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30/10/2018 | FRANCE | N°14/03062

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 3, 30 octobre 2018, 14/03062


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3



ARRÊT DU 30 Octobre 2018

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 14/03062 - N° Portalis 35L7-V-B66-BTO6K



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Novembre 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SENS RG n° 13/00052





APPELANT



Monsieur [O] [E]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1

] 1971 à [Localité 2] ( 89 )



représenté par Me Isabelle WASSELIN, avocat au barreau de MELUN substitué par Me Laura DANJOUX, avocat au barreau de MELUN, toque : M20





INTIMEE



SAS...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3

ARRÊT DU 30 Octobre 2018

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 14/03062 - N° Portalis 35L7-V-B66-BTO6K

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Novembre 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SENS RG n° 13/00052

APPELANT

Monsieur [O] [E]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 2] ( 89 )

représenté par Me Isabelle WASSELIN, avocat au barreau de MELUN substitué par Me Laura DANJOUX, avocat au barreau de MELUN, toque : M20

INTIMEE

SAS MASSON MARINE

[Adresse 2]

[Localité 3]

non comparante ni représenté à l'audience, ayant pour conseil Me BREUIL David, avocat au barreau de MONTLUCON

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Septembre 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Roselyne NEMOZ-BENILAN, Conseillère, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Daniel FONTANAUD, Président de Chambre

Madame Roselyne NEMOZ, Conseillère

Madame Laurence SINQUIN, Conseillère

Greffier : M. Julian LAUNAY, lors des débats

ARRET :

- réputé contradictoire

- par mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Daniel FONTANAUD, Président de Chambre et par Monsieur Julian LAUNAY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [O] [E] a été engagé par la société ZF MASSON à compter du 28 juin 2004, en qualité de Responsable des ventes Propulsion Packages.

En 2005, la société a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire et l'activité comme le contrat de travail de Monsieur [E] ont été repris par la société MASSON MARINE.

Monsieur [E] qui a évolué au sein de ces sociétés, a occupé à compter du 1er janvier 2011 les fonctions de Directeur des opérations et la moyenne de son dernier salaire mensuel brut était de 7243,81 euros.

Monsieur [E] a été licencié par un courrier du 7 août 2012. La lettre de rupture était rédigée dans les termes suivants:

' Nous faisons suite à l'entretien préalable que vous avez eu au siège social de l'entreprise le 2 août 2012, selon convocation par lettre remise en main propre le 26 juillet 2012, au cours duquel vous étiez assisté de Monsieur [L] [W]. Au terme du délai légal de réflexion, et après avoir pris en considération vos observations, nous sommes au regret de vous notifier par la présente notre décision de vous licencier pour les motifs ci-après exposés.

Vous occupez le poste de Directeur des Opérations salarié chez Masson Marine. Cependant vous

estimez être en charge de la direction générale de l'entreprise, sinon des responsabilités juridiques afférentes. C'est ainsi que vous décrivez vos fonctions à vos interlocuteurs et revendiquez en conséquence d'agir et décider de façon indépendante.

Nommée en qualité de présidente de la société MASSON MARINE par décision des associés du 27 juin 2012, la soussignée a été confrontée à cette situation problématique, qui ne correspond pas à la réalité juridique de votre contrat de travail avec la société, notamment parce que vous n'êtes pas mandataire social et n'encourez pas les risques liés à ce statut.

Dès ma prise de fonctions, j'ai procédé à l'analyse de la situation résultant des prérogatives que vous avez ainsi exercées depuis plusieurs mois. Et j'ai découvert de multiples anomalies, dont certaines exposent les mandataires sociaux et la société à des responsabilités graves, civiles ou pénales.

C'est pourquoi je vous ai, en un premier temps, proposé lors de nos différents entretiens de réorganiser la direction de l'entreprise d'une façon qui soit à la fois conforme au droit, aux compétences professionnelles et aux responsabilités juridiques respectives de la Présidente et du directeur des opérations, qui en est l'adjoint salarié et le subordonné hiérarchique.

Mais j'ai été confrontée au fait que vous revendiquez de ne rien changer dans l'organisation et le rattachement hiérarchique des services commerciaux, SAV, comptabilité et RH pour lesquels vous prétendez avoir une supervision générale conformément à la vision erronée de vos attributions et de votre contrat de travail, traduite par l'organigramme que vous avez mis en place à votre propre initiative.

