affiliée à la société Aurel BGC, qu'elle ne disposait plus d'aucune autonomie et que la société Aurel BGC exerçait un contrôle de fait sur elle, que la société Ginalfi Finances a continué à effectuer des opérations avec la société CICAM après le 21 décembre 2012 en violation de la clause d'exclusivité de son contrat de travail et que la société CICAM a privilégié ses relations commerciales avec la société Ginalfi Finances de telle sorte que son propre chiffre d'affaires avec la société CICAM a fortement diminué en 2013 et en 2014, ce qui a eu des conséquences sur sa rémunération.

Il ressort des pièces produites par la société Aurel BGC que le 21 décembre 2012 la société BGC France Holdings, dont la société Aurel BGC est la filiale à 100 %, a acquis la société concurrente Ginalfi Finances. La société BGC France Holdings est elle-même une filiale à 100 % du groupe de droit anglais BGC Brokers LP. Le 1er août 2015 a été réalisée une opération de transfert universel du patrimoine de la société Ginalfi Finances à la société Aurel BGC. La société Ginalfi Finances n'était donc pas affiliée à la société Aurel BGC et les deux sociétés sont restées des entités juridiques distinctes jusqu'au 1er août 2015.

L'article 1 du contrat de travail de Mme [D] interdit à la société Aurel BGC le transfert de la couverture des clients à un autre salarié ou à une autre société affiliée : « sans que l'affectation de la couverture de tout ou partie de ses clients puisse être transférée, pour quelque cause que ce soit, à une autre personne travaillant pour la Société, ou pour toute société affiliée à la Société ». Mme [D] doit donc établir qu'un tel transfert a eu lieu en violation de la clause d'exclusivité.

La société Aurel BGC démontre que la société Ginalfi Finances avait déjà la société CICAM comme cliente depuis l'année 2007, soit 5 années avant qu'elles ne soient toutes deux affiliées à la société BGC France Holdings. Dans un mail du 27 octobre 2015 adressé à Mme [D] M. [M], gérant de la société CICAM, écrit : « Si j'ai effectué beaucoup moins d'opérations avec toi en 2013 et 2014 ce n'est pas parce que ton savoir faire et la qualité de nos relations n'étaient plus au rendez-vous, c'est parce que ton groupe BGC a racheté Ginalfi fin 2012. A partir de ce moment et du point de vue de la gestion du risque de contrepartie, j'ai du faire un choix et il était plus simple pour moi de travailler avec Ginalfi. » . Dans un mail du 26 avril 2018 M. [M] confirme ce choix et ses motifs : « la raison qui m'a conduit à réduire mes activités avec toi pour travailler davantage avec Ginalfi relevait donc exclusivement de la gestion prudentielle de risques financiers ».

Il ressort de ce mail que le client CICAM a décidé lui-même de traiter davantage avec la société Ginalfi et même si sa décision a été prise dans le contexte du rachat de la société Ginalfi par la société BGC France Holdings il n'en ressort pas qu'il a été sollicité en ce sens par la société Aurel BGC et que celle-ci lui a transféré la couverture du client CICAM.

Quant au chiffre d'affaires de Mme [D] avec ce client, il y a lieu de rappeler qu'il a commencé à diminuer avant l'année 2013 alors que Mme [D] n'invoquait alors aucune violation de la clause d'exclusivité. En effet il était de 1 903 338 euros en 2009, 919 371 euros en 2010, 418 934 en 2011 et 275 070 en 2012 ;

L'immixtion éventuelle de la société Aurel BGC dans la gestion de la société Ginalfi Finances, invoquée par Mme [D] et contestée pas la société Aurel BGC, n'implique pas nécessairement qu'il y a eu transfert de la couverture du client CICAM et il n'y a pas lieu de statuer sur la nature des relations entre les deux sociétés, Mme [D] ne démontrant pas par ailleurs que la société Aurel BGC a frauduleusement agi pour que le client CICAM traite essentiellement avec la société Ginalfi Finances à compter de l'année 2013.

