Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 4
ARRÊT DU 03 OCTOBRE 2018
(n° , 13 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 16/19232 - N° Portalis: 35L7-V-B7A-BZNLF
Sur renvoi après un arrêt de la Cour de cassation prononcé le 22 Mars 2016 (n° 258 F-P+B) emportant irrecevabilité et cassation partielle d'un arrêt rendu par la cour d'appel de PARIS (Pôle 5 - Chambre 6) le 26 Septembre 2013(RG 09/12698), sur appel d'un jugement rendu le 04 Décembre 2006 par le Tribunal de Commerce de PARIS (RG 2000022669 )
DEMANDERESSES À LA REQUÊTE
- SELARL AJILINK - N... X..., anciennement dénommée M... X..., ès qualités de mandataire ad hoc de la SA K... Y...
Exerçant ses fonctions : [...]
- SA CLINIQUE K... Y...
Ayant son siège social : [...]
N° SIRET : 322 417 643 (CRETEIL)
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentées par Me Arnaud GUYONNET de la SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044
Ayant pour avocat plaidant : Me Véronique HENDI, avocat au barreau de PARIS, toque: D0882
DÉFENDERESSES À LA REQUÊTE
- SA BRED BANQUE POPULAIRE
Ayant son siège social : [...]
N° SIRET : 552 091 795 (PARIS)
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03
Ayant pour avocat plaidant : Me Audrey KUKULSKI, substituant Me Michel PITRON, de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL, avocat au barreau de PARIS, toque: T03
- SA GENERALE DE SANTE CLINIQUES
Ayant son siège social : [...]
N° SIRET : 330 641 713 (PARIS)
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Régulièrement assignée mais non représentée
- SAS HOPITAL PRIVE K... Y...
Ayant son siège social : [...]
N° SIRET : 383 890 266 (CRETEIL)
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Régulièrement assignée mais non représentée
- SA GROUPE MÉDIFUTUR
Ayant son siège social : [...]
N° SIRET : 582 139 408 (PARIS)
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Régulièrement assignée mais non représentée
- SOCPHIPARD
Ayant son siège social : [...]
N° SIRET : 552 111 270 (NANTERRE)
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Olivier LAUDE de l'Association LAUDE ESQUIER CHAMPEY, avocat au barreau de PARIS, toque : R144
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 04 Juillet 2018, en audience publique, devant la Cour composée de:
Madame Irène LUC, Présidente de chambre
Madame Dominique MOUTHON VIDILLES, Conseillère,
Madame Laure COMTE, Vice-Présidente Placée, rédacteur
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Laure COMTE dans les conditions prévues par l'article 785 du Code de Procédure Civile.
Greffier, lors des débats : Madame Cécile PENG
ARRÊT :
- rendu par défaut
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Irène LUC, président et par Madame Cécile PENG, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Les sociétés Clinique K... Y..., Général de Santé clinique et Médifutur sont des sociétés holding.
Les sociétés Bred Banque Populaire et Socphipard, anciennement dénommée banque Rivaud, sont spécialisées dans les activités de services financiers.
La société Hopital Privé K... Y... exerce une activité hospitalière.
Par jugement du 7 mars 1996, sur saisine d'office, le tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Clinique K... Y..., dont les banques principales étaient la banque Rivaud et la Bred Banque Populaire.
Me O... , auquel a succédé Maître X..., a ainsi été désigné administrateur judiciaire de la société Clinique K... Y....
La date de cessation des paiements a été fixée provisoirement au 30 septembre 1995.
Par jugement du 7 mars 1997 rendu par le tribunal de commerce de Créteil, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 septembre 1997, Me O... a été désigné en qualité de commissaire à l'exécution du plan de cession ; un plan de cession partielle de ses actifs à la Société générale de santé clinique a été arrêté et il a été donné acte à la société Générale de Santé Clinique et à la Bred Banque Populaire de leur accord pour que la créance déclarée par la Bred Banque Populaire au passif de la société Clinique K... Y... ne fasse l'objet d'aucune répartition.
