Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 5
ARRÊT DU 13 SEPTEMBRE 2018
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 17/01129
Décision déférée à la cour : jugement du 30 novembre 2016 -tribunal de commerce de PARIS 04 - RG n° [...]
APPELANTE
SAS TECH DATA FRANCE
Ayant son siège social [...]
N° SIRET : 722 065 638
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Maître Matthieu D... de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocat plaidant Maître Thierry X..., avocat au barreau de PARIS, toque : B0766
INTIMÉE
SAS CHRONOPOST
Ayant son siège social [...]
N° SIRET : 383 960 135
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Maître Anne E... de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocate au barreau de PARIS, toque : K0111
Ayant pour avocat plaidant Maître Aurélie Y..., avocate au barreau de PARIS, toque : P0276
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 31 mai 2018, en audience publique, devant la cour composée de:
Monsieur Patrick BIROLLEAU, Président de chambre chargé du rapport
Madame Fabienne SCHALLER, Conseillère
Madame Anne DU BESSET, Conseillère
qui en ont délibéré,
un rapport a été présenté à l'audience par Madame Fabienne SCHALLER dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Madame Hortense VITELA
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Patrick BIROLLEAU, Président et par Madame Hortense VITELA, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE :
Le 16 mars 2015, une commande d'appareils de téléphones et d'ordinateurs portables a été passée à la société Econocom Products par une société se présentant comme la société ADP GSI, sise [...]. La société Econocom a donné instruction à son grossiste, la SAS Tech Data France (Tech Data) de livrer directement à cette adresse les marchandises commandées.
Tech Data a confié la livraison de treize colis de produits à la société Chronopost dans le cadre du contrat de commission de transport en date du 9 octobre 2009 qui la liait à Chronopost.
Les treize colis ont été livrés à l'adresse indiquée par l'expéditeur, soit [...].
A réception de la facture émise par la société Econocom, le comptable de la société ADP GSI a fait savoir que sa société n'était pas à l'origine de cette demande et qu'elle avait été victime d'une escroquerie par fausses commandes passées en usurpation du nom de la société ADP GSI.
La société Tech Data a adressé un courrier en date du 2 avril 2015 à Chronopost, l'informant que Econocom avait porté plainte auprès des services de police de Bobigny, qu'Econocom avait relevé l'absence de cachet commercialapposé sur le bon de livraison et qu'elle ne saurait en aucun cas être tenue pour responsable d'une défaillance imputable à Chronopost.
Par lettre recommandée avec accusé de réception à Chronopost le 16 juin 2015, Tech Data a estimé que la responsabilité de Chronopost était engagée dans l'escroquerie dont Econocom avait été victime, et l'a mise en demeure de lui payer la somme de 182.499,34 euros correspondant au montant facturé par Econocom.
Chronopost ayant refusé de donner suite à cette demande, la société Tech Data France l'a, par acte en date du 12 août 2015, assignée devant le tribunal de commerce de Paris.
Par jugement rendu le 30 novembre 2016, le tribunal de commerce de Paris a:
- dit que la demande de la société Tech Data est recevable, mais mal fondée;
- débouté la société Tech Data de sa demande en dommages et intérêts;
- dit qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700du code de procédure civile;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire;
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires aux présentes dispositions;
- condamné là SAS Tech Data aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.
Vu l'appel interjeté le 12 janvier 2017 par la société Tech Data France;
***
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La société Tech Data France, par dernières conclusions signifiées le 24 mai 2017, demande à la cour, au visa des articles 31 du code de procédure civile, 1150 ancien et 1231-1 nouveau du code civil, L.132-1, L.132-4, L.132-5, L.133-8et L.133-1 et suivants du code de commerce, et du contrat du 9 octobre 2015, de :
- rejeter toutes fins et moyens contraires;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu que la société Tech Data France était recevable et justifiait d'un intérêt à agir;
- condamner la société Chronopost à régler à la société Tech Data la somme de 182.490,34 euros de dommages et intérêts, avec intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 8 juillet 2015;
- ordonner la capitalisation des intérêts;
- condamner société Tech Data France à verser la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
- condamner la société Chronopost aux entiers dépens.
Elle fait valoir que la société Chronopost a commis, de manière délibérée, en conscience de la probabilité d'un dommage et sans raison valable, une faute inexcusable en remettant la marchandise à une personne non identifiée. Elle souligne que la défaillancede Chronopost réside non seulement dans l'absence de tampon apposé par le destinataire sur le bon de livraison, mais également sur le défaut de remise de la marchandise à la personne nommément désignée et sur l'absence de vérification que la personne à laquelle la marchandise a été délivrée était bien mandataire régulier du destinataire, notamment en n'alertant pas aussitôt son donneur d'ordre sur les difficultés qu'elle rencontrait à remettre les marchandises à la personne précisément désignée.
Elle indique que les vérifications étaient d'autant plus nécessaires que l'adresse de livraison correspondait à une zone commerciale où les fonds de commerce sont nombreux et éphémères, et qu'aucune enseigne n'y figurait permettant à Chronopost d'avoir même l'illusion qu'elle livrait valablement à la bonne adresse. Elle ajoute que Chronopost n'a pu avancer une seule raison valable pour laquelle elle n'a pas retenu la marchandise jusqu'à la confirmation d'instructions de son donneur d'ordre.
La société Chronopost, par dernières conclusions signifiées le 12 avril 2018, demande à la cour, au visa des articles 31 et 122 du code de procédure civileet L.132-4 et suivants du code de commerce, en particulier son article L.133-8, de :
- confirmer le jugement, sauf en ce qu'il a déclaré recevables les demandes de la société Tech Data, et dit que les deux parties ont commis une faute;
- déclarer les demandes de la société Tech Data irrecevables pour défaut de justification du préjudice;
- constater la présomption de livraison conforme des colis;
- débouter la société Tech Data de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions;
A titre subsidiaire,
- constater la faute de l'expéditeur ayant indiqué une adresse de livraison erronée sur le bordereau d'envoi à la suite d'un simple appel téléphonique d'une personne non identifiée et sans procéder à aucune vérification;
- constater que le vol des marchandises s'est produit après la remise des colis au gardien légitime du site commercial situé à l'adresse de destination qui s'est déclaré habilité à les réceptionner;
- dire qu'aucune responsabilité ne saurait être retenue à l'encontre de la société Chronopost dans la disparition des marchandises.
Elle fait valoir que la société Tech Data ne prouve pas avoir subi personnellement le préjudice allégué, de sorte que son action doit être déclarée irrecevable.
Elle fait valoir qu'en l'état de la remise des colis à l'adresse de livraison indiquée par l'expéditeur lui-même, elle bénéficie d'une présomption de livraison conforme.
A titre subsidiaire, elle expose que sa responsabilité ne peut être seule retenue dans la mesure où Tech Data a également commis une faute contractuelle en ne vérifiant pas au moment de la prise en charge les noms et adresses du destinataire, qu'il appartenait à l'expéditeur de communiquer au transporteur les éléments prescrits par l'article 4 'obligations du commettant' du contrat, ce qui s'entend d'une adresse de livraison valide à laquelle se trouve le destinataire. Elle ajoute que, s'agissant d'une escroquerie à l'encontre de la société Econocom et/ou de la société Tech Data, les colis une fois livrés avaient de toute évidence vocation à être détournés par les malfaiteurs ; la société Chronopost n'avait absolument aucun moyen d'action pour les en empêcher.
A titre plus subsidiaire, la société Chronopost fait valoir qu'aucun des critères cumulatifs de la faute inexcusable n'est réuni en l'espèce.
Encore plus subsidiairement, Chronopost prétend que Tech Data France ne justifie pas son préjudice en ce que d'une part, elle n'établit pas ne pas avoir été réglée par son client qui lui a transmis la fausse commande, la société Econocom, d'autre part, seul le coût de revient HT, sur lequel l'appelante ne fournit aucun élément, peut faire l'objet d'une réclamation. Elle ajoute qu'il devra, en tout état de cause, être fait application de la limitation de responsabilité prévue à l'article 6.1 du contrat de commission de transport.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.
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MOTIFS :
' Sur la recevabilité de l'action de la société Tech Data
Considérant que, le 9 octobre 2009, la société Tech Data a signé avec la société Chronopost un contrat de commission de transport ;
Considérant que la société Chronopost soulève l'irrecevabilité de l'action de la société Tech Data en faisant valoir que l'expéditeur n'a intérêt à agir à l'encontre du commissionnaire de transport que s'il a subi un préjudice ;
Mais considérant que, le contrat de vente et le contrat de transport étant indépendants, l'intérêt à agir de l'expéditeur doit s'apprécier indépendamment de son intérêt à agir en tant que vendeur ou acheteur ; qu'en l'espèce, la société Tech Data fondant son action sur le seul contrat de transport, l'intérêt à agir de l'expéditeur résulte de la mauvaise exécution du contrat de transport ; que la recevabilité de l'action de la société Tech Data n'est dès lors pas contestable ; que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé sur la recevabilité de l'action ;
' Sur le fond
Considérant qu'en application de l'article L.132-4 du code de commerce, le commissionnaire de transport est tenu d'une obligation de résultat envers son client ;
