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05/07/2018 | FRANCE | N°18/09264

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 05 juillet 2018, 18/09264


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS


Pôle 1 - Chambre 2





ARRET DU 05 JUILLET 2018





(n°409, 11 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/09264





Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 04 Mai 2018 -Président du TGI de PARIS - RG n° 18/53423








APPELANTE





SARL NOURA IMA, agissant poursuites et

diligences de ses représentants légaux domiciliés [...] - [...]


[...]


N° SIRET : 500 702 493





Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065


Assistée par Me Gilles HITTINGE...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRET DU 05 JUILLET 2018

(n°409, 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/09264

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 04 Mai 2018 -Président du TGI de PARIS - RG n° 18/53423

APPELANTE

SARL NOURA IMA, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés [...] - [...]

[...]

N° SIRET : 500 702 493

Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

Assistée par Me Gilles HITTINGER ROUX et Me Mbaye NDIAYE de la SCP H.B. & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, toque : P497

INTIMEE

Fondation INSTITUT DU MONDE ARABE prise en la personne de Monsieur Y... Z..., son président, domicilié [...]

[...]

N° SIREN : 320 607 922

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée par Me Rudy LENTINI et Me Bertille DE BAYSER de l'AARPI GINISTIE MAGELLAN PALEY-VINCENT & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, toque:R138

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Juin 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Bernard CHEVALIER, Président, chargé du rapport et Mme Véronique DELLELIS, Présidente de chambre.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Bernard CHEVALIER, Président

Mme Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère

Mme Véronique DELLELIS, Présidente de chambre

Qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : M. Aymeric PINTIAU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Bernard CHEVALIER, Président et par Aymeric PINTIAU, Greffier.

EXPOSÉ DU LITIGE

L'Institut du Monde Arabe (ci-après l''IMA') a passé avec la SARL Noura Ima un contrat en date du 1er octobre 2007 intitulé « contrat de prestations de service de restauration » en vertu duquel il a délégué à cette société l'exploitation de trois espaces de restauration, le restaurant gastronomique 'Le Ziryab' et le self-service dit 'Le Moucharabieh' situés au 9ème étage et le café dit 'le café littéraire' au rez-de-chaussée de l'immeuble sis [...] , pour une durée de dix ans à compter du 1er octobre 2007.

Selon l'article 7-l-3 du contrat, lorsque la terrasse du 9ème étage n'est pas en location, le «délégant» autorise le «délégataire» à utiliser la partie qui sera déterminée sur les plans, aussi bien pour la restauration que pour le salon de thé, le mobilier installé à cet effet devant recevoir l'agrément du «délégant».

L'article 15 intitulé «remise des espaces et des équipements au terme du contrat» stipule notamment :

« Au terme du contrat l'IMA reprendra gratuitement possession de toutes les installations et équipements servant de support au service de restauration et portés à l'inventaire établi par le délégant et le délégataire et actualisé chaque année dans le cadre du compte-rendu technique annuel (..) ».

Par courrier recommandé daté du 5 avril 2018 avec avis de réception, l'IMA a mis en demeure la société Noura Ima de quitter les lieux mis à sa disposition au plus tard le 30 avril 2018.

Le 18 avril 2018, la société Noura Ima a fait signifier à l'IMA une mise en demeure de lui restituer les meubles et jardinières qui se trouvaient au 9ème étage.

Par acte du 24 avril 2018, la SARL Noura Ima, en vertu d'une autorisation obtenue la veille, a fait assigner l'IMA à l'audience du juge des référés du tribunal de grande instance de Paris du 27 avril 2018 auquel elle a demandé de:

- juger que l'IMA se rend responsable d'une voie de fait en enlevant et confisquant ses meubles installés au 9ème étage de l'immeuble qui l'abrite ;

- enjoindre à l'IMA de lui restituer les meubles enlevés à l'endroit où ils ont été précisément enlevés, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard a compter du prononcé de la décision à intervenir ;

- condamner l'IMA à lui payer les sommes de 30 000 euros à titre de provision et de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

Par ordonnance contradictoire du 4 mai 2018, le président du tribunal de grande instance de Paris, a :