En 2000, Me O... a engagé des procédures à l'encontre de la Bred Banque Populaire et de la banque Rivaud, leur reprochant d'avoir soutenu abusivement la société Clinique K... Y....
Par acte du 4 octobre 2000, la Bred Banque Populaire a mis en cause le partenaire économique de la SA Clinique K... Y... de l'époque, le groupe Général de Santé clinique, pris en trois des sociétés le composant, à savoir la filiale commune SNC Hôpital Privé K... Y... (HPAB), la société SA Général de Santé Clinique et la société Medifutur.
La procédure initiée à l'encontre de la société Socphipard a abouti à une transaction homologuée par jugement du tribunal de Créteil du 17 septembre 2002, au titre de laquelle la société Socphipard abandonnait l'intégralité de sa créance et s'engageait à verser à la société Clinique K... Y... la somme de 500.000 francs (76.224,51 euros).
Par acte du 26 mai 2003, la Bred Banque Populaire a assigné la société Socphipard en intervention forcée et garantie dans l'instance principale l'opposant à Me O... .
Par jugement du 4 décembre 2006, le tribunal de commerce de Paris a:
- dit irrecevable l'action engagée par Me Yvon O... , ès-qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société Clinique K... Y... «HPAB», à l'encontre de la Bred Banque Populaire et l'a condamné, ès-qualités à lui payer la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit irrecevable l'action en garantie engagée par la Bred Banque Populaire à l'encontre des sociétés Hopital Privé K... Y... « HPAB », Générale de Santé Clinique «GSC» et Médifutur et l'a condamnée à payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit irrecevable l'action en garantie engagée par la Bred Banque Populaire à l'encontre de la société Socphipard et l'a condamnée à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit recevable les interventions volontaires de M. Pierre E... et Mme, née Bernadette F..., et de M. Fred Eric E...,
- rejeté toutes prétentions autres, plus amples ou contraires des parties, les en a déboutées,
- condamné Me Yvon O... , ès-qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société Clinique K... Y... « HPAB », aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 81,96 euros TTC.
Me O... et la Bred Banque Populaire ont interjeté appel de ce jugement devant la cour d'appel de Paris, qui, par arrêt, du 10 septembre 2010, a :
- confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action en garantie engagée par la Bred à l'encontre des sociétés Privé K... Y... ' HPAB ' Général de Santé Clinique ' GSC ' Médifutur et Socphipard,
- réformé le jugement entrepris pour le surplus,
- déclaré recevable l'action de Me O... , ès-qualités, à l'encontre de la Bred,
- dit que la Bred a soutenu abusivement la société Clinique K... Y... à compter du 10 juin 1992 jusqu'à l'ouverture de la procédure collective,
- dit que la Bred est tenue de réparer le préjudice subi par Me O... , ès-qualités, soit du 10 juin 1992 à la date de l'ouverture de la procédure collective, avant dire droit sur le montant du préjudice,
- ordonné une expertise, commis pour y procéder M. Maurice G..., avec mission, après avoir pris connaissance des pièces du dossier et recueilli l'avis des parties, de donner à la cour tous éléments permettant de déterminer l'aggravation de l'insuffisance d'actif de la société Clinique K... Y... du 10 juin 1992 à la date d'ouverture de la procédure collective, et en tenant compte des sommes déjà perçues par Me O... ,
-débouté la société Socphipard de sa demande tendant à se voir reconnaître des dommages-intérêts,
- débouté les sociétés Hopital Privé K... Y... ' HPAB - Général de Santé Clinique ' G.S.C ' Médifutur et Socphipard de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
- réservé les autres chefs de demande de Me O... , ès-qualités, et de la Bred,
- réservé les dépens.
La Bred Banque Populaire a formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt du 10 septembre 2010.
Par arrêt du 10 janvier 2012, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la Bred Banque Populaire.
M. Maurice G... a déposé son rapport d'expertise judiciaire le 29 mai 2012.
Par arrêt du 14 mars 2013, rendu après dépôt du rapport d'expertise de M. Maurice G..., la cour d'appel a:
- révoqué l'ordonnance de clôture et renvoyé l'affaire à la mise en l'état,
- invité Me O... , ès-qualités, à produire un état complet des actifs réalisés et des sommes qu'il a perçues ainsi qu'un état du passif dans lequel il reprendra le tableau de Me H..., en faisant abstraction des créances SOCPHIPARD qui ne doivent plus être comptabilisées au passif, compte tenu de la transaction intervenue, et en mentionnant le nouveau montant de la créance fiscale après dégrèvement d'office, et indiquera pour chaque créance sa date de naissance ou la période à laquelle elle se rapporte,
- dit que Me O... , ès-qualités, et la Bred devront conclure, compte tenu des nouvelles productions.
Par arrêt du 26 septembre 2013, la cour d'appel de Paris a :
- infirmé le jugement déféré en ce qu'il a condamné Me O... , ès-qualités, à payer à la Bred Banque Populaire la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il a condamné ce mandataire judiciaire, ès-qualités, aux dépens,
statuant des chefs infirmés et y ajoutant,
- constaté qu'il n'existe plus d'aggravation d'insuffisance d'actif que la Bred ait contribué à créer et qu'elle soit tenue de réparer,
- débouté en conséquence Me O... , ès-qualités, de sa demande de dommages-intérêts,
- condamné la Bred Banque Populaire à payer la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à Me O... , ès-qualités,
- rejeté toutes autres demandes des parties,
- condamné la Bred Banque Populaire aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise, et admet les avocats concernés au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
Par arrêt du 22 mars 2016, la Cour de cassation a cassé l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 26 septembre 2013, au visa de l'article 1382 du code civil, aux motifs que:
«Attendu que l'établissement de crédit qui a fautivement retardé l'ouverture de la procédure collective de son client n'est tenu de réparer que l'aggravation de l'insuffisance d'actif qu'il a ainsi contribué à créer ; que le montant de l'aggravation de l'insuffisance d'actif est égal à la différence entre le montant de l'insuffisance d'actif à la date à laquelle le juge statue et le montant de l'insuffisance d'actif au jour de l'octroi du soutien abusif ;
Attendu que pour constater qu'il n'existe plus d'insuffisance d'actif que la banque ait contribué à créer et qu'elle soit tenue de réparer, et rejeter la demande de dommages-intérêts du mandataire ad hoc, l'arrêt, après avoir énoncé que le préjudice indemnisable suppose que soit démontrée au préalable l'insuffisance d'actif résiduelle appréciée au jour de la décision et une aggravation imputable au soutien fautif accordé par la banque, retient que l'actif s'élève à 4 455 451,50 euros tandis que le passif prenant uniquement en compte les créances nées après le [...] est au maximum de 3 042 540,30 euros, et en déduit qu'il ne subsiste aucune insuffisance d'actif à la charge de la banque ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé»
LA COUR
Vu les conclusions du 16 mai 2017 par lesquelles les sociétés SELARL Ajilink ' N... X..., ès-qualités de mandataire ad hoc de la société Clinique K... Y..., et Clinique K... Y..., appelantes, invitent la cour, à :
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné Me O... , ès-qualités, à payer à la Bred les sommes de 30.000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile et en ce qu'il a condamné celui-ci, ès-qualités, aux dépens,
statuant des chefs infirmés et, y ajoutant :
I) Vu les arrêts rendus par cette cour le 10 septembre 2010, l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 10 janvier 2012 ayant rejeté en ses deux moyens le pourvoi formé par la Bred contre l'arrêt du 10 janvier 2010,
- constater que bénéficient de la chose irrévocablement jugée:
* la recevabilité de l'action introduite à l'encontre de la Bred,
* le bien- fondé de cette action, la Bred s'étant rendue coupable de soutien abusif pendant la période 10 juin 1992 au 7 mars 1996, date du jugement d'ouverture de la procédure collective de la société Clinique K... Y..., ces deux points étant l'objet des deux moyens rejetés par la Cour de cassation,
- constater que la cour n'est plus saisie, depuis l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 10 janvier 2012, que de la fixation des montants des dommages et intérêts dus par la Bred et des demandes annexes à cette demande principale,
