RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRÊT DU 25 Septembre 2018
(n° , 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/11269 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZRVV
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 Juillet 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL RG n° F15/00700
APPELANT
Monsieur Pascal X...
[...]
comparant en personne, assisté de Me Annie Y..., avocat au barreau de MEAUX
INTIMEE
SASU SNC-LAVALIN MANAGEMENT
[...]
N° SIRET : 492 825 237
représentée par Me Emmanuelle L..., avocat au barreau de PARIS, toque: J001
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Juin 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Sylvie HYLAIRE, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Sylvie HYLAIRE, présidente
Monsieur Christophe BACONNIER, conseiller
Madame Jacqueline LESBROS, conseillère
Greffier : Mme Typhaine RIQUET, lors des débats
ARRET :
- Contradictoire
- Mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- Signé par Madame Sylvie HYLAIRE, présidente, et par Mme Caroline GAUTIER, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur Pascal X..., né [...], a été embauché par la société SNC-Lavalin France à compter du [...] contrat à durée indéterminée en qualité de directeur du développement commercial, statut cadre, position 3.3, coefficient 270.
Suivant avenant du 21 décembre 2007 à effet au 1er janvier 2008 emportant transfert de son contrat au sein de la SASU SNC-Lavalin Management, il a été promu vice-président opérationnel, statut cadre dirigeant.
La société SNC-Lavalin Management fait partie du groupe SNC-Lavalin et a notamment pour objet de fournir toutes prestations d'ordre administratif, financier, juridique, informatique, technique et de gestion d'entreprise à ses filiales ainsi qu'à celles de sa société mère, la SNC- Lavalin.
Les rapports étaient régis par la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs-conseils et sociétés de conseils et la société employait habituellement plus de dix salariés.
La rémunération brute mensuelle perçue par M. X... au cours des 12 derniers mois précédant la rupture s'élevait à 16.584,78 €.
Le 25 novembre 2014, M. X... était convié à un entretien par M. Z..., membre de l'équipe Ethique et Conformité de la société, entretien fixé au vendredi 5 décembre 2014.
Il a été placé en arrêt de travail à compter du 8 décembre 2014, arrêt pris en charge au titre de la législation professionnelle.
Par courrier du 5 février 2015, la société SNC Lavalin Management a convoqué M. X... à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement fixé le 17 février. Il a reçu une nouvelle convocation datée du 11 février pour un entretien fixé le 23 février 2015.
Son licenciement pour faute grave lui a été notifié le 4 mars 2015 dans les termes suivants:
« (...) Ces faits sont relatifs à une faute grave qui a eu un impact sur une procédure d'appel d'offres pour lequel la société SNC Lavalin Aéroports était candidate.
L'enquête interne qui a été ouverte aux fins d'identifier les actes et responsabilités en cause a révélé les faits suivants :
Le 7 janvier 2014, le syndicat mixte de l'aéroport de Clermont-Ferrand/Auvergne,(ci-après le SMACFA) a publié au Bulletin officiel des annonces des marchés publics l'avis d'appel d'offres portant sur le contrat de délégation de service public pour l'exploitation et la maintenance de l'aéroport de Clermont-Ferrand (ci-après l'Appel d'Offres).
Le 28 mai 2014, date limite de réception des offres, la société SNC Lavalin Aéroports a déposé son offre initiale;
Les négociations relatives à l'Appel d'Offres se sont ensuite déroulées sur plusieurs mois.
Le 9 juillet 2014, s'est tenu un premier tout de négociations portant sur l'offre initiale. La société SNC Lavalin Aéroports était représentée par Youssef A..., Lilian B..., Gérard C..., Benoît D... et Jean E... Magan.
L'avocat du SMACFA était également présent.
Vous n'étiez pas partie prenante dans l'Appel d'Offres et n'étiez donc pas présent à ces réunions.
Le 23 juillet 2014, vous avez participé à une réunion avec Monsieur François F... et Monsieur Olivier G... portant sur un projet d'exploitation de ports. Cette réunion ne présentait aucun lien avec l'Appel d'Offres lancé par le SMACFA.
A l'issue de cette réunion, une discussion informelle s'est improvisée dans les couloirs entre l'un des avocats représentant le SMACFA dans la procédure d'attribution de la délégation de service public pour l'exploitation et la maintenance de l'aéroport de Clermont-Ferrand, Monsieur François F... et vous-même.
