Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRET DU 19 SEPTEMBRE 2018
(n° 364 , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 16/25800
Décision déférée à la Cour : Décision du 15 Novembre 2016 - Bâtonnier de l'ordre des avocats de PARIS
APPELANTE
Maître Nathalie X...
[...]
Représentée et plaidant par Me Sébastien Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : E1047
INTIME
Monsieur HERVE Z...
[...]
Représenté par Me HERVE Z..., avocat au barreau de PARIS, toque : E1042
Ayant pour avocat plaidant Me Daniel A..., avocat au barreau de PARIS, toque : D 593
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 16 Mai 2018, en audience publique, devant la Cour composée de:
M. Christian HOURS, Président de chambre
Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère
Mme Anne LACQUEMANT, Conseillère, chargée du rapport
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Lydie SUEUR
ARRET :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Christian HOURS, Président de chambre et par Lydie SUEUR, Greffière présent lors du prononcé.
M. HERVE Z... et Mme Nathalie X... ont conclu, le 29 novembre 2010, un contrat de collaboration avec effet au 2 janvier 2011.
Par lettre du 24 décembre 2015, M. Z... a notifié à Mme X... la rupture immédiate de ce contrat.
Cette dernière, contestant les conditions de la rupture du contrat, a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris le 15 mars 2015 aux fins d'obtenir la condamnation de M. Z... à lui payer diverses sommes au titre de rétrocession d'honoraires, congés payés, indemnité de prévenance et dommages-intérêts.
Par décision du 15 novembre 2016, le bâtonnier, retenant que la rupture immédiate du contrat de collaboration était justifiée par le refus de Mme X... de rédiger un acte urgent et son comportement agressif à l'égard de M. Z... les 9 et 10 décembre 2015, l'a déboutée de toutes ses demandes, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et laissé à chacune des parties la charge de ses dépens.
Mme X... a formé un recours à l'encontre de cette décision, par lettre recommandée du 28 novembre 2016.
Par conclusions déposées le 16 mai 2018, soutenues oralement et complétées lors des débats s'agissant des demandes chiffrées formulées à l'encontre de M. Z..., Mme X... demande à la cour d'infirmer la décision entreprise, de juger que celle-ci est entachée d'un défaut de respect du principe du contradictoire, de rejeter la note en délibéré du 27 mai 2016 et, statuant à nouveau, de condamner M. Z... à lui payer les sommes suivantes :
- 250 euros correspondant à une journée de travail qui a été décomptée à tort de sa rémunération du mois de décembre 2015,
- 33 000 euros au titre du délai de prévenance, représentant cinq mois de rétrocessions d'honoraires,
- sa rémunération habituelle pour les mois de janvier 2016 et les 9 premiers jours du mois de février 2016, sous déduction des indemnités journalières éventuellement perçues des régimes de prévoyance collective du barreau ou individuelle obligatoire,
- 20 000 euros à titre de dommages-intérêts,
- 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
et à supporter les entiers dépens d'appel.
Mme X... a précisé lors des débats qu'elle sollicitait la somme de 13 200 euros au titre des deux premiers mois d'arrêt de travail.
Elle a par ailleurs indiqué qu'elle renonçait à la demande formée au titre de la restitution de ses effets personnels.
Par conclusions déposées le 16 mai 2018 et soutenues oralement, M. Z... demande à la cour de confirmer la décision du bâtonnier, de débouter Mme X... de l'ensemble de ses demandes et de la condamner aux entiers dépens d'appel.
SUR CE
Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de restitution des effets personnels, Mme X... ayant renoncé à cette demande.
Mme X... soutient que le bâtonnier a méconnu les dispositions des articles 14 à 16 du code de procédure civile en acceptant la note produite en cours de délibéré par M. Z... le 27 mai 2016, sans même faire mention de celle-ci dans sa décision.
Elle ne tire cependant aucune conséquence juridique de la méconnaissance du respect du contradictoire qu'elle allègue, étant observé que la question de l'immédiateté de la rupture du contrat de collaboration par rapport aux faits allégués au soutien de celle-ci, est évoquée de manière contradictoire devant la cour.