II) Vu les arrêts rendus par cette cour le 14 mars 2013, décision se bornant à prescrire des mesures d'administration judiciaire, comme telle susceptible d'aucune recours et le 20 septembre 2013 et l'arrêt rendu le 22 mars 2016 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, cassant et annulant, en toutes ses dispositions, l'arrêt du 25 septembre 2013 pour violation de l'article 1382 du code civil, actuellement article 1240 du code civil,
- constater que la présente cour devant laquelle les parties ont été renvoyées par l'arrêt du 22 mars 2016 est exclusivement saisie de la fixation des montants des dommages et intérêts dus par la Bred et des demandes annexes à cette demande principale,
- dire, quant à cette fixation, que la liberté d'appréciation de la cour reste entière, les motifs de l'arrêt du 10 septembre 2010 relatifs à l'expertise ordonnée par la cour seraient- ils considérés comme le "soutien nécessaire" du dispositif, ne sont pas pourvus de l'autorité de la chose jugée, dès lors qu'ils n'ont pas été repris dans ce dispositif, alors surtout qu'en l'espèce ces motifs ne se rapportent pas à la partie du dispositif statuant au fond mais seulement à la partie de ce dispositif statuant avant dire droit,
- dire que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 14 mars 2013 ne porte aucune limite à cette liberté d'appréciation (mesures d'administration judiciaire) et qu'il en est de même de celui du 26 septembre 2013 censuré par l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 22 mars 2016,
- dire que l'action en responsabilité pour soutien abusif introduite par Me O... , ès-qualités, et poursuivie par eux sur le fondement de l'article 1382 du code civil, actuellement article 1240 du code civil, lui permet seulement d'obtenir la condamnation de la Bred au paiement intégral de l'aggravation de l'insuffisance d'actif pendant la période de soutien abusif mais seulement dans la limite de l'insuffisance d'actif résiduelle à la date de l'arrêt de la cour à intervenir,
- dire que la prétention de la Bred de voir tout encaissement réalisé par les mandataires judiciaires de la procédure collective Clinique K... Y... affecté par priorité à la diminution du montant de l'aggravation de l'insuffisance d'actif pendant la période de soutien abusif n'a aucun fondement rationnel, comptable ou juridique, une affectation spéciale ne pouvant résulter que d'une disposition législative spéciale, inexistante en l'espèce, et aurait pour effet de subordonner l'indemnisation due par le coupable de soutien abusif non seulement à l'existence d'une insuffisance d'actif résiduelle, condition posée par la jurisprudence, mais également au fait que la "branche " actif de l'insuffisance d'actif résiduelle soit inférieure à l'aggravation de cette insuffisance pendant la période de soutien abusif, condition sans aucune assise logique ni précédent jurisprudentiel,
- dire que les encaissements effectués par la procédure collective après le jugement d'ouverture de celle-ci dans le cadre de la réalisation des actifs sociaux n'ont aucun rapport avec l'aggravation de l'insuffisance d'actif pendant la période de soutien abusif et ne doivent être retenus que dans le calcul de l'insuffisance d'actif résiduelle,
- dire, en ce qui concerne la détermination de cette insuffisance d'actif résiduelle, que le passif à prendre en considération est l'intégralité du passif produit, vérifié et admis, et que l'exclusion de ce passif des créances nées antérieurement au point de départ de la période de soutien abusif constituerait une violation de l'article 1382 du code civil,
- dire qu'en l'espèce l'aggravation de l'insuffisance d'actif pendant la période de soutien abusif a été chiffrée par M. G..., expert nommé par l'arrêt du 10 septembre 2010 dont le rapport a été écarté à tort des débats par l'arrêt censuré du 26 septembre 2013, à 89.641.920 francs (13.665.823,52 euros) somme non contestée par les parties, et le montant d'actif résiduel, correctement calculé, tant pour la branche " actif" que pour la branche " passif" (donc en incluant toutes les créances sans considération de leur date de création) à 1.118.963,92 euros (après actualisation de l'expertise P..., l'insuffisance d'actif arrêtée par lui à 9.169.498 euros se trouvant réduite à 1.118.963,92 euros après des abandons consentis par Socphipard et le recouvrement fiscal),
- condamner la Bred à leur payer la somme de 1.118.963,92 euros, somme inférieure à l'aggravation de l'insuffisance d'actif pendant la période de soutien abusif, « mais égale à l'insuffisance d'actif résiduelle », ce avec intérêts de droit à compter du 1er mars 2000, date de l'introduction de la demande, ou, subsidiairement, à compter du 17 septembre 2002, date du jugement d'homologation du protocole transactionnel Socphipard, encore plus subsidiairement à toute date postérieure au 17 septembre 2002 et antérieure à l'arrêt à intervenir, arbitrée par la cour dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation,
- dire qu'en application de l'article 1154 du code civil, les intérêts produits, par le montant de la somme due en principal, seront chaque année incorporés à ce capital et produiront eux-mêmes intérêts, la 1ère capitalisation ayant lieu 1 an après la date de signification des présentes conclusions et les suivantes à chaque date anniversaire de cette signification,
- débouter la Bred de l'ensemble de ses écritures à toutes fins qu'elles comportent, en particulier sa demande en condamnation du concluant à la somme de 75.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire,
- dire leur demande additionnelle recevable et bien fondée,
- condamner en conséquence la Bred à lui payer la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée, fondée sur une argumentation condamnée en termes sévères par l'arrêt du 10 septembre 2010 traduisant l'attitude de la Bred de "considérer toujours " que le financement par elle d'une "liquidation amiable" est préférable au respect de la législation d'ordre public sur les procédures collectives, le tout exprimé en des termes parfaitement inadmissibles,
- condamner la Bred au paiement d'une somme de 75.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure ayant donné lieu à l'arrêt censuré du 25 septembre 2013 et à une somme de 20.000 euros sur le même fondement au titre de la procédure postérieure à l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 22 mars 2016, ainsi qu'aux entiers dépens de toutes les décisions judiciaires rendues par le tribunal de commerce de Paris puis par la cour d'appel de Paris dans le cadre de l'action en responsabilité introduite par Me O... , ès-qualités, le 1er mars 2000, lesquels comprendront les frais de l'expertise G...;
Vu les conclusions du 24 novembre 2017 par lesquelles la Bred Banque Populaire, intimé ayant formé appel incident, demande à la cour, au visa de l'article 1240 du code civil, de:
avant de dire droit,
- enjoindre à Me X... de produire le bilan à jour des opérations de liquidation de la société K... Y...
en tout état de cause,
- juger que le préjudice juridiquement réparable ne peut être que l'accroissement de l'insuffisance d'actif entre la date à laquelle son soutien a été jugé abusif, soit le 12 juin 1992, et la date d'ouverture de la procédure collective de la société K... Y..., dans la limite de l'insuffisance d'actif résiduelle,
- juger qu'il n'existe plus aujourd'hui d'insuffisance d'actif et, en conséquence, de préjudice qui n'ait été d'ores et déjà réparé,
- juger, en conséquence, qu'aucune condamnation pécuniaire ne saurait être prononcée à son encontre,
en conséquence,
- dire Me X... mal fondé en ses demandes, et donc,
- débouter Me X... de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,'
- condamner Me X..., ès-qualités, à verser à la Bred la somme de 75.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamner Me X... à lui payer à la somme de 150.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Me X... aux entiers dépens;
SUR CE
La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
En application de l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.
Sur la communication par Me X..., ès-qualités, du bilan des opérations de liquidation de la société Clinique K... Y...
Cette demande de communication de pièce doit être rejetée, Me X..., ès-qualités, produisant les pièces qu'il juge nécessaire au soutien de ses prétentions et notamment concernant l'étendue de son préjudice. La présente cour tirera, le cas échéant, les conséquences de l'absence de cette communication.
Sur le rapport d'expertise judiciaire de M. G...
Le dispositif de l'arrêt du 14 mars 2013 ne dit pas que le rapport d'expertise de M. G... est écarté. Dès lors, même si dans le corps de la décision, l'arrêt indique que «les conclusions du rapport de M. G... doivent être écartées», il n'y a pas autorité de la chose jugée sur ce point.