Spécialement, vous m'avez notifié par votre courriel du 9 juillet dernier que vous n'acceptiez pas l'organisation que j'ai proposée, dans la mesure où celle-ci ne vous permettrait plus d'avoir la responsabilité directe, entière et générale des décisions de gestion au sein de l'entreprise.

Vous avez confirmé lors de notre entretien du 2 août dernier que vous refusez ma proposition de conserver votre poste de Directeur des Opérations au sein de l'entreprise, dans la mesure où vous seriez au même niveau hiérarchique que le Responsable Commercial, le Responsable SAV et la Responsable comptabilité et RH, votre souhait étant de conserver la supervision de l'ensemble de ces départements. Vous avez précisé que sur l'ensemble de ces responsabilités que vous revendiquez, vous informiez le Président et restiez dans l'attente de ses décisions avant d'engager la Société, ce qui est en contradiction avec l'autonomie décisionnelle dont vous vous réclamez par ailleurs.

Cette situation de blocage est gravement préjudiciable à l'entreprise ; de mon point de vue, elle est dépourvue de fondement juridique et en contradiction avec l'obligation de subordination attachée à la nature salariée de vos fonctions.

Or elle se conjugue avec des sévères caractérisent, selon les cas, soit des fautes, soit une à exercer des fonctions transversales de direction aussi étendues que celles que vous revendiquez, tant sur plusieurs aspects techniques que du point de vue du management.

L'audit susvisé révèle une multiplicité de dysfonctionnements, dont, par souci de transparence et eu égard à vos attributions revendiquées, je vous ai communiqué par écrit dès votre convocation des illustrations explicites, pour vous permettre loyalement de préparer notre entretien.

Malheureusement, vos explications ne m'ont pas permis de modifier significativement l'appréciation initiale quant à la réalité des faits et quant à 1'impossibilité qu'ils induisent de poursuivre notre collaboration sans porter préjudice à l'entreprise.

S'agissant de la gestion des ressources humaines, à votre initiative et sans en rendre compte aux actionnaires, qui l'ont découvert par mon intermédiaire, des heures supplémentaires ont été régulièrement effectuées et payées à plusieurs salariés au-delà des seuils légaux autorisés; ce qui crée fautivement un risque social et pénal inacceptable pour l'entreprise et ses dirigeants légaux ;

- Vous avez de même, sans en référer, accordé des primes exceptionnelles et des augmentations

générales, qui, ajoutées aux heures supplémentaires, ont généré une forte augmentation de la masse salariale ;

- Vous avez signé une promesse d'embauche le 15 mai 2012 pour une poste de technico- commercial au Service Après Vente avec une rémunération de 142.000€ ; non seulement ce montant est disproportionné par rapport aux salaires de l'équipe SAV actuelle et au marché, mais cette embauche ne correspondait pas à un besoin réel au sein de l'entreprise, et traduisait un mauvais arbitrage dans l'allocation des ressources disponibles ;

- Vous avez, dans les mêmes conditions d'autonon1ie décisionnelle revendiquée, signé une promesse d'embauche pour un CDD de 6 mois, assortie d'une période d'essai de 2 mois, ce qui

est très supérieur au délai légal maximal de 2 semaines; étant rappelé que même un CDD de plus de 6 mois ne peut prévoir plus d'un mois d'essai, votre décision unilatérale révèle à la fois défaut de maîtrise juridique et carence dans le contrôle ;

- Vous avez décidé, proprio motu, d'accorder un report de congés de l'ensemble du personnel au-delà du 31 mai 2012, sur la nouvelle période de prise de congés ; ce qui a conduit à une accumulation de jours de congés pour la plupart des salariés, qui pénalise l'organisation et fausse l'analyse de productivité en transférant des charges non provisionnées d'un exercice sur un autre;

- De même, les obligations légales en matière d'affichages obligatoires n'étaient pas respectées dans l'entreprise, alors qu'il s'agit d'un des premiers points sur lesquels l'inspection du travail fait porter ses vérifications en cas de contrôle et que le constat d'une carence sur cette question simple à traiter, induit de la suspicion quant au respect d'autres obligations moins ostensibles.

