Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 2
ARRÊT DU 18 OCTOBRE 2018
(N° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 16/09340 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BYVDT
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Octobre 2011 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 10/10484, confirmé partiellement par arrêt de la Cour d'Appel de Paris du 30 janvier 2014, lui-même cassé et annulé par un arrêt de la Cour de Cassation du 23 mars 2016.
APPELANTE
COMITÉ D'ÉTABLISSEMENT RÉGIONAL SNCF DE LA RÉGION RHÔNE-ALPES / LYON
[...]
Représentée par Me Bérenger X... de la SELARL X... & BONNIEU, avocat au barreau de PARIS, toque : K0085
INTIMÉE
EPIC SNCF MOBILITÉS
[...]
RCS de Bobigny n° 552 049 447
Représentée par Me Vincent Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : L0010, avocat postulant et Me Jean-Luc Z..., avocat au barreau de PARIS, toque : D1665, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 07 Septembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de:
Mme Mariella LUXARDO, Présidente de chambre
Mme Monique CHAULET, Conseillère
Mme Madeleine HUBERTY, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Mariella LUXARDO, Présidente de chambre dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Martine JOANTAUZY
ARRÊT :
- contradictoire,
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Mariella LUXARDO, Présidente de chambre et par Martine JOANTAUZY, Greffier, présente lors de la mise à disposition.
********
Vu le jugement contradictoire rendu le 25 octobre 2011 par le tribunal de grande instance de Paris entre le comité d'établissement régional de Lyon et la SNCF, qui a rejeté l'ensemble des demandes des parties et condamné le CER de Lyon aux dépens ;
Vu l'appel interjeté contre cette décision par le comité d'établissement régional de Lyon;
Vu l'arrêt rendu le 30 janvier 2014 par la cour d'appel de Paris qui a :
- confirmé le jugement sauf en ce qu'il avait débouté le CER Lyon de sa demande de remboursement des salaires de MM. A... et B... et l'avait condamné aux dépens,
- le réformant de ce chef et y ajoutant,
- dit que MM. A... et B... n'ont eu que la SNCF pour employeur pendant toute la période de leur mise à disposition au sein du CER de Lyon,
- condamné la SNCF à payer au CER de Lyon les sommes suivantes :
* 384.305,73 euros avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts à compter du 18 septembre 2007 à titre de remboursement des salaires de MM. A... et B... depuis le mois d'avril 2007,
* 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté toutes les autres demandes
- condamné la SNCF aux dépens de première instance et d'appel ;
Vu le pourvoi en cassation formé par la SNCF,
Vu l'arrêt rendu le 23 mars 2016 par la Cour de cassation qui a :
- cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 30 janvier 2014 par la cour d'appel de Paris et a en conséquence remis la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris autrement composée,
- condamné le CER de Lyon aux dépens et au paiement de la somme de 3.000euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu la déclaration de saisine de la cour faite le 13 avril 2016 par le comité d'établissement régional de Lyon ;
Vu ses conclusions signifiées le 28 août 2018 aux fins de voir :
- infirmer le jugement rendu le 25 octobre 2011,
Statuant à nouveau,
- juger illicite et fautive l'immixtion de la SNCF dans la gestion du personnel du CER relativement à MM. Willy A... et Christian B...,
- juger qu'il en résulte une entrave au fonctionnement régulier du CER,
- juger que la SNCF a privé le CER de toutes les prérogatives d'employeur à l'égard de MM. Willy A... et Christian B...,
- condamner la SNCF à verser au CER les sommes suivantes :
* 384.305,73 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 18septembre 2007 avec capitalisation de ces mêmes intérêts depuis le 18septembre 2007,
* 100.000 euros en réparation du préjudice de désorganisation,
* 50.000 euros en réparation de son préjudice moral
* 30.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
et aux dépens ;
