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25/09/2018 | FRANCE | N°14/03857

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 25 septembre 2018, 14/03857


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRÊT DU 25 Septembre 2018

(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 14/03857 - N° Portalis 35L7-V-B66-BTTPX



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Février 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 11/08537





APPELANT

Monsieur Gérard X...

[...]

né le [...] à TOULOUSE (31000)

comparan

t en personne, assisté de Me William Y..., avocat au barreau de PARIS, toque: C0448





INTIMEES

ICE - Agence pour la promotion et l'internationalisation des entreprises italiennes
...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRÊT DU 25 Septembre 2018

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 14/03857 - N° Portalis 35L7-V-B66-BTTPX

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Février 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 11/08537

APPELANT

Monsieur Gérard X...

[...]

né le [...] à TOULOUSE (31000)

comparant en personne, assisté de Me William Y..., avocat au barreau de PARIS, toque: C0448

INTIMEES

ICE - Agence pour la promotion et l'internationalisation des entreprises italiennes

[...]

N° SIRET : 784 347 528

représentée par Me Elisabeth Z... de l'AARPI CASTALDI PARTNERS, avocat au barreau de PARIS, toque : R237 substituée par Me A... B..., avocat au barreau de PARIS, toque : E1517

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Juin 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Sylvie HYLAIRE, Présidente, chargée du rapport, et en présence du Ministère public.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Sylvie HYLAIRE, présidente

Monsieur Christophe BACONNIER, conseiller

Madame Jacqueline LESBROS, conseillère

Greffier : Mme Typhaine RIQUET, lors des débats

ARRET :

- Contradictoire

- Mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- Signé par Madame Sylvie HYLAIRE, présidente, et par Mme Caroline GAUTIER, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

L'Institut italien pour le Commerce Extérieur ci-après dénommé l'ICE, Agence pour la promotion et l'internationalisation des entreprises italiennes, est un organisme public régi par la loi du 25 mars 1997 n°68 promulgué par la République italienne ; il est placé sous la tutelle du ministère du commerce extérieur et a pour mission « la promotion et le développement du commerce avec l'étranger et l'internationalisation du système productif italien » ainsi que de « fournir des services aux étrangers en vue de développer les relations avec le marché national français et contribuer ainsi à la promotion des investissements étrangers en Italie ».

Le 30 juin 2005, le ministère des affaires étrangères français a reconnu que l'ICE fait partie intégrante de la représentation diplomatique italienne à Paris et bénéficie à ce titre des dispositions de la convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques.

Monsieur Gérard X..., né le [...], a été engagé par l'ICE le [...] en qualité d'« assistant trade analyst » dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée. Il a acquis le statut de cadre le 1er juillet 1991.

Aux termes d'un second contrat conclu le 6 février 1998, il a obtenu la qualification de «senior trade analyst », statut cadre, niveau 1, coefficient 170 de la convention collective nationale applicable au personnel des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils. Sa rémunération brute mensuelle était de 17.932 Frs soit 2.733,72 €.

Du 9 février 2004 à fin juin 2004, Monsieur X... a pris un congé individuel de formation; il a ensuite renouvelé sa demande d'absence dans le cadre d'un FONGECIF qui lui a été accordé du 30 août 2004 au 1er juillet 2005.

Entre 2006 et 2008, Monsieur Gérard X... a pris un congé pour création d'entreprise d'une durée de 22 mois. Il a ensuite réintégré son poste de travail au sein de l'ICE, le 2 janvier 2008.

Le 7 février 2008, Monsieur X... a sollicité outre l'attribution du coefficient 210 de la convention collective applicable, sa mutation en Chine sur un poste de coordinateur ou de représentation ; il présentait également des demandes d'augmentation salariale.

L'employeur a répondu aux courriers du salarié des 7 février et 12 avril 2008 au mois de mai 2008.

Le 6 août 2008, Monsieur X... a fait intervenir un avocat auprès de son employeur ; au mois de septembre suivant, il a sollicité le service de la médecine du travail en indiquant être dans un « bras de fer » avec son employeur et en phase pré-contentieuse et mentionnait qu'en conséquence de ses conditions de travail dégradées, il avait contracté une affection respiratoire caractérisée d'abord par de la toux puis ensuite par un emphysème ; cette sollicitation a été sans suite quant à l'aptitude, sans réserves ni recommandation, du salarié à son poste.

Le 19 novembre 2008, l'ICE prenait acte de ce que Monsieur X... n'avait pas souhaité participer à des formations informatiques concernant des logiciels bureautiques.