Mme [D] soutient en vain, sans démontrer que cette obligation reposait sur la société Aurel BGC et sans préciser les moyens d'y parvenir, que celle-ci aurait du chercher à redonner son plein effet à la clause d'exclusivité en lui affectant intégralement le chiffre d'affaires réalisé par la société Ginalfi Finances avec le client CICAM. Elle invoque également une renégociation de son contrat de travail avec la société Aurel BGC mais elle-même ne l'a jamais sollicitée et il lui appartenait, pour compenser la perte partielle de son chiffre d'affaires avec le client CICAM, de développer son chiffre d'affaires avec ses autres clients et de rechercher de nouveaux clients.

Enfin elle ne démontre pas non plus que la société Aurel BGC s'était engagée envers elle à ce que le client CICAM ne traite qu'avec elle ni à ce que la société Ginalfi Finances renonce au client CICAM et que la clause d'exclusivité constituait une promesse de porte-fort au sens de l'article 1204 du code civil.

Le grief relatif à la violation de la clause d'exclusivité n'est donc pas établi. En conséquence la demande en paiement d'un rappel de rémunération variable sur le chiffre d'affaires que Mme [D] a perdu avec le client CICAM pour la période du 1er janvier 2013 au 15 septembre 2015 n'est pas non plus fondée.

b) Les reproches non fondés concernant ses chiffres d'affaires entre 2009 et 2013

La société Aurel BGC produit en pièce 9-1 un tableau récapitulatif du chiffre d'affaires réalisé par Mme [D] de 2009 à 2015 et un tableau du chiffre d'affaires réalisé par client de 2009 à 2015.

Mme [D] conteste ce tableau et produit deux autres tableaux.

Compte-tenu des explications de la société Aurel BGC qui justifient les différences entre le tableau du chiffre d'affaires et celui du chiffre d'affaires par client il n'y a pas lieu d'écarter le tableau récapitulatif dont les chiffres peuvent être tenus pour certains.

Il n'y a pas lieu non plus de tenir compte du chiffre d'affaires reconstitué par Mme [D] à partir de ses bulletins de paye car ses calculs ne sont pas explicites quant aux prélèvements sur ses salaires, alors que sa rémunération variable est calculée sur le chiffre d'affaires net défini dans le contrat de travail et dépend de nombreux paramètres, ni du tableau qu'elle produit à partir des données que lui a communiquées à sa demande M. [G], contrôleur de gestion, l'origine et le choix de ces données n'étant pas non plus explicitées.

Il ressort du tableau récapitulatif produit par la société Aurel BGC que le chiffre d'affaires réalisé par Mme [D] a baissé fortement entre 2009 et 2014 : 2 311 152 euros en 2009, 1 157 441 euros en 2010, 850 183 euros en 2011, 951 807 en 2012, 485 296 en 2013, 212 278 en 2014. Au 15 septembre 2015, à la date de son licenciement Mme [D] avait réalisé seulement 44 659 euros de chiffre d'affaires. Même en excluant l'année 2009, qui a été une année exceptionnelle pour la vente des titres, le tableau montre que le chiffre d'affaires de Mme [D] a baissé entre 2010 et 2011, a légèrement augmenté en 2012 et a continué à baisser de façon importante à compter de 2013. S'agissant de son chiffre d'affaires par client, il baissait parallèlement, non seulement sur le client CICAM, mais sur l'ensemble de ses clients.