Vu les conclusions signifiées le 22 août 2018 par la SNCF Mobilités anciennement dénommée SNCF aux fins de voir :
- juger le comité d'établissement régional SNCF de la région de Lyon irrecevable en ses demandes,
Subsidiairement sur le fond,
- réformer le jugement rendu le 25 octobre 2011 en ce qu'il a considéré que SNCF Mobilités était l'employeur de MM. A... et B...,
- juger que le CER de la région de Lyon était l'unique employeur des salariés susvisés,
Pour le surplus,
- confirmer le jugement dont état dans toutes ses autres dispositions,
En conséquence,
- débouter le CER de la région de Lyon de l'intégralité de ses demandes,
- condamner le CER de la région de Lyon à restituer à la SNCF Mobilités les sommes indûment perçues par lui dans le cadre de l'exécution provisoire de droit attachée à l'arrêt du 30 janvier 2014,
- condamner le CER de la région de Lyon aux dépens et à verser à SNCF Mobilités la somme de 20.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 7 septembre 2018 ;
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité des demandes présentées par le comité d'établissement régional de Lyon
La SNCF Mobilités soulève l'irrecevabilité des demandes du CER de Lyon au premier moyen que ses conclusions sont dirigées contre la SNCF qui n'est pas partie au litige ; que ses demandes fondées sur l'article 1382 du code civil constituent des demandes nouvelles; que le CER développe une argumentation contradictoire après l'arrêt de la Cour de cassation, ce qui rend ses demandes irrecevables au regard du principe de l'estoppel.
Le CER de Lyon fait valoir qu'il a régularisé dans ses dernières conclusions ses demandes qui sont dirigées contre la SNCF Mobilités ; que ses demandes sont identiques puisqu'elles tendent à obtenir le remeboursement des salaires des agents mis à sa disposition, et qu'il développe uniquement des moyens nouveaux ; que le principe de l'estoppel ne trouve pas à s'appliquer puisque les conditions définies par la jurisprudence ne sont pas rémplies.
Il convient en effet de relever en premier lieu que le CER a signifié ses dernières conclusions du 28 août 2018 à la SNCF Mobilités, ce qui a permis ainsi de régulariser une éventuelle irrégularité de pure forme alors qu'il est incontestable que la SNCF Mobilités poursuit les actions en justice de la SNCF puisqu'il résulte de ses propres conclusions que s'il existe depuis le 1er juillet 2015 un groupe ferroviaire composé de trois EPIC, la SNCF Mobilités qui a repris la part des activités concernant les missions de transport, consitue la nouvelle dénomination de la SNCF.
Par ailleurs, il ressort des termes du dispositif des conclusions du CER de Lyon qu'il présente les mêmes demandes aux fins d'obtenir la condamnation de la SNCF au paiement de diverses sommes, dont le remboursement de salaires de deux agents mis à sa disposition par la SNCF et des dommages-intérêts complémentaires, demandes identiques à celles présentées devant le tribunal de grande instance de Paris comme devant la cour d'appel de Paris qui a statué avant l'arrêt du 23 mars 2016 de la Cour de cassation.
La modification du fondement juridique des demandes est régulière, de sorte que ce moyen d'irrecevabilité est également dépourvu d'intérêt, la SNCF ne pouvant pas au surplus en déduire que la prescription serait acquise du fait de la présentation de demandes nouvelles.
S'agissant de l'estoppel, les conditions d'application du principe ne sont pas rémplies dès lors que l'argumentation des parties, la SNCF comme le CER, ont évolué pour tenir compte de l'arrêt rendu le 23 mars 2016 par la Cour de cassation qui fixe clairement la question de l'identification de l'employeur des salariés pendant leur mise à disposition du CER, les conclusions développées par la SNCF devant la cour d'appel avant l'arrêt de la Cour de cassation révélant en outre qu'elle ne déniait pas sa qualité d'employeur et revendiquait la reconnaissance du coemploi avec le CER.
Il n'est pas interdit aux parties de faire évoluer leur argumention afin de tenir compte notamment de l'arrêt rendu par la Cour de cassation qui a tranché une question juridique qui les opposait, sans mettre fin au règlement de leur litige.
Par suite, les moyens d'irrecevabilité développés par la SNCF doivent être rejetés.
Sur le bien fondé des demandes du comité d'établissement régional de Lyon
A l'appui de ses demandes, le CER invoque l'immixtion fautive de la SNCF et l'entrave qu'elle a portée dans son fonctionnement en lui confisquant ses prérogatives d'employeur au motif qu'elle l'a empêché de sanctionner le comportement inacceptable des deux agents; qu'elle lui a opposé constamment les termes de l'accord cadre lui attribuant la gestion de leur carrière, le versement de leur paie, lui rappelant clairement qu'elle disposait seule du pouvoir disciplinaire à leur égard, et qu'elle a confirmé qu'elle était seule employeur en acceptant de les réintégrer dans ses effectifs à la fin de leur mandat de salariés protégés ; que le CER a ainsi souffert de l'emprise de la SNCF et de sa domination économique, imposant au CER d'exercer son pouvoir disciplinaire tout en revendiquant la qualité d'employeur exclusif des deux agents.
La SNCF Mobilités soutient en réplique que la Cour de cassation a clairement jugé que les agents étaient liés au CER par un contrat de travail et qu'il lui appartenait par suite de metttre en oeuvre une procédure de licenciement économique après le transfert de ses activités sociales et de solliciter l'autorisation de l'inspection du travail ; que l'accord cadre du 20 novembre 1985 comme le règlement RH0337 de la SNCF sont opposables au CER, garantissant aux agents le maintien des avantages du statut du personnel de la SNCF, et notamment le maintien de leur rémunération de base et de leur déroulement de carrière, après leur mise à disposition au comité d'établissement ; que la SNCF a seulement respecté les dispositions de ces actes, sans empêcher le CER de respecter ses obligations d'employeur en saisissant notamment l'inspection du travail pour sanctionner le comportement fautif des agents.
Il convient de rappeler que MM. A... et B..., agents de la SNCF depuis 1978 et 1981, ont été mis à disposition du CER de Lyon à compter du 1er janvier 1986 dans le cadre de l'application de l'accord cadre du 28 novembre 1985 oragnisant le transfert des oeuvres sociales du comité central d'entreprise aux comités d'établissements régionaux de l'entreprise.
Le 20 avril 2007, le CER de Lyon a décidé de transférer ses activités de gymnastique auxquelles participaient les agents, à des associations extérieures.
Il n'est pas contesté que depuis cette date ces derniers n'ont plus effectué de prestations de travail et qu'ils seront réintégrés à la SNCF respectivement les 1er janvier 2010 et 1erjuin2011 .
Le CER de Lyon a saisi le 9 juin 2010 le tribunal de grande instance de Paris aux fins d'obtenir le remboursement des sommes retenues par la SNCF sur la subvention de fonctionnement au titre des salaires des agents et le paiement d'indemnités réparant le préjudice subi du fait de l'inertie de la SNCF pour prendre les mesures disciplinaires nécessaires.
Considérant que la SNCF était restée le seul employeur des agents et aurait dû prendre les mesures pour engager les procédures disciplinaires, l'arrêt du 30 janvier 2014 a fait droit à la demande principal du CER portant sur le remboursement des salaires et partiellement aux demandes indemnitaires.
Cet arrêt a été cassé par la Cour de cassation le 23 mars 2016 au motif que MM. A... et B... "étaient liés au CER par un contrat de travail que la SNCF ne pouvait rompre par l'exercice de son pouvoir disciplinaire et qu'il appartenait au CER de prendre l'initiative de la rupture en sollicitant de l'inspecteur du travail l'autorisation administrative de mettre fin au contrat de travail".
Ni le CER ni la SNCF Mobilités ne mettent en cause les conséquences de cet arrêt de cassation sur la qualité d'employeur du seul CER, et par voie de conséquence des attributions qui y sont attachées, à savoir l'exercice du pouvoir disciplinaire pour sanctionner le comportement fautif des agents mis à disposition du CER et la saisine de l'inspection du travail pour solliciter l'autorisation de mettre fin à leur contrat dès lors que les agents avaient le statut de salariés protégés.
Le CER qui invoque l'immixtion fautive de l'entreprise dans l'exercice de ses attributions d'employeur et l'entrave à son fonctionnement, doit démontrer la réalité des agissements de la SNCF permettant de justifier la condamnation qu'elle réclame sur le fondement de la responsabilité délictuelle.
Or les pièces qu'elle verse aux débats révèlent au contraire que le CER n'entendait pas reconnaître sa qualité d'employeur et s'est tourné vers la direction régionale de la SNCF pour lui demander la réintégration des agents.
Ces demandes de réintégration résultent clairement des termes des courriers adressés par le CER à la SNCF le 18 septembre 2007, confirmés par lettres adressées aux agents les 26 septembre 2007 et 1er octobre 2007, demandes de réintégration renouvelées auprès de la SNCF le 28 août 2009.
Il ressort des courriers des 12 novembre 2007 et 22 novembre 2007 que la SNCF a rappelé au CER qu'elle ne pouvait pas prendre l'initiative de mettre fin au détachement des agents et que seul le CER devait régler le différend l'opposant à eux.
Le CERne peut pas tirer argument des propositions de réintégration formulées par la SNCF aux agents en janvier 2008, propositions qu'ils ont refusées, qui ne sont pas susceptibles de s'analyser comme des agissements fautifs ni comme des actes d'immixtion dans la gestion relevant du pouvoir d'employeur du CER, dès lors que la SNCF est intervenue à la demande de celui-ci et que ces propositions ont été faites dans le but de mettre un terme au litige existant entre les agents et leur employeur actuel le CER.
En prenant acte du refus des agents de mettre fin à leur mise à disposition, la SNCF a respecté les termes de l'accord cadre du 20 novembre 1985, refusant contrairement à ce qui est soutenu par le CER de se comporter comme employeur des agents.
Le CER ne peut pas plus se prévaloir de la demande faite par la SNCF aux agents en octobre 2008 de justifier de leurs absences, alors qu'il ressort de sa lettre du 28septembre2009 que cette démarche a été effectuée à la demande du CER ; que les agents ont justifié leur absence par la communication d'un bon de délégation syndicale le 5 novembre 2008 (lettre de la SNCF du 26 novembre 2008 adressée au CER) ; que le CER a contesté le 22 décembre 2008 la réalité de ce bon de délagtion mais n'en a pas tiré les conséquences utiles, se limitant à indiquer à la SNCF qu'elle considérait que les agents étaient en absence injustifiée, et demandant à la direction régioanle de l'entreprise la fin de la mise à disposition des agents.
De la même manière, la réintégation des agents en janvier 2010 et juin 2011 ne remet pas en cause la qualité d'employeur du CER avant cette date, et ne peut avoir d'incidence sur l'existence d'une faute commise pendant la durée de la mise à disposition, dès lors que pendant cette période, seul le CER était en mesure de sanctionner le comportement fautif des agents et de saisir l'inspection du travail en raison des mandats électifs dont ils étaient investis.
En définitive, les pièces versées aux débats ne permettent pas de caractériser l'immixtion fautive ou l'entrave de la SNCF qui serait de nature à justifier le remboursement des sommes retenues au titre des salaires devant être versés à MM. A... et B... pendant la durée du litige les opposant à leur employeur, le CER, de septembre 2007 à janvier 2010 et juin 2011.
En définitive, le jugement du 25 octobre 2011 mérite la confirmation en ce qu'il a rejeté les demandes du CER dirigées contre la SNCF.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Compte tenu de la solution du litige, le comité d'établissement régional de Lyon devra verser à la SNCF Mobilités la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement du 25 octobre 2011 dans son intégralité,
Y ajoutant,
Condamne le comité d'établissement régional de Lyon à payer à la SNCF Mobilités une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne le comité d'établissement régional de Lyon aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE