Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRET DU 02 OCTOBRE 2018
(n° 402 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 16/20792
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Octobre 2016 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 15/06996
APPELANTE
Madame Béatrice C...
[...]
Représentée par Me Eric X... de la SELARL CARBONNIER LAMAZE RASLE ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0298
Ayant pour avocat plaidant Me Myriam Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : P0298, substituant Me Eric X... de la SELARL CARBONNIER LAMAZE RASLE ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0298
INTIMES
Monsieur Christophe Z...
[...]
né le [...] à BREST (29)
SELAS POISSON - GAILLARD-SEROUGNE représentée par son Président domicilié [...]
N° SIRET : 784 350 084
Représentés et plaidant par Me Barthélemy A..., avocat au barreau de PARIS, toque : E0435
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 06 Juin 2018, en audience publique, devant la Cour composée de:
M. Christian HOURS, Président de chambre
Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère, chargée du rapport
Mme Anne LACQUEMANT, Conseillère
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Mme Lydie SUEUR
ARRET :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Christian HOURS, Président de chambre et par Lydie SUEUR, Greffière présent lors du prononcé.
*****
Mme Béatrice C... a épousé M. Philippe B... le 30 juillet 2001 après adoption du régime de la participation aux acquêts selon contrat de mariage reçu le 18 juillet 2001 par Me Christophe Z..., notaire, alors membre de la société civile professionnelle Poisson-Gaillard-Serougne.
Mme C... exerce la profession de pédiatre libéral, tandis que M. B... est gérant de société.
Dix-huit mois plus tard, Mme C..., pour y installer son cabinet médical, a souhaité acheter un bien situé [...].
Le 16 janvier 2003, les époux B... C... ont constitué une société civile immobilière, la 'SCI D... C...-B...', Mme C..., détentrice de 25 659 parts sociales, étant désignée gérante, M. B... détenant 258 parts, soit 1% du capital.
Mme C... a souscrit seule un emprunt d'un montant de 250 147 euros, somme qu'elle a apportée, après signature d'un avenant au contrat de prêt, en compte courant d'associé pour permettre l'acquisition du bien par la SCI
Par acte reçu par Me Z... le 30 janvier 2003, la SCI D... C...-B... a fait l'acquisition du bien précité au prix de 259 163 euros.
M B... et Mme C... ayant ultérieurement engagé une procédure de divorce, le juge aux affaires familiales a, dans l'ordonnance de non-conciliation du 18 décembre 2009, désigné Me E..., notaire, afin de dresser un inventaire estimatif des biens et élaborer un projet de liquidation du régime matrimonial des époux.
Le rapport de Me E... mentionnait dans les acquêts de Mme C... la somme de 459800 euros, représentant la valeur de ses parts de la SCI D... C...-B..., le conseil de Mme C... a fait part à Me Z... , le 2 avril 2015, de ce qu'elle serait contrainte de verser à son ancien époux la moitié de la valeur du bien immobilier acquis par elle pour exercer sa profession.
N'ayant pas reçu de réponse, Mme C... a saisi le tribunal de grande instance de Paris, le 21 avril 2015, pour que soit reconnu un défaut de conseil de son notaire, rédacteur des contrats et pour être indemnisée de ses préjudices.
Par jugement du 12 octobre 2016, le tribunal de grande instance de Paris a débouté Mme C... de toutes ses demandes.
Mme C..., qui a fait appel de cette décision, demande à la cour par dernières conclusions du 8 mars 2017, d'infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau, de :
- la dire recevable et bien fondée en ses demandes ;
- constater que Me Z... a commis des manquements graves à son obligation de conseil engageant sa responsabilité, d'une part en ne la conseillant pas utilement au stade de la rédaction et de la signature de son contrat de mariage, d'autre part, au moment de l'acquisition d'un bien immobilier et de la constitution d'une société civile immobilière;
- condamner in solidum Me Christophe Z... et la SCP Poisson & Gaillard-Serougne à lui payer la somme de 229 900 euros au titre du préjudice subi du fait des fautes commises par Me Z..., outre la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens.
Me Z... et la SCP Poisson-Gaillard-Serougne, intimés, demandent à la cour, par conclusions du 13 février 2017, de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- débouter en conséquence Mme C... de toutes ses demandes ;
- la condamner à leur payer la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme C... aux dépens de première instance et d'appel et dire que Me A..., avocat, pourra, en application de l'article 699 du code de procédure civile, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont il déclarera avoir fait l'avance sans avoir reçu provision.
SUR CE,
Considérant que Mme C... soutient que :
- le devoir de conseil est un devoir professionnel obligatoire auquel le notaire ne peut se soustraire sous aucun prétexte, quelle que soit la nature de son intervention ;
- les notaires ne doivent pas uniquement rédiger des actes valables mais également établir des actes qui réalisent exactement les buts poursuivis par leurs clients et dont les conséquences
sont pleinement conformes à celles qu'ils se proposaient d'atteindre ;
- Me Z... est intervenu à plusieurs reprises en qualité de notaire de Mme C... :
- en rédigeant seul le contrat de mariage signé le 18 juillet 2001 par Mme C...
et M. B... sur la base du régime de la participation aux acquêts ;
- en rédigeant seul les statuts de la SCI « Di C...-B... » enregistrés le 28 janvier 2003, société civile immobilière au capital de 259.170 euros dont le siège social est [...], enregistré au RCS de Paris sous le numéro 445 316 862; - en rédigeant l'acte de vente par la société SFEZ SA au profit de la SCI C...
B... du bien immobilier situé [...] moyennant le prix de 259160 euros, en date du 30 janvier 2003 (et 30 mars 2003 date de dépôt de l'extrait Kbis) ;
- or, les intimés n'ont jamais alerté Mme C... des risques et conséquences des actes réalisés ni des différentes possibilités pour y remédier et ce en violation de leurs obligations professionnelles ; à aucun moment, ils n'ont rapporté la preuve du respect de leur obligation de conseil à l'égard de Mme C... ;
- eu égard à la profession de Mme C... et au régime matrimonial choisi par elle et son époux, deux options juridiques permettaient de la protéger :
1) une clause d'exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation, sauf en cas de dissolution du régime par décès ;
- Me Z... a rédigé le contrat de mariage du couple Di C...-B..., qui avait porté à sa connaissance leurs situations professionnelles respectives sans même les avoir rencontrés ni s'être entretenu avec eux de leur souhait et volonté ;
- Me Z... a rédigé le contrat de mariage de participation aux acquêts sans faire figurer aucune clause excluant du calcul de la créance de participation les biens professionnels acquis au cours du mariage.
- l'argument suivant lequel la stipulation d'une clause d'exclusion des biens professionnels aurait été inefficace car elle s'analyserait comme un avantage matrimonial prenant effet à la dissolution du régime matrimonial est erroné, l'article 265 du code civil, alinéa premier disposant que « le divorce est sans incidence sur les avantages matrimoniaux qui prennent effet au cours du mariage et sur les donations de biens présents quelle que soit leur forme.»; il a été jugé par cette cour dans un arrêt du 27 avril 2011, que la clause d'un régime de participation aux acquêts emportant exclusion des biens professionnels était un avantage matrimonial prenant effet au cours du mariage et n'était pas révocable ;
- Me Z... au titre de son devoir de conseil, aurait dû alerter Mme C... sur les risques inhérents au contrat de participation aux acquêts, au vu de sa profession, et lui conseiller d'insérer, dès la rédaction du contrat de mariage, une clause d'exclusion des biens professionnels ;
2) un changement partiel de régime matrimonial afin de soumettre un bien au régime de la séparation des biens ;
- lorsqu'en 2003 Mme C... a souhaité procéder à l'acquisition d'un bien immobilier afin d'y installer son cabinet médical, Me Z... lui a conseillé d'acquérir le bien par le biais d'une SCI et lui a alors présenté, de nouveau, des documents qu'il avait préétablis en assurant que la répartition envisagée des parts sociales de la société lui permettait de protéger son bien immobilier ;
- Me Z... aurait dû avertir Mme C... de ce que l'acquisition du bien par le biais d'une société civile immobilière détenue à 99 % par elle, et à hauteur de 1 % par son époux, était indifférente au droit de ce dernier sur la moitié de la valeur au bien au titre des acquêts ;
- il appartient au notaire d'informer le couple des conséquences des différents contrats de mariage, notamment en cas de divorce, comme le rappelle la Cour de cassation dans son arrêt du 12 mai 2016 ; or, Mme C... n'a reçu aucune information ;
- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, la connaissance de la profession de Mme C... par Me Z... aurait dû conduire le notaire à proposer d'exclure les biens professionnels, comme le conseillent vivement l'ensemble des textes de doctrine sur ce sujet ; Me Z... aurait dû l'avertir des conséquences de son contrat de mariage et lui proposer une modification de contrat;
- Me Z... était informé de la destination professionnelle du bien : le bien a été immédiatement enregistré au répertoire SIRENE comme établissement dès le 31 mars 2003 soit bien avant que les formalités de vente effectuées par le notaire ne soient clôturées, le 29 octobre 2003 ;
- Mme C..., en application du contrat de mariage établi par Me Z..., va être conduite à devoir payer à son ex-époux une somme correspondant à la moitié de la valeur du bien immobilier financé par elle et acquis pour lui permettre d'exercer sa profession ; elle va être contrainte de vendre le bien pour régler à son ancien époux la somme due ; elle ne sait pas où elle pourra continuer à exercer son travail ni ce que deviendra sa clientèle;
- Il est certain que, correctement conseillée, elle aurait choisi d'exclure son cabinet médical de ses acquêts nets ; du fait des manquements du notaire à son devoir de conseil, elle n'a pu mettre en 'uvre les mesures juridiques existantes et efficaces pour protéger le bien utilisé dans le cadre de son activité professionnelle ;
Considérant que Me Z... soutient que :
- il revient à l'appelante d'établir qu'au temps de la conclusion du contrat de mariage, la volonté commune des futurs époux était de soustraire certains biens du régime, ce qui n'est pas le cas ;
- la seule circonstance touchant à la profession de pédiatre de l'appelante ne commandait nullement que lui soit donné le conseil d'exclure les biens professionnels ;
- les statuts de la SCI, sous seing privé, n'ont pas été préparés par le notaire mais avec le cabinet d'avocats ADVIS ;
- il n'est pas établi qu'au temps de l'acquisition, le bien était destiné exclusivement à l'exercice par l'appelante de sa profession.
