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02/10/2018 | FRANCE | N°16/13044

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 02 octobre 2018, 16/13044


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRÊT DU 02 Octobre 2018

(n° , 7 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/13044 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZZSP



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Juillet 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F 15/10569





APPELANTE

Madame X... A... F...

[...]

née le [...] à ESEKA (CAMEROUN)

représentée p

ar Me Belkacem Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : C 1729





INTIMEE

SAS M.2.B

[...]

N° SIRET : 810 296 814

représentée par Me Thomas Z..., avocat au barreau de PARI...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRÊT DU 02 Octobre 2018

(n° , 7 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/13044 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZZSP

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Juillet 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F 15/10569

APPELANTE

Madame X... A... F...

[...]

née le [...] à ESEKA (CAMEROUN)

représentée par Me Belkacem Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : C 1729

INTIMEE

SAS M.2.B

[...]

N° SIRET : 810 296 814

représentée par Me Thomas Z..., avocat au barreau de PARIS, toque : G0309

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Juillet 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Christophe BACONNIER, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Sylvie HYLAIRE, présidente

Monsieur Christophe BACONNIER, conseiller

Madame Jacqueline LESBROS, conseillère

Greffier : Mme Laurie TEIGELL, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Mme Sylvie HYLAIRE, Présidente et par Madame Caroline GAUTIER, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES

La SARL Labourdine a employé Madame X... A... F..., née [...], par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel à compter du 9 novembre 2009 en qualité de secrétaire comptable et administratif.

La société Labourdine exploitait deux fonds de commerce de restauration': Le Grand Corona ([...].

A compter du 1er avril 2015, l'exploitation de l'établissement Le Grand Corona a été poursuivie par la SAS M2B à laquelle le contrat de travail de Madame A... F... a été transféré.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des hôtels, cafés et restaurants.

La rémunération mensuelle brute moyenne de Mme A... F... s'élevait à la somme de 2.754,94€.

Par lettre notifiée le 2 juillet 2015, Madame A... F... a été convoquée à un entretien préalable fixé au 9 juillet 2015.

Madame A... F... a ensuite été licenciée pour faute grave par lettre notifiée le 17 juillet 2015; la lettre de licenciement indique :

«'Le 1er juillet 2015 au matin, Monsieur Sylvain B..., Directeur de l'établissement, vous a demandé de ne pas vous introduire dans la cuisine afin de vous servir à boire, mais de rester en salle et de commander votre boisson auprès d'un serveur.

Ce faisant, vous vous êtes exécutée et avez commandé un thé qui vous a été servi.

C'est donc avec surprise qu'à l'occasion de votre pause déjeuner, vous avez indiqué à votre fils, que vous aviez mandé dans l'intervalle, désignant Monsieur Sylvain B... « c'est lui qui a un problème avec moi, qui m'insulte, ne me respecte pas et me fait faire du travail de merde».

Avec votre assentiment, votre fils a alors menacé Monsieur Sylvain B... en lui disant « je te préviens si t'as un problème avec ma mère, c'est moi qui vais venir te casser les jambes et te rendre des comptes, c'est à moi que tu auras à faire. Je sais d'où tu viens, avec qui tu traines, je suis à Champigny citée des boulereaux et on se croisera par-là ».

Monsieur Pascal B..., présent dans l'établissement, vous a demandé de raisonner votre fils, ce que vous avez refusé.

En réponse, celui-ci a poursuivi en lui disant « je sais où habite votre fils je sais où il travaille je viendrai avec mon frère pour lui casser les jambes pour qu'il ne puisse plus marcher. Je travaille à deux pas du corona je reviendrai avec mon frère. »

Profondément choqué par les menaces que votre fils, avec votre approbation, a formulées à son encontre, Monsieur Sylvain B... a légitimement déposé une main-courante le même jour, puis une plainte en bonne et due forme.