Le 7 janvier 2009, Monsieur X... a adressé un courrier au directeur général de l'ICE en Italie dans lequel il expose que « ses revendications d'évolution professionnelle » ont essuyé un refus de la part du bureau de l'ICE Paris « sur des bases formelles que je persiste à qualifier de discriminatoires, s'agissant de ma qualité d'employé local» il annonçait qu'il avait donc « la ferme intention de poursuivre en revendication de mes droits ».

Le 14 janvier 2009, Monsieur X... a saisi le conseil de prud'hommes de Paris, s'estimant victime d'un comportement discriminatoire de la part de son employeur. Il demandait notamment le « rehaussement à la position 210 de la convention collective nationale Syntec» et une indemnité pour « refus injustifié de mutation ».

Après avoir été convoqué le 26 janvier 2009 à un entretien préalable au licenciement fixé au 5 février 2009, Monsieur X... a été licencié par courrier du 18 février 2009 pour motif économique dans le cadre d'un plan concernant quatre salariés. Il a été dispensé d'effectuer son préavis de trois mois qui lui a été payé.

La lettre de licenciement indique :

« (...) En effet, notre organisme qui est un organisme gouvernemental uniquement financé par des fonds publics, doit faire face à une importante réduction du budget qui lui est alloué. Cette réduction de budget s'inscrit dans un contexte de crise économique et financière grave qui a conduit le gouvernement italien à voter dans le cadre de la Loi de finances 2009, une importante réduction des disponibilités dans tous les secteurs de l'administration publique.

Le déficit public qui est actuellement de 2,5 points du PIB doit impérativement être enrayé (...). C'est dans ce contexte qu'à partir du 1er janvier 2009 la loi de finances 2009 prévoit d'attribuer à l'ICE un budget réduit d'environ 13 millions d'euros (12.733 millions d'euros) ce qui représente une réduction de 13,20% du budget alloué par rapport à l'année précédente (...).

D'importantes restructurations et synergies opérationnelles apparaissent ainsi nécessaires, ce qui se traduit pour l'ICE, par la nécessité de prévoir des réductions tant en terme de ressources humaines qu'en terme d'organisation logistique (...) l'ICE doit ainsi procéder à la suppression de plusieurs postes et notamment d'un poste de trade Analyst. L'application des critères d'ordre des licenciements nous conduisent à supprimer votre poste. Aucune solution de reclassement n'ayant pu être trouvée, nous sommes en conséquence contraints de prononcer votre licenciement. Ainsi que nous vous l'avons exposé au cours de l'entretien préalable du 5 février dernier, notre organisme n'est pas habilité à proposer des conventions de reclassement personnalisé (...) ».

Monsieur X... a perçu une indemnité de licenciement de 19.850,41 €.

Par jugement rendu le 25 février 2010, le conseil des prud'hommes, reconnaissant à l'ICE son statut diplomatique, a déclaré nulle la citation d'origine, Monsieur X... étant invité à saisir à nouveau la juridiction par voie diplomatique en application des articles 684 et 693 du code de procédure civile.

Puis, par jugement rendu le 26 mai 2011, la procédure a été annulée car la citation délivrée par la voie diplomatique avait été faite directement devant le bureau de jugement sans respecter la phase préalable de conciliation.

Monsieur Gérard X... a pris sans succès différentes initiatives tant devant le ministère des affaires étrangères que devant le Conseil d'Etat pour tenter de faire retirer son statut diplomatique à l'ICE.

Le 14 juin 2011, Monsieur X... a saisi à nouveau le conseil de prud'hommes de Paris qui par jugement rendu le 5 février 2014 notifié le 14 mars 2014, a rejeté l'intégralité des demandes formulées, étant précisé que seul a comparu l'ICE-Agence pour la promotion à l'étranger et l'internationalisation des entreprises italiennes et que parmi les défendeurs non comparants dont M. X... avait sollicité la convocation, figuraient la délégation commerciale ICE-bureau pour la promotion des échanges de l'ambassade d'Italie, la délégation commerciale d'Italie - ex ICE-bureau pour la promotion des échanges de l'ambassade d'Italie la délégation commerciale d'Italie -ICE supprimé- bureau pour la promotion des échanges de l'ambassade d'Italie, la délégation commerciale d'Italie -ex ICE suprimé- bureau pour la promotion des échanges de l'ambassade d'Italie ainsi que l'ambassade d'Italie, cités à la demande de Monsieur X....