Sur le préjudice subi par la société Clinique K... Y... en raison du soutien abusif de la Bred
Les sociétés SELARL Ajilink ' N... X..., ès-qualités de mandataire ad hoc de la société Clinique K... Y..., et Clinique K... Y... expliquent que:
- la détermination de l'insuffisance d'actif résiduelle est une condition de l'indemnisation et constitue le plafond de cette indemnisation,
- M. G... dans son rapport d'expertise judiciaire a chiffré l'aggravation de l'insuffisance d'actif pendant le soutien abusif à la somme de 89.641.920 francs (13.665.823,52 euros), somme non contestée par la Bred,
- en tout état de cause, le montant de l'insuffisance d'actif résiduelle, qui constitue "le plafond" de l'indemnité à lui revenir, est manifestement inférieur à cette somme,
- il n'y a pas lieu de prendre en compte les abandons de créances, qui ne peuvent être considérés comme des sommes perçues par le débiteur,
- aux termes du rapport d'expertise déposé par M. H... le 7 août 2002, dans le cadre de l'action en comblement de passif engagée à l'encontre des consorts E..., l'insuffisance d'actif résultant des créances déclarées à Me U... représentant des créanciers de la société K... Y... s'élève à 60.147.967 francs soit 9.169.498 euros,
- il convient de déduire les créances Socphipard et le dégrèvement fiscal de la somme initial pour fixer le montant de l'insuffisance d'actif résiduelle à la somme de 1.118.963,92 euros,
- la Bred ne conteste pas que l'intégralité de l'aggravation de l'insuffisance d'actif pendant la période de soutien abusif est réputée avoir été provoquée par la faute,
- le rapport de M. G... fait partie intégrante des débats, l'arrêt du 14 mars 2013 de la cour d'appel de Paris ne portant que sur de simple mesure d'administration judiciaire,
- il n'y a pas lieu de tenir compte de la somme restituée par la société Socphipard et de la condamnation des époux E... à hauteur de 1.300.000 euros pour soutien abusif, pour calculer l'actif, et il n'y a pas lieu de déduire du passif la créance cédée par la Bred à la société Générale de Santé, puis abandonnée par cette dernière, la créance abandonnée par la SNC HPAB tout comme la créance déclarée par les époux E....
En réplique, la société Bred explique qu'elle ne peut être condamnée que dans la limite de l'insuffisance d'actif résiduelle, que s'il n'existe aucune insuffisance d'actif résiduelle, il n'y a dès lors plus de préjudice réparable en matière de soutien abusif, que si à l'issue de la procédure collective, pour différentes raisons il n'y a plus d'insuffisance d'actif, et que donc tous les créanciers admis qui n'ont pas renoncé à leurs créances pouvant être payés et il n'y a plus aucun préjudice réparable.
Elle relève également que M. G... a conclu que l'aggravation de l'insuffisance d'actif de la société K... Y... entre le 10 juin 1992 et le 7 mars 1996 s'élevait à la somme de 89.641.926 francs (13.665.823,52 euros) alors que le montant des sommes recouvrées par la CAB dans le cadre des opérations de liquidation s'élevait à 112.346.819 francs (17.127.162,15 euros).
Enfin, elle explique que la seule question qui se pose est de savoir si, comptablement, la situation financière de la société K... Y... est positive ou négative, c'est à dire si le solde des opérations de liquidation est bénéficiaire ou déficitaire.
***
Il est de principe que l'établissement de crédit qui a fautivement retardé l'ouverture de la procédure collective de son client n'est tenu de réparer que l'aggravation de l'insuffisance d'actif qu'il a ainsi contribué à créer, dont le montant est égal à la différence entre le montant de l'insuffisance d'actif à la date à laquelle le juge statue et le montant de l'insuffisance d'actif au jour de l'octroi du soutien abusif.
Les dommages et intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit.
Il a été jugé de manière définitive que la société Bred a soutenu abusivement la société Clinique K... Y... à compter du 10 juin 1992.