Ces menaces dont vous êtes l'instigatrice sont non seulement intolérables et injustifiables, mais également inadmissibles puisqu'elles sont intervenues en pleine salle de restaurant, à une heure de forte influence, devant le personnel et les clients médusés. »

A la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement, Madame A... F... avait une ancienneté de 5 ans et 8 mois et la société M2B occupait à titre habituel moins de onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités consécutivement à la rupture de son contrat de travail, Madame A... F... a saisi le 4 septembre 2015 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 5 juillet 2016 auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a :

- condamné la société M2B à verser à Madame A... F... les sommes suivantes':

* 1.208,66 € à titre de rappel de salaires afférent à la mise à pied,

* 120,86 € au titre des congés payés incidents,

* 8.432,16 € à titre d'indemnité de préavis,

* 843,21 € au titre des congés payés incidents,

* 3.302,60 € à titre d'indemnité de licenciement,

avec exécution provisoire,

* 750 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

- ordonné à la société M2B de remettre à Madame A... F... un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes à la présente décision ;

- débouté Madame A... F... du surplus de sa demande ;

- débouté la société M2B de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile

- condamné la société M2B aux dépens.

Madame A... F... a relevé appel de ce jugement par déclaration du 11 octobre 2016.

La clôture a été fixée à la date du 6 juin 2018 et l'affaire a été appelée à l'audience du 5 juillet 2018.

Par conclusions régulièrement communiquées par RPVA le 11 janvier 2017, Madame A... F... demande à la cour de dire que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse et de:

- condamner la société M2B à lui payer les sommes suivantes, sous le bénéfice de l'exécution provisoire et avec intérêts au taux légal et capitalisation à compter de la saisine du conseil de prud'hommes :

* 33.720 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1.208,66 € à titre de rappel de salaires sur mise à pied conservatoire du 2 au 17 juillet 2015,

* 120,86 € au titre des congés payés afférents,

* 8.432,16 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 843,21 € à titre de congés payés afférents,

* 3.302,60 € à titre d'indemnité légale de licenciement,

* 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail et modification unilatérale de sa fonction,

* 20.000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

* 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Madame A... F... demande également à l' cour d'ordonner la délivrance d'un bulletin de paie rectificatif, d'une attestation Pôle Emploi et d'un certificat de travail conforme au prononcé de la décision à intervenir, sous astreinte de 50 € par jour de retard et par document à compter du prononcé de la décision à intervenir.

Par conclusions régulièrement communiquées par RPVA le 22 février 2017, la société M2B demande à la cour de' dire recevable et bien fondée en son argumentation, de confirmer la décision dont il a été interjeté appel en toutes ses dispositions, et; y ajoutant, de dire que le licenciement de Madame A... F... justifié pour faute grave, à titre subsidiaire, faire une juste appréciation du montant des condamnations dont Madame A... F... pourrait bénéficier et, reconventionnellement, condamner Madame A... F... à verser à la société M2B la somme de 2 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

MOTIFS

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur le licenciement

Il ressort de l'article L. 1235-1 du code du travail qu'en cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties'; si un doute subsiste il profite au salarié.

Quand le licenciement est prononcé pour faute grave, il incombe à l'employeur de prouver la réalité de la faute grave, c'est-à-dire de prouver non seulement la réalité de la violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail mais aussi que cette faute est telle qu'elle impose le départ immédiat du salarié, le contrat ne pouvant se poursuivre même pour la durée limitée du préavis.

Pour apprécier la gravité de la faute, les juges doivent tenir compte des circonstances qui l'ont entourée et qui peuvent atténuer la faute et la transformer en faute légère.

Si un doute subsiste sur la gravité de la faute reprochée, il doit profiter au salarié.

Il ressort de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige que Madame A... F... a été licenciée pour avoir été l'instigatrice des menaces proférées par son fils le 1er juillet 2015 à l'encontre de Monsieur Sylvain B....

Madame A... F... soutient que les faits qui lui sont reprochés ne sont pas établis, qu'en outre, ils ne lui sont pas imputables personnellement et enfin, qu'ils ne constituent qu'un prétexte pour se débarrasser d'elle.

La société M2B soutient que le licenciement pour faute grave de Madame A... F... est justifié au motif que Madame A... F... a incité son fils à menacer son supérieur hiérarchique, Monsieur Sylvain B... et que ces agissements se sont déroulés à l'heure du déjeuner devant la clientèle.

Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus que la société M2B apporte suffisamment d'éléments de preuve pour établir que le fils de Madame A... F... s'est rendu sur le lieu de travail de celle-ci et qu'il a proféré des menaces à l'encontre du directeur d'établissement en lui disant qu'il allait lui casser les jambes et cela, à l'instigation de Madame A... F..., comme cela ressort du fait, qu'à l'arrivée de son fils, elle a désigné Monsieur B... en disant « c'est lui qui a un problème avec moi, qui m'insulte, ne me respecte pas et me fait faire du travail de merde ».

En effet, les événements du 1er juillet 2015 relatés dans la lettre de licenciement sont établis par les attestations de clients, témoins de l'altercation, nonosbtant le dépôt de plainte du directeur d'établissement et ne sont, du reste, contredits par aucun élément de preuve contraire.

C'est ainsi que Monsieur Christian C... atteste «'Je suis venu déjeuner au grand corona en date du 1er juillet. Vers 13h j'ai assisté à une altercation entre une femme, de couleur, et un jeune homme qui s'avère être le responsable de l'établissement.

Celle-ci s'est avérée menaçante envers celui-ci.

Un homme les a rejoint qui semblait connaitre la femme en question. Il a prononcé des menaces verbales au responsable du genre je cite « je reviendrai te casser les jambes, je te connais et je sais où tu travailles.'»

Un homme est venu pour essayer de calmer la situation.

Je suis parti sans connaitre les aboutissants. » (pièce n° 4 employeur)

De son côté Monsieur Jean-François D... atteste « Je soussigné, Jean G..., client du « Grand Corona » était en train de déjeuner le 1er juillet 2015, atteste avoir vu et entendu un homme d'une certaine corpulence se présentant comme le fils d'une employée présente, s'adresser verbalement de manière violente au fils de la patronne.

Ce dernier effectuait le service et est parti en cuisine. Cette personne a continué de parler avec le patron en disant, « Je vais lui casser les jambes et si il rentre en fauteuil roulant ce sera déjà bien », « je sais où il habite... On se reverra » Il avait l'air déterminé » (pièce n° 5 employeur).

Dans sa plainte, Monsieur Sylvain B... a déclaré « Vers 13h un individu de sexe masculin est arrivé. Madame A... F... a dit, je cite, « c'est lui, il est là'» en me désignant. L'individu est arrivé vers moi alors que je m'occupais d'un client et il m'a dit je cite « qu'est ce que tu as avec ma mère ' Tu lui manques pas de respect sinon je lui casses les jambes».

J'en ai donc déduit qu'il s'agissait du fils de Madame A... F.... Étant donné que je m'occupais de mon client, je me suis écarté et j'ai informé son fils que je n'avais jamais manqué de respect à sa mère et j'ai donc appelé Madame A... F... devant son fils afin de lui demander à quel moment je lui avait manqué de respect et cette dernière n'a pas répondu.

Par la suite, le fils de Madame A... F... m'a dit, je cite : « Ce n'est pas terminé, je te reverrai à la fermeture. De toutes façons, on va forcément se croiser et je sais que tu as une autre Brasserie à Saint Maur Les fossés et je préfère me déplacer en premier car après ça sera mes deux frères ». Par la suite Madame A... F... a quitté les lieux accompagné de son enfant » (pièce n° 3 employeur).

C'est donc en vain que Madame A... F... soutient que les faits ne sont pas établis, qu'ils ne lui sont pas imputables personnellement, qu'ils ne sont qu'un prétexte pour se débarrasser d'elle et qu'en réalité, depuis la reprise du fonds de commerce par la société M2B à compter du 1er avril 2015, cette dernière l'a mise à l'écart en développant des stratagèmes afin de la forcer à quitter l'entreprise de son propre chef en raison des difficultés rencontrées à lui fournir du travail.

En effet, la cour retient que les faits sont établis comme cela a été dit plus haut et qu'ils constituent le véritable motif de son licenciement et non un simple prétexte. en raison de la gravité des faits qui est inhérente à l'existence des menaces d'atteintes aux personnes proférées à son instigation.