Lors de cette discussion, cet avocat vous a indiqué que SNC Lavalin Aéroports n'était pas idéalement placée pour remporter l'Appel d'Offres.
Monsieur François F... a relaté à Monsieur LiliaN B... et à Monsieur Youssef A... le contenu de cette discussion improvisée. Monsieur Youssef A... s'est ensuite rapproché de vous aux fins de vous faire part de sa désapprobation totale quant à cette discussion informelle, d'autant que vous n'aviez aucun rôle à jouer dans le cadre de cet appel d'offres.
Le 24 juillet 2014, à la suite des échanges avec le SMACFA, la société SNC Lavalin Aéroports a adressé à ce dernier une seconde offre.
Le 28 juillet 2014, s'est tenu un second tout de négociations auxquelles SNC Lavalin Aéroports était représentée par Youssef A..., Lilian B..., Séverine H... et Alexis I....
A nouveau, vous ne faisiez pas partie de l'équipe conduisant les négociations dans le cadre de l'appel d'offres lancé par le SMACFA.
Le 31 juillet 2014, vous avez déjeuné avec l'avocat du SMACFA, [...].
Le même jour, vous vous êtes rendu au [...] qui se trouve être l'adresse du cabinet de l'avocat du SMACFA, où vous avez pris une photographie d'un tableau comparatif des offres initiales des sociétés candidates.
Ce tableau comportait des informations confidentielles et privilégiées sur les offres des différentes sociétés candidates dans le cadre de l'appel d'offres lancé par le SMACFA.
Vous avez ensuite envoyé cette photographie à Monsieur Youssef A... depuis votre adresse email «[...]».
Ces faits nous ont été techniquement confirmés par un expert.
Immédiatement après avoir reçu cette photographie, Monsieur Youssef A... a du prendre la décision de retirer la société SNC Lavalin Aéroports de la procédure d'appel d'offres, compte tenu des violations manifestes à la législation administrative et aux règles d'éthique que représente la détention de telles informations confidentielles et privilégiées.
Monsieur Youssef A... a ensuite annoncé sa décision de retrait à l'un des membres de l'équipe travaillant sur l'appel d'offres.
Le 1er août 2014, Monsieur Youssef A... vous a indiqué que vos agissements n'étaient pas conformes au code d'éthique de la société SNC Lavalin Management SA. Vous lui avez alors répondu que «c'est comme ça qu'on gagne des affaires».
Vous aviez pourtant reçu interdiction expresse de votre hiérarchie d'intervenir dans le cadre de l'Appel d'Offres, ce que vous avez reconnu.
Le 15 septembre 2014, date limite de dépôt des offres définitives, la société SNC Lavalin Aéroports s'est officiellement retirée de la procédure d'appel d'offres.
Vos agissements sont d'une gravité exceptionnelle en ce qu'ils constituent une violation des lois et réglements ainsi que du code d'éthique de la Société. De par vos fonctions et votre niveau de responsabilité, vous connaissiez parfaitement ces règles et avez donc agi avec un manque de professionnalisme total et inacceptable. En outre, vos agissements ont causé un lourd préjudice à la société SNC Lavalin Aéroports qui a notamment dû se retirer de la procédure d'appel d'offres, perdant ainsi une chance d'obtenir un nouveau marché. (...)».
A la date de la mise en oeuvre de la procédure de licenciement, M. X... était en arrêt de maladie suite à l'accident du travail et ce, depuis le 8 décembre 2014.
Contestant son licenciement, M. X... a saisi, le 24 mars 2015, le conseil de prud'hommes de Créteil aux fins de faire reconnaître son licenciement comme étant nul ou à défaut, sans cause réelle et sérieuse et de condamner à la société à lui verser les indemnités afférentes.
Par jugement du 7 juillet 2016, le conseil de prud'hommes de Créteil a :
- fixé la moyenne des douze derniers salaires de M. X... à 16.584,78 €,
- débouté M. X... de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la SAS Lavalin Management de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. X... aux dépens.
Par déclaration enregistrée au greffe le 8 septembre 2016, M. X... a relevé appel de cette décision.