Il n'appartient pas à la cour de rejeter une pièce des débats tenus devant le bâtonnier
Mme X... soutient que la rupture de son contrat de collaboration pendant son arrêt de travail est abusive et vexatoire et qu'elle ne pouvait être privée du délai de prévenance, fixé à cinq mois compte tenu de son ancienneté, contestant à cet égard avoir commis des manquements graves à ses obligations professionnelles et faisant valoir que les attestations produites par l'intimé émanent de ses collaborateurs et stagiaires et d'un ami et sont dès lors sujettes à caution. Elle ajoute que M. Z... n'a pas mis fin à son contrat immédiatement après les faits qu'il allègue mais seulement lorsqu'elle lui a adressé la prolongation de son arrêt de travail. Elle indique que ce dernier doit en outre lui payer sa rémunération habituelle jusqu'au 9 février 2016 sous déduction des indemnités journalières perçues, et ce en application de l'article 11 du contrat de collaboration. Enfin, elle invoque un préjudice moral du fait de la rupture abusive et vexatoire de son contrat.
M. Z... s'oppose aux demandes financières formées par Mme X..., faisant valoir qu'il était fondé à rompre le contrat de collaboration sans respecter un délai de prévenance, en raison des manquements graves qu'il reproche à sa collaboratrice d'avoir commis les 9 et 10 décembre 2015, en l'espèce le refus catégorique de celle-ci d'exécuter un travail urgent et des propos insultants tenus à cette occasion et le lendemain alors qu'elle revendiquait une augmentation de rémunération et un bonus. Il se prévaut, pour établir la réalité de ces faits, des attestations de collaborateurs et stagiaires et d'un client, qui ont soit assisté aux faits du 9 décembre, soit entendu l'altercation du 10 décembre. Il soutient qu'aucun texte n'exige que la rupture du contrat pour manquement grave intervienne immédiatement et ajoute, d'une part, que le contrat étant suspendu pendant la période d'arrêt de travail du 10 au 24 décembre 2015, la rupture du contrat ne présentait pas d'urgence, d'autre part, qu'il a pris soin de notifier la rupture avant l'expiration de l'arrêt de travail initial, de sorte que Mme X... n'a jamais retravaillé au sein du cabinet après le 10 décembre. Il précise que la lettre de rupture a été rédigée dans la matinée du 24 décembre avant qu'il ne reçoive la prolongation de l'arrêt de travail, laquelle n'a nullement influencé sa décision, que Mme X... ne peut lui reprocher d'avoir recherché un nouveau collaborateur à compter du 11 décembre et pris des mesures pour pourvoir à son remplacement, temporaire ou définitif, si elle ne revenait pas alors que l'absence de cette dernière en raison de son arrêt de travail a désorganisé le travail du cabinet à une période d'activité cruciale et que la situation dégradée à la suite des incidents des 9 et 10 décembre laissait augurer une probable prolongation de cet arrêt.
Aux termes de l'article 14.4.1 du règlement intérieur national (RIN), sous réserve des dispositions relatives à la rupture du contrat en cas de parentalité et sauf meilleur accord des parties, chaque cocontractant peut mettre fin au contrat de collaboration en avisant l'autre au moins trois mois à l'avance, ce délai étant augmenté d'un mois par année au-delà de trois ans de présence révolus, sans qu'il puisse excéder six mois, ces délais n'ont pas à être observés en cas de manquement grave flagrant aux règles professionnelles. Le contrat de collaboration de Mme X... prévoit les mêmes dispositions sur la durée du délai de prévenance.
Aux termes de l'article 14.4.2 du règlement intérieur du barreau de Paris (RIBP), la notification de la rupture ne peut intervenir pendant une période d'indisponibilité du collaborateur pour raison de santé médicalement constatée, sauf manquement grave aux règles professionnelles non lié à l'état de santé, cette période de protection prenant fin à l'expiration d'un délai de six mois à compter de l'annonce de l'indisponibilité du collaborateur pour raison de santé médicalement constatée.