La cour retient enfin que les faits fautifs retenus à l'encontre de Madame A... F..., constitutifs d'une menace d'atteinte à la personne proférée à l'instigation de la salariée et, au surplus devant les clients de l'établissement, sont d'une gravité telle qu'ils imposaient son départ immédiat, le contrat ne pouvant se poursuivre même pour la durée limitée du préavis.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a jugé que le licenciement pour faute grave devait être requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse et statuant à nouveau, la cour dit que le licenciement pour faute grave est justifié ainsi que dans l'ensemble de ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté Madame A... F... de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail et modification unilatérale de la fonction

Madame A... F... sollicite la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail et modification unilatérale de sa fonction et 20.000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ; à l'appui de ces demandes, elle soutient qu'elle a été embauchée par la société Labourdine en tant que comptable et secrétaire administratif, niveau 3, échelon 1 et que depuis le 1er avril 2015, sa fonction de comptable et secrétaire administratif était complètement dénaturée par son nouvel employeur, la société M2B, qu'aucun travail afférent à ses fonctions ne lui était confié, qu'elle ne faisait plus que des tâches n'ayant plus grand chose avoir avec sa fonction de comptable et secrétaire administratif, que l'ordre de sa fonction avait été inversé sur ses fiches de paye (pièce n° 28 salarié), qu'elle a dénoncé cette situation à plusieurs reprises en vain (pièces n° 6, 7, 10, 11, 12 et 14 salarié) y compris à l'inspection du travail (pièce n° 13 salarié), que son poste de travail était une table dans un coin de la salle du restaurant ou un petit cagibis servant également de vestiaire de moins de 5 m² sans fenêtre ni aération (pièce n° 5 salarié) et enfin, que la société M2B a multiplié les pressions et brimades à son encontre afin de la pousser à quitter l'entreprise, ce qui justifie sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral.

La société M2B conteste ces moyens ; Madame A... F... ne précise pas les tâches étrangères à ses fonctions qu'elle aurait réalisées, ni n'en justifie ; du reste l'attestation de Madame E... qu'elle produit sur ce point ne comble pas cette carence et mentionne d'ailleurs que Madame A... F... n'effectuait aucun travail contre son gré (pièce n° 33 salarié) ; avant le transfert de son contrat de travail, Madame A... F... travaillait en fait, physiquement et essentiellement (mais officieusement) pour l'autre établissement tenu par la société Labourdine (Les Hortensias), en sorte qu'elle ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir pu rapidement lui fournir une activité complète dans le cadre de son temps partiel, alors qu'elle travaillait précédemment très peu pour l'établissement « le Grand Corona ».

La société M2B ajoute que les allégations de pressions et de brimades ne sont pas établies et que le médecin du travail, qui, a examiné Madame A... F... quelques jours avant les faits a conclu à son aptitude (pièce n° 8 salarié).

*

Dans le cadre de son pouvoir de direction, l'employeur peut faire évoluer les tâches effectuées par le salarié. La circonstance que la tâche donnée à l'intéressé soit différente de celle qu'il effectuait antérieurement ne caractérise pas, en principe, une modification du contrat de travail, dès l'instant où elle correspond à sa qualification. Il en va différemment lorsque ces nouvelles tâches modifient profondément la fonction du salarié et lorsque les nouvelles tâches remettent en cause la qualification, le niveau de responsabilité ou la nature même de l'activité du salarié, il s'agit alors d'une modification du contrat soumise à l'acceptation du salarié.

Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus que l'inversion des intitulés de la fonction de Madame A... F... ne résulte pas d'une mauvaise intention caractérisée de la société M2B mais du report strict des termes formalisés dans son contrat de travail ; ainsi le fait que, jusqu'en octobre 2010, l'intitulé de la fonction de Madame A... F... sur son bulletin de paie était «'comptable & secrétaire administratif » et qu'une inversion a fait passer la fonction de Madame A... F... de «'comptable & secrétaire administratif'» à «'secrétaire & comptable administratif'» ne caractérise aucunement une modification du contrat de travail.

