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28/09/2018 | FRANCE | N°17/13043

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 8, 28 septembre 2018, 17/13043


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 8



ARRET DU 28 SEPTEMBRE 2018



(n° 316 , 11 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/13043 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3UMM



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 28 Juin 2017 - Tribunal de Commerce de CRETEIL - RG n° 2017R00181





APPELANTE



SAS BHARLEV INDUSTRIES

ag

issant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés [...]



Représentée par Me Anne D... de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau d...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 8

ARRET DU 28 SEPTEMBRE 2018

(n° 316 , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/13043 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3UMM

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 28 Juin 2017 - Tribunal de Commerce de CRETEIL - RG n° 2017R00181

APPELANTE

SAS BHARLEV INDUSTRIES

agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés [...]

Représentée par Me Anne D... de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Assistée de Me Anne X..., avocat au barreau de PARIS, toque : E807

INTIMÉES

SAS DELI

9/11/13 Rue Lavoisier ZAC de Montvrain

[...]

N° SIRET : 394 42 9 3 44

SAS CHABLAISIENNE DE DISTRIBUTION - SPUR

[...]

N° SIRET : 449 25 3 5 66

SARL FRUGI-SERVICES

[...]

N° SIRET : 409 79 7 8 00

SAS C2A ZAPPLE

9/11/13 Rue Lavoisier ZAC de Montvrain

[...]

N° SIRET : 412 65 2 4 63

Représentées et assistées de Me Christophe Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : D1535

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 5 juillet 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Sylvie E..., Présidente, et M. Z... VASSEUR, Conseiller, chargés du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Sylvie E..., Présidente de chambre

M. Z... VASSEUR, Conseiller

Mme Christina DIAS-DA-SILVA, Conseillère

Qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Patricia PUPIER

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Sylvie E..., présidente et par Mme Christine CASSARD, greffière.

La SAS BHARLEV INDUSTRIES (société BHARLEV) est une entreprise familiale fondée en 1986 spécialisée dans la production et la distribution de jus de fruits frais ou de légumes et de salades de fruits coupés.

La SAS DELI, la SAS CHABLAISIENNE DE DISTRIBUTION-SPUR (société SCD-SPUR), la SARL FRUGI-SERVICES et la SAS C2A-ZAPPLE ont une activité similaire de commercialisation des mêmes produits et de surcroît, de fabrication, pour la société SDC-SPUR.

Ces sociétés vendent leurs produits auprès de la grande distribution et auprès de la restauration hors foyers qui regroupe les restaurants, les traiteurs et les collectivités.

Elles proposent toutes des 'jus de fruits 100% frais, sans aucun additif, ni conservateur', secteur soumis à une réglementation très stricte et particulièrement concurrentiel.

Compte-tenu de la durée de conservation très courte de ces jus de fruits naturels, le respect de la réglementation concernant les additifs pour conserver les produits est déterminant afin que la concurrence entre les acteurs du marché soit parfaitement loyale.

La société BHARLEV revendique d'avoir comme produits phares représentant un tiers de son chiffre d'affaires, un jus de fruit frais '100% jus d'orange frais' et '100% jus de pamplemousse frais' comportant une date limite de consommation (DLC) supérieure à celle des produits des marques ULTI et SPUR commercialisés par ses adversaires.

Les sociétés DELI, SCD-SPUR, FRUGI-SERVICES et C2A-ZAPPLE ont suspecté leur concurrent BHARLEV d'avoir utilisé dans ces jus d'orange et de pamplemousse frais un conservateur interdit, le bicarbonate de diméthyle (DMDC), vendu sous la marque Velcorin, afin de supprimer tout risque de fermentation et faciliter la gestion de sa production et de ses stocks.

Se basant sur des résultats d'analyses effectuées à leur demande par le laboratoire LABEXAN sur ces deux produits BHARLEV établissant selon elles, une présence suspecte de méthanol, ces sociétés ont, suivant une requête du 23 janvier 2017, déposée devant le président du tribunal de commerce de Créteil et aux visas des articles 145, 493, 874 et 875 du code de procédure civile, sollicité qu'un huissier soit autorisé à se rendre dans deux magasins de l'enseigne METRO et qu'il soit procédé à la saisie d'échantillons de ces produits et la désignation du laboratoire EXPERTOX aux fins d'analyse du contenu des jus de fruits litigieux.

