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03/10/2018 | FRANCE | N°17/14198

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 03 octobre 2018, 17/14198


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRÊT DU 03 Octobre 2018

(N° , 13 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/14198



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Avril 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MELUN RG n° F 10/00889, confirmé partiellement par arrêt de la Cour d'Appel de Paris en date du 11 décembre 2015, lui-même cassé partiellement par un arrêt de la Cour de Cas

sation en date du 28septembre2017







APPELANTS



M. Alain X...

[...]

né le [...] à PALAISEAU (91120)

comparant en personne, assisté de Me Ra...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRÊT DU 03 Octobre 2018

(N° , 13 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/14198

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Avril 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MELUN RG n° F 10/00889, confirmé partiellement par arrêt de la Cour d'Appel de Paris en date du 11 décembre 2015, lui-même cassé partiellement par un arrêt de la Cour de Cassation en date du 28septembre2017

APPELANTS

M. Alain X...

[...]

né le [...] à PALAISEAU (91120)

comparant en personne, assisté de Me Rachel Y..., avocat au barreau de PARIS, toque: W04

LE SYNDICAT DU PERSONNEL DES INDUSTRIES GRAPHIQUES CGC

[...]

représentée par Me Rachel Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : W04

INTIMÉS

Me Z... Philippe (SCP PH.Z... et B HAZANE) - Mandataire liquidateur de la Société GRAPHIC BROCHAGE

[...]

représenté par Me Cyrille A..., avocat au barreau de PARIS, toque : P0107 substitué par Me Anne-Cécile B..., avocat au barreau de PARIS, toque : P0107

Me C... Sophie (SELARL GARNIER-C...) - Mandataire liquidateur de la Société GRAPHIC BROCHAGE

[...]

représenté par Me Cyrille A..., avocat au barreau de PARIS, toque : P0107 substitué par Me Anne-Cécile B..., avocat au barreau de PARIS, toque : P0107

UNEDIC délégation AGS CGEA IDF EST

[...]

non comparant, non représenté, ayant pour conseil Me Claude-Marc D..., avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 26 Juin 2018, en audience publique, devant la Cour composée de:

Mme Marie-Luce GRANDEMANGE, Présidente de chambre

Mme Aline DELIÈRE, Conseillère

Mme Séverine TECHER, Vice-Présidente Placée, rédactrice

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Martine JOANTAUZY, lors des débats

ARRÊT :

- rendu par défaut,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-Luce GRANDEMANGE, présidente et par Madame Martine JOANTAUZY, greffière, présente lors de la mise à disposition.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. Alain X... a été engagé par la SAS Graphic brochage suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 11octobre 1994, en qualité de conducteur sur encarteuse. Il est par la suite devenu contremaître atelier en septembre 2004, contremaître coordinateur en septembre 2007, puis, à compter du 1er janvier 2008, contremaître de production affecté à l'atelier pique et conditionnement.

Il a en outre exercé des mandats de représentant du personnel.

Le 8 juin 2009, la société Graphic brochage a conclu un accord avec les partenaires sociaux en vue de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise. Par lettre du 23juin 2009, un avenant au contrat de travail a été proposé à M. X.... Par suite du refus de ce dernier, l'employeur a sollicité l'autorisation de le licencier pour motif économique. L'inspection du travail a refusé d'autoriser le licenciement par décision en date du 7janvier 2010.

Le 14 janvier 2010, la société Graphic brochage a conclu un nouvel accord avec les partenaires sociaux. Par lettre du 18mars 2010, un avenant au contrat de travail a été proposé à M. X..., ce que ce dernier a refusé.

Le 11août 2010, M. X... a saisi le conseil de prud'hommes de Melun d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Par décision en date du 14 décembre 2010, l'inspection du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. X.... Sur recours hiérarchique intenté par l'employeur, le ministre du travail, de l'emploi et de la santé a autorisé le licenciement de M. X....

Par lettre du 21 juillet 2011, le salarié a été licencié pour motif économique.

L'entreprise, qui employait habituellement au moins onze salariés lors de la rupture de la relation contractuelle, applique la convention collective nationale de travail du personnel des imprimeries de labeur et des industries graphiques du 1er juin 1956 étendue par arrêté du 22novembre 1956.

Par jugement rendu le 26 octobre 2011, le tribunal de commerce de Meaux a converti le redressement judiciaire ouvert le 22février 2011 en liquidation judiciaire au profit de la société Graphic brochage. Me Sophie C... et Philippe Z... ont été désigné en qualité de liquidateurs.

Par jugement rendu le 5avril 2012, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes a:

- pris acte du renoncement de M. X... à sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail,

- débouté M. X... et le syndicat du personnel des industries polygraphiques CGC de toutes leurs demandes,

- mis hors de cause Me E... et Cabooter, ainsi que l'association CGEA (AGS) d'Ile de France Est,

- condamné M. X... et le syndicat du personnel des industries polygraphiques CGC à payer à Me Z... et C... les sommes, respectivement, de 600 euros et 100 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- et condamné M. X... aux dépens.

Le 25 avril 2012, M. X... a interjeté appel de ce jugement.

Par jugement rendu le 12 février 2014, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision prise le 14décembre 2010 par le ministre du travail, de l'emploi et de la santé. Ce jugement est devenu définitif par suite du désistement de l'appel interjeté par l'employeur devant la cour administrative d'appel de Paris.

Par arrêt rendu le 11 décembre 2015, la cour d'appel de Paris a :

- confirmé le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Melun en ce qu'il a :

* débouté M. X... de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse et pour violation à l'obligation de sécurité et atteinte à la santé,

* débouté le syndicat du personnel des industries polygraphiques CGC de ses demandes,

* mis hors de cause Me E... et Cabooter,

* condamné le syndicat du personnel des industries polygraphiques CGC au titre des frais irrépétibles,

- infirmé le jugement pour le surplus,

- statuant à nouveau :

* rejeté la demande de résiliation judiciaire,

* fixé les créances de M. X... au passif de liquidation judiciaire de la société Graphic brochage aux sommes suivantes:

. 31 431,18 euros au titre de l'indemnité légale pour licenciement nul,

. 17 432,35 euros à titre de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement,

. 9 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

. 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

* dit que ces créances étaient garanties par l'association CGEA (AGS) d'Ile de France Est dans la limite du plafond6, déduction faite de la somme de 34407euros déjà versée,

* annulé l'avertissement du 19 mars 2010,

* débouté les liquidateurs de leur demande formulée en première instance contre M. X...,

- ajoutant :

* débouté les liquidateurs de leur demande formulée en cause d'appel au titre des frais irrépétibles,

* mis les dépens de première instance et d'appel à la charge des liquidateurs en leur qualité en précisant qu'ils seraient inscrits en frais privilégiés au passif de liquidation judiciaire de la société Graphic brochage.

Par arrêt rendu le 28 septembre 2017, la Cour de cassation a cassé l'arrêt rendu par la cour d'appel seulement en ce qu'il a débouté M. X... de sa demande de dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse et fixé à la somme de 17432,35 euros l'indemnité conventionnelle de licenciement la créance de M. X... au passif de liquidation judiciaire de la société Graphic brochage et renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée au motif:

- d'une part, qu'en retenant, pour condamner l'employeur au paiement d'une somme au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, que l'ancienneté du salarié devait être fixée à 16ans et 10mois, du 10octobre 1994 au 21juillet 2011, date du licenciement, alors qu'il résultait des dispositions conventionnelles que l'évaluation du montant de l'indemnité conventionnelle de licenciement était faite en tenant compte de l'ancienneté à l'expiration du contrat, soit l'expiration du délai de préavis réellement exécuté, la cour d'appel avait violé les articles 508 et 509 de la convention collective nationale de travail du personnel des imprimeries de labeur et des industries graphiques du 1er juin 1956 étendue par arrêté du 22novembre 1956,

- d'autre part, qu'en retenant, pour débouter le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, que les motifs circonstanciés de l'autorité administrative s'imposaient au juge judiciaire dès lors que l'annulation de l'autorisation administrative du 11juillet 2011 par le jugement rendu le 12février 2014 par le tribunal administratif était fondée exclusivement sur un moyen de légalité externe et ne remettait ainsi nullement en cause les motifs de fond sur le caractère réel et sérieux du motif économique fondant le licenciement autorisé qui s'imposaient au juge judiciaire, alors qu'elle constatait que l'autorisation administrative de licenciement avait été annulée par le tribunal administratif pour un motif de légalité externe de sorte qu'il n'en subsistait rien, la cour d'appel, qui devait rechercher si le licenciement du salarié était justifié par un motif économique réel et sérieux avait violé les articles L.1235-3 et L.2422-1 du code du travail.

Par déclaration transmise le 28 novembre 2017 par voie électronique, M. X... a saisi la cour d'appel de Paris, juridiction de renvoi, autrement composée.

Par conclusions déposées le 26 juin 2018, visées par le greffier et développées oralement, auxquelles il est expressément fait référence, M. X... et le syndicat du personnel des industries polygraphiques CGC demandent à la cour de:

- déclarer leur appel et intervention recevables,

- dire le licenciement de M. X... nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,

- fixer les créances de M. X... au passif de liquidation judiciaire de la société Graphic brochage aux somme de 93528 euros pour licenciement nul, subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et 23603,73 euros pour complément d'indemnité de licenciement,

- fixer la créance du syndicat du personnel des industries polygraphiques CGC au passif de liquidation judiciaire de la société Graphic brochage à la somme de 2500 euros à titre de dommages et intérêts,

- allouer à M. X... la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- statuer ce que de droit sur la demande de compensation,

- dire l'arrêt à intervenir opposable à l'association CGEA (AGS) d'Ile de France Est.

Par conclusions déposées le 26 juin 2018, visées par le greffier et développées oralement, auxquelles il est expressément fait référence, Me C... et Z... en qualité de liquidateurs judiciaires de la société Graphic brochage concluent:

- à l'irrecevabilité des demandes suivantes :

* fixation de la somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts au profit du syndicat du personnel des industries polygraphiques CGC,

* compensation des créances fixées avec le remboursement de la somme de 36297 euros mise à la charge de M. X... par ordonnance de référé en date du 23mars 2018,

* fixation de la somme de 93 528 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul, subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- à la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté toutes les demandes des appelants,

- au rejet de toutes les demandes de M. X...,

- à la condamnation des appelants à leur payer, chacun, la somme de 3000 euros au titre de leurs frais irrépétibles, ainsi qu'aux dépens,

- à la condamnation de M. X... aux dépens.

Par conclusions déposées le 26 juin 2018, visées par le greffier et développées oralement, auxquelles il est expressément fait référence, l'association CGEA (AGS) d'Ile de France Est demande à la cour:

- à titre principal, de confirmer le jugement,

- à titre subsidiaire, de fixer au passif de liquidation les créances retenues, de dire qu'elle ne devra sa garantie qu'à défaut de fonds disponibles, de dire que le jugement lui est opposable dans les termes et conditions de l'article L.3253-19 du code du travail, dans la limite du plafond6 sous déduction de la somme de 34407 euros déjà versée, d'exclure sa garantie des créances éventuellement fixées au titre de l'article 700 du code de procédure civile et d'astreinte, et de statuer ce que de droit sur les dépens, sans que ceux-ci soient mis à sa charge.

MOTIFS

Sur les fins de non-recevoir

Sur la recevabilité de la demande d'indemnisation du syndicat du personnel des industries polygraphiques CGC

L'article 638 du code de procédure civile dispose que l'affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation.

En l'espèce, dans les conclusions d'appel visées le 1er octobre 2015, le syndicat du personnel des industries polygraphiques CGC avait sollicité la réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte portée à l'intérêt collectif de la profession.

Dans la présente instance, il réitère cette demande.

Or, le jugement rendu le 5 avril 2012, confirmé en cela par l'arrêt rendu le 11décembre 2015, a débouté le syndicat du personnel des industries polygraphiques CGC de ses demandes.

Cette disposition n'a pas été cassée par l'arrêt rendu le 28septembre 2017 et est donc devenue définitive.

Dans ces conditions, les liquidateurs judiciaires de la société Graphic brochage concluent à juste titre à l'irrecevabilité de cette demande qui se heurte à l'autorité de la chose jugée.

Sur la recevabilité des demandes relatives à la contestation du licenciement et à la compensation

L'article 633 du code de procédure civile énonce que la recevabilité des prétentions nouvelles est soumise aux règles qui s'appliquent devant la juridiction dont la décision a été cassée, ce texte ne distinguant pas selon que la cassation a été partielle ou totale.

Selon l'article R. 1452-7 du code du travail, la demande formée par une partie pour la première fois devant la cour d'appel statuant sur renvoi après cassation est recevable.

En application de ces deux dispositions, les demandes relatives à la contestation du licenciement et à la compensation sont recevables, même si, d'une part, la cassation prononcée le 28septembre 2017 n'a été que partielle, d'autre part, aucune contestation n'avait été formulée antérieurement par le salarié sur la cause de son licenciement et les mesures relatives à son reclassement, dès lors, précisément, qu'elles ne sont pas concernées par les termes de la cassation et qu'elles peuvent valablement être présentées pour la première fois devant la présente cour.

Les liquidateurs judiciaires de la société Graphic brochage sont donc déboutés de leur prétention sur ces chefs de demandes.

Sur la rupture du contrat de travail

Sur la nullité du licenciement

En l'espèce, la cour d'appel dans sa précédente composition, saisie d'une demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et faits discriminatoires, a jugé:

- que M. X... avait subi des faits de harcèlement moral, ce qui a conduit à une fixation de créance à son profit de ce chef,

- qu'en revanche, aucune mesure discriminatoire n'était alléguée avec suffisamment de précision et le licenciement reposant sur un fondement économique établi n'avait aucun lien avec le mandat de représentant du personnel exercé par le salarié, ce qui a conduit au rejet, implicite mais nécessaire, de la demande d'indemnisation pour faits discriminatoires.

Cette fixation et ce rejet, qui n'ont pas été cassés, sont définitifs.

En conséquence, seul le lien entre le harcèlement moral subi et le licenciement sera examiné au soutien de la demande d'annulation du licenciement.

L'article L. 1152-3 du code du travail dispose que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance de l'article L.1152-1 est nulle.

Cette nullité suppose donc que le licenciement trouve sa source dans les agissements de harcèlement moral litigieux.

En l'espèce, le harcèlement moral retenu par la cour d'appel dans sa précédente composition repose sur les faits suivants, en sus de la dégradation de l'état de santé constatée, par suite d'arrêts de travail entre les 14juin et 14août 2010, puis durablement à compter du 6décembre 2010:

- des consignes données au chef d'atelier et au directeur de production, supérieurs hiérarchiques de M. X..., en vue de le harceler et le pousser à quitter l'entreprise, attestées, par le premier, le 23juillet 2010, par le second, le 5août 2011, puis à la responsable du personnel en vue de le contraindre sur les horaires de travail, en 2010, et de suivre ses pointages, ce qui a donné lieu, pour elle, à une sanction en avril 2011, le comportement du directeur de production étant corroboré par le témoignage d'un acheteur et du contrôleur financier de la société comme cela a été relevé dans l'arrêt susvisé, et le témoignage de la responsable du personnel étant corroboré par les contraintes horaires (excédant la durée légale hebdomadaire et relative au travail de nuit) discutées par les parties en juin 2010, de sorte que les actions intentées par les deux intéressés contre l'employeur ne discréditent pas leur témoignage,

- un avertissement injustifié notifié par lettre du 19 mars 2010, définitivement annulé par arrêt du 11décembre 2015,

- le non-paiement d'heures supplémentaires effectuées début 2009, réclamé, pour la première fois, par lettre du 23avril 2010, confirmant le courriel adressé par un autre salarié le 8avril 2010,

- le non-paiement de sa part variable depuis le 1er janvier 2008 et d'une prime spécifique, réclamées, pour la première fois, par lettre du 5mai 2010.

Quasi-concomitamment à ces faits, M. X... a fait l'objet d'un licenciement économique qui a été engagé contre lui par lettre du 27juillet 2010, date de la notification de sa convocation à un entretien préalable, par suite de son refus, le 11mai 2010, de la modification de son contrat de travail proposée le 18mars 2010.

Aux termes de l'articleL. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.

Il est acquis, en application et complément de ce texte, que la réorganisation de l'entreprise lorsqu'elle est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ou, si l'entreprise appartient à un groupe, à la sauvegarde du secteur d'activité du groupe, ainsi que la cessation totale et définitive d'activité peuvent également constituer une cause de rupture.