Par déclaration au greffe faite le 4 avril 2014, Monsieur X... a relevé appel à l'encontre de tous les défendeurs cités en première instance.

Il a finalement indiqué limiter ses demandes à l'ICE-Agence pour la promotion et l'internationalisation des entreprises italiennes.

Monsieur Gérard X... demande à la cour et, à titre principal, de :

- dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en déclarant applicables les règles relatives au licenciement économique prévues par les articles L. 1233-1 et suivants du code du travail français,

- condamner l'ICE-Agence pour la promotion et l'internationalisation des entreprises italiennes à lui payer avec intérêts légaux à compter du 18 février 2009, date de la notification de son licenciement, les sommes de :

* 19.420,80 € à titre de dommages intérêts pour préjudice moral pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 116.524,80 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Subsidiairement, il demande à la cour de surseoir à statuer en saisissant la Cour de Justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle «en application de l'article 2 b) du premier protocole concernant l'interprétation par la Cour de Justice des Communautés européennes de la convention sur la loi applicables aux obligations contractuelles ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980 et dont la rédaction pourrait être la suivante :

1) Les dispositions des articles 3§1 et 16 de la convention du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles autorisent-elles un Etat partie à déroger à la stricte application de la loi désignée par la convention et applicable à un contrat de travail au motif que l'employeur est une section d'ambassade qui, en l'espèce ne peut se retrancher, à bon droit, derrière son immunité de juridiction '

2) En cas de réponse positive à la question 1) : dans la mesure où la section d'ambassade considérée se comporte comme une entreprise commerciale, les discriminations entre les employés de cette entreprise et ceux d'entreprises comparables générées par un tel régime d'exception, seraient-elles compatibles avec les articles 21§ 1 et 52§ 3 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne renvoyant à l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme lu en combinaison avec l'article 1er de son protocole additionnel '».

À titre très subsidiaire, au visa des articles 1134 du code civil et L. 1222 -1 du code du travail, il demande à la cour de constater la rupture de mauvaise foi de son contrat de travail et en conséquence de condamner l'ICE-Agence pour la promotion et l'internationalisation des entreprises italiennes à lui payer avec intérêts légaux à compter du 18 février 2009, date de la notification de son licenciement, les sommes de :

* 19.420,80 € à titre de dommages intérêts pour préjudice moral pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 116.524,80 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

À titre infiniment subsidiaire , il demande à la cour de :

- constater la discrimination dont il a été victime,

- constater qu'il n'a pas été donné suite à sa demande de réembauche,

- dire en conséquence que son licenciement est nul et de condamner l'ICE-Agence pour la promotion et l'internationalisation des entreprises italiennes à lui payer avec intérêts légaux à compter du 18 février 2009, date de la notification de son licenciement, les sommes de:

* 150.767,90 € bruts représentant le montant des salaires qu'il aurait perçus s'il n'avait pas été licencié plus 15.076,79 € pour congés payés afférents,

* 19.420,80 € à titre de dommages intérêts pour préjudice moral né notamment de la discrimination,

* 19.420,80 € bruts au titre des heures supplémentaires impayées.

Il sollicite en outre la condamnation de l'ICE-Agence pour la promotion et l'internationalisation des entreprises italiennes à lui payer avec intérêts légaux dans les mêmes conditions que ci-avant les sommes de :

* 77.683,20 € à titre de dommages intérêts pour discrimination,

* 758,57 € à titre d'indemnité pour les repos compensateurs entre janvier et août 2008,

* 1.679,83 € à titre d'indemnité pour heures de repos compensateurs au titre des années 2004, 2005, 2006, de septembre à décembre 2008 et de janvier à mi-février 2009 après avoir constaté que l'ICE refuse de produire ses relevés de présence pour ces périodes, l'empêchant ainsi de justifier de ses heures supplémentaires,

* 1.364,20 € à titre d'indemnité pour absence de repos compensateurs en constatant que « les 38h35 supplémentaires par rapport à celles du forfait cadre hebdomadaire de 39h effectuées lors de sa mission en Italie du 9 au 12 juillet 2008 n'ont pas été réglées ».

En tout état de cause, il demande à la cour de condamner l'employeur à substituer sur ses bulletins de paie de juin et décembre 2008 à la mention « prime », celle de « 13ème mois » et demande le paiement avec intérêts légaux à compter du 8 février 2009 des sommes de:

- 6.000 € à titre de dommages intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail et notamment pour non paiement des heures supplémentaires,

- 1.000 € à titre de dommages intérêts pour délivrance d'un certificat de travail et d'un solde de tout compte non conformes,

- 287.884,80 € à titre de dommages intérêts pour défaut de réintégration et de reclassement dans un bureau de l'ICE en Chine,

- 10.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Enfin il demande à la cour d'assortir d'une astreinte la remise des documents rectifiés et des bulletins de paie conforme à la décision.