***
A l'audience du 22 juin 2017, l'ordonnance de clôture a été révoquée et l'affaire renvoyée au 26 juin 2018 en vue de sa communication au Ministère Public, la clôture étant fixée au 30 mai 2018, avec un calendrier de procédure prévoyant pour l'appelant, des conclusions au 20 décembre 2017, pour l'intimée au 20 mars 2018 et des répliques éventuelles au 20 avril 2018 pour l'appelant et au 20 mai 2018 pour l'intimée.
A l'audience du 26 juin 2018, la clôture a été révoquée et reportée avant tout débat par mention au dossier, en accord avec les parties.
***
Par conclusions notifiées par voie électronique le 25 mai 2018, M. X... demande à la cour d'appel de :
A titre principal :
- déclarer son licenciement nul,
- condamner la société à lui payer la somme de 597.052,08 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul (36 mois) ;
A titre subsidiaire :
- déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société à lui payer la somme de 597.052,08 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Et en tout état de cause :
- fixer le salaire de référence de M. X... à la somme brute de 16 584.78 €,
- condamner en conséquence la société SNC Lavalin Management aux sommes suivantes:
* 60.901,74 € à titre d'indemnité de licenciement conventionnelle,
* 49.754.34 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
* 4.975,43 € à titre de congés payés afférents,
* 133.546,00 € à titre de perte de chance d'exercer ses droits sur les actions gratuites attribuées et les stocks options qui lui ont été octroyées,
* 132.678,24 € à titre de dommages et intérêts pour violation d'obligation de sécurité et de résultat de l'employeur (8 mois),
* 3.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société à remettre à M. X... ses documents sociaux de fin de contrat conformes à la décision à intervenir, sous astreinte de 50 € par jour et par document de retard,
- la condamner aux entiers dépens,
- dire que les condamnations produiront intérêts au taux légal à compter de la date de la saisine du conseil de prud'hommes,
- ordonner la capitalisation des intérêts.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 7 juin 2017, la société SNC-Lavalin Management demande à la cour d'appel de confirmer le jugement entrepris et, en conséquence, de :
- constater que le licenciement pour faute grave de M. X... est régulier et bien fondé,
- constater que la société a respecté son obligation de sécurité à l'égard de M. X... et qu'il n'a pas fait l'objet d'un harcèlement moral de la part de la société,
- débouter M. X... de l'intégralité de ses demandes,
- le débouter de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul ou à défaut, fixer les dommages et intérêts à de plus justes proportions,
- le débouter de sa demande de dommages et intérêts au titre de la violation de l'obligation de sécurité et du harcèlement moral ou à défaut, se déclarer incompétent pour accorder des dommages et intérêts à M. X... au titre de l'accident du travail survenu le 5 décembre 2014 ou à défaut, fixer le montant des dommages et intérêts à de plus justes proportions,
- le débouter de sa demande de dommages et intérêts pour perte de chance de bénéficier d'actions gratuites et d'exercer ses droits sur stock-options ou à défaut, fixer le montant des dommages et intérêts à de plus justes propositions,
- le débouter de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,
- le débouter de sa demande d'exécution provisoire et d'astreinte en cas de retard dans la production des documents de fin de contrat,
- le condamner au paiement d'une somme de 3.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Les observations écrites du Ministère Public ont été communiquées aux parties le 8 juin 2018.
Selon ces observations, les faits ne sont pas prescrits et la faute grave est caractérisée.
Le Ministère Public est donc d'avis que le licenciement est régulier.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites régulièrement communiquées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la rupture du contrat de travail
En application des dispositions des articles L. 1226-9 et L.1226-13 du code du travail, pendant une période de suspension du contrat d'un salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, l'employeur ne peut rompre le contrat que s'il justifie d'une faute grave ou de l'impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie. A défaut, la rupture est nulle.
Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de 2 mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance.
Le point de départ du délai de prescription de deux mois est le jour où l'employeur a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié Lorsque les faits sanctionnés ont été commis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires, il incombe à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement de ces poursuites.
Il est établi que Monsieur A... a reçu le 31 juillet 2014 un appel téléphonique de M.X... l'informant de l'envoi d'un courriel, qui contenait la photographie d'un tableau récapitulant les offres financières formulées par les candidats à l'appel d'offres lancé par le SMACFA.