Dès lors, pour déterminer le préjudice subi par la société Clinique K... Y..., il convient de définir le montant de l'insuffisance d'actif au 10 juin 1992 et le montant de l'insuffisance d'actif à la date de la présente décision.
Les parties s'opposent sur la détermination du montant de l'insuffisance d'actif à la date de la présente décision.
L'insuffisance d'actif correspond à la différence entre le passif et l'actif de la société.
Dans son expertise judiciaire, dont les chiffres ne sont pas contestés par les parties, M. G... considère que la «situation nette [positif] de la société Clinique K... Y... s'élevait à 33.659.226 francs [5.131.315,92 euros] au 10 juin 1992». Il utilise ce montant pour déterminer l'aggravation de l'insuffisance d'actif. Il conclut qu'au 7 mars 1996, la situation nette de la société Clinique K... Y... s'élevait à un montant négatif de 55.982.700 francs (8.534.507,60 euros) et que «l'aggravation de l'insuffisance d'actif entre le 10 juin 1992 et le 7 mars 1996 représentait donc un montant de 89.641.926 francs (13.665.823,52 euros)», correspondant à l'addition entre les sommes de 8.534.507,60 et 5.131.315,92. Il précise que ce montant ne tient pas compte des sommes perçues par Me O... depuis l'ouverture de la procédure collective, ces sommes représentant un total de 112.346.819 francs (17.127.162,15 euros), à savoir les créances de la société Socphipard, les créances de la société HPAB et celles abandonnées par la société Générale de Santé Clinique, après cession par la Bred, qui pourraient être, selon l'expert, à déduire du passif.
Le rapport H... du 7 août 2002, dont les chiffres ne sont également pas contestés par les parties et réalisé dans le cadre de l'action en comblement de passif engagée à l'encontre des consorts E..., conclut que l'actif de la procédure collective s'élève à la somme de 4.033.801 euros, que le passif s'élève à la somme de 13.203.299 euros, et que donc l'insuffisance d'actif s'élève à la somme de 9.169.498 euros, en indiquant que ces sommes pourraient être diminuées ; suite aux négociations avec l'administration fiscale mais aussi en raison des négociations avec la société Socphipard et la Bred.
Les parties ne contestent pas la somme nette positive de 5.131.315,92 euros retenue par M. G... au 10 juin 1992, qui a été utilisée par ce dernier pour calculer l'aggravation de l'insuffisance d'actif de la société Clinique K... Y... au jour de l'ouverture de la procédure collective. Il convient de relever qu'il s'agit du seul chiffre dans la cause pour déterminer l'insuffisance d'actif de la société Clinique K... Y... au 10 juin 1992 et non débattu par les parties. Le rapport H... est muet sur ce point. Ce chiffre sera donc retenu au titre de l'insuffisance d'actif de la société Clinique K... Y... au 10 juin 1992.
Par ailleurs, les parties s'accordent, afin de déterminer l'insuffisance d'actif de la société Clinique K... Y... à ce jour, sur le principe de la déduction de la somme de 9.169.498 euros pour déterminer le passif à ce jour, les créances de la société Socphipard à hauteur de 1.785.205,69 euros au titre des créances privilégiées, de 5.165.244,59 euros au titre des créances chirographaires, ainsi que le dégrèvement fiscal d'un montant total de 1.023.859,80 euros.
Me X... soutient qu'aucune autre somme ne doit être prise en compte pour déterminer l'insuffisance d'actif à ce jour, que le calcul doit donc être de 9.169.498 - 1.785.205,69 - 5.165.244,59 - 1.023.859,80, représentant la somme de 1.195.187,92 euros. Toutefois, la Bred fait valoir que d'autres sommes doivent être prise en comptes pour déterminer l'insuffisance d'actif de la société Clinique K... Y... à ce jour.