Sur le fondement de son immunité de juridiction, l'ICE demande à la cour de dire les prétentions de Monsieur X... irrecevables.

Subsidiairement, elle demande à la cour de débouter Monsieur X... de ses demandes et de dire :

- inapplicables les règles relatives au licenciement pour motif économique et qu'en toute hypothèse, le licenciement repose sur une cause économique réelle et sérieuse et de débouter Monsieur Gérard X... de ses demandes,

- qu'il n'y a lieu de saisir la Cour de Justice de l'Union Européenne d'une question préjudicielle et de rejeter la demande de l'appelant,

- que le contrat de travail de Monsieur X... a été exécuté de bonne foi par l'ICE,

- qu'il n'y a pas eu de discrimination et que le licenciement n'est pas nul,

- que Monsieur X... ne prouve pas avoir demandé à être réembauché,

- en toute hypothèse que le poste de Monsieur X... a été supprimé et qu'il n'a pas été remplacé,

- qu'il n'y a pas eu d'heures supplémentaires demandées ou autorisées implicitement,

- que l'ICE n'avait pas à réintégrer Monsieur X... et qu'il a fait un réel effort pour tenter de le reclasser alors qu'il n'y était pas tenu,

- que la demande de revenus et d'indemnités de Monsieur X... correspondant aux revenus qui auraient été perçus dans le cadre d'une expatriation en Chine est non fondée et extravagante.

À titre reconventionnel, l'ICE sollicite la condamnation de Monsieur X... à lui payer les sommes de :

- 10.000 € en raisons des initiatives qu'il a prises avec la volonté manifeste de lui nuire, voire de détruire l'ICE en le privant de ses prérogatives essentielles,

- 10.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Ministère public a été entendu en ses observations aux termes desquelles il demande à la cour de dire quel'ICE Agence pour la promotion et l'internationalisation des entreprises italiennes doit bénéficier de l'immunité de juridiction.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité des demandes de Monsieur X...

L'ICE soulève l'irrecevabilité des demandes de Monsieur X... en revendiquant l'immunité de juridiction, laquelle est contestée par ce dernier qui oppose l'article 11 du projet de la commission du droit international de 1991 tel qu'il a été repris par la convention des Nations Unies de 2004.

L'article 11 s'applique au titre du droit international coutumier, même si l' Etat n'a pas ratifié cette convention dès lors qu'il ne s'y est pas opposé.

Cet article consacre la règle de l'absence d'immunité de juridiction des Etats concernant les contrats de travail, sauf si l'action risque d'interférer avec les intérêts de l'Etat en matière de sécurité et que le salarié exerçait des fonctions dans le cadre de l'exercice de la puissance publique, fonctions que Monsieur X... conteste avoir remplies.

Il ressort des pièces versées aux débats que le 13 juillet 2004, l'ambassadeur d'Italie en France a informé le ministère des affaires étrangères français que les bureaux à l'étranger de l'ICE avaient été intégrés dans le réseau diplomatique italien en qualité de « sections pour la promotion des échanges commerciaux », si bien que le bureau de l'ICE situé à Paris devait être considéré comme une section détachée de son ambassade et l'a prié de bien vouloir l'accréditer en tant que telle.

Il est établi que le 30 juin 2005, le ministre des affaires étrangères français a informé l'ambassadeur d'Italie qu'il avait pris bonne note que « la section pour la promotion des échanges» située à Paris faisait partie intégrante de la représentation diplomatique italienne en France et bénéficiait à ce titre des stipulations de la convention de Vienne du 18 avril 1961.

Il y a lieu de faire la distinction entre les actes d'administration participant de la souveraineté des Etats qui donnent lieu à l'immunité de juridiction pour l'Etat qui l'invoque et les simples actes de gestion qui ne donnent pas lieu à immunité.

Il convient dès lors de rechercher si dans le cadre de ses fonctions, Monsieur X... exerçait ou non des attributions qui lui conféraient une responsabilité particulière dans l'exercice du service public tenu par les bureaux à Paris de l'ICE qui étaient intégrés dans le réseau diplomatique italien en qualité de « sections pour la promotion des échanges commerciaux».