La matérialité des faits ainsi que leur imputabilité à M. X... résultaient à la fois de l'appel téléphonique suivi de l'envoi du courriel émanant de celui-ci.
M. A... a eu immédiatement conscience de la gravité des agissements de M. X... puisque selon ses déclarations, il lui aurait indiqué le 1er août que son geste était inacceptable et qu'il contrevenait au code d'éthique de la société.
M. A... était également parfaitement conscient du risque encouru puisqu'il indique avoir aussitôt informé M. Benoît D..., directeur financier de la société de « son souhait de se retirer de l'appel d'offres, étant donné que les agissements de Pascal (M. X...) contrevenaient aux règles de droit ainsi qu'au code d'éthique du groupe ».
M. Youssef A... (pièces 25 et 38) se déclare lui-même comme employé de la SNC-Lavalin Management, vice-président principal et au 17 avril 2017, directeur général délégué, et dirigeant de la division Aéroports et de la société SNC-Lavalin Aéroports.
Ainsi, il ne peut qu'être considéré que dès le 31 juillet 2014, le dirigeant d'une des sociétés du groupe, exerçant des fonctions de cadre dirigeant de la SASU SNC-Lavalin Management était informé de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés, contraignant la société, selon ses propres écritures, à se retirer d'un appel d'offres portant sur un marché public d'une valeur de 176.070.462 millions d'euros, retrait officialisé par un courrier du 15 septembre 2014 adressé au SMACFA au motif des « conditions et modalités de certification de l'exploitant ».
Ces éléments démontrent que dès le 31 juillet 2014 et, en tout cas, le 15 septembre 2014, la société avait une connaissance précise des faits reprochés à M. X... et de leur gravité au regard de la perte financière encourue, sans qu'une enquête soit nécessaire, enquête qui, au surplus, n'a apporté aucune contribution particulière quant à la réalité, la matérialité et la gravité des faits sanctionnés, étant relevé que dans le «mémorandum d'enquêtes de conformité», daté du 28 janvier 2015, il est indiqué «Nous n'avons pas d'éléments sur le point de savoir si quelqu'un a demandé à Pascal X... de rechercher de telles informations confidentielles ou financières à propos du projet de DSP pour l'aéroport de Clermont-Ferrand» en sorte qu'il n'est pas établi que M. X..., qui prétend avoir agi selon les demandes de M. A..., aurait perpétré de sa propre initiative les agissements retenus à l'appui du licenciement.
A la date d'engagement de la procédure de licenciement, les faits étaient donc prescrits, comme ayant été connus de l'employeur plus de deux mois auparavant.
En conséquence, le licenciement notifié à M. X... doit être déclaré nul et le jugement déféré sera infirmé.
A la date de la rupture, M. X... disposait d'une ancienneté de 11 années et 5 jours et percevait une rémunération mensuelle brute de 16.584,78 € (moyenne des douze derniers mois précédant la rupture).
En conséquence, la SASU SNC-Lavalin Management sera condamnée à lui payer la somme de 49.754,34 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, celle de 4.975,43 € au titre des congés payés afférents et celle de 69.901,74 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement.
Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. X..., de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure de lui allouer la somme de 200.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article L.1235-3 du code du travail.
M. X... sollicité également la somme de 133.546 € à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance d'exercer ses droits sur les actions gratuites et stocks options qui lui avaient été octroyées.
La SASU SNC-Lavalin Management estime que le préjudice est inexistant, pour partie des actions, et surestimé pour les autres.
En considération des pièces et explications fournies, l'indemnité à même de réparer le préjudice subi par M. X... sera évaluée à la somme de 50.000 €.
Sur le manquement à l'obligation de sécurité
M. X... sollicite la somme de 132.678,24 € à titre de dommages et intérêts , estimant que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité au regard des modalités de «l'entretien» mené par l'équipe «Ethique et Méthodes», exposant avoir subi pendant plus de trois heures un véritable interrogatoire mené par trois personnes assorti de pressions importantes où le décès de son fils a même été instrumentalisé.
Son collègue, M. Miranda J... atteste de l'état de détresse de M. X... à l'issue de cet entretien, le choc subi ayant été à l'origine de son arrêt de travail qui a été pris en charge au titre de la législation professionnelle.