En l'espèce, il résulte des pièces relatives à la procédure collective dont la société Graphic brochage a fait l'objet:

- que l'activité de cette dernière a été affectée par la dégradation du secteur de l'imprimerie,

- que la société holding animatrice, trois autres des sept filiales du groupe (à côté de la société Graphic brochage, les sociétés Imprimerie Didier F... - activités, notamment, de travaux d'imprimerie patron de mode et tous travaux d'imprimerie par tous procédés d'impressions, gravure, photogravure, façonnage, brochage ou autre - , Helio G... - activité d'imprimerie de périodiques - et Inter brochage - activité de brochage, encartage et reliure, sans salarié; les trois autres filiales exerçant une activité de photocopie pour deux d'entre elles, n'ayant aucun salarié pour la troisième), ainsi que le groupement d'intérêt économique Circleprinters services, ont en effet fait l'objet d'une procédure collective ouverte le 22février 2011, ces entités ayant été confrontées à un effet de ciseaux entre la baisse des prix de vente et des volumes et les hausses des prix de l'énergie et des matières premières et, parallèlement, à une structure des coûts, notamment sociaux, inadaptée pour être supérieure aux coûts du secteur, à un flux d'importation croissant du fait de la concurrence accrue d'imprimeurs étrangers et de la taille critique des sites impliquant des restructurations coûteuses, à la perte d'un client significatif, ce qui appelait une profonde réorganisation des activités en France, avec mise en place, notamment, d'un projet de restructuration financier et social, avec redéploiement des activités,

- que l'exploitation de la société Graphic brochage, durablement déficitaire entre 2006 et2010 (-762138 euros en 2006, -1446268 euros en 2007, -1781813 euros en 2008, -2057167 euros en 2009 et -1739766 euros en 2010), n'a été poursuivie que par le soutien financier du groupe, lequel n'a plus été possible pour les raisons qui précèdent,

- que son déficit a perduré pendant la période d'observation ouverte le 22février 2011,

- qu'un projet de réorganisation portant sur les salaires et l'organisation du travail a été présenté sans succès en son sein,

- qu'en juillet et août 2011, la perte s'est aggravée par la conjugaison d'une mauvaise productivité, liée à l'absentéisme et à la nécessité de recourir aux heures supplémentaires, et d'un retrait de volumes par les clients inquiets de la situation.

L'employeur justifie, au travers de ces éléments, de la nécessité de réorganiser l'entreprise pour sauvegarder le secteur d'activité du groupe auquel appartient la société Graphic brochage et, dans ce cadre, de la pertinence de la modification du contrat de travail proposée à M. X..., laquelle portait sur la durée du travail, les horaires de travail et la structure de la rémunération.

L'article L. 1233-4 du code du travail énonce, par ailleurs, que le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient. Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. À défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.

La recherche des possibilités de reclassement doit s'apprécier au sein de la société lorsqu'elle comporte plusieurs établissements ou à l'intérieur du groupe auquel appartient l'employeur, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.

En l'espèce, l'employeur, sur qui pèse la charge de la preuve du respect de l'obligation de reclassement susvisée, démontre avoir exploré les possibilités de reclassement en son sein et sollicité, les 6mai et 5juillet 2010, outre des concurrents et partenaires, les sociétés du groupe au sein desquelles une permutation du personnel était possible, en rappelant toutes les informations nécessaires sur le profil du salarié.

Par deux lettres en date des 23 juin et 12 juillet 2010, il a adressé à M. X... des propositionsrelatives:

- à neuf postes au statut ouvrier,

- à un poste au statut employé,

- à deux postes au statut agent de maîtrise,

seuls postes disponibles en interne et dans le groupe, à l'exclusion de postes exigeant une formation en école de commerce ou équivalent, ou un diplôme d'ingénieur, étant constaté que la péremption de certaines de ces offres, alléguée par le salarié, n'est pas établie par les pièces produites, les lettres susvisées ayant été versées au débat sans les fiches de poste qu'elles annoncent.

L'employeur soutient à juste titre qu'il n'avait pas à recueillir l'accord préalable de M.X... avant de lui adresser des offres de reclassement sur un emploi de catégorie inférieure, étant observé, d'une part, que des offres de reclassement sur un emploi de même catégorie ou équivalent lui ont été adressées concomitamment aux offres sur un emploi de catégorie inférieure, d'autre part, que même si ces offres d'emploi de catégorie inférieure étaient difficilement compatibles avec le mandat de représentant du personnel, collège cadre, du salarié, il appartenait à l'employeur de proposer tous les emplois disponibles, à l'aune des qualifications du salarié, ce qu'il a fait.

Rien n'interdisait, par ailleurs, à l'employeur de proposer, en sus des emplois disponibles, des emplois dont la création était envisagée.