Le président du tribunal de grande instance de Créteil a fait droit à cette requête par une ordonnance du 23 janvier 2017. Il a ordonné la saisie par voie d'huissier de trois échantillons de chacun des produits litigieux dans deux magasins du groupe METRO. L'expertise ordonnée a été confiée au laboratoire EXPERTOX représenté par M. Stéphane A..., expert agro-alimentaire et chimique inscrit sur la liste de la cour d'appel de Paris.

La mission confiée à l'expert était d'effectuer directement, ou le cas échéant, faire effectuer par un laboratoire partenaire de son choix, l'analyse des jus des fruits litigieux afin de déterminer leur contenu et notamment s'ils comprennent du méthanol, sous quelle quantité, et dans l'affirmative, fournir toutes précisions utiles qui expliquent la provenance de cet additif. Il a été prévu que l'expert établisse un rapport circonstancié concernant les analyses pratiquées et les résultats obtenus dont un exemplaire serait remis aux quatre sociétés requérantes.

Les mesures de saisies concernant en définitive neuf échantillons sont intervenues le 24 janvier 2017. Le 25 janvier 2017, les produits saisis ont été transportés au laboratoire EXPERTOX puis le lendemain au laboratoire LABEXAN qui a réalisé les mesures. L'expert M. A... a déposé son rapport le 10 février 2017 suivi d'une note complémentaire le 3 avril 2017.

Aux termes de ce rapport, l'expert a relevé la présence, dans les jus de fruits saisis, de méthanol 'pouvant s'expliquer, en raison des taux élevés mis en évidence par l'ajout d'un additif prohibé en l'espèce le dicarbonate de diméthyle appelé E242 ou Velcorin@'.

***

Suivant exploit d'huissier du 17 février 2017, les sociétés DELI, SCD-SPUR, FRUGI-SERVICES et C2A-ZAPPLE ont fait assigner la société BHARLEV devant le juge des référés du tribunal de commerce de Créteil afin d'obtenir, notamment, une mesure d'interdiction provisoire de la commercialisation des jus de fruits en cause et ce sous astreinte dans le but de faire cesser une concurrence qu'elle prétend déloyale en soutenant, au vu des conclusions de M. A..., que cette dernière a ajouté un additif interdit.

A l'audience du 1er mars 2017, la société BHARLEV s'est, à titre principal, opposée à l'ensemble des demandes formulées par ses adversaires et a, à titre subsidiaire, sollicité la désignation d'un expert aux fins de déterminer l'origine de la présence de méthanol dans les produits analysés par le Dr A....

Par une ordonnance rendue le 3 mai 2017, le juge des référés du tribunal de commerce de Créteil a :

- rejeté la demande d'interdiction de commercialisation en France des jus de fruits frais de la SAS BHARLEV Industries dénommés '100% jus de pamplemousse frais' et '100% jus d'orange frais';

- rejeté toutes autres demandes ;

- dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens ;

- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe.

Par une déclaration du 11 mai 2017, les sociétés DELI, SCD-SPUR, FRUGI-SERVICES et C2A-ZAPPLE ont interjeté appel de l'ordonnance du 3 mai 2017, affaire poursuivie dans le cadre d'une procédure distincte sous le numéro RG 17/09629.

***

Par la suite et suivant un exploit d'huissier du 22 mai 2017, la société BHARLEV a assigné en référé les sociétés DELI, SCD, FRUGI-SERVICES et C2A-ZAPPLE devant le président du tribunal de commerce de Créteil afin d'obtenir la rétractation de l'ordonnance du 23 janvier 2017 ordonnant les saisies d'échantillons de ses jus de fruits 100% frais et une expertise confiée au laboratoire EXPERTOX représenté par M. A....

Par décision du 28 juin 2016, le président du tribunal de Créteil statuant en référé a rejeté cette demande de rétractation et condamné la société BHARLEV à payer à ses adversaires une somme de 1.000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Appel de cette décision a été interjeté le 28 juin 2017 par la société BHARLEV dans le cadre de la présente procédure sous le numéro RG 17/13043.