La société conteste tout manquement et fait observer que M. X... a été intégralement indemnisé durant son arrêt de travail.
D'une part, il n'est pas contesté qu'alors que M. X... avait été convié à un rendez-vous par M. Z..., l'entretien a en réalité été mené par celui-ci, outre une deuxième personne présentée comme un avocat, et qu'en cours d'entretien, une troisième personne, Mme K..., s'est rajoutée.
Celle-ci reconnaît avoir fait allusion au cours de l'entretien à «des moments plus difficiles vécus dernièrement» par M. X... afin, dit-elle, de «tenter de lui faire comprendre qu'il serait outil (sic) qu'il répondre (sic) sincèrement aux questions claires»« car M. Z... lui avait dit, avant qu'elle assiste à la rencontre, que «M. X... ne répondait pas clairement à des questions précises», ce qu'elle a pu constater elle-même, précisant qu'il était sur la défensive.
L'allusion même indirecte à un événement familial privé extrêmement grave et douloureux vécu par un salarié constitue, quel que soit l'objectif poursuivi par «les enquêteurs» dans le cadre d'un entretien professionnel au cours duquel la présence d'un tiers n'est au demeurant pas expliquée, un manquement aux obligations pesant sur l'employeur en terme de respect de l'intégrité physique et psychique de ses employés.
Ce manquement a eu des répercussions graves sur M. X... ainsi qu'en atteste M. Miranda J... qui déclare : «le vendredi 5 décembre 2014, alors que je m'apprêtais à quitter mon bureau (que je partageais avec Pascal X... à cette date) ..., j'ai vu celui-ci entrer dans notre bureau avec un regard inhabituel, un teint de peau très blême et une respiration forte. Je lui ai demandé s'il ne se sentait pas bien et s'il voulait que je demande de l'aide à des services de secours. Il a décliné en me disant que ça allait passer. J'ai alors insisté voyant son regard plein de larmes. Il m'a demandé de le laisser seul, ce que j'ai refusé de faire au vu de sa réaction inquiétante. J'ai de nouveau insisté pour savoir ce qui se passait. Monsieur X... m'a alors déclaré qu'il venait de subir, quelques minutes auparavant, un interrogatoire par des personnes faisant partie du service éthique de notre société et qu'ils avaient évoqué la mort de son fils lors de l'entretien....».
Les conséquences de cet entretien sont également attestées par le certificat établi le 8 décembre 2014 par le médecin traitant de M. X... qui décrit un « état de choc émotionnel, de stupeur, et des pleurs ».
Compte tenu de ces éléments et des répercussions sur la santé de M. X... qui justifie d'un suivi maintenu jusqu'en février 2017, il lui sera alloué la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts.
Sur les autres demandes
Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1153 et 1153-1 du code civil, recodifiés sous les articles 1231-6 et 1231-7 du même code par l'ordonnancen° 2016-131 du 10 février 2016, en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions légales applicables.
Il sera fait droit à la demande de remise de documents de fin de contrat (attestation Pôle Emploi, certificat de travail, solde de tout compte et bulletin de paie) rectifiés en considération de la présente décision, et ce, dans le délai de deux mois à compter de sa notification, sans que la mesure d'astreinte sollicitée soit en l'état justifiée.
La SASU SNC-Lavalin Management, qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à M. X... la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Infirme le jugement déféré,
Déclare nul le licenciement notifié par la SASU SNC-Lavalin Management à M. X...,
Condamne la SASU SNC-Lavalin Management à payer à M. X... les sommes suivantes:
- 49.754,34 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 4.975,43 € bruts au titre des congés payés afférents,
- 69.901,74 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 200.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
- 50.000 € à titre de dommages et intérêts pour perte de chance d'exercer ses droits au titre des actions gratuites et stocks options,
- 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,
- 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le conseil de prud'hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, devenu l'article 1343-2,
Ordonne la remise par la SASU SNC-Lavalin Management à M. X... d'une attestation Pôle Emploi, d'un certificat de travail, bulletin de paie et solde de tout compte rectifiés en considération de la présente décision, et ce, dans le délai de deux mois à compter de sa notification,
Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,
Condamne la SASU SNC-Lavalin Management aux dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT