La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/06/2018 | FRANCE | N°16/16859

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 28 juin 2018, 16/16859


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











COUR D'APPEL DE PARIS





Pôle 2 - Chambre 1





ARRÊT DU 28 JUIN 2018





AUDIENCE SOLENNELLE





(n° 312 , 10 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : 16/16859





Décision déférée à la Cour : Décision du 05 Juillet 2016 - Conseil de discipline des avocats de PARIS





DEMANDEUR AU RECOURS <

br>




Monsieur Didier X...


[...]





né le [...] [...]





Comparant





Assisté de Me Jean-Yves Y... de la SCP LUSSAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0077








DÉFENDEUR AU RECOURS





LE BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOC...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1

ARRÊT DU 28 JUIN 2018

AUDIENCE SOLENNELLE

(n° 312 , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 16/16859

Décision déférée à la Cour : Décision du 05 Juillet 2016 - Conseil de discipline des avocats de PARIS

DEMANDEUR AU RECOURS

Monsieur Didier X...

[...]

né le [...] [...]

Comparant

Assisté de Me Jean-Yves Y... de la SCP LUSSAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0077

DÉFENDEUR AU RECOURS

LE BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS DE PARIS

[...]

Représenté et plaidant par Me Benoît Z..., avocat au barreau de PARIS, toque : E0291

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Avril 2018, en audience tenue en en audience publique, devant la Cour composée de:

- M. Christian HOURS, Président de chambre

- M. Daniel FARINA, Président de chambre

- Mme Anne LACQUEMANT, Conseillère

- Mme Marie-Caroline CELEYRON-BOUILLOT, Conseillère

- M. Marc BAILLY, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Lydie SUEUR

MINISTERE PUBLIC :

L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur Michel SAVINAS, Substitut Général, qui a fait connaître son avis et qui n'a pas déposé de conclusions antérieurement à l'audience.

Par ordonnance en date du 04 Septembre 2017, le Bâtonnier de l'Ordre des Avocats de Paris a été invité à présenter ses observations.

DÉBATS : à l'audience tenue le 12 Avril 2018, on été entendus :

- Monsieur HOURS, en son rapport

- Monsieur X...,

- Maître Y...,

- Maître Z...,

- Monsieur SAVINAS,

en ses observations

- Maître Y... a eu la parole en dernier, Monsieur X... n'ayant pas d'autre observation.

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Christian HOURS, Président de chambre et par Lydie SUEUR, Greffière présent lors du prononcé.

* * *

M. Didier X..., né le [...] [...] , inscrit le [...] sur la liste des conseils juridiques, a été admis, le 1er janvier 1992, au tableau de l'ordre des avocats de Paris, en application des dispositions de la loi du 31 décembre 1990.

M. X... a accepté en 1995 de présider un tribunal arbitral, où il était assisté de deux co-arbitres, M. Pierre A..., notaire de la famille B... et M. Marc C..., architecte et professeur à l'Ecole des arts décoratifs de Paris, décédé depuis, dans un litige opposant MM. Victor B..., André B... et Jean-Pierre B..., héritiers de Mme Claire D..., décédée le [...] , à la Fondation B...,

Mme Claire D... était l'épouse de l'artiste de renommée mondiale, Victor B..., né [...] , considéré comme le père de l'art optique.

Victor B... et Claire D... ont eu ensemble deux enfants : André (époux d'Henriette) et Jean-Pierre (lui-même devenu peintre sous le nom d'M...).

Jean-Pierre B... a eu lui-même, en 1960, un fils prénommé Pierre d'un premier mariage et s'est marié en secondes noces avec Mme Michèle E....

Victor B... avait créé, dans les années 1970, la Fondation B... par des actes reçus par Me Pierre A..., le notaire précité.

Avec son épouse, Claire D..., ils avaient fait donation à la Fondation B..., de 1971 à 1991, d'une importante collection d'oeuvres de B... (originaux et sérigraphies), lui apportant en outre le droit au bail d'un terrain sur lequel fut édifié l'immeuble de la Fondation à Aix en Provence, dont ils ont également financé la construction.