Le manquement grave aux règles professionnelles justifiant que le collaborateur soit privé du délai de prévenance est celui qui revêt une importance telle qu'elle ne permet pas son maintien au sein du cabinet, y compris pendant la durée dudit délai.
Il n'est pas discuté que, le 9 décembre 2015, Mme X... et M. Z... se sont opposés sur la question de l'urgence d'un dossier suivi par Mme X... et sur la charge de travail de celle-ci, les parties ayant cependant des versions différentes sur les circonstances exactes de cet incident, M. Z... soutenant que Mme X... a catégoriquement refusé de traiter le dossier alors qu'elle était en mesure de le faire tandis que cette dernière conteste le refus ainsi allégué et indique qu'elle a répondu à M. Z... qu'eu égard à sa charge de travail, il convenait de faire un point sur l'ordre de priorité des dossiers. La vive altercation du lendemain sur la question, évoquée la veille, de l'octroi d'un bonus et de l'augmentation de la rémunération de Mme X..., n'est pas davantage contestée, les parties étant là encore contraires sur les propos alors échangés et le ton de ces échanges, chacune d'elles imputant à l'autre des propos injurieux et agressifs.
Mme X... a été en arrêt de travail pour une période initiale du 10 décembre au 24 décembre 2015, puis elle a informé M. Z..., par courriel du 24 décembre 2015 à 12 h, de la prolongation de cet arrêt jusqu'au 25 janvier 2016 et lui a adressé le justificatif par mail du même jour ainsi que par lettre.
Par courriel envoyé le 24 décembre 2015 à 12h53, et par lettre recommandée remise le 29 décembre, M. Z... lui a adressé une lettre de rupture immédiate du contrat de collaboration, excipant de manquements graves aux règles professionnelles (non-respect des principes de confraternité, de délicatesse, de courtoisie, refus d'accomplir des diligences relevant de sa compétence), faisant valoir qu'elle avait, dans l'après-midi du 9 décembre 2015, catégoriquement refusé de répondre à sa demande de préparation urgente d'un protocole de cessions d'actions dans un dossier qu'elle suivait, que le 10 décembre 2015, elle avait exigé d'être fixée sur le montant d'une prime en pourcentage du chiffre d'affaires du cabinet à défaut de quoi elle ne retournerait pas travailler, qu'elle avait refusé d'étendre ses horaires de travail à une période où le travail était important, qu'elle s'était montrée insultante à son égard en présence des autres collaborateurs et associés, qu'elle avait quitté le cabinet et n'avait adressé un arrêt de travail que le lendemain à 14h45, que sa «défection» avait gravement désorganisé le cabinet, le contraignant à refuser un important dossier d'un client historique, qu'il s'était aperçu durant son absence que ses dossiers étaient mal tenus et non traités dans des délais satisfaisants.
M. Z... n'a pas mis fin au contrat de sa collaboratrice dans la suite immédiate des incidents des 9 et 10 décembre qu'il qualifie de manquements graves pour justifier la rupture sans préavis mais a attendu 14 jours avant de l'informer de cette rupture, une heure après avoir reçu l'avis de la prolongation de l'arrêt de travail.
Il s'évince du délai ainsi écoulé et du temps de réflexion pris par M. Z... avant de prendre sa décision de rompre le contrat le liant à Mme X... que les manquements qu'il lui reproche au titre des événements des 9 et 10 décembre 2015 ne revêtaient pas un caractère de gravité tel que le maintien de sa collabotrice au sein du cabinet était impossible durant le délai de prévenance, la circonstance que Mme X... était en arrêt de travail étant indifférente. La preuve en est encore le sms envoyé le 10 décembre 2015 en fin de matinée par M. Z... qui écrivait à sa collaboratrice qui lui indiquait, par sms, qu'elle ne se sentait pas bien et allait voir son médecin : «On a énormément d'échéances, on ne peut pas les planter, tu mets ton ressentiment de côté et tu viens travailler. C'est maintenant que le cabinet a besoin de ton investissement». M. Z... qui envisageait le retour de Mme X... et le souhaitait le 10 décembre ne peut utilement soutenir 15 jours plus tard que l'incident qui s'était produit rendait impossible le maintien de leur relation de travail pendant le délai de prévenance.