La cour constate aussi que dans ses courriers de réclamation (pièces n° 6, 7, 10 à 14 salarié) Madame A... F... mentionne à deux reprises (pièces n° 6 et 12 salarié) les tâches qui lui sont confiées : «'trier des classeurs, jeter dans les poubelles ce qui n'est pas utile, s'occuper des factures d'un autre [...]'» (pièce n° 6 salarié) et «'remplir un tableau avec désignation des produits achetés et leur prix unitaire, renseignements recueillis sur les factures fournisseurs (manuscrite 18 pages de 28 lignes environ) durée 2 jours, établissement de chèques en règlement des fournisseurs durée 1h30, Reprises de tableaux fait manuellement sur ordinateur (Exel) durée 3, 5 jours'» (pièce n° 12 salarié) ; or la cour retient que ces tâches, dont il n'est d'ailleurs pas démontré qu'elles soient différentes de celles que Madame A... F... effectuait antérieurement, ne caractérisent pas une modification du contrat de travail, dès l'instant où elles correspondent à sa qualification et ne sont pas étrangères aux fonctions qui lui incombe, à savoir actualiser le registre du personnel, réaliser le relevé des produits et des prix en vue des inventaires, pointer les présences, recueillir les factures fournisseurs et établir les chèques à leur attention.

La cour retient encore que les allégations de pressions et de brimades ne sont pas établies; en effet les seules lettres de réclamation (pièces n° 6, 7, 10 à 14 salarié) de Madame A... F... sont des éléments de preuve qu'elle s'est constituée pour elle-même et qui sont donc dépourvus de valeur probante dès lors qu'ils ne sont corroborés par aucun autre élément de preuve comme c'est le cas ; en effet, les pièces médicales (certificat médical du 6 juin 2015 soulignant un trouble réactionnel au conflit au travail (pièce n° 30 salarié) et les ordonnances médicales du 5 juin 2015, du 18 juin 2015 et du 10 septembre 2015 (pièces n° 31 salarié) produites au débat, ne contiennent que les énonciations résultant des déclarations de Madame A... F... faites à son médecin traitant alors qu'aucune constatation n'a été faite par le praticien sur ses conditions de travail.

En outre, la cour retient que c'est à juste titre que la société M2B soutient que le fait d'avoir reproché à Madame A... F... d'avoir oublié des factures sous la banquette où elle travaillait ne constitue pas des pressions ou des brimades, qu'il en est de même du fait de ne pas accepter de lui servir un déjeuner gratuitement dès lors qu'elle disposait d'une pause de 13h à 14h et d'une indemnité repas et d'avoir omis de lui verser une prime exceptionnelle dont l'employeur n'avait pas eu connaissance lors du transfert du contrat de travail et qui n'était pas mentionnée dans son contrat de travail.

La cour constate enfin que si l'espace de travail de Madame A... F... constitué par son poste de travail sur une table dans un coin de la salle du restaurant ou dans un petit cagibis servant également de vestiaire de moins de 5 m² sans fenêtre ni aération (pièce n° 5 salarié) est trop exigu, ce fait est cependant inhérent à l'état des locaux de l'entreprise et ne procède aucunement de la mauvaise foi que Madame A... F... invoque à l'encontre de la société M2B dans sa demande de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail et modification unilatérale de sa fonction et n'est pas non plus de nature à caractériser les allégations de brimades et de pressions formulées à l'appui de la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral.

Compte tenu de ce qui précède, la cour retient que Madame A... F... est mal fondée dans ses demandes de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail et modification unilatérale de sa fonction et de dommages et intérêts pour préjudice moral.

Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a débouté Madame A... F... de ses demandes de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail et modification unilatérale de sa fonction et de dommages et intérêts pour préjudice moral.

Sur les autres demandes

La cour condamne Madame A... F... aux dépens de la procédure de première instance et d'appel en application de l'article 696 du code de procédure civile.

Le jugement déféré est infirmé en ce qui concerne l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Il n'apparaît pas inéquitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, de laisser à la charge de la société M2B les frais irrépétibles de la procédure d'appel.

L'ensemble des autres demandes plus amples ou contraires formées en demande ou en défense est rejeté, leur rejet découlant des motifs amplement développés dans tout l'arrêt.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté Madame A... F... de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail et modification unilatérale de sa fonction et de dommages et intérêts pour préjudice moral,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que le licenciement pour faute grave de Madame A... F... est justifié,

Déboute Madame A... F... de toutes ses demandes,

Déboute la société M2B de sa demande formée sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Madame A... F... aux dépens de la première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 16/13044
Date de la décision : 02/10/2018

Références :

Cour d'appel de Paris L2, arrêt n°16/13044 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-10-02;16.13044 ?
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