***

Enfin, par acte d'huissier du 7 juillet 2017, la société BHARLEV a assigné en référé les sociétés DELI, SCD, FRUGI-SERVICES et C2A-ZAPPLE devant le président du tribunal de grande instance d'Evry statuant en référé au visa de l'article 145 du code de procédure civile, pour obtenir principalement la nomination d'un expert judiciaire avec mission d'analyser les jus de fruits frais pressés sans additif de l'ensemble des parties à la procédure : orange et pamplemousse, les salades de fruits frais avec additifs autorisés, segments de fruits orange d'une part et pamplemousse d'autre part, avec additifs autorisés dans le cadre d'un plan d'expérimentation défini, dans le but de mesurer le taux de méthanol relevé dans chacun de ces produits.

Par une ordonnance du 13 septembre 2017, le juge des référés d'Evry a fait droit à cette demande et a désigné M. Jean-Louis B..., expert honoraire près la cour d'appel de Paris et la Cour de cassation.

Cette décision a été frappée d'appel par les sociétés DELI, SCD, FRUGI-SERVICES et C2A-ZAPPLE le 14 septembre 2017. L'affaire a été enregistrée devant la présente cour dans le cadre d'une procédure séparée sous le numéro RG 17/17432.

***

Dans la présente procédure d'appel interjetée par la société BHARLEV à l'encontre de l'ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Créteil du 28 juin 2017 ayant rejeté sa demande de rétractation de l'ordonnance du 23 janvier 2017, la société BHARLEV suivant ses dernières conclusions transmises le 22 février 2018, demande à la cour de :

- constater que les intimées ne justifient pas d'un motif légitime à obtenir des mesures d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile,

- constater que les intimées ne justifient pas de l'existence de circonstances justifiant qu'il ait été dérogé au principe du contradictoire,

Par conséquent :

- réformer en toutes ses dispositions les termes de l'ordonnance rendue le 28 juin 2017 par le président du tribunal de commerce de Créteil,

- rétracter l'ordonnance du 23 janvier 2017 en toutes ses dispositions,

- prononcer l'annulation des procès-verbaux de constat établis en application de l'ordonnance du 23 janvier 2017,

- prononcer l'annulation du rapport d'expertise judiciaire en date de 10 février 2017, établi en application de l'ordonnance du 23 janvier 2017,

- condamner les intimées dont la malice et la mauvaise foi sont établies, à lui verser la somme de 50.000 euros en réparation de son préjudice et en application de l'article 32-1 du code de procédure civile,

- condamner solidairement les intimées à verser à la société Bharlev la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens de la présente procédure.

Elle fait valoir :

- l'absence de motif légitime au jour de la requête en l'absence d'indices sérieux de présence d'un additif non autorisé, la seule référence à la présence de méthanol, sans référence à un taux anormalement élevé, étant insuffisante, celui-ci n'étant pas un additif et étant naturellement présent dans les jus de fruits,

- qu'aucun élément dans la requête ne permet de soupçonner la présence d'un quelconque additif non autorisé tel que le Velcorin dans les produits BHARLEV, l'affirmation que la présence de méthanol établi celle de Velcorin étant erronée puisque le méthanol se trouve dans tous les jus de fruits,

- que ce n'est qu'après le dépôt du rapport de M. A... qu'elles ont rectifié leur argumentation en se fondant sur un taux de méthanol prétendument élevé,

- qu'en outre, les requérantes ont dissimulé des analyses en leur possession réalisées en décembre 2016 qui démontraient la conformité des produits BHARLEV au seuil fixé ultérieurement par le M. A... et dont elles se sont ensuite prévalues,

- que de plus, il est apparu au cours des investigations menées par l'expert B... que M. A... était intervenu avant la requête auprès du laboratoire LABEXAN pour faire réaliser en décembre 2016 des expertises des produits litigieux qui ont mis en évidence des taux de méthanol inférieurs au seuil de 80mg/L fixé par M. A... dans son expertise, analyses qui ont été dissimulées au juge de la requête,

- que cette présentation mensongère et déloyale démontre la volonté des requérantes de tromper la bonne compréhension du président du tribunal de commerce ainsi que celle de nuire à la société BHARLEV,

- qu'en outre les mesures sollicitées n'exigeaient pas qu'il soit recouru à une procédure non contradictoire s'agissant notamment de la mesure d'expertise, puisqu'une fois les produits saisis, il n'existait plus aucun risque de supprimer le prétendu additif litigieux,

- que l'expertise aurait pu être sollicitée dans le cadre d'un référé d'heure à heure,

- que le moyen tiré de la courte durée des produits n'est pas sérieux, la chronologie des événements démontrant que les analyses ont, au final été réalisées une semaine après la DLC des produits.