Il en résulte que M. Z... ne pouvait rompre le contrat conclu avec Mme X... sans respecter le délai de prévenance prévu tant à l'article 14.4.1 du RIN qu'à l'article 13.2 du contrat de collaboration.
Le contrat de collaboration ne pouvant, en vertu de l'article 14.4.2 du RIBP précité, être rompu pendant l'arrêt de travail pour cause de maladie, le délai de prévenance dont devait bénéficier Mme X... a commencé à courir à compter du 26 janvier 2016, cette dernière ne justifiant pas d'un arrêt de travail au-delà de cette date. Mme X... ayant alors cinq ans d'ancienneté révolus, le délai de prévenance était de cinq mois.
Eu égard au montant mensuel de la rétrocession d'honoraires de Mme X..., soit 5 500 euros HT, il convient de condamner M. Z... à lui payer la somme de 33 000 euros.
S'agissant de la période durant laquelle Mme X... était en arrêt de travail, soit du 10 décembre 2015 au 25 janvier 2016, il doit être fait application de l'article 11 du contrat de collaboration qui prévoit qu'«en cas d'indisponibilité pour raison de santé au cours d'une même année civile, l'avocat collaborateur reçoit pendant deux mois «sa rémunération habituelle», sous déduction des indemnités journalières éventuellement perçues au titre des régimes de prévoyance collective du barreau ou individuelle obligatoire».
Il convient par conséquent de rouvrir les débats afin que Mme X... justifie du montant des indemnités journalières perçues pour permettre le calcul des sommes dues par M. Z... au titre de sa rémunération pour la période de son arrêt de travail, étant précisé qu'elle a perçu la somme de 5 700 euros TTC au mois de décembre 2015 et que M. Z... indique qu'il a déduit trois journées d'absence au mois de septembre 2015, soit celles des 14, 15 et 16 septembre, pour un montant de 750 euros, et qu'il reconnaît que celle du 16 septembre doit être payée.
Mme X... s'est vue notifiée la rupture de son contrat de travail, sans délai de prévenance, alors qu'elle était en arrêt de travail et dans un état de grande fragilité ainsi qu'en atteste le docteur B... dans un courrier adressé le 21 décembre 2015 à un confrère pour lui indiquer que l'état de sa patiente nécessitait une prolongation de son arrêt et la poursuite d'un traitement antidépresseur, le même médecin ayant attesté le 3 février 2016 que Mme X... avait été prise en charge dans le cadre de la convention Barreau de Paris-Rsi pour «souffrance en lien avec le travail et RPS» sur proposition du service social du barreau et avait été reçue à deux reprises par un médecin et à trois reprises par un psychologue. La brutalité de cette rupture intervenue dans ce contexte lui a occasionné un préjudice moral certain, lequel sera évalué à la somme de 5 000 euros que M. Z... sera condamné à lui payer.
Les dépens seront réservés ainsi que les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Infirme la décision rendue le 15 novembre 2016 par le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris ;
Statuant à nouveau,
Condamne M. Z... à payer à Mme X... la somme de 33 000 euros au titre du délai de prévenance (26 janvier au 26 juin 2016) ;
Condamne M. Z... à payer à Mme X... la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral ;
Sur la demande de paiement de la rémunération jusqu'au 25 janvier 2016, ordonne la réouverture des débats aux fins que Mme X... justifie des indemnités journalières le cas échéant perçues au titre des indemnités journalières des régimes de prévoyance collective du barreau ou individuelle ;
Renvoie l'affaire à l'audience du 13 Février 2019 à 14 heures ;
Réserve les dépens et les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER,LE PRESIDENT,