Enfin, les offres relatives aux emplois de contremaître coordinateur et de contremaître de production, qui pouvaient parfaitement être adressées concomitamment à deux salariés se trouvant dans la même situation, étaient suffisamment précises, l'absence d'indication sur l'unité concernée et les horaires appliqués pour ces emplois étant sans incidence dès lors, notamment, que la localisation des dits emplois et la durée du travail afférente étaient mentionnées, aucun élément ne permettant, par ailleurs, de considérer que le second emploi était en réalité l'emploi occupé par M. X... ou par l'autre salarié se trouvant dans la même situation que lui.

Sur ce dernier emploi, l'offre de reclassement est distincte de la modification de contrat proposée à M. X... le 18mars 2010 dès lors que la première vise un poste de contremaître de production de jour, notamment, au salaire de 3349 euros brut par mois sur treize mois moyennant une durée de 39,25heures de travail par semaine, alors que la seconde mentionne un poste de contremaître coordinateur, notamment, au salaire de 3619,78 euros bruts par mois, prime de 13ème mois en sus, moyennant une durée de 40,50heures de travail par semaine.

Au regard de l'ensemble des éléments ainsi recueillis, la cour juge que l'employeur a satisfait avec sérieux à son obligation de reclassement, étant observé que le salarié n'a à aucun moment questionné l'employeur sur les offres de reclassement en vue d'obtenir plus de précision et qu'il n'a formulé aucune contestation à leur égard avant la présente instance.

Il se déduit de l'ensemble de ces développements que le maintien en poste du salarié n'était plus possible et, en conséquence, que le licenciement de ce dernier a été prononcé sans aucun lien avec les faits de harcèlement moral qu'il a subis.

M. X... est donc débouté de sa demande nouvelle de nullité du licenciement de ce chef.

Sur le bien-fondé du licenciement

Selon l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

Au vu des développements qui précèdent sur le motif économique du licenciement ainsi que le respect, par l'employeur, de son obligation de reclassement, la cour considère que le licenciement de M. X... est pourvu d'une cause réelle et sérieuse.

M. X... est donc débouté de sa demande nouvelle au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur le complément d'indemnité de licenciement

L'article 509 de la convention collective applicable dispose, notamment:

'1. Lorsqu'un salarié aura exercé, dans l'entreprise, pendant au moins 2ans une fonction de cadre, d'agent de maîtrise ou d'assimilé, il bénéficiera, sauf faute grave ou lourde, reconnue ou jugée, d'une indemnité de licenciement calculée comme indiqué au tableau ci-après:

- après 2 ans de fonction : 1 mois ;

- après 3 ans de fonction : 1,5 mois ;

- après 4 ans de fonction : 2 mois ;

- par année supplémentaire à partir de la cinquième : 2/3 de mois.

L'indemnité calculée comme indiqué ci-dessus sera majorée si l'intéressé a occupé préalablement dans l'entreprise une fonction d'ouvrier ou d'employé, de 2% pour chacune des 10premières années ressortissant du statut d'ouvrier ou d'employé, et 1% pour chacune des années suivantes au-delà de la dixième.

Dans le cas où l'ancienneté dans ses différentes fonctions ne correspond pas à des années entières, la règle du prorata s'applique pour calculer l'indemnité de licenciement.

Le maximum de l'indemnité est de 15 mois dans tous les cas, sauf le cas visé au paragraphe4 ci-après.

2. L'indemnité de licenciement sera calculée, compte tenu de la durée totale de l'exercice par l'intéressé d'une fonction de cadre, d'agent de maîtrise ou d'assimilé et basée sur la moyenne de la rémunération totale soit au cours des 12 mois précédant le début du préavis, soit au cours des 3 derniers mois précédant le début du préavis, la solution la plus favorable étant retenue.

Les commissions, primes, avantages en nature ainsi que les gratifications à forme contractuelle ramenées à leur quote-part entreront dans l'établissement de la moyenne ci-dessus'.

En l'espèce, les parties s'entendent pour voir fixer le salaire mensuel brut moyen de M.X... à la somme de 3478 euros.