Par dernières conclusions transmises le 2 octobre 2017, les sociétés intimées demandent à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du 28 juin 2017 en ce qu'elle a débouté la société BHARLEV de sa demande en rétractation formulée au visa de l'article 496 al. 2 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau :

- constater que les concluantes justifient :

de l'existence d'un motif légitime à ordonner une mesure probatoire, dans les termes de l'article 145 du code de procédure civile,

de circonstances particulières justifiant de ne pas y procéder contradictoirement, dans les termes de l'article 493 du code de procédure civile,

En conséquence :

- débouter la société BHARLEV de sa demande de rétractation de l'ordonnance sur requête attaquée,

- condamner la société BHARLEV à payer à chacune des concluantes la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Elles font valoir :

- que le fait qu'elles aient été provisoirement déboutées de leur action en référé par une ordonnance du 3 mai 2017 est indifférent pour apprécier les mérites de la requête,

- que les conditions d'exécution de la mesure d'instruction ne relèvent pas du contentieux de la rétractation,

- que le juge chargé de la rétractation est tenu d'apprécier le jour où il statue et de façon contradictoire, les mérites de la requête initiale,

- qu'il existait des éléments crédibles attestant d'une concurrence déloyale par ajout de Velcorin,

- que notamment, une concentration anormalement élevée de méthanol laisse supposer l'ajout de Velcorin,

- qu'elles ont annexé à la requête le résultat d'analyses effectuées en janvier 2017 sur les produits litigieux qui établissaient une forte concentration en méthanol se situant entre 104,2 mg/L et 172,5 mg/L soit une teneur supérieure à celle que l'on peut retrouver à l'état naturel,

- que leur action commune, alors qu'elles sont concurrentes et n'ont pas d'intérêts liés, est motivée par la défense de leur profession face à une concurrence déloyale commise par BHARLEV,

- qu'au demeurant, la société BHARLEV se fournit auprès d'une société polonaise FRUCTOFRESCH dont les salades de fruits ont fait l'objet d'une mesure d'interdiction de commercialisation par le juge des référés de Créteil confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris au motif de l'utilisation de Velcorin,

- que les circonstances justifiaient en outre qu'il soit procédé de façon non contradictoire,

- que si la société BHARLEV avait été informée de la saisie des produits, il y avait un risque qu'elle cesse d'y ajouter du Velcorin,

- qu'en outre, l'expertise devait intervenir très rapidement compte tenu de la durée de vie très courte des produits saisis,

- que la critique des conditions de réalisation de l'expertise n'intéresse pas le litige en cours,

- que le fait que les parties soient en désaccord sur l'origine des écarts entre les concentrations de méthanol retrouvées et les celles présentes naturellement ne signifie pas qu'elles ne disposaient pas d'un motif légitime à obtenir des mesures d'instruction de façon non-contradictoire.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

SUR CE,

La demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du 23 janvier 2017

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

L'article 874 du code de procédure civile précise que le président du tribunal de commerce est saisi par requête dans les cas spécifiés par la loi.

L'article 875 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal de commerce peut ordonner sur requête, dans les limites de la compétence du tribunal, toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement.

Selon l'article 493 du même code, l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

L'urgence n'est pas une condition de la prescription sur requête des mesures d'instruction in futurum prévues à l'article 145 du code de procédure civile.

La cour d'appel, saisie de l'appel d'une décision ayant rétracté une ordonnance prescrivant des mesures d'instruction destinées à conserver ou établir, avant tout procès, la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, est investie des attributions du juge qui l'a rendue et doit statuer sur les mérites de la requête.

Le débat ainsi ouvert n'est pas limité aux seuls faits connus au moment de la requête, les parties peuvent invoquer des faits survenus postérieurement au prononcé de l'ordonnance car le juge doit se placer au jour où il statue et non à la date à laquelle l'ordonnance contestée a été rendue pour apprécier les faits et le droit. En revanche, l'existence du motif légitime requis par l'article 145 code de procédure civile s'apprécie au jour du dépôt de la requête initiale, mais à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui.