La Fondation B... a été reconnue d'utilité publique par décret du 27 septembre 1979.

Elle a été dirigée successivement par Victor B..., lui-même (1979 à 1981), par Charles F... (1981 à 1993) dont la gestion a donné lieu à des poursuites pénales, puis par un administrateur provisoire (avril 1993 à avril 1994), puis par Gérard G..., professeur de l'université d'Aix en Provence (avril 1994 à janvier 1995), par André H... (janvier à avril 1995) puis par Mme Michèle E..., épouse B... (à compter du conseil d'administration du 24 avril 1995).

L'arbitrage dans lequel M. X... est intervenu a été mis en oeuvre à la suite d'un compromis du 19 juin 1995 dont le principe avait été arrêté lors d'une réunion du conseil d'administration du 16 juin 1995, à laquelle participaient :

- Michèle E..., épouse B...,

- Victor B..., l'artiste, alors âgé de 81 ans, sous la tutelle de son fils, Jean-Pierre,

- Jean-Pierre B..., représenté par Michèle B...,

- Henriette B..., représentée par Michèle B...,

- M. I..., sous-préfet d'Apt,

- M. J..., représentant la DRAC et le ministère de la culture

- le représentant des communes d'Aix en Provence et de Gordes,

- le professeur Gérard G...,

- Me A..., le notaire précité, administrateur de la Fondation depuis l'origine.

M. Yann K..., avocat, était mentionné présent.

Les héritiers de Claire B... demandaient que soient rapportées à sa succession les donations consenties à la Fondation, qui excédaient selon eux la quotité disponible.

M. K... a été entendu comme sachant par le tribunal arbitral.

Par sentence du 11 décembre 1995, le tribunal arbitral, présidé par M. X..., a notamment:

- dit qu'en l'absence de contestation de la Fondation sur le détail des donations, le tableau récapitulatif de celles-ci, produit par les demandeurs, sera le fondement de la détermination de la masse et de l'imputation des réductions ;

- considéré qu'il serait 'coûteux, polémique et inutile' de recourir à une expertise de l'ensemble des donations pour en déterminer la valeur ;

- dit qu'il convenait de se référer à la cote officielle que Victor B... établissait chaque année pour ses oeuvres ;

- tenu compte, pour les oeuvres données ou aliénées par la Fondation, de la valeur des oeuvres et non de leur prix de vente ('les demandeurs n'ayant pas à supporter la gabegie de la Fondation') ;

- décidé de retenir pour les sérigraphies une valeur moyenne de 2 000 francs et pour les 798 études présentes à la Fondation une valeur moyenne triple, soit 6 000 francs ;

- retenu une valeur de 20 000 francs au m pour le bâtiment ;

- arrêté les comptes entre les parties et fait ressortir que la Fondation était redevable à l'égard des consorts B... de la somme de 166 903 706 francs.

Par une nouvelle sentence du 7 février1996, le tribunal arbitral a rectifié cette somme à 146505520 francs.

Victor B... est décédé le [...] .

Son fils, Jean-Pierre B..., est décédé [...] .

Par ordonnance du 25 octobre 2007, sur la requête de M. Pierre B..., fils de Jean-Pierre B..., le président du tribunal de grande instance d'Aix en Provence a désigné Me Xavier L..., en qualité d'administrateur provisoire de la Fondation B....

Me L... a considéré que la Fondation avait été privée, au profit des héritiers B..., de la plus grande partie de ses oeuvres par l'arbitrage dont il a été fait état, qu'il jugeait frauduleux comme fictif et a, le 21 avril 2008, fait assigner Mme Michèle B..., MM. André et Pierre B... en annulation des sentences arbitrales.

Par arrêt du 27 mai 2014, la cour d'appel de Paris a, en définitive, annulé pour fraude la sentence arbitrale du 11 décembre 1995, ainsi que la sentence arbitrale rectificative du 7 février 1996.