- Dans le domaine de la gestion industrielle et de la production, les deux audits conduits en juin et juillet 2012 ont mis en évidence que la production n'était pas rationnellement optimisée. Le constat d'anomalies a nécessité des actions, qui ont été mises en 'uvre à mon initiative depuis le 10 juillet, pour remédier aux conséquences de l'exercice impropre des prérogatives que vous revendiquez en ce domaine. Vos choix d'investissements dans de nouvelles machines ont été effectués sans consulter les opérateurs, ce qui a conduit à l'acquisition de matériels qui ne répondent pas à 1'objectif d'optimisation de la production, encore aujourd'hui perturbée par ces arbitrages unilatéraux et mal accompagnés ;

- Concernant la gestion des fonctions commerciales et marketing communication, il est apparu que votre analyse des coûts des projets ne tenait pas compte des heures effectuées par les équipes du bureau d'étude de notre sous-traitant Masson Marine Engineering ; vous avez également engagé des dépenses que ce soit pour la réalisation de stands ou pour la fabrication de pièces usinées, sans consulter les filiales du Groupe auquel appartient Masson Marine, alors même que celles-ci auraient pu répondre favorablement et à moindre coût aux besoins de Masson Marine.

- Du point de vue relationnel et managérial, outre des frictions avec un autre cadre du groupe avec lequel vous deviez travailler en coopération, et n'y parveniez pas, plusieurs de vos collaborateurs ont fait part de votre contrôle permanent sur les actions et missions menées par les collaborateurs ou responsables de 1'entreprise et de votre difficulté à déléguer et faire confiance à vos équipes, ce qui a créé des tensions, parfois intenses, puis de la démotivation et

constitue donc une entrave au développement des missions collectives nécessaires; cependant que votre contrôle, parfois tatillon, porte à faux, comme exposé ci-dessus, dans plusieurs domaines que vous revendiquez de diriger et de superviser personnellement, alors que vous n'êtes pas suffisamment compétent pour y exercer une réelle autorité.

L'ensemble de ces dysfonctionnements vous sont directement et nécessairement imputables, eu égard à la définition de poste élargie, transversale à tous les services, que vous revendiquez pour faire obstacle aux évolutions nécessaires, et qui vous ont vainement été proposées pour y remédier.

Ils se conjuguent, jusqu'au blocage, avec votre rejet des choix d'organisation et décisions que j'ai souhaité mettre en 'uvre après évaluation de la situation d'ensemb1e,et dans toute la mesure du possible en concertation, dans le respect de votre contrat de travail de directeur des opérations non investi d'un mandat social de direction générale, étant rappelé qu'en ma qualité de Présidente de1'entreprise, j'en assume seule la direction générale comme responsable hiérarchique en droit et en fait de tous les salariés de l'entreprise, dont vous-même.

Les freins que vous apportez à mon action et votre attitude négative à mon égard depuis ma nomination perturbent sévèrement l'entreprise ; au nom d'une confusion des rôles inacceptable, ils expriment un refus de subordination, qui méconnaît l'essence du contrat de travail.

De sorte que ces diverses insuffisances et méconnaissances de vos obligations contractuelles, telles que vous les décrivez vous-même, et de vos obligations disciplinaires, telles qu'elles découlent du principe de subordination inhérent au contrat de travail, en ce qu'elles obèrent sérieusement le fonctionnement normal de la direction-de la société, sont incompatibles avec votre maintien au sein de l'entreprise...'

Monsieur [E] a contesté son licenciement et a saisi le conseil de prud'hommes.

Par jugement du 14 février 2014, le conseil de prud'hommes de Sens a débouté Monsieur [E] de l'ensemble de ses demandes et la société MASSON MARINE de sa demande reconventionnelle fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [E] a relevé appel de cette décision.

Par conclusions visées au greffe le 21 mars 2018, au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, Monsieur [E] demande à la Cour l'infirmation du jugement et la condamnation de la société au paiement de :

' 86'925,72 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

' 5000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,

' 45434,01euros ou subsidiairement 23702,58 euros à titre de solde d'indemnité de licenciement,

' 6622,05 euros de rappel de d'heures supplémentaires pour l'année 2008 et les congés payés afférents,

' 2506,20 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2009 et les congés payés afférents,

' 5628,93 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2010 et les congés payés afférents,

' 10'917,10 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2011 et les congés payés afférents,

' 5538,69 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2012 et les congés payés afférents,

' 2428,40 euros à titre de remboursement des frais de traduction,

' 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Outre les intérêts et leur capitalisation, il sollicite également la délivrance des documents sociaux conformes au présent arrêt.