La diminution du chiffre d'affaires de Mme [D] est établie et les reproches que lui a fait la société Aurel BGC à ce sujet ne sont pas injustifiés.

c) Le harcèlement moral et la violation de l'obligation de sécurité de résultat

Aux termes de l'article L1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

Il résulte des articles L1152-1 et L1254-1 du code du travail que lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral. Dans l'affirmative, l'employeur doit établir que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [D] fait valoir que la société Aurel BGC a violé la clause d'exclusivité de son contrat de travail en décembre 2012, qu'à compter de cette date elle lui a envoyé des lettres recommandées et notifié des avertissements pour des griefs mineurs et non justifiés, qu'elle a été isolée moralement par sa hiérarchie et ses collègues, que ses clients ont été pendant son arrêt de travail affectés à ses collègues sans rétrocession de sa rémunération, qu'une rumeur sur sa démission a été diffusée dans la société, que son poste de travail a été déplacé à son retour d'arrêt de travail, que la société Aurel BGC n'a pas répondu à ses courriers sur le respect de son contrat de travail et qu'elle présente un syndrome anxio-dépressif ayant justifié un arrêt de travail et des soins, causé par ces agissements de harcèlement moral.

La violation de la clause d'exclusivité n'est pas établie, ainsi qu'il est retenu ci-dessus.

A compter de 2014 Mme [D] a adressé à la société Aurel BGC, par l'intermédiaire de son conseil ou elle-même, plusieurs courriers les 29 janvier, 7 mars et 26 novembre 2014, 28 avril et 10 juillet 2015 pour se plaindre de la violation de la clause d'exclusivité, de la violation d'autres clauses de son contrat de travail et pour contester un avertissement du 12 novembre 2014. La société Aurel BGC a répondu à ses courriers les 17 février et 20 mars 2014, les 3 juin, 10 juillet et 31 août 2015 et ces réponses ne peuvent constituer des faits de harcèlement.

Le principal reproche rappelé dans les courriers de la société Aurel BGC est la baisse continue du chiffre d'affaires de Mme [D]. Il est établi et n'est pas mineur contrairement à ce qui est soutenu.

L'avertissement du 12 novembre 2014 est fondé sur ce grief, sur le fait que la baisse du chiffre d'affaires n'a pas été enrayée depuis la mise en garde du 17 février 2014 et sur le défaut d'implication de Mme [D] dans son travail, se traduisant notamment par un temps de présence réduit au bureau et non compatible avec les horaires du marché. Les faits reprochés sont établis et cet avertissement est justifié.

Mme [D] a été absente de l'entreprise, pendant son arrêt de travail, pendant quatre mois et demi. C'est pour la remplacer que ses clients, qui ne pouvaient être délaissés, ont été provisoirement attribués à ses collègues. Elle ne conteste pas avoir retrouvé ses clients à son retour.

Elle ne produit aucune pièce démontrant qu'elle a été isolée moralement dans l'entreprise à compter de l'année 2013 et que son employeur a fait courir la rumeur qu'elle serait démissionnaire.

Quant au déplacement de son poste de travail dans le courant de l'année 2015 la société Aurel BGC verse à la procédure une attestation de M. [F] qui explique que plusieurs salariés du desk crédit ont été déplacés dans le cadre d'une concentration du pôle des compétences sur l'obligataire court terme et d'un rapprochement avec le desk monétaire. Le déplacement du poste de Mme [D] ne relève donc pas d'une décision arbitraire prise à son encontre et à sa seule encontre.

Enfin Mme [D] produit un rapport du cabinet Technologia du 25 juin 2015 sur les risques psycho-sociaux dans l'entreprise, rapport commandé en décembre 2013 par le CHSCT qui avait reçu un nombre important de plaintes de salariés portant notamment sur la pression excessive qui leur serait imposée. Le rapport conclut à la nécessité de fluidifier les relations sociales dans l'entreprise et qu'il n'y a pas une situation de risque grave au niveau psycho-social. Mme [D] ne peut en tirer la démonstration du bien fondé de sa demande au titre du harcèlement moral.

En l'état des explications et des pièces fournies, la matérialité d'éléments de fait précis et concordants laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral n'est pas démontrée. En conséquence la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral n'est pas fondée.

S'agissant du manquement de la société Aurel BGC à son obligation de sécurité de résultat Mme [D] reproche à la société Aurel BGC de ne pas avoir sollicité le médecin du travail pour vérifier son aptitude alors qu'elle avait reçu une fiche d'aptitude médicale, datée du 2 septembre 2015, sur l'état de Mme [D] mentionnant « pas d'avis ».