- ordonné à la fondation l'IMA de remettre en place l'ensemble des tables, chaises, parasols et jardinières achetés par la société Noura Ima et qui se trouvaient sur la terrasse du 9ème étage de l'immeuble de la fondation avant leur enlèvement le 11 avril 2018, sous astreinte de 8000 euros par jour de retard passé un délai de 24 heures à compter de la signification de la présente décision;

- dit que la société Noura Ima devra libérer de sa personne et de ses biens ainsi que tous occupants de son chef les lieux occupés dans l'immeuble de la fondation l'IMA situé [...] dans un délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision ;

- faute pour la société Noura Ima de quitter les lieux dans le délai indiqué et celui-ci passé, autorisé la fondation l'IMA à faire procéder à son expulsion, avec le concours de la force publique, si besoin est ;

- partagé les dépens par moitié entre les parties;

- rejeté le surplus des demandes.

Par déclaration en date du 11 mai 2018, la société Noura Ima a fait appel de cette ordonnance en ce qu'elle celle-ci a :

- dit qu'elle devra libérer de sa personne et de ses biens ainsi que tous occupants de son chef les lieux occupés dans l'immeuble de la fondation l'IMA dans un délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision ;

- faute pour elle de quitter les lieux dans le délai indiqué et celui-ci passé, autorisé la fondation l'IMA à faire procéder à son expulsion, avec le concours de la force publique, si besoin est ;

- partagé les dépens par moitié entre les parties;

- rejeté le surplus des demandes.

Par ordonnance rendue le 23 mai 2018, la SARL Noura Ima a été autorisée à faire assigner l'IMA à l'audience de la chambre 1.2 de la cour d'appel de Paris du 21 juin 2018 à 14h00.

Au terme de ses dernières conclusions communiquées le 21 juin à 11h30, la SARL Noura Ima demande à la cour, sur le fondement des articles 809, 4 et 70 du code de procédure civile, de :

- infirmer l'ordonnance du 4 mai 2018 en ce qu'elle statue sur les demandes de l'IMA, irrecevables au regard du principe du contradictoire et en ce qu'elles ne se rattachent pas aux prétentions originaires de la société concluante par un lien suffisant, mais aussi en ce qu'elle ordonne l'expulsion de la société appelante pour trouble manifestement illicite alors que la nature et la qualification du contrat sont contestées et, enfin, en ce qu'elle rejette la provision sollicitée par la société appelante et déboute cette dernière de toutes ses autres demandes ;

statuant à nouveau :

à titre principal,

- juger les demandes reconventionnelles de l'IMA irrecevables parce qu'elles ne se rattachent pas à ses prétentions originaires par un lien suffisant ;

à titre subsidiaire,

- infirmer l'ordonnance statuant sur des demandes reconventionnelles de l'IMA alors qu'elles violent le principe du contradictoire ;

à titre plus subsidiaire,

- juger que la contestation opposant les parties sur la qualification et la nature juridique du contrat exclut la compétence du juge des référés pour statuer notamment sur un droit à obtenir expulsion de la société appelante ;

- juger qu'il n'existe pas de trouble manifestement illicite avec l'évidence requise et qu'il n'y a lieu à référé, au regard de la divergence opposant les parties sur la nature et la qualification du contrat;

à titre infiniment subsidiaire,

- lui accorder un délai de six mois à compter de l'arrêt à intervenir pour organiser la libération des locaux et leur restitution à l'IMA ;

- juger que l'ensemble de ses salariés sera transféré à l'IMA à compter de la cessation de ses activités dans les locaux au sein de l'IMA ;

sur l'appel incident,

- débouter l'IMA de ses demandes irrecevables ou infondées;

- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle considère que l'IMA a commis une voie de fait et lui ordonne de remettre en place l'ensemble des tables, chaises, parasols et jardinières achetés par la société concluante et qui se trouvaient sur la terrasse du 9eme étage de l'immeuble de la fondation avant leur enlèvement le 11 avril 2018, sous astreinte de 8000 euros par jour de retard passé un délai de 24 heures à compter de la signification de l'ordonnance;

- ordonner à la fondation IMA de remettre en place l'ensemble des 15 tables, 15 chaises, 2 parasols, 8 jardinières 12 plateaux et 2 chauffages parasols achetés par la société concluante et qui se trouvaient sur la terrasse du 9eme étage de l'immeuble de la fondation avant leur enlèvement le 11 avril 2018, sous astreinte de 8000 euros par jour de retard passé un délai de 24 heures à compter de la signification de l'ordonnance;

en tout état de cause,

- condamner l'IMA à lui payer la somme de 30 000 euros à titre de provision à valoir sur son préjudice subi ;

- débouter l'IMA de toutes ses demandes contraires ;

- condamner l'IMA à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Dans ses conclusions communiquées par voie électronique le 21 juin 2018, l'IMA demande à la cour, sur le fondement de l'article 809 du code de procédure civile, de :

- infirmer l'ordonnance du 4 mai 2018 en ce qu'elle :

- lui a ordonné de remettre en place l'ensemble des tables, chaises, parasols et jardinières achetés par la société Noura IMA et qui se trouvaient sur la terrasse du 9ème étage de l'immeuble de la fondation avant leur enlèvement le 11 avril 2018, sous astreinte de 8 000 euros par jour de retard passé un délai de 24 heures à compter de la signification de la présente décision;

- a ordonné de partager les dépens par moitié;

- a rejeté le surplus de ses demandes ;

statuant à nouveau,

- constater que la convention de prestations de service de restauration du 1er octobre 2007 conclue entre l'IMA et la société Noura IMA est expirée depuis le 30 septembre 2017 à minuit;

- constater que le mobilier de la terrasse du 9ème étage de son immeuble situé [...] [...] est un équipement servant de support au service de restauration, lequel service de restauration avait été confié par l'institut à la société Noura IMA au titre de la convention de prestations de service de restauration du 1er octobre 2007;

- juger qu'il n'a commis aucune violation de cette convention en appliquant l'article 15 qui l'autorisait à reprendre gratuitement possession de ce mobilier;

en conséquence,

- juger qu'il n'a commis aucun trouble manifestement illicite;

- l'autoriser à reprendre possession du mobilier de la terrasse dès le prononcé de la décision à intervenir;

- débouter la société Noura Ima de toutes ses demandes à toutes fins qu'elles comportent;

- confirmer l'ordonnance du 4 mai 2018 en ce qu'elle :

- a dit que la société Noura Ima devra libérer de sa personne et de ses biens ainsi que tous occupants de son chef les lieux occupés dans l'immeuble de la fondation de l'IMA situé [...] - [...] dans un délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision;

- autorisé l'IMA à faire procéder à l'expulsion de la société Noura Ima, avec le concours de la force publique, si besoin est, faute pour celle-ci de quitter les lieux dans le délai indiqué et celui-ci passé;

- enjoindre à la société Noura Ima de communiquer à la société Miyou l'organigramme de ses salariés précisant les postes concernés, le nombre d'agents, la nature des contrats de travail, les rémunérations, l'ancienneté, les droits acquis ainsi que la convention collective sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification de la présente décision;

- en tout état de cause, condamner la société Noura Ima aux dépens et à lui verser la somme de 10000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour la connaissance des moyens et des arguments exposés au soutien de leurs réclamations, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE LA COUR

Sur la recevabilité de la demande d'expulsion

La SARL Noura Ima soutient que les demandes reconventionnelles de l'IMA sont irrecevables aux motifs, d'une part, qu'elles ne présentent pas un lien suffisant au sens des articles 4 et 70 du code de procédure civile avec ses réclamations et, d'autre part, qu'elles procèdent d'une violation du principe du contradictoire en ce qu'elles ont été formées par conclusions communiquées la veille de l'audience à 22h00 avec 59 pièces.

Ces moyens ne sont pas fondés pour les motifs suivants.

Aux termes de l'article 70 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant. Cette règle s'impose dans ces termes dans le cadre d'une procédure à jour fixe.