Par conclusions visées au greffe le 21 mars 2018, au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne les moyens, la société MASSON MARINE sollicite le rejet des pièces adverses rédigées en anglais, la confirmation du jugement, le rejet des demandes formées par Monsieur [E] et sa condamnation à la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé des faits de la procédure et des prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience.

MOTIFS

Sur l'incident de communication de pièces

Les juges du fond disposent d'un pouvoir souverain d'appréciation pour estimer si un élément de preuve écrite en langue étrangère doit être exclu dès lors que les parties ou l'une d'elles n'a pas produit la traduction de ce document en langue française.

En l'espèce, il n'y a plus lieu de procéder au rejet des pièces rédigées en anglais pour lesquelles l'appelant a procédé à leur traduction.

Pour les autres pièces pour lesquelles il n'y a pas eu de traduction, l'appelant considérant qu'elles n'ont pas d'incidence sur la compréhension du litige, elles seront écartées.

Eu égard à l'obligation faite au plaideur de fournir des pièces en langue étrangère traduites en français, la demande de remboursement des frais de traduction sollicitée par Monsieur [E] sera rejetée.

Sur la rupture du contrat de travail

Monsieur [E] fait valoir en premier lieu que son licenciement serait sans cause réelle et sérieuse en raison du fait que la convocation à entretien préalable comporte déjà les motifs invoqués dans la lettre de licenciement et prouve ainsi que la décision concernant la rupture du contrat de travail était déjà prise par l'employeur.

Il convient de rejeter cet argument du salarié dans la mesure où l'énoncé des griefs dans la lettre de convocation, même s'il n'est pas obligatoire, constitue néanmoins un élément permettant au salarié de préparer sa défense et ne saurait en conséquence être reproché à l'employeur.

Les termes mêmes de la convocation à l'entretien préalable qui évoquent une éventuelle mesure de licenciement, ne permettent pas de considérer qu'avant même l'audition du salarié, la décision relative à son licenciement était déjà prise.

S'agissant du contexte dans lequel est intervenu la rupture, il résulte clairement des pièces communiquées par le salarié et notamment de l'attestation de Madame [L], de celle de Monsieur [Z], du mail du 17 janvier 2011 et des mails portant l'organigramme des 2 novembre 2010 et 21 décembre 2010 adressés par Monsieur [E] à Monsieur [K] que malgré un contrat de travail portant la mention Directeur des opérations, le salarié a exécuté à compter du 1er janvier 2011 jusqu'à son départ de la société des fonctions de Directeur Général au sein de la société MASSON MARINE.

La seule comparaison entre les deux organigrammes fournis par les parties avant et après la réorganisation souhaitée par Madame [S] suffit à constater comme le salarié qu'à la suite de l'arrivée de la nouvelle Directrice Générale, Monsieur [E] a perdu près de la moitié de ses fonctions de management et plus précisément les services ressources humaines, les services Vente, Après-Vente, Pièces et Services, Première Monte et les liens avec la société MASSON MARINE INGENEERING.

Cette suppression de fonctions qui constitue une modification d'un élément substantiel du contrat de travail nécessitait l'accord du salarié.

Or par un mail du 9 juillet 2012, Monsieur [E] a refusé la réorganisation et a été destinataire le 26 juillet 2012 d'une convocation à entretien préalable.

Même si ce refus a créé des problèmes de positionnement et généré des tensions entre les deux protagonistes, Monsieur [E] et Madame [S], l'ensemble des éléments versés aux débats démontre que l'origine de la rupture du contrat de travail n'est ni imputable à l'insubordination du salarié, ni à une prétendue insuffisance professionnelle dans le cadre de ses fonctions de Directeur des Opérations.

Sur ce dernier point, Monsieur [E] fait justement remarqué que l'insuffisance professionnelle qui lui est reprochée ne peut être considérée comme sérieuse dans la mesure où Madame [S] reconnaît lui avoir proposé de conserver son poste.