Considérant qu'il est constant que la marchandise expédiée par Tech Data n'a pas été remise, le 17 mars 2015, par Chronopost à son destinataire, la société ADP, mais à Monsieur Z... Kofi, agent d'acceuil du site inter-entreprises du [...] dont il n'est pas soutenu qu'il était titulaire d'un mandat d'ADP pour prendre possession des envois adressés à cette société, alors que Tech Data avait communiqué à Chronopost comme adresse de livraison 'ADP GSI France, Monsieur A... [...], [...]', ainsi qu'en fait foi le bordereau de livraison de Chronopost (pièce Tech Data n°4) ; qu'il est également établi que Chronopost s'est abstenue de recueillir, lors de la remise des colis, ni la signature d'un représentant d'ADP, ni le cachet commercial de cette dernière, alors que l'article 9 du décret n° 99-269 du 6 avril 1999 portant cahier des charges, dont l'applicabilité en l'espèce n'est pas discutée, prévoit que 'la livraison est effectuée entre les mains de la personne désignée comme destinataire sur le document de transport ou son représentant; dès que cette personne a pris possession de l'envoi, elle en donne décharge au transporteur en signant le document de transport. (...) La signature du destinataire ou de son représentant est la preuve de la remise et de l'acceptation de l'envoi ; elle est accompagnée du nom du signataire, de la date et de l'heure de la livraison ainsi que du cachet commercial de l'établissement.' ; que la société Chronopost a, dans ces circonstances, manqué à ses obligations contractuelles ;
Qu'elle n'est pas fondée à opposer un quelconque manquement de l'expéditeur Tech Data quant à la communication, au transporteur, des indications nécessaires à la livraison, alors que les informations transmises au commissionnaire de transport étaient conformes à celles prescrites par l'article 4 du contrat du 9 octobre 2009 - qui prévoit qu' 'il appartient à Tech Data France de fournir à Chronopost au plus tard au moment de la prise en charge de chaque envoi, les indications suivantes : Noms et adresses de l'expéditeur et du destinataire / Numéro de téléphone du destinataire éventuellement / Lieu, date de prise en charge et éventuellement heure d'enlèvement / Lieu de livraison / Nombre, poids des colis constituant l'envoi / Toute autre modalité d'exécution du contrat' - l'adresse d'ADP ayant été en l'espèce communiquée par Econocom et assortie du nom du réceptionnaire, sans que l'expéditeur ne soit tenu de procéder à des vérifications complémentaires ; que l'adresse a été, au surplus, confirmée par Monsieur Z... Kofi, agent d'acceuil du site, aux termes de l'audition du chauffeur de Chronopost (pièce Chronopost n°4) ;
Mais considérant que la négligence de la société Chronopost ne saurait pour autant présenter le caractère d'une faute inexcusable - définie par l'article L.133-8 du code de commerce comme 'la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable' - de nature à tenir en échec la limitation d'indemnisation prévue par le contrat-type ; que les éléments de la procédure n'établissent en effet :
- ni l'acceptation téméraire d'un risque, aucun élément ne révélant un quelconque risque de vol, ni de fraude ;
- ni la conscience de la probabilité d'un dommage ;
- le site du [...] étant sécurisé à son entrée par une barrière (ainsi que cela ressort du témoignage de Monsieur Jean-Claude B..., responsable régional de sûreté de Chronopost - pièce Chronopost n°4), et étant connu de Chronopost qui y effectue régulièrement des livraisons (témoignage du livreur Monsieur C... - pièce Chronopost n°4) ;
- le caractère sensible de la marchandise transportée - dont il n'est, au demeurant, pas démontré que Tech Data en ait informé le commissionnaire de transport - étant insuffisant à caractériser la perception, en l'espèce, d'un risque particulier ;
Considérant, sur l'indemnisation, qu'en l'absence de faute inexcusable du commissionnaire de transport, il convient de faire application de la clause de limitation de responsabilité de l'article 6.1 du contrat qui stipule : '6. 1 perte/ vol/ avarie la responsabilité de Chronopost est engagée en cas de perte, vol ou de dommages matériels causés aux colis et aux produits en cours de transport ou de non livraison sauf faute de l'expéditeur ou le destinataire en cas de force majeure vice propre de l'objet qui constitue des cas d'exonération. / Si elle est établie, la responsabilité de Chronopost sera engagée pour la valeur d'origine de la marchandise dans la limite de 250 euros par colis.' ; que la société Chronopost sera en conséquence condamnée au paiement de la somme de 3.250 euros (13 colis x 250 euros), avec intérêts de droit à compter du 8 juillet 2015 et capitalisation des intérêts ; que le jugement entrepris sera infirmé en ce sens ;
Considérant que l'équité commande de condamner la société Chronopost à payer à la société Tech Data France la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
INFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a dit recevable la demande de la SAS Tech Data France ;
Statuant à nouveau ;
CONDAMNE la SAS Chronopost à payer à la SAS Tech Data France la somme de 3.250 euros, avec intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 8 juillet 2015;
ORDONNE la capitalisation des intérêtsen application de l'article 1154 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
CONDAMNE la SAS Chronopost à payer à la SAS Tech Data France la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SAS Chronopost aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
La Greffière Le Président
Hortense VITELA Patrick BIROLLEAU