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16/10/2018 | FRANCE | N°16/13059

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 3, 16 octobre 2018, 16/13059


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3



ARRÊT DU 16 Octobre 2018



(n° , 06 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/13059 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZZUW



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Septembre 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage d'EVRY section RG n° F15/00537





APPELANT

M. Hervé X...

[...]

né le [...] [...]

représenté par Me

Nadège Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : E1186, Avocat postulant

représenté par Me David Z..., avocat au barreau de VERSAILLES, toque : C 159, Avocat plaidant





INTIMEE

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3

ARRÊT DU 16 Octobre 2018

(n° , 06 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/13059 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZZUW

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Septembre 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage d'EVRY section RG n° F15/00537

APPELANT

M. Hervé X...

[...]

né le [...] [...]

représenté par Me Nadège Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : E1186, Avocat postulant

représenté par Me David Z..., avocat au barreau de VERSAILLES, toque : C 159, Avocat plaidant

INTIMEE

SAS CLAMART CARS

[...]

[...]

représentée par Me Bruno A..., avocat au barreau de DRAGUIGNAN, Avocat plaidant

représentée par Me Hanna B..., avocat au barreau de PARIS, Avocat postulant

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 Juillet 2018, en audience publique, devant la Cour composée de:

Madame Roselyne NEMOZ, Conseillère faisant fonction de Président

Madame Isabelle VENDRYES, Conseillère

Madame Laurence SINQUIN, Conseillère

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Roselyne NEMOZ dans les conditions prévues par l'article 785 du Code de procédure civile.

Greffier : Madame Valérie LETOURNEUR, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Monsieur Daniel C..., Président et par Madame Valérie LETOURNEUR, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Monsieur Hervé X... a été engagé par la société CLAMART CARS le 2 avril 2012 selon contrat à durée déterminée saisonnier d'une durée minimale de 6 mois pouvant se poursuivre jusqu'à l'achèvement de la saison, pour exercer des fonctions de conducteur d'autocar de tourisme, et ce dans le cadre de l'activité saisonnière et touristique. La durée effective de travail a été fixée à 1.607 heures par an avec modulation du temps de travail.

Le contrat s'est poursuivi à l'issue des 6 mois et le 28 octobre 2012, monsieur X... a pris acte de la rupture de son contrat de travail, au motif que la société avait effectué des modifications sur sa carte, basculant des temps de travail en temps de coupure à son détriment.

La convention collective applicable à la relation de travail est celle transports routiers et activités auxiliares de transport. La société CLAMART CARS occupe habituellement plus de 10 salariés. Lors de la rupture, monsieur X... percevait un salaire brut moyen de 2.187 Euros.

Le 21 novembre 2012, monsieur X... a saisi le Conseil de Prud'hommes d'Evry pour que sa prise d'acte soit requalifée en licenciement absuif, et en paiement de diverses sommes. Il a également sollicité, en cours de procédure, la requalification de son contrat saisonnier en contrat à durée indéterminée.

Par jugement du 22 septembre 2016, le juge départituer du Conseil de Prud'hommes l'a débouté de ses demandes.

Par conclusions communiquées par le RPVA le 26 janvier 2017 auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, Monsieur X... demande à la cour de requalifier son contrat de travail en contrat à durée indéterminée, de dire que l'accord de modulation du 18 janvier 2001 est illégal, de dire que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement abusif, en conséquence de condamner la société CLAMART CARS à lui payer les sommes suivantes :

- 2.585 Euros à titre d'indemnité de requalification ;

- 1.474,90 Euros au titre des heures supplémentaires accomplies dans le cadre du régime illégal de modulation et les congés payés afférents .

- 1.971,04 Euros au titre des heures supplémentaires dissimulées et les congés payés afférents;

- 15.511 Euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé ;

- 2.585,17 Euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents;

- 7.500 Euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive.

Il sollicite la remise d'une attestation Pole Emploi et de bulletins de paie conformes sous astreinte et la condamnation de la société CLAMART CARS à lui paye 4.000 Euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Par conclusions communiquées par le RPVA le 23 février 2017 auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, la société CLAMART CARS demande à la cour de confirmer le jugement, subsidiairement de condamner monsieur X... à rembourser ou compenser la somme de 3.077 Euros correspondant à l'indu perçu au titre des coupures, pauses, repos et amplitudes journalières indemnisées par elle sur la période d'emploi et les congés payés afférents, outre 3.000 E en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

MOTIFS

Sur les heures supplémentaires

Selon les dispositions de l'article L3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié d'étayer sa demande quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre ; le juge forme sa conviction au vu des éléments produits par les parties ;

Monsieur X... fait valoir que l'accord de modulation du 28 janvier 2001 sur lequel est basé le décompte de son temps de travail est illégal ; que les heures supplémentaires doivent être décomptées selon l'accord ARTT du 18 avril 2002, ; que les temps à disposition, pendant lesquels le salarié doit rester à proximité de son véhicule sont des temps de travail effectif et rémunérés comme tels; il verse aux débats un tableau des heures supplémentaires qu'il dit avoir accomplies sur la base des synthèses d'activité établies par la société CLAMART CARS ;

Il prétend que la société a retraité, de façon illégale les données enregistrées par le disque chronotachygraphe;

La société en réplique ne conteste pas que l'accord de 2001 est illégal et se réfère également, pour le mode de décompte du temps de travail, aux dispositions du décret du 22 décembre 2003 relatif à la durée du travail dans les transports routiers et les définitions données par la convention collective applicable intégrant l'ARTT du 18 avril 2002, étendu en 2003 ;

En vertu des dispositions de ce texte :

- le temps de travail effectif comprend les temps de conduite, les temps de travaux annexes et les temps à disposition lesquels, selon l'article 5, sont des périodes de simple présence, d'attente ou de disponibilité, passées au lieu du travail ou dans le véhicule, sous réserve d'être définies par l'entreprise et pendant lesquelles, sur demande de celle-ci, le personnel de conduite peut être amené à reprendre le travail ou doit rester proche du véhicule soit pour le surveiller, soit pour être à la disposition des clients ;

Les temps qui n'entrent pas dans les cas ci-dessus sont considérés comme des 'coupures'; elles sont comprises entre deux vacations et situées dans un lieu autre que le lieu d'embauche ; les coupures dans tout autre lieu extérieur de l'entreprise 'et pour toutes les journées intégralement travaillées dans les activités occasionnelles et touristiques' sont indemnisées à 50% du temps correspondant ;

- l'entreprise peut mettre en oeuvre un dispositif de modulation du temps de travail sur tout ou partie de l'année ;

Dès lors que les parties conviennent que l'accord de modulation est nul, le calcul de la durée de travail selon forfait annuel ne pouvait s'appliquer et le calcul des heures supplémentaires devait être effectué conformément aux dispositions de l'article L 3122-2 issu de la loi du 20 août 2008 selon lequel, en l'absence d'accord, l'employeur peut unilatéralement répartir l'horaire collectif comme il l'entend, mais à l'intérieur d'une période limitée à quatre semaines ;

Concernant les temps de mise à disposition, il est constant que le salarié les a considérés comme du travail effectif tandis que l'employeur les a retraités en périodes de repos ;

Or ces temps de 'repos' ne sont définis ni par l'accord précité ni par l'entreprise ; l'analyse du journal des modifications fait apparaître que les périodes en cause sont pour la plupart comprises entre une demi-heure et une heure, parfois moins (un quart d'heure) ; compte tenu de ce court laps de temps, le chauffeur de car devait nécessairement rester à proximité du véhicule et ne pouvait vaquer librement à ses occupations personnelles ;

C'est donc à tort que la société CLAMART CARS a retraité ces temps en temps de repos et il convient de les intégrer dans le temps de travail effectif comme le demande monsieur X... ;

Pour vérifier l'accomplissement par le salarié d'heures supplémentaires, la Cour prend donc en considération, les temps de travail effectif mensuels mentionnés sur les fiches de paie du salarié, en y intégrant les temps de repos tels qu'ils sont reportés sur le journal des modifications ; au vu de ces éléments le montant des heures supplémentaires dû par la société CLAMART CARS doit être fixé à la somme de 1.201 Euros, à laquelle s'ajoutent les congés payés ;

Il n'y a pas lieu d'en déduire les indemnités de pauses, coupures et repos ainsi que les amplitudes journalières, lesquelles ont été rémunérées conformément aux dispositions de l'accord ARTT précité, étant observé que les fiches de paie de monsieur X... font apparaître des temps de repos bien supérieurs à ceux qui ont été retraités et dont une partie seulement est indemnisée ;

Compte tenu de ces heures supplémentaires, le salaire brut moyen de monsieur X... doit être fixé à 2.359 Euros ;

Sur la requalification du contrat saisonnier en contrat à durée indéterminée

Selon les dispositions de l'article L1245-2 du code du travail, un contrat à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, et seulement dans des cas limitativement énumérés, parmi lesquels les emplois à caractère saisonnier;

Le caractère saisonnier d'un emploi concerne des tâches normalement appelées à se répéter chaque année à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs ;

La société CLAMART CARS fait valoir que, si elle assure en effet toute l'année le transport de personnel pour le compte d'entreprises privées, une partie de son activité est liée au tourisme dans la capitale en sorte qu'elle s'accroît lors de la saison touristique ou en fonction de modes de vie collectifs des touristes en séjour dans la capitale, accroissement que la seule modulation de temps de travail ne suffit pas à réguler ; toutefois, et comme la société CLAMART CARS l'explique elle-même dans ses écritures en faisant référence à un arrêt de la cour suprême, une entreprise dont l'activité touristique connaît un accroissement significatif chaque année à la même période peut conclure un contrat à durée déterminée saisonnier s'il couvre uniquement cette période ; or force est de constater que tel n'est pas le cas de la société CLAMART CARS au vu de ses tableaux et graphiques concernant son chiffre d'affaires lequel atteint un pic en mai juin 2011 (1.200 commandes), tandis qu'il est équivalent en mars, juillet, septembre et octobre (1.000 commandes environ) ; en 2012 en revanche, les pics son atteints en mars, mai et octobre ; en 2013 le total de 1.000 commandes est dépassé en mars (mois où un pic de 1.200 est atteint), avril, mai, juin, juillet octobre et décembre ; sur l'ensemble des trois années, à l'exception des mois de janvier et novembre, les variations ne sont pas suffisamment significatives pour qu'il puisse en être déduit une activité touristique saisonnière se répétant chaque année à la même période ; le contrat à durée déterminée de monsieur X... couvre au demeurant les mois d'août et septembre où l'activité est relativement modérée par rapport aux autres mois de l'année ;

Il convient en conséquence de faire droit à la demande de requalification et d'allouer à monsieur X... une somme de 2.359 Euros à titre d'indemnité de requalification en application des dispositions de l'article L 1245-2 du code du travail ;

Sur le travail dissimulé

Selon les dispositions de l'article L 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé le fait, pour l'employeur, de se soustraire intentionnellement à la délivrance de bulletins de paie prescrite par l'article L. 3243-2, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail ;

Le fait que la société CLAMART CARS ait retraité les temps de mise à disposition en temps de repos, - ce dont monsieur X... était informé, avec les détails de ces retraitements, sans protestation jusqu'à la prise d'acte, - ne suffit pas à caractériser l'intention de dissimulation ; par ailleurs le temps de travail mensuel était bien mentionné sur les bulletins de paie ; le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté monsieur X... de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé ;

Sur la prise d'acte de la rupture

La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquements suffisamment graves de l'employeur à ses obligations, empêchant la poursuite du contrat de travail ; si les manquements sont établis, elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'une démission dans le cas contraire ;

Le fait de ne pas régler à monsieur X... l'intégralité des sommes qui lui étaient dues au titre de son travail, en retraitant sans avoir recueilli son accord des temps de mise à disposition en temps de repos, constitue un manquement grave de l'employeur empêchant la poursuite de la relation de travail ;

La prise d'acte produit, en conséquence, les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; monsieur X... a droit à une indemnité compensatrice de préavis correspondant à un mois de salaire, soit 2.359 Euros outre les congés payés afférents ;

Compte tenu de son ancienneté dans l'entreprise, de sa rémunération, de sa capacité à trouver un nouvel emploi et des conséquences de la rupture, il lui sera alloué la somme de 2.000 Euros en réparation du préjudice causé par la rupture du contrat de travail ;

La société CLAMART CARS devra remettre à monsieur X... une attestation Pole Emploi et des bulletins de paie conformes à la décision sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une astreinte ;

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Infirme le jugement et statuant à nouveau ;

Requalifie le contrat de travail saisonnier en contrat à durée indéterminée ;

Dit que la prise d'acte de la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse

Condamne la société CLAMART CARS à payer monsieur X... les sommes suivantes:

- 1.201 Euros à titre de rappel d'heures supplémentaires et les congés payés afférents ;

- 2.359 Euros à titre d'indemnité de requalification ;

- 2.359 Euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 235,90 Euros pour les congés payés afférents ;

- 2.000 Euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture ;

Ordonne à la société CLAMART CARS de remettre à monsieur X... une attestation Pole Emploi et des bulletins de paie conformes à la décision ;

Condamne la société CLAMART CARS à payer à monsieur X... 2.000 Euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, plus amples ou contraires ;

Met les dépens à la charge de la société CLAMART CARS.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 16/13059
Date de la décision : 16/10/2018

Références :

Cour d'appel de Paris K3, arrêt n°16/13059 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-10-16;16.13059 ?
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