S'agissant des sommes cédées par la Bred à la société Générale de Santé Clinique, puis abandonnées par cette dernière au bénéfice de la société Clinique K... Y..., représentant un total de 6.454.739 euros, celles-ci doivent être également prises en compte dans le cadre du calcul du passif de la société Clinique K... Y... à la date de la présente décision. Il apparaît en effet, que contrairement aux affirmations de la société Clinique K... Y..., ces prêts sont pris en compte dans son passif (page 9 rapport H... qui détaille le passif au 31 décembre 2000) et doivent donc être retirés de celui-ci pour avoir fait l'objet d'un abandon par le créancier, n'étant dès lors plus réclamés à ce jour et ne pesant plus sur le passif.
Il en est de même des sommes restituées à la société Clinique K... Y... par la société Socphipard au titre des répartitions effectuées avec intérêts légaux (345.425,47 euros) et au titre d'une indemnité transactionnelle (76.226 euros), qui doivent être créditées à l'actif de la société Clinique K... Y... au jour de la présente décision.
En revanche, la somme de 1.300.000 euros correspondant à la condamnation des époux E... pour soutien abusif ne peut être prise en compte, celle-ci n'étant pas définitive : la cour d'appel de Paris, saisie en cause d'appel sur ce point, a ordonnée le sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la présente procédure.
Dès lors, il apparaît que la société Clinique K... Y... n'est plus à ce jour en état d'insuffisance d'actif, les sommes devant être déduites du passif apparaissant supérieures au montant du passif non contesté par les parties, ces sommes à déduire correspondant à différents abandons de créances. Au jour de la présente décision, le solde de la situation comptable de la société Clinique K... Y... apparaît positif au regard de ces éléments.
Dans ces conditions, il n'est établi par les sociétés SELARL Ajilink ' N... X..., ès-qualités de mandataire ad hoc de la société Clinique K... Y..., et Clinique K... Y... aucune aggravation de l'insuffisance d'actif, seul élément constituant le préjudice réparable en raison d'un soutien abusif, entre le 10 juin 1992 et ce jour, la société Clinique K... Y... n'étant plus en état d'insuffisance d'actif.
Il y a donc lieu de débouter les sociétés SELARL Ajilink ' N... X..., ès-qualités de mandataire ad hoc de la société Clinique K... Y..., et la société Clinique K... Y... de leurs demandes de dommages et intérêts.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire formée par les sociétés SELARL Ajilink ' N... X..., ès-qualités de mandataire ad hoc de la société Clinique K... Y..., et la société Clinique K... Y...
Compte tenu de la nature de la décision, les sociétés SELARL Ajilink ' N... X..., ès-qualités de mandataire ad hoc de la société Clinique K... Y..., et la société Clinique K... Y... étant déboutées de leurs demandes au principal à l'encontre de la société Bred, cette demande doit être rejetée, aucune preuve d'une faute imputable à la société Bred n'étant démontrée.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la société Bred
L'exercice d'une action en justice ne dégénère en abus que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi, ou s'il s'agit d'une erreur grave équipollente au dol. L'appréciation inexacte qu'une partie se fait de ses droits n'est pas constitutive en soi d'une faute.
La société Bred ne rapporte pas la preuve de ce que l'action de la société SELARL Ajilink ' N... X..., ès-qualités de mandataire ad hoc de la société Clinique K... Y..., aurait dégénéré en abus. Elle doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La société SELARL Ajilink ' N... X..., ès-qualités de mandataire ad hoc de la société Clinique K... Y..., doit être condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Bred la somme supplémentaire de 20.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du code de procédure civile formulée par les sociétés SELARL Ajilink ' N... X..., ès-qualités de mandataire ad hoc de la société Clinique K... Y..., et la société Clinique K... Y....
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Dans la limite de sa saisine,
DÉBOUTE la société SELARL Ajilink ' N... X..., ès-qualités de mandataire ad hoc de la société Clinique K... Y..., de sa demande de dommages et intérêts;
CONFIRME le jugement sur les dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
CONDAMNE la société SELARL Ajilink ' N... X..., ès-qualités de mandataire ad hoc de la société Clinique K... Y..., aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Bred la somme supplémentaire de 20.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel;
REJETTE toute autre demande.
Le Greffier La Présidente
Cécile PENG Irène LUC