L'étendue des pouvoirs du juge se déduit de la nature même du référé-rétractation, le même juge étant ressaisi, contradictoirement cette fois, de la même demande dont il doit toujours apprécier le mérite. Il ne peut jamais s'en dispenser même s'il apparaît que le requérant a manqué de loyauté en cachant certaines circonstances au stade de la requête.

Aux termes de leur requête du 23 janvier 2017, les sociétés requérantes ont produit quatre rapports d'analyses n°1951 à 1954 portant sur les jus de fruits frais BHARLEV effectuées le 11 janvier 2017 par le laboratoire LABEXAN. Ces analyses ont mis en évidence la présence de méthanol pour des taux variant entre 124,6 mg/L et 172,5 mg/L (pièce n° 17 intimées).

Ont été également produites devant le juge des requêtes, neuf autres pièces dont trois concernent la présentation de la société BHARLEV et des photographies des jus de fruits, quatre la réglementation applicable en matière de jus de fruits frais, deux des recommandations d'instances représentatives des consommateurs et des producteurs de jus de fruit ainsi qu'une note d'information sur le DMDC dit le Velcorin.

La requête dont les motifs ont été adoptés par le juge contient une confusion sur la présence de méthanol, faussement présenté comme un additif prohibé, hautement toxique puisque 'utilisé principalement comme solvant et dans les carburants automobiles', et provenant de la dégradation de Velcorin lequel est un conservateur prohibé. La requête ne fournit pas l'indication, comme il sera souligné dans toutes les expertises intervenues ultérieurement, que le méthanol est naturellement présent dans les jus de fruits comme conséquence de la dégradation de la pectine qui fait partie de la composition des fruits. En outre, aucun document scientifique ne vient expliquer en quoi les taux de méthanol relevés caractériseraient une violation de la réglementation qui interdit le Velcorin dans les jus de fruits frais.

Cette présentation contestable des faits est corroborée par le fait qu'il a été démontré ultérieurement dans le cadre des opérations d'expertise menées par M. B... qu'au jour de la requête (pièce n° 20 appelant), les demandeurs étaient en possession de deux autres analyses de ces mêmes produits réalisées par le même laboratoire à la demande de la société DELI effectuées le 16 décembre 2016 avec des résultats confirmant la présence de méthanol à des taux cependant inférieurs puisque compris entre 62,3 mg/L et 76,1 mg/L. Or, l'expertise judiciaire réalisée sur requête indiquera que les données bibliographiques concernant le méthanol montrent que celui-ci peut être présent à l'état naturel dans des concentrations moyennes de 34 mg/L à 80 mg/L.

Il résulte encore de la pièce n°21 de la société BHARLEV constituée d'un échange d'e-mail intervenu en février 2018 entre M. B... et M. C..., directeur du laboratoire LABEXAN, que les six analyses effectuées les 16 décembre 2016 et 11 janvier 2017 par ce laboratoire ont été commandées par EXPERTOX, laboratoire de M. A..., dont le nom n'apparaît pas dans la signature des commandes qui portent celui de son assistante, Mme Claire Z.... Il était encore demandé d'éditer les rapports au nom de DELIFRUITS et de transmettre les résultats et facturations à EXPERTOX.

L'intervention du laboratoire EXPERTOX préalablement au dépôt de la requête pour le compte de l'une des parties n'a pas été précisée au juge de la requête pas plus que ne lui a été versé l'ensemble des analyses effectuées.

Il est ainsi parfaitement établi que les requérants ont fait preuve d'un défaut de loyauté manifeste, contraire à l'article 9 du code de procédure civile qui régit le procès civil, au regard des éléments produits de manière partielle, selon une présentation erronée et partiale.

Ceci étant, il convient tout de même d'examiner si les conditions de l'article 145 du code de procédure civile étaient réunies et s'il était justifié de procéder selon les formes de l'article 493 du code de procédure civile.

En effet, s'il n'appartient pas au demandeur à une mesure d'instruction in futurum de démonter l'existence des faits qu'elle a pour but de conserver ou d'établir, encore faut-il qu'il dispose d'éléments suffisants de nature à lui permettre d'envisager un procès au fond.