A réception de sa convocation du 1er septembre 2015 à l'entretien préalable Mme [D] a sollicité le médecin du travail qui a rempli cette fiche médicale. Dans la mesure où la société Aurel BGC disposait déjà de deux avis concluant les 27 janvier 2014 et 23 avril 2015 à l'aptitude de Mme [D] et où la procédure de licenciement était engagée, à défaut d'autres éléments pouvant laisser penser que la santé de Mme [D] était compromise, la société Aurel BGC n'avait pas l'obligation de saisir le médecin du travail pour vérifier son aptitude au travail.

Le manquement de la société Aurel BGC à son obligation d'assurer la sécurité et de protéger la santé de Mme [D] n'est pas non établi.

En conséquence la demande de dommages et intérêts formée à ce titre n'est pas non plus fondée.

d) Les prélèvements sur salaire pour l'attribution d'actions

L'article 2 du contrat de travail de Mme [D] stipule : « Dans l'hypothèse où vous percevriez au cours d'une même année civile une rémunération globale au moins égale à 200 000 US dollars ou à toute somme équivalente en euros, vous serez éligible, sur décision de la société, à la souscription de droits/parts (en lieu et place de rémunération brute) pouvant représenter jusqu'à 10 % de votre rémunération variable, prélevés directement sur vos rémunérations selon les modalités et conditions définies dans le dossier de souscription qui vous sera remis personnellement à cette occasion. »

Contrairement à ce que soutient Mme [D], cette clause n'est pas contraire aux dispositions de l'article L3241-1 du code du travail qui ne visent que les modalités de paiement du salaire et n'interdisent pas l'attribution d'actions à titre de rémunération. Contrairement à ce qu'elle soutient d'autre part l'attribution des droits à action relève de la seule décision de son employeur et elle ne démontre pas que ce système de rémunération, qui s'impose contractuellement à elle, est illicite.

La société Aurel BGC produit les courriers par lesquels, en application des plans de participation à long terme pour les salariés français, elle a informé Mme [D] de l'attribution d'actions, de la date d'acquisition définitive des actions et du montant de la réduction de sa rémunération variable au titre de cette attribution. Mme [D] a signé ces courriers avec la mention « bon pour accord » acceptant ainsi les conditions d'attribution des actions.

S'il ressort de ces courriers et des bulletins de paye de Mme [D] qu'il existe un décalage entre les prélèvement sur ses salaires, l'attribution des actions à la suite des prélèvements et leur acquisition définitive, son contrat de travail ne stipule pas que les prélèvements sur sa rémunération, dans le cadre des plans de participation, doivent être acceptés par elle au moment où ils sont réalisés.

La société Aurel BGC justifie avoir respecté ses obligations contractuelles et Mme [D] ne peut lui reprocher d'avoir procédé à des réductions de sa rémunération sans son accord, avant l'attribution des actions.

Le manquement de la société Aurel BGC à ses obligations au regard de l'article 2 du contrat de travail de Mme [D] n'est pas établi.

Par ailleurs Mme [D] ne conteste pas avoir acquis toutes les actions correspondant aux prélèvements sur son salaire et ne peut réclamer le remboursement des sommes prélevées au motif que la société Aurel BGC ne produit pas tous les courriers d'attribution correspondant à ses actions.

Aucun des griefs invoqués par Mme [D] à l'encontre de la société Aurel BGC n'est établi et le jugement sera confirmé pour avoir rejeté la demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et ses demandes en paiement au titre du rappel de la part variable de son salaire, de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de restitution des sommes prélevées sur son salaire au titre de l'acquisition d'actions.