- le lien de causalité entre la prétendue faute du notaire et le préjudice de l'appelante n'est pas démontré dès lors que la clause d'exclusion des biens professionnels, dont il est fait reproche aux concluants de ne pas avoir conseillé l'inclusion au contrat de mariage, aurait été inefficace en raison de la nouvelle rédaction de l'article 265 du code civil et au principe de caducité des avantages matrimoniaux consentis entre époux en conséquence de la dissolution du mariage par l'effet d'un divorce, introduite par la loi n° 2006-726 du 23 juin 2006, entrée en vigueur au 1er janvier 2007 ;
- le préjudice que Me C... allègue, sur lequel s'apprécieraient la matière et l'intensité d'une perte de chance, est incertain, s'appuyant sur un simple projet de liquidation qui fait apparaître une créance de participation à son encontre et non sur une convention homologuée ou une décision de justice définitive ;
Considérant que le notaire est tenu d'informer et d'éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets des actes auxquels il prête son concours ; qu'il lui appartient de remplir sa mission de façon efficace ; qu'il doit démontrer, en outre, qu'il a effectivement rempli son obligation de conseil à l'égard de ses clients ;
Considérant que la responsabilité de la SCP notariale peut résulter alors de la proposition et de la mise en oeuvre d'un cadre juridique inapproprié;
Considérant que si comme l'a estimé le tribunal, la profession de pédiatre de Mme C... ne lui interdisait pas de recourir au moment de son mariage avec M. B..., gérant de société, au régime matrimonial de la participation aux acquêts, de sorte qu'aucune faute n'apparaît avoir été commise par les notaires à ce stade, il en va différemment lorsqu'il a été demandé à Me Z... de recevoir l'acte par lequel une SCI, créé entre les époux à raison de 99 % pour l'épouse et 1 % pour l'époux, achetait un local professionnel pour Mme C... ;
Considérant qu'il incombait alors au notaire d'attirer l'attention des époux B... C... et tout particulièrement celle de Mme C..., qu'il existait une contradiction possible entre le fait de détenir 99 % des parts de la société, ce qui correspondait au fait que Mme C... apportait seule le financement de cet achat au demeurant destiné à son activité professionnelle et le fait qu'en cas de dissolution du régime, il lui faudrait reverser la moitié de la valeur de ces parts qui constituaient un acquêt ;
Considérant en effet que pour un non-juriste comme Mme C..., le fait de détenir 99 % des parts de la société était de nature à lui laisser croire qu'elle détenait définitivement dans cette proportion la propriété du bien acheté ;
Considérant que Me Z..., qui ne pouvait pas au surplus ignorer l'usage professionnel du bien acheté, la SCI étant déjà enregistrée au répertoire SIRENE comme établissement le 31 mars 2003, soit avant les formalités de vente, ne démontre pas qu'il a fourni aux époux B... C... l'information requise ;
Considérant que du fait de ce défaut d'information, Mme C... a perdu une chance de ne pas réaliser l'opération ou de faire modifier le contrat de mariage ou même d'en changer ;
Considérant que cette perte de chance est importante, sans pour autant représenter la totalité de la somme perdue ; que la cour estime ce préjudice à la somme de 150000 euros que Me Z... et la Scp Poisson& Gaillard-Serougne doivent être condamnés in solidum à payer à Mme C... ;
Considérant que Me Z... et la Scpi Poisson & Gaillard-Serougne doivent être également condamnés in solidum verser à Mme C... la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel et à supporter les dépens de première instance et d'appel ;
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme C... de ses demandes et l'a condamnée aux dépens ;
Statuant à nouveau, condamne in solidum Me Christophe Z... et la Scp Poisson& Gaillard-Serougne à :
- payer à Mme Béatrice C... la somme de 150000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- lui payer la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'instance et d'appel ;
- supporter les dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER,LE PRESIDENT,