Dans l'affaire en examen, la SARL Noura Ima a saisi le juge des référés d'une demande visant à voir condamner l'IMA à lui restituer sous astreinte les meubles enlevés 'à l'endroit où ils ont été précisément enlevés'.

Il est constant que l'emplacement où la SARL Noura Ima demandait que les meubles lui soient restitués et remis en place était la terrasse du 9ème étage de l'immeuble de l'IMA et que cette terrasse avait été mise à sa disposition par la convention conclue le 1er octobre 2007, dans les conditions prévues par celle-ci.

La demande de la SARL Noura Ima visant à voir remettre ses meubles en place sur cette terrasse reposait ainsi sur le postulat qu'elle en avait encore la jouissance et, partant, qu'elle était toujours en droit d'occuper les lieux mis à sa disposition en exécution de la convention de 2007.

Il ressort également des débats que l'IMA s'est estimé en droit de procéder à l'enlèvement de ces meubles sur le fondement de l'article 15 de ladite convention, qui prévoit la reprise gratuite par l'institut, au terme du contrat, de toutes les installations et équipements servant de support au service de restauration.

La demande reconventionnelle de l'IMA visant à voir ordonner l'expulsion de la SARL Noura Ima des lieux mis à la disposition de celle-ci en vertu de la convention conclu le 1er octobre 2007 au motif de l'expiration de cette convention présentait bien, dans ce contexte, un lien suffisant au sens de l'article 70 du code de procédure civile, précité, avec les prétentions originaires dont le premier juge était saisi.

En ce qui concerne la violation du principe du contradictoire, il ressort des débats et des pièces produites que la SARL Noura Ima, dans ses conclusions déposées devant le premier juge le 27 avril en réponse aux conclusions de la défenderesse qui lui avaient été communiquées la veille de l'audience vers 22h00, n'a pas demandé le rejet de cette demande reconventionnelle de ce chef et a exposé les motifs pour lesquels cette demande ne devait pas être accueillie en référé compte tenu de la contestation qui oppose les parties sur la nature du contrat qui les lie.

Il résulte par ailleurs des débats et des pièces produites que cette question avait déjà opposé les parties, puisque la SARL Noura Ima avait demandé cette requalification à titre reconventionnel dans l'instance en résiliation anticipée du contrat engagée par l'IMA, instance qui a donné lieu au jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris du 21 mai 2015 puis à l'arrêt du 15 janvier 2016, dans lesquels la demande de résiliation anticipée a été rejetée et la demande reconventionnelle de requalification du contrat déclarée irrecevable, arrêt confirmé par arrêt de la Cour de cassation du 20 septembre 2017.

Il en ressort aussi que la SARL Noura Ima, le 21 septembre 2017, a fait signifier à l'IMA une demande de renouvellement de bail commercial, demande à laquelle ce dernier a répondu par acte du 18 décembre 2017.

En d'autres termes et comme la SARL Noura Ima l'indique en page 14 de ses conclusions, la nature juridique du contrat liant les parties est 'au coeur du litige depuis plusieurs années'.

Il s'ensuit, au vu de ce contexte particulier et des conclusions communiquées par la SARL Noura Ima devant le premier juge le jour de l'audience, que le moyen tiré de la violation du principe du contradictoire n'est pas fondé.

Sur la demande d'expulsion

La SARL Noura Ima soutient en substance les éléments suivants :

- la nature juridique du contrat qui la lie à l'IMA est contestée et la qualification de ce contrat ne relève pas des pouvoirs du juge des référés ;

- au vu de cette contestation, la demande d'expulsion de l'IMA ne saurait être accueillie comme devant faire cesser un trouble manifestement illicite ;

- le juge du fond a été saisi de cette question dans le cadre d'une instance introduite à jour fixe par l'IMA et elle doit être plaidée le 28 juin 2018;

- la thèse de l'IMA ne s'impose pas au regard des moyens développés par les parties ;

- sa demande de requalification du contrat en contrat de bail commercial ne saurait se voir opposer la prescription puisqu'elle est présentée en défense à une demande d'expulsion ; en outre, la qualification du contrat litigieux en prestation de service constitue une fraude qui rend la prescription inopposable ;

- le classement de l'immeuble de l'IMA dans le domaine public est contesté, comme le prouve le rapport d'information du Sénat du 28 mai 2008; l'IMA est une personne privée et l'immeuble litigieux relève du domaine privé;

- elle est seule propriétaire du fonds de commerce qu'elle a créé et immatriculé au RCS et elle a investi 1,2 millions d'euros pour l'aménager ; l'IMA ne lui a pas fourni le matériel technique, les équipements de cuisine ou les couverts et vaisselles nécessaires à l'exploitation du restaurant; elle a dû refaire l'intégralité de ses trois espaces de restauration et aménager les locaux selon son propre concept et ses codes de couleurs;

- l''IMA n'assure pas son approvisionnement en marchandises, elle choisit librement ses fournisseurs, elle emploie un personnel suffisant pour l'exploitation du fonds de commerce, elle le recrute librement, paie les salaires et les charges sociales et exerce exclusivement le pouvoir disciplinaire sans aucune ingérence de l'IMA;

- elle exploite le fonds de commerce à ses risques et périls, ainsi qu'il est prévu à l'article 8.1 du contrat ;

- elle dispose d'une clientèle propre, indépendante de celle de l'IMA et elle réalise un chiffre d'affaires de 2 millions d'euros ;

- les contraintes invoquées par l'IMA n'excluent pas la qualification de bail commercial ;

- le refus de renouvellement que l'IMA lui a notifié lui ouvre un droit au maintien dans les lieux en vertu de l'article L 145-28 du code de commerce.

L'IMA réplique en résumé ce qui suit :

- le contrat conclu par les parties a expiré le 30 septembre 2017 à minuit et le successeur de la SARL Noura Ima, la société Miyou, qui a remporté l'appel d'offres lancé en 2015, attend pour entrer dans les lieux ;

- le contrat conclu avec la SARL Noura Ima est un contrat de concession et prévoit expressément qu'il ne s'agit pas d'un bail commercial ;

- toute demande de requalification est prescrite en application de l'article L 145-60 du code de commerce depuis 2009 ; la SARL Noura Ima ne démontre pas l'existence d'une fraude, c'est-à-dire de manoeuvres déloyales et d'une intention frauduleuse, l'appelante ayant été assistée par son conseil lors des appels d'offres et ayant admis la nature du contrat dans un courrier du 15 juin 2007;

- l'immeuble occupé par la SARL Noura Ima relève du domaine public et ne peut ainsi faire l'objet d'un bail commercial ; l'immeuble appartient à l'Etat et l'IMA, personne morale de droit privé à but non lucratif, exerce une mission de service public ;

- le contrat conclu par les parties ne réunit pas les conditions d'application du statut des baux commerciaux en ce qu'il s'agit d'une convention globale qui ne se limitait pas à l'exploitation du restaurant le Zyriabet imposait à l'appelante plusieurs obligations, notamment celle d'assurer la fonction de traiteur pour les réceptions de l'IMA; il s'ensuit que les obligations des parties ne sont pas celles d'un bailleur et d'un preneur au sens des articles 1719 et 1728 du code civil ;

- le fonds de commerce a été créé par l'IMA, lequel est propriétaire de la clientèle et de l'achalandage, des enseignes et des noms commerciaux ainsi que du matériel et de l'outillage ; en outre, la SARL Noura Ima n'a pas la jouissance permanente et continue des locaux mis à sa disposition et la publicité et la signalétique permises sont strictement limitées ;

- le contrat comporte des contraintes incompatibles avec le libre exercice d'une activité par la SARL Noura Ima : heures d'ouverture, noms des restaurants, liberté publicitaire, contrôle du comportement des employés, accord de l'IMA pour le recours au service d'un tiers.

La cour retiendra les motifs suivants.

Aux termes de l'article 809, alinéa 1er, du code de procédure civile, le juge des référés du tribunal de grande instance peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.

L'occupation du bien d'autrui sans droit ni titre constitue un trouble manifestement illicite.

Dans l'affaire examinée, s'il est constant que le contrat conclu par les parties le 1er octobre 2007 l'était pour une durée de dix ans et que celle-ci a expiré le 30 septembre 2017 à minuit, les parties s'opposent cependant sur sa qualification juridique, la SARL Noura Ima soutenant qu'il s'agit d'un bail commercial et se prévalant d'un droit au maintien dans les lieux en application de l'article L 145-28 du code de commerce.

Par ailleurs, il ne ressort pas avec l'évidence requise en référé l'absence de tout caractère sérieux de l'argumentation de la SARL Noura Ima, selon laquelle la qualification du contrat de prestations de services de restauration au regard notamment des aménagements qu'elle a dû réaliser dans les locaux mis à sa disposition et des clauses invoquées par l'IMA qui auraient pour effet d'écarter le statut des baux commerciaux, aient eu pour objet d'éluder l'application de ce statut et, partant, constituerait une fraude empêchant le délai de prescription de courir.

En outre, l'examen du point de savoir si l'immeuble dans lequel le contrat litigieux était exécuté est exclu du champ d'application des baux commerciaux en raison de son appartenance au domaine public au motif que l'IMA, personne morale de droit privé qui détient cet immeuble en vertu d'un bail emphytéotique, exerce ou non une activité de service public en faisant application de la méthode du faisceau d'indices ne relève pas du pouvoir d'appréciation du juge des référés.

Il en va de même des autres points de désaccords entre les parties, tels que celui de savoir si la SARL Noura Ima, qui a exploité les lieux mis à sa disposition moyennant le paiement d'une redevance fixe annuelle de 150000 euros hors taxes, a exploité ou non un fonds de commerce lui appartenant, caractérisé notamment par une clientèle propre, au regard de sa réputation soulignée par l'ancien président de l'IMA dans sa déclaration au Sénat du 28 mai 2008 et de son chiffres d'affaires, soit plus de 114000 euros au mois d'avril 2018, selon les chiffres cités par l'intimé.

Et cela d'autant moins que la question de la qualification du bail conclu par les parties est actuellement pendante devant le juge du fond, saisi en urgence par l'IMA et qu'elle doit être plaidée le 28 juin 2018.

Au vu de ces considérations, il sera retenu que l'occupation par la SARL Noura Ima des lieux mis à sa disposition en vertu du contrat conclu par les parties le 1er octobre 2007 ne constitue pas un trouble manifestement illicite, de sorte qu'il sera dit n'y avoir lieu à référé sur la demande d'expulsion de ladite SARL par l'IMA.

Partant, il sera dit aussi n'y avoir lieu à référé sur la demande de l'IMA visant à voir enjoindre à la société Noura Ima de communiquer à la société Miyou l'organigramme de ses salariés précisant les postes concernés, le nombre d'agents, la nature des contrats de travail, les rémunérations, l'ancienneté, les droits acquis ainsi que la convention collective sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification de la présente décision.

Sur l'appel incident de l'IMA

Il résulte des considérations qui précèdent que l'occupation par la SARL Noura Ima de la terrasse du 9ème étage de l'immeuble de l'IMA et la présence des meubles de celle-ci sur cette terrasse ne constituaient pas un trouble manifestement illicite.

Il s'ensuit que l'IMA n'était pas fondé à débarrasser ces meubles en se prévalant de l'article 15 du contrat alors que la nature du bail liant les parties et, partant, l'expiration du droit d'occupation de celle-ci étaient contestées par la SARL Noura Ima et qu'aucune décision de justice n'avait encore été rendue sur ces points.

En se faisant ainsi justice à elle-même, l'IMA a causé un trouble manifestement illicite à la SARL Noura Ima.

Cette dernière est donc en droit d'obtenir la cessation de ce trouble par la condamnation de l'IMA à remettre ses meubles sur la terrasse du 9ème étage de l'immeuble.

La SARL Noura Ima soutient qu'une partie des meubles ont été remis en place le 4 mai 2018 et qu'il manque 15 tables, 15 chaises, 2 parasols, 8 jardinières 12 plateaux et 2 chauffages parasols.

L'IMA ne fournit pas d'explication sur ce point ni ne conteste cette liste de meubles manquants.

L'ordonnance attaquée doit, par conséquent, être confirmée en ce qu'elle a ordonné à la fondation l'IMA de remettre en place l'ensemble des tables, chaises, parasols et jardinières achetés par la société Noura Ima et qui se trouvaient sur la terrasse du 9ème étage de l'immeuble de la fondation avant leur enlèvement le 11 avril 2018 sous astreinte de 8000 euros par jour de retard passé un délai de 24 heures à compter de la signification de la présente décision sauf à réduire en cause d'appel le nombre de ces meubles à 15 tables, 15 chaises, 2 parasols, 8 jardinières 12 plateaux et 2 chauffages parasols et à limiter la durée de l'astreinte à trois mois.

Sur la demande à titre de dommages et intérêts

Selon l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile, le juge des référés du tribunal de grande instance peut accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.

La SARL Noura Ima expose avoir perdu un chiffre d'affaires et la marge y afférente, à savoir 80 % du chiffre d'affaires et invoque au soutien de sa réclamation d'une somme de 30000 euros les chiffres d'affaires en fonction de la météo des années 2015, 2016, 2017 ainsi que l'état des réservations et annulations depuis le 11 avril 2018.

Ces éléments ne permettent pas, cependant, d'établir avec la certitude requise en référé que l'enlèvement par l'IMA des meubles litigieux sur la terrasse litigieuse lui a causé un préjudice financier.

Il sera dit, par conséquent, n'y avoir lieu à référé sur sa demande de provision à titre de dommages et intérêts pour les motifs qui précèdent et qui se substituent à ceux de l'ordonnance attaquée.

Sur les dépens et les frais de procédure

L'IMA, dont les demandes sont rejetées, devra supporter les dépens de première instance et d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.

L'équité commande de décharger la SARL Noura Ima des frais non compris dans les dépens qu'elle a dû engager dans le cadre du présent litige et de lui allouer ainsi, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 5000 euros.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME l'ordonnance rendue le 4 mai 2018 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris en ce qu'il a ordonné à la fondation l'Institut du Monde Arabe de remettre en place l'ensemble des tables, chaises, parasols et jardinières achetés par la SARL Noura Ima et qui se trouvaient sur la terrasse du 9ème étage de l'immeuble de la fondation avant leur enlèvement le 11 avril 2018 sous astreinte de 8000 euros par jour de retard passé un délai de 24 heures à compter de la signification de cette ordonnance, sauf à réduire en cause d'appel la portée de cette condamnation à 15 tables, 15 chaises, 2 parasols, 8 jardinières 12 plateaux et 2 chauffages parasols et à limiter la durée de l'astreinte à trois mois;

La CONFIRME également en ce qu'elle a rejeté la demande de dommages et intérêts de la SARL Noura Ima ;

INFIRME l'ordonnance pour le surplus ;

Statuant à nouveau et ajoutant à celle-ci,

DIT n'y avoir lieu à référé sur les demandes de l'Institut du Monde Arabe visant à voir juger que la SARL Noura IMA devra libérer de sa personne et de ses biens ainsi que tous occupants de son chef les lieux occupés dans l'immeuble de la fondation situé [...] [...] dans un délai de deux mois à compter de la signification de la présente décisionet autoriser l'Institut du Monde Arabe à faire procéder à l'expulsion de la société Noura IMA, avec le concours de la force publique, si besoin est, faute pour celle-ci de quitter les lieux dans le délai indiqué et celui-ci passé;

DIT n'y avoir lieu à référé sur la demande de l'Institut du Monde Arabe visant à voir enjoindre à la société Noura Ima sous astreinte de communiquer à la société Miyou l'organigramme de ses salariés précisant les postes concernés, le nombre d'agents, la nature des contrats de travail, les rémunérations, l'ancienneté, les droits acquis ainsi que la convention collective ;

CONDAMNE l'institut du Monde Arabe aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la SARL Noura Ima la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 18/09264
Date de la décision : 05/07/2018

Références :

Cour d'appel de Paris A2, arrêt n°18/09264 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-07-05;18.09264 ?
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