Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRÊT DU 18 SEPTEMBRE 2018
(n° 361 , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 16/14336
Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Mai 2016 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 14/18172
APPELANTS
Monsieur Ingvar X...
Narvavägen 31
STOCKHOLM (Suède)
Madame Karin X...
Narvavägen 31
STOCKHOLM (Suède)
Représentés et plaidant par Me Antoni Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : P0296
INTIMES
Monsieur Hubert Z...
[...]
né le [...] [...]
SCP WATIN-AUGOUARD - Hubert Z... - Yann MICHOT - Xavier GROSJEAN
[...]
N° SIRET : 310 190 020
Représentés par Me Barthélemy A..., avocat au barreau de PARIS, toque : E0435
Ayant pour avocat plaidant Me Maxime B... , avocat au barreau de PARIS, toque : E490 substituant Me Barthélemy A..., avocat au barreau de PARIS, toque : E0435
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 22 Mai 2018, en audience publique, devant la Cour composée de:
M. Christian HOURS, Président de chambre
Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère
Mme Anne LACQUEMANT, Conseillère
qui en ont délibéré,
Un rapport a été présenté à l'audience par Mme Marie-Claude HERVE dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Sabrina RAHMOUNI
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Christian HOURS, Président de chambre et par Lydie SUEUR, Greffière présent lors du prononcé.
*****
Olga C... de nationalité suédoise, décédée le [...] en France où elle était domiciliée, a laissé pour lui succéder les époux X... également suédois,en qualité de légataires universels à charge pour eux de créer deux fondations de bourse d'études C... I et C... II.
Les époux X... ont été envoyés en possession de leur legs par ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris du 5 juillet 2005 et la déclaration de succession établie par maître Meunié, notaire, le 5 novembre 2006, tenait compte du fait que la somme de 208 449 € était destinée à un organisme à but non lucratif et pouvait bénéficier de l'exonération prévue par l'article 795 du code général des impôts .
Le 15 décembre 2009, les époux X... ont reçu une proposition de rectification qui a été maintenue malgré leur réclamation et ils ont acquitté la somme de 170 031 €.
Le 15 décembre 2014, ils ont fait assigner maître Meuniè et la SCP Watin-Augouard, Meunié,Michot, Grosjean en responsabilité professionnelle et par un jugement du 18 mai 2016, le tribunal les a déboutés de leurs demandes et les a condamnés à payer aux défendeurs la somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils ont formé appel de cette décision le 29 juin 2016.
Dans leurs dernières conclusions communiquées par voie électronique le 5 avril 2018, ils demandent à la cour d'infirmer le jugement, de les dire recevables et bien fondés dans leur demande, de condamner solidairement maître Meuniè et la SCP Watin-Augouard, Meunié,Michot, Grosjean à leur régler la somme de 170 031 € à titre de dommages-intérêts pour défaut de conseil et à titre subsidiaire, la somme de 44 962 € à titre de dommages-intérêts correspondant à la somme payée par eux au titre des pénalités de retard et en tout état de cause, de condamner solidairement maître Meuniè et la SCP Watin-Augouard, Meunié,Michot, Grosjean à leur payer la somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions communiquées par voie électronique le 19 septembre 2016, maître Meuniè et la SCP Watin-Augouard, Meunié,Michot, Grosjean Watin-Augouard, Meunié,Michot, Grosjean demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris, de débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes et de les condamner in solidum à leur payer la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION :
Les époux X... reprochent au notaire de s'être trompé sur les textes applicables en visant la convention franco-suédoise de 1936 et d'avoir manqué à son obligation de conseil en ne les informant ni des formalités ni des délais à respecter pour pouvoir bénéficier de l'exonération fiscale alors que l'article 18-2 de la loi du 23 juillet 1987 sur le mécénat impose un délai d'un an après l'ouverture de la succession pour le dépôt de la demande de reconnaissance d'utilité publique de la fondation. Ils font valoir que le notaire ne les a pas avertis qu'il fallait que les fondations soient reconnues d'utilité publique et que la demande soit déposée dans le délai susvisé.