Or, en l'espèce, les seules analyses produites, réalisées dans les conditions décrites, ne font état que de la présence de méthanol dont il est établi qu'il n'est pas un additif. Elles ne sont pas étayées par une analyse scientifique, même sommaire, qui viendrait expliquer les premiers constats avancés, ni par aucun élément matériel ou attestation justifiant ou permettant de penser qu'il a été recouru à l'utilisation du conservateur prohibé DMDC. Il est en effet établi que l'usage de ce produit requiert du matériel spécifique et du personnel qualifié. En outre, la seule référence à des commandes auprès de la société polonaise FRUCTOFRESH, présentée comme ayant été condamnée par ailleurs pour avoir fait usage de ce produit interdit, ne permettait pas de déduire qu'il avait été fait de même dans le présent litige. Enfin, il ne peut être tenu compte des résultats de l'expertise judiciairement réalisée pour justifier a posteriori la légitimité de la mesure ordonnée.

En outre, il sera encore observé que les éléments de l'espèce ne justifiaient nullement la dérogation au principe du contradictoire.

En effet, la dérogation apportée au principe essentiel du contradictoire, impose au juge de se montrer exigeant dans l'appréciation des circonstances invoquées. Ainsi, la seule perspective ou la réalité d'un débat contradictoire, au moment du référé-rétractation, ne peut suffire à légitimer, a posteriori, une ordonnance sur requête n'ayant pas caractérisé les circonstances justifiant l'absence de contradiction.

L'ordonnance sur requête du 23 janvier 2017 vise expressément la requête qui précise exclusivement que 'agir en l'espèce de manière contradictoire présenterait le risque évident et quasi-certain que la société BHARLEV retire l'additif litigieux de ses jus de fruits, ce qui anéantirait tout constat objectif de la situation'. L'ordonnance vise la requête en ajoutant 'vu qu'une procédure contradictoire risque de faire disparaître les preuves, compte-tenu de la durée de conservation très courte des produits saisis'.

Ce faisant le juge opère une confusion entre les conditions d'octroi de la mesure qui ne nécessitent nullement de déroger au contradictoire et celles de sa réalisation qui impose une très grande célérité.

En effet, dans la mesure où il s'agissait de faire procéder à la saisie d'échantillons des produits, non à la sortie de l'usine de fabrication, mais dans deux magasins de l'enseigne METRO, l'argument du risque de l'arrêt du recours au conservateur prohibé est inopérant, alors que tout mouvement sur les stocks des magasins mettant en vente les produits est parfaitement traçable. Il n'y avait donc aucun risque de disparition des preuves à voir ordonner une saisie de ce type dans un cadre contradictoire, qui pouvait au demeurant intervenir selon l'urgence absolue du référé d'heure à heure.

En outre, la référence à la très courte durée de conservation des produits n'entre pas en compte dans la discussion sur l'opportunité de la mesure, mais seulement sur la nécessité d'une analyse rapide une fois que la saisie sera intervenue, peu important à ce stade qu'un débat ait eu lieu devant le juge et sa durée, dès lors que celle-ci ne permettait pas à BHARLEV de modifier son processus de fabrication et ainsi faire disparaître d'éventuelles preuves.

Il résulte de ce qui précède qu'en se référant aux résultats de l'expertise ordonnée pour démontrer l'existence du motif légitime, sur l'urgence qui n'est pas un critère exigée pour l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile et en considérant que le contradictoire serait rétabli devant le juge du fond, le premier juge n'a pas fait une exacte application des textes sus-visées au regard des circonstances de l'espèce pour lesquelles il a été démontré que les requérantes ne justifiaient au moment du dépôt de la requête, ni d'un motif légitime, ni des raisons nécessitant d'écarter le principe du contradictoire.

Or, il n'appartient pas au juge de suppléer la carence d'une partie qui, entendant déroger au principe de la contradiction, ne rapporte pas les conditions prévues à l'article 493 du code de procédure civile. Ces raisons ne peuvent davantage résulter de justifications énoncées a posteriori.

Aussi convient-il, en infirmant l'ordonnance entreprise, d'ordonner la rétractation de l'ordonnance du 23 janvier 2017.