Monsieur X... soutient qu'il n'exerçait aucune fonction particulière en lien avec l'ambassade d'Italie, que son travail était celui d'un analyste de marché, qu'il exerçait des activités commerciales devant être accomplies en tout ou en partie sur le territoire français, vente de service de conseil et d'assistance commerciale aux entreprises italiennes exportant en France.

L'ICE soutient au contraire que les fonctions de Monsieur X... lui conféraient une responsabilité particulière dans la mesure où il avait des rapports privilégiés avec les ministères français et italiens, réalisait des rapports, rédigeait de la correspondance et prenait nécessairement connaissance d'informations confidentielles, rencontrait les hauts responsables de l'ICE et des membres du gouvernement italien et participait à la mission d'une entité de l'Etat italien.

Il ressort du contrat de travail de Monsieur X... qui est diplômé de l'enseignement supérieur que ses fonctions étaient ainsi énumérées :

- exécuter et élaborer des textes complexes dans les deux langues,

- rédiger de la correspondance et en particulier celle qui implique un approfondissement et des recherches spécifiques ainsi que l'élaboration de statistiques complexes,

- fournir l'assistance directe à des sociétés italiennes et françaises,

- réaliser des études de marché sectorielles sur la base de programmes établis périodiquement,

- garder des rapports privilégiés avec les ministères français et les associations du secteur,

- participer à des foires, colloques, séminaires pour approfondir les connaissances du secteur, acquérir les noms de sociétés et des informations de marché et effectuer un rapport sur chaque initiative,

- réaliser des enquêtes sur le système distributif concernant la recherche des agents importateurs et ces formes de collaboration industrielle pour développer la présence de produits italiens en France,

- utiliser couramment le système informatique,

- développer pour le secteur de sa compétence la réalisation des expositions, foires, colloques,

- organiser la participation de sociétés italiennes ou participation collective aux foires et expositions.

Par ses fonctions telles que résultant de l'énumération ci-dessus, Monsieur X... accomplissait manifestement des actes et remplissait des fonctions dans l'intérêt d'un service public de l'Etat italien, il avait un rôle de première importance et à tout le moins déterminant dans la politique économique de développement des relations commerciales et d'investissement de l'Etat italien, participait par ses études, ses rapports, ses enquêtes à influencer la mise en 'uvre de la politique commerciale à l'extérieur de cet Etat et, devant entretenir des relations avec les ministères et associations français, il intervenait nécessairement pour le compte de l'Etat italien en tant que son porte parole et en cela, il véhiculait souhaits, idées et image de l'Etat italien.

Ainsi, la cour considère que par les fonctions qu'il était amené à remplir, Monsieur Gérard X... avait des attributions qui lui conféraient une responsabilité particulière dans l'exercice et la mise en 'uvre d'un service public de l'Etat italien.

Il s'ensuit qu'il y a lieu de faire droit à la demande de l'ICE fondée sur l'immunité de juridiction et, infirmant le jugement, de déclarer Monsieur X... irrecevable en ses demandes sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de Justice de l'Union européenne, l'Etat italien étant un état de droit faisant partie de l'Union Européenne de sorte qu'il n'y a pas atteinte au droit d'accès au juge et au procès équitable.

Par ailleurs et au regard de l'article 52 § 3 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, lequel ne vise qu'à assurer la cohérence entre la Charte et la Convention européenne des Droits de l'Homme et du Citoyen, en posant la règle que le législateur, en fixant des limitations aux droits garantis par ladite convention, doit respecter les mêmes normes que celles fixées par le régime détaillé des limitations prévu dans la Convention, le principe de non-discrimination « fondée sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques , la langue, la religion, les minorités nationales, la fortune, la naissance, le handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle» énoncé par l'article 21§ 1 n'est pas violé, Monsieur X... ne faisant état d'aucune de ces discriminations.

Sur les autres demandes

La volonté de nuire de Monsieur Gérard X... n'est pas démontrée ; il y a donc lieu de rejeter la demande de dommages intérêts de l'ICE.

M. X..., qui succombe à l'instance, sera condamné aux dépens mais la situation respective des parties ne justifie pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

Fait droit à la demande d'immunité de juridiction soulevée par l'Institut du Commerce extérieur, Agence pour la promotion et l'internationalisation des entreprises italiennes,

Déclare irrecevables les demandes de Monsieur Gérard X...,

Rejette les autres demandes des parties,

Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Monsieur Gérard X... aux dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 14/03857
Date de la décision : 25/09/2018

Références :

Cour d'appel de Paris L2, arrêt n°14/03857 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-09-25;14.03857 ?
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