La rupture trouve en réalité son origine dans la nécessité de faire une place à la nouvelle Directrice Générale, place qui ne pouvait être prise que par une réduction des compétences et des fonctions du Directeur Général déjà nommé. La modification unilatérale du contrat de travail par l'employeur des fonctions du salarié constitue une atteinte à ses obligations contractuelles.

Dans ces circonstances, le licenciement doit être considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse il y a lieu de faire droit à la demande de dommages-intérêts de Monsieur [E].

Sur les dommages-intérêts pour préjudice moral

Il y a lieu de relever qu'en refusant la prise en charge d'un mandat social en tant que directeur général en 2010, le salarié savait qu'il s'exposait à voir désigner un directeur général et que son positionnement de la société serait nécessairement à revoir. Dans ces circonstances, outre le fait que le caractère vexatoire des conditions du licenciement ne sont pas démontrées, le préjudice moral qu'il invoque n'est pas établi.

Sur la classification et l'indemnité de licenciement

Monsieur [E] sollicite le triplement du montant de l'indemnité de licenciement en application d'un accord collectif d'entreprise et de sa classification en position niveau III C ou subsidiairement III B ou B' et le doublement de son indemnité.

La société conteste cette demande et l'application des accords établis avant la reprise de la société ZF MARINE par MASSON MARINE, accords dénoncés par la société à compter du 14 juillet 2017.

Il n'est pas contestable que Monsieur [E] embauché en 2004 a bénéficié dans le cadre de son contrat de travail des avantages de ces accords.

En application des dispositions de l'article 2261-13 du code du travail qui prévoit : « Lorsque la convention ou l'accord qui a été dénoncé n'a pas a été remplacé par une nouvelle convention ou un nouvel accord dans un délai d'un an à compter de l'expiration du préavis, les salariés des entreprises concernées conservent les avantages individuels qu'ils ont acquis en application de la convention ou de l'accord à l'expiration de ce délai ».

Ainsi, Monsieur [E] est bien fondé à revendiquer l'application des dispositions de l'accord d'entreprise de 2005 prévoyant la majoration de l'indemnité de licenciement en cas de classification niveau III B, B' ou C.

Les dispositions concernant la classification au niveau III B figurant à l'article 21 de la convention collective indique qu'elle s'applique à l': « ingénieur ou cadre exerçant des fonctions dans lesquelles il met en 'uvre des connaissances théoriques et une expérience étendue dépassant le cadre de la spécialisation ou conduisant à une haute spécialisation.

Sa place dans la hiérarchie lui donne le commandement sur un ou plusieurs ingénieurs ou cadres des positions précédentes dont il oriente et contrôle les activités, ou bien comporte, dans les domaines scientifiques, techniques, commerciales, administratif ou de gestion des responsabilités exigeant une très large autonomie de jugement et d'initiative ».

S'agissant du niveau III C, il est indiqué : « L'existence d'un tel poste ne se justifie que par la valeur technique exigée par la nature de l'entreprise par l'importance de l'établissement ou par la nécessité d'une coordination entre plusieurs services ou activités.

La place hiérarchique d'un ingénieur ou cadre de cette position lui donne le commandement sur un ou plusieurs ingénieurs ou cadre des positions précédentes.

L'occupation de ce poste exige la plus large autonomie de jugement et d'initiative' »

Il résulte de l'ensemble des éléments transmis par les parties que si Monsieur [E] avait exercé des fonctions de hiérarchie sur un certain nombre de cadres ingénieurs, son activité s'exerçait sous le contrôle et le pouvoir de décision de Monsieur [K], président de la société MASSON MARINE.

Dans ces circonstances et compte tenu des motifs ci-dessus exposés dans le cadre du licenciement, il y a lieu de considérer que par les pièces qu'il transmet le salarié justifie d'une classification de niveau III B.

En conséquence, il sera fait droit à sa demande de majoration de l'indemnité de licenciement à hauteur de 43'462,86 euros, soit un solde de 23'702,58 euros.

Sur les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Au vu de l'ensemble des éléments versés aux débats, compte tenu du fait que Monsieur [E] a plus de huit ans d'ancienneté et qu'il justifie de ses conditions de retour à l'emploi, la Cour dispose des éléments nécessaires et suffisants pour fixer à 73000 euros le montant de la réparation du préjudice subi en application de l'article L.1235-3 du code du travail

Sur la demande d'heures supplémentaires

Les conventions individuelles de forfait établies sur une base hebdomadaire, mensuelle ou annuelle doivent nécessairement être passées par écrit. La clause doit être rédigée avec précision sans se contenter de renvoyer à un accord collectif. L'absence de convention individuelle rend le forfait jours inopposable au salarié. La convention individuelle de forfait en jours doit fixer le nombre de jours travaillés, sauf à être privée d'effet. La charge de la preuve nombre de jours travaillés dans l'année répond au même régime probatoire de l'article L. 3171-4 du code du travail.

En l'espèce, la seule indication d'une rémunération forfaitaire ne tenant pas compte des heures travaillées et la mention de cadre au forfait sur le contrat de travail initial alors que les bulletins de salaire mentionnent une référence en heures de travail de 150 h15 ne permet pas de retenir l'existence d'une clause de forfait en jours applicable au salarié et sa demande d'heures supplémentaires sera donc recevable.

Par ailleurs, cette demande d'heures supplémentaires n'est pas prescrite en raison de l'effet interruptif de l'action prud'hommale engagée le 25 mars 2013.

Aux termes de l'article L 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Ainsi, si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.

Monsieur [E] transmet nombreux mails permettant de déterminer pour les jours considérés ses heures d'arrivée au travail et ses heures de départ, l'attestation de Madame [L] qui indique que le salarié était présent souvent avant 9 heures, prenait une heure de pause et terminait entre 18 h30 et 19h et les tableaux récapitulatifs par année des heures supplémentaires réalisées.

La société estime la demande tardive, les justificatifs parcellaires mais ne transmet aucun planning ou relevé horaire de la présence du salarié au travail. Elle relève toutefois à juste titre les imprécisions, erreurs ou omissions laissées par Monsieur [E] dans les pièces fournies à l'appui de ces allégations.

Au vu de ces éléments, la demande d'heures supplémentaires de Monsieur [E] est suffisamment étayée mais doit être minorée au regard des arguments adverses.

En effet, les seules déclarations de Madame [L] sur la prise du temps de pause ou l'absence d'éléments permettant de déterminer les heures d'arrivée et de départ sur certaines périodes relevées par la société dans ses conclusions imposent de limiter le montant des heures supplémentaires aux sommes de :

' 2224,05 euros de rappel de d'heures supplémentaires pour l'année 2008 et les congés payés afférents,

' 1346,98 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2009 et les congés payés afférents,

' 4765 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2010 et les congés payés afférents,

' 85 39,20 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2011 et les congés payés afférents,

' 4003,29 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2012 et les congés payés afférents ;

Il sera donc fait droit à la demande à hauteur d'un total de 20878,52 euros outre la somme de 2087,85 euros de congés payés y afférents.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

INFIRME le jugement ;

Et statuant à nouveau ;

ECARTE de la procédure l'ensemble des pièces rédigées en langue anglaise et non traduites ;

FAIT DROIT à la demande de classification de Monsieur [E] à hauteur du niveau III B ;

DECLARE le licenciement de Monsieur [E] sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société MASSON MARINE à payer à Monsieur [E] la somme de:

- 73000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 23702,58 euros de solde d'indemnité de licenciement ;

- 20878,52 euros au titre des heures supplémentaires sur la période de 2008 à 2011 ;

- 2087,85 euros de congés payés afférents aux heures supplémentaires ;

Y ajoutant ;

DIT que les condamnations au paiement de créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et que les condamnations au paiement de créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt ;

AUTORISE la capitalisation des intérêts ;

ORDONNE la remise par la société MASSON MARINE à Monsieur [E] des documents sociaux rectifiés conformes au présent arrêt ;

VU l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société MASSON MARINE à payer à Monsieur [E] en cause d'appel la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties du surplus des demandes ;

CONDAMNE la société MASSON MARINE aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 14/03062
Date de la décision : 30/10/2018

Références :

Cour d'appel de Paris K3, arrêt n°14/03062 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-10-30;14.03062 ?
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