Sur la demande de nullité des opérations de constat et d'expertise :

Il appartient au juge saisi d'une demande de nullité des mesures d'instruction exécutées sur le fondement d'une ordonnance sur requête qu'il rétracte de constater la perte de fondement juridique de ces mesures et la nullité qui en découle (2ème Civ., 5 janvier 2017, Bull. n° 2, pourvoi n° 15-25.035).

Les procès-verbaux de constat d'huissier de justice du 24 janvier 2017 ayant été effectués sur la base de l'ordonnance dont la rétractation est ordonnée par le présent arrêt, il convient d'accueillir la demande de la société BHARLEV tendant à ce que soit prononcée la nullité de cette mesure d'instruction. Il en va de même du rapport d'expertise établi le 10 février 2017 et de la note complémentaire du 3 avril 2017 établie en exécution de l'ordonnance rétractée.

Sur la demande de condamnation des intimées pour procédure abusive

La société BHARLEV sollicite la condamnation des sociétés intimées à lui payer une somme de 50.000 euros au titre d'une procédure engagée abusivement dans le seul but de nuire à son image et de tenter de distraire ses clients à son profit.

Elle produit à l'appui de sa demande des e-mail de quatre clients de BHARLEV à elle adressés sur une période comprise entre le 28 février 2017 et le 1er juillet 2017 et l'interrogeant sur les suites données aux procédures judiciaires initiées par les concurrents.

L'exercice d'une action en justice de même que la défense à une telle action constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l'octroi de dommages-intérêts que lorsqu'est caractérisée une faute en lien de causalité directe avec un préjudice.

En l'espèce, un tel comportement de la part des intimées est caractérisé puisqu'il a été démontré que l'ensemble des analyses en sa possession et les circonstances de leur réalisation n'avaient pas été produits au juge de la requête constituant un défaut manifeste de loyauté qui a été souligné. La présentation ainsi faite au juge reposait sur une violation flagrante de l'article 9 du code de procédure civile qui érige en principe la loyauté des preuves produites, laquelle violation est au minimum constitutive d'une légèreté blâmable.

Le seul préjudice, indépendant de l'obligation de se défendre en justice indemnisé par ailleurs, dont il est démontré l'existence au regard des quelques éléments produits, tel que rappelé ci-dessus, consiste dans une suspicion affichée par certains clients sur le sérieux de l'entreprise, constituant une atteinte à son image. En revanche, il n'est nullement démontré que la clientèle aurait changé de fournisseur ou que son chiffre d'affaires aurait été réduit du fait de l'action engagée.

Il en ressort que le préjudice subi peut être indemnisé par l'octroi d'une provision de 20.000 euros. Les sociétés intimées seront condamnées in solidum à lui payer cette somme.

L'équité commande en outre de condamner les sociétés intimées à payer au titre de l'article 700 du code de procédure civile à la société appelante la somme de 10.000 euros pour la première instance et la procédure d'appel. Elles seront également condamnées aux dépens de la première instance et de la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS :

Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance du 28 juin 2017 ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Rétracte l'ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce de Créteil du 23 janvier 2017 (n° [...]) ;

Prononce la nullité des constats d'huissier de justice en date du 24 janvier 2017 effectués en exécution de cette ordonnance dont la rétractation est ordonnée ;

Condamne in solidum la SAS DELI, la SAS CHABLAISIENNE DE DISTRIBUTION-SPUR, la SARL FRUGI-SERVICES et la SAS C2A-ZAPPLE à payer la somme provisionnelle de 20.000 euros à la SAS BHARLEV Industries à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Condamne in solidum la SAS DELI, la SAS CHABLAISIENNE DE DISTRIBUTION-SPUR, la SARL FRUGI-SERVICES et la SAS C2A-ZAPPLE à verser à la SAS BHARLEV Industries la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance et l'instance d'appel ;

Condamne in solidum la SAS DELI, la SAS CHABLAISIENNE DE DISTRIBUTION-SPUR, la SARL FRUGI-SERVICES et la SAS C2A-ZAPPLE aux dépens de première instance et d'appel ;

La greffière, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 17/13043
Date de la décision : 28/09/2018

Références :

Cour d'appel de Paris A8, arrêt n°17/13043 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-09-28;17.13043 ?
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