2) Sur le licenciement de Mme [D]

a) Sur la demande de nullité du licenciement

Le harcèlement moral invoqué par Mme [D] n'étant pas établi, le jugement sera confirmé pour avoir rejeté sa demande de nullité du licenciement sur le fondement de l'article L1152-3 du code du travail.

b) Sur les demandes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse

Aux termes de l'article L1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

L'employeur doit fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

En l'espèce la lettre de licenciement du 15 septembre 2015 vise une insuffisance de performance et de résultats dans l'activité dont Mme [D] avait la charge et son comportement conflictuel. La société Aurel BGC vise également le manque d'implication de Mme [D] dans ses fonctions commerciales, dans le développement de sa clientèle et la prospection de nouveaux clients et l'attitude d'opposition systématique dans laquelle elle s'enferme pour éviter de se confronter à la réalité de ses résultats ainsi que son attitude désinvolte voire conflictuelle avec ses collègues. Elle rappelle également l'invocation répétée et injustifiée par Mme [D] depuis le 29 janvier 2014 de l'imputabilité à son employeur de la perte du client CICAM.

Une insuffisance de résultats durable et imputable à une insuffisance d'activité du salarié et à son manque d'implication est une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Ainsi qu'il est retenu ci-dessus la dégradation persistante des résultats de Mme [D] est établie. Malgré les courriers de rappel que lui a adressés son employeur et l'avertissement du 12 novembre 2014 le chiffre d'affaires qu'elle générait ne s'est pas redressé. Dans la mesure où il s'agit d'une situation qui perdurait la société Aurel BGC pouvait à nouveau l'invoquer même si cette dégradation avait déjà donné lieu à l'avertissement du 12 novembre 2014.

La société Aurel BGC produit le tableau du chiffre d'affaires réalisé par les collègues de Mme [D] de janvier à juillet 2015 qui montre la faiblesse de son propre chiffre d'affaires pendant les mois pendant lesquels elle a travaillé.

Mme [D] ne démontre pas, comme elle le soutient, que le déplacement de son poste, effectif à son retour d'arrêt de travail le 13 avril 2015, a eu pour effet de nuire à son activité professionnelle, que ses résultats sont le reflet d'un contexte économique difficile à compter de 2012 et que son employeur avait programmé son licenciement, alors que les propos prêtés à M. [X] sur un sureffectif lors d'une réunion du CHSCT du 26 septembre 2013, qu'elle invoque, concernent les négociateurs du département actions et ont fait l'objet d'un démenti lors de la réunion du CHSCT du 24 juin 2014.

S'agissant de l'attitude peu constructive de Mme [D] depuis l'année 2014 et de son manque d'implication dans le développement de son chiffre d'affaires et la recherche de nouveaux clients la société Aurel BGC produit les courriers de contestations et de doléances que Mme [D] ou son conseil lui a envoyés à compter de janvier 2014. Elle se réfère également aux divers mails échangés avec Mme [D] qui établissent que ses horaires de présence au bureau étaient réduits et sans tenir compte de ceux du marché, qu'elle a constamment contesté le réaménagement de l'espace de travail, qu'elle a contesté sans raison valable les modalités d'organisation de son entretien d'évaluation en juillet 2015 et qu'elle ne s'est pas conformée aux règles en vigueur dans l'entreprise pour les notes de frais et les demandes de congés.

L'insuffisance professionnelle de Mme [D] est établie et son licenciement, comme l'a jugé le conseil de prud'hommes, est bien fondé sur une cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera donc confirmé pour avoir rejeté les demandes de Mme [D] de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de remise des documents de fin de contrat conformes.

3) Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

Le jugement sera confirmé sur ces deux points.

Les dépens d'appel seront mis à la charge de Mme [D], partie perdante, dont la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

Il n'est pas équitable de laisser à la charge de la société Aurel BGC la totalité des frais qu'elle a exposés qui ne sont pas compris dans les dépens et il lui sera alloué la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement rendu le 22 février 2017 par le conseil de prud'hommes de Paris,

Déboute Mme [D] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

La condamne aux dépens et à payer à la société Aurel BGC la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 17/03724
Date de la décision : 14/11/2018

Références :

Cour d'appel de Paris K6, arrêt n°17/03724 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-11-14;17.03724 ?
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