Au vu de la nature du licenciement dont le salarié a fait l'objet et en application des dispositions susvisées, M. X..., qui justifie d'une ancienneté de 16ans 11mois et 13jours entre le 11octobre 1994 et le 23septembre 2011, date d'expiration du délai de préavis selon l'attestation Pôle emploi et, en conséquence, du contrat de travail, nonobstant l'indemnisation légale, définitive, dont il a bénéficié pour la période comprise entre le 21juillet 2011 et le 21avril 2014, en vertu des articles L.2422-1 et L.2422-4 du code du travail, du fait de l'annulation de son licenciement par l'effet du jugement rendu le 12février 2014 par le tribunal administratif de Melun, a droit à la somme de 16902,99euros (2mois de salaire pour les quatre premières années, 2/3 de mois de salaire pour les 11années 11mois et 13jours suivants, 2% des 2mois de salaire susvisés en sus pour les quatre premières années exercées au statut ouvrier, 2% des 2/3 de mois de salaire susvisés en sus pour les 5années 11mois et 19jours suivants exercés également au statut ouvrier en retenant que le salarié est devenu contremaître atelier le 30septembre 2004 à défaut de plus de précision notamment sur le certificat de travail produit, le surplus ayant été exercé au statut agent de maîtrise et n'ouvrant ainsi droit à aucune majoration) à titre de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement, déduction faite de l'indemnité de licenciement déjà perçue (18182,27 euros).

Cette demande étant nouvelle en cause d'appel, il n'y a pas lieu à infirmation ou à confirmation de ce chef.

Sur la compensation

En application de l'article 1347-1 nouveau du code civil, la compensation n'a lieu qu'entre deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles.

En l'espèce, M. X... a été condamné, par ordonnance de référé rendue le 23mars 2018 par le conseil de prud'hommes de Melun à payer à l'employeur les sommes de 36297 euros en répétition de l'indu et 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Néanmoins, il résulte des déclarations du salarié que ces créances sont litigieuses dès lors que, nonobstant l'exécution provisoire les assortissant de droit, une procédure est pendante devant la cour d'appel sur ces condamnations.

Il ne peut donc être considéré que ces créances sont certaines, liquides et exigibles.

La demande de compensation, dont les conditions ne sont pas réunies, est, en conséquence, rejetée.

Cette demande étant nouvelle en cause d'appel, il n'y a pas lieu à infirmation ou à confirmation de ce chef.

Sur les autres demandes

En application de l'article L. 622-28 du code de commerce, le jugement du tribunal de commerce qui a prononcé l'ouverture de la procédure collective à l'encontre de la société Graphic brochage a arrêté le cours des intérêts légaux.

En conséquence, la somme allouée à titre de complément d'indemnité de licenciement est majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la convocation devant le conseil de prud'hommes par l'employeur, ce, jusqu'au 22février 2011, date du jugement de redressement judiciaire.

Il est, en outre, rappelé que la rupture du contrat de travail étant intervenue pendant la période d'observation, après l'ouverture du redressement judiciaire mais avant le prononcé de la liquidation judiciaire, les créances du salarié, qui ont pris naissance à la date de la rupture, doivent être garanties par l'association CGEA (AGS) d'Ile de France Est, à qui le présent arrêt est déclaré opposable, dans la limite du plafond6, déduction à faire, pour toutes les créances du salarié, soit celles qui sont déjà définitives, à l'exclusion de celle prononcée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et celle fixée par le présent arrêt, de la somme de 34407 euros déjà versée.

La société Graphic brochage succombant principalement, les dépens de la présente instance seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

L'équité commande, par ailleurs, de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles exposés dans la présente instance.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Déclare la demande de dommages et intérêts présentée par le syndicat du personnel des industries polygraphiques CGC irrecevable;

Déclare les demandes relatives à la contestation du licenciement et à la compensation recevables;

Ajoutant au jugement déféré,

Fixe au passif de liquidation judiciaire de la SAS Graphic brochage la créance de M.X... au titre du complément d'indemnité conventionnelle de licenciement à la somme de 16902,99 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la convocation devant le conseil de prud'hommes par l'employeur, ce, jusqu'au 22février2011;

Dit que cette créance est garantie par l'association CGEA (AGS) d'Ile de France Est, à qui le présent arrêt est déclaré opposable, dans la limite du plafond6, déduction à faire, pour toutes les créances du salarié, soit celles qui sont déjà définitives, à l'exclusion de celle prononcée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et celle fixée par le présent arrêt, de la somme de 34407 euros déjà versée;

Déboute M. X... de ses demandes d'indemnité pour licenciement nul ou pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que de compensation;

Dit que les dépens de la présente instance seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire et laisse à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles exposés dans la présente instance.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 17/14198
Date de la décision : 03/10/2018

Références :

Cour d'appel de Paris K6, arrêt n°17/14198 : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-10-03;17.14198 ?
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