S'agissant du préjudice, ils considèrent qu'il ne s'agit pas d'une simple perte de chance et que le fait qu'ils n'aient pas déposé les statuts des fondations est indifférent dès lors que leur préjudice naît du défaut de respect du délai d'un an suivant la déclaration de la succession.
Les intimés répondent qu'ils ont informé les époux X... de la possibilité d'exonération des fonds destinés aux fondations, résultant de la convention franco-suédoise du 8 juin 1994 et de l'article 795 du code général des impôts dans une lettre du 17 janvier 2005, et que l'erreur de texte relevé par l'administration fiscale n'a pas entraîné d'erreur de droit. Ils considèrent donc qu'ils ont rempli leur obligation d'information et de conseil. Ils font valoir qu'il appartenait aux époux X... munis de cette information, de constituer des fondations en Suède et que l'administration fiscale a rejeté l'exonération parce que ceux-ci n'ont pas justifié de la bonne constitution en Suède des fondations et spécialement de leur enregistrement de sorte que le redressement fiscal n'est pas dû à la faute du notaire mais à l'absence des diligences qu'il incombait aux appelants de réaliser.
S'agissant de la reconnaissance d'utilité publique prévue par l'article 795 du code général des impôts, les intimés déclarent qu'il s'agit d'une institution de droit français et qu'elle ne pouvait être requise en Suède.
S'agissant d'un manquement à l'obligation d'informer du délai d'un an de l'article 18-2 de la loi du 23 juillet 1987, ils soutiennent que ce délai s'applique aux fondations constituées en France et que la loi française sur le mécénat n'a pas vocation à s'appliquer en Suède. Ils relèvent que les époux X... ne justifient d'aucune diligence auprès de l'administration suédoise et qu'ils ont eux-mêmes déclaré à l'administration fiscale française que les fondations n'avaient pas encore bénéficié des fonds et qu'elles n'avaient aucune activité.
Le notaire est tenu d'informer et d'éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets des actes auxquels il prête son concours, notamment quant aux incidences fiscales ; il lui appartient de démontrer qu'il a effectivement rempli son obligation de conseil à l'égard de ses clients.
En l'espèce, trois textes régissaient la situation fiscale du legs consenti par Olga C... en vue de la création de fondations :
- la convention franco-suédoise du 8 juin 1994 qui prévoit que : 'les organismes à but désintéressé créés ou organisés dans un Etat contractant et exerçant leur activité dans le domaine ...éducatif...bénéficient dans l'autre Etat contractant dans les conditions prévues par la législation de celui-ci des exonérations ou réductions d'impôt ou autres avantages fiscaux accordés aux entités de nature identique ou analogue créées ou organisées dans cet autre Etat',
- l'article 795 du code général des impôts qui dispose que sont exonérés des droits de mutation à titre gratuit les dons et legs faits aux associations reconnues d'utilité publique,
- l'article 18-2 de la loi du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat qui énonce que la demande de reconnaissance d'utilité publique doit à peine de nullité du legs êtré déposée auprès de l'autorité administrative compétente dans l'année suivant l'ouverture de la succession.
Par une lettre du 17 janvier 2005, le notaire a informé les époux X... des dispositions de la convention franco-suédoise du 8 juin 1994 citées ci-dessus sans mentionner l'article 795 du code général des impôts ni l'article 18-2 de la loi du 23 juillet 1987 .
Il s'agit de textes français dont le champ d'application se limite à la France, néanmoins la convention franco-suedoise énonce e 'les organismes à but désintéressé créés ou organisés dans un Etat contractant bénéficient des avantages fiscaux dans l'autre Etat contractant dans les conditions prévues par la législation de celui-ci.
Le notaire ne pouvait donc limiter l'information qu'il délivrait aux dispositions de la convention franco-suédoise mais il devait aussi préciser aux époux X... les conditions imposées par la loi française pour qu'un legs destiné à un organisme à but désintéressé, puisse bénéficier de l'exonération des droits de mutation à titre gratuit.
Et si la reconnaissance d'utilité publique est une institution qui n'a pas nécessairement de correspondance en Suède, il devait attirer l'attention des époux X... sur ce sujet et obtenir des informations auprès de l'administration fiscale sur ses exigences et l'application qu'elle faisait du texte dans ces circonstances.
Ainsi la lettre du 17 janvier 2005 a fourni aux époux X... une information incomplète et il sera donc retenu que le notaire a manqué à leur égard à son obligation d'information et de conseil.
Le 15 décembre 2009, l'administration fiscale après avoir rappelé les textes applicables visés ci-dessus, a fait valoir à l'appui d'une proposition de rectification, que les époux X... ne justifiaient ni de la réalité de l'existence des fondations C... I et C... II ni de leur reconnaissance d'utilité publique de sorte qu'ils ne justifiaient pas respecter les dispositions de l'article 795 du code général des impôts ni celles de l'article 11 de la convention fiscale franco-suédoise. Elle relevait ainsi que les époux X... 'n'avaient fourni aucun document officiel suédois attestant de la date de création, de la nature des statuts des deux fonds de bourses d'études dénommés fondations C... I et C... II ainsi que du caractère désintéressé du but de ces deux organismes te de leur reconnaissance d'utilité publique.'
Les époux X... n'ont pas communiqué leur réponse à cette proposition de rectification mais le 14 septembre 2012, l'administration fiscale a confirmé sa position et a ajouté en invoquant l'article 18-2 de la loi du 23 juillet 1987 qu'ils ne justifiaient pas avoir déposé une demande de reconnaissance d'utilité publique dans le délai d'un an suivant l'ouverture de la succession.
Il y a lieu de retenir qu'il existe un lien de causalité entre le manquement du notaire à l'obligation d'information sur la nécessité d'une reconnaissance d'utilité publique dans le délai d'un an et la rectification fiscale qui repose sur cette absence de déclaration publique dans le temps utile.
Néanmoins le préjudice qui résulte d'un manquement à l'obligation d'information et de conseil est nécessairement une perte de chance dans la mesure où celui qui est le destinataire de l'information et du conseil reste libre de s'y conformer ou non.
En l'espèce, il y a lieu de constater qu'alors qu'Olga C... est décédée [...], les époux X... n'ont pu justifier en 2009 ni du statut exact des fondations au regard du droit suédois ni d'une quelconque activité invoquant à ce sujet un déblocage récent des fonds sans produire aucune pièce justificative.
Il résulte de ces circonstances un manque de diligence dans la mise en oeuvre des dernières volontés d'Olga C... qui conduit la cour à considérer que la perte de chance qu'ils réalisent les formalités nécessaires pour bénéficier de l'exonération fiscale en temps utile est de l'ordre de 15%.
Il y a donc lieu de condamner solidairement maître Meunié et la SCP de notaires à leur payer la somme de 25 500€ et le jugement du 18 mai 2016 sera infirmé en ce sens.
Il sera alloué aux époux X... la somme de 4000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 18 mai 2016,
Statuant à nouveau :
Condamne solidairement maître Meunié et la SCP WatinAugouard, Meunié, Michot,Grosjean à payer aux époux X... la somme de 25 500€ à titre de dommages-intérêts,
Condamne solidairement maître Meunié et la SCP WatinAugouard, Meunié, Michot,Grosjean à payer aux époux X... la somme de 4 000 E sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne solidairement maître Meunié et la SCP WatinAugouard, Meunié, Michot, Grosjean aux dépens aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de maître Y..., selon l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER,LE PRESIDENT,