Par arrêt du 4 novembre 2015, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi interjeté contre cette décision par Mme Michèle B....

Dans son arrêt de 2014, la cour d'appel de Paris avait relevé les six éléments suivants qu'elle a regardés comme suffisants pour caractériser le concert frauduleux des parties à l'arbitrage et décider que celui-ci participait d'un simulacre mis en place par les héritiers B... pour favoriser leurs intérêts au détriment de ceux de la Fondation :

- la situation de conflit d'intérêt dans lequel se trouvait Mme Michèle B..., représentant la Fondation à l'arbitrage, alors qu'elle avait reçu, le 1er août 1995, mandat rémunéré des consorts B... de gérer, administrer les oeuvres de Victor B... qu'ils détenaient ou seraient amenés à détenir pour quelque raison que ce soit et d'en disposer ;

- la nomination comme arbitre de Me A..., notaire de la famille B..., membre de la Fondation depuis l'origine, qui avait reçu l'acte de constitution de la Fondation, ainsi que l'ensemble des actes de donation, puis établi la déclaration de succession de Claire B..., la circonstance que toutes les parties aient accepté cette nomination en ne voulant pas y voir une cause de récusation, 'loin de constituer un motif de validation de sa nomination doit au contraire être regardée comme participant du processus frauduleux mis en place' ;

- le fait que 'pour valoriser une très importante quantité d'oeuvres d'art qui nécessitait une connaissance approfondie de ce marché spécifique', le tribunal arbitral s'est abstenu de recourir à une expertise, 'alors même qu'aucun de ses membres n'était qualifié en ce domaine, M. A... étant notaire, M. C..., architecte et M. X..., avocat, conseil en droit des sociétés';

-le fait que pour évaluer à 20 000 francs le m la valeur du bâtiment de plus de 4 000 m abritant la Fondation à Aix en Provence, le tribunal arbitral n'a recouru à aucune expertise ni avis technique ;

-l'audition comme seul sachant de M. Yann K..., motif pris de sa compétence en matière de droit des associations et fondations, 'alors qu'il était présent lors du conseil d'administration du 16 juin 1995, chargé par les héritiers B... de la défense de leurs intérêts auprès de l'administration fiscale, d'une très grande proximité avec Michèle B... révélée par un courrier du 30 avril 1999 dans lequel celle-ci le qualifiait 'd'allié et bien plus' et que les très importants honoraires de ce conseil devaient être réglés sous forme d'oeuvres de Victor B...;

- la décision prise lors du conseil d'administration de la Fondation du 12 février 1996 de renoncer à l'appel de la sentence 'en dépit des réserves exprimées par certains représentants des autorités de l'Etat'.

Le 30 novembre 2015, une procédure disciplinaire a été ouverte par le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris, autorité de poursuite, à l'encontre de M. X....

Il était reproché à M. X... d'avoir sciemment méconnu les règles de sa profession en participant à la juridiction arbitrale instituée pour statuer sur les différends survenus entre la Fondation B... et certains des héritiers du peintre dans les conditions résultant des constatations de l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 27 mai 2014 et de celui de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation en date du 4 novembre 2015, faits contraires aux principes essentiels de prudence, dignité, conscience, indépendance, probité, honneur, loyauté, résultant de l'article 1-3 du règlement intérieur national.

Par arrêté du 5 juillet 2016, le conseil de discipline des avocats de Paris, dans sa formation de jugement n°1, a :

- ordonné la jonction des incidents au fond ;

- donné acte à la défense de M. X... qu'il n'y a pas d'obstacle à ce que siège M. Chemla, secrétaire de la formation disciplinaire, ancien secrétaire de la formation d'instruction ;

- rejeté les exceptions de nullité ;

- donné acte à l'autorité de poursuite de sa demande ;

- constaté que ne peuvent être poursuivis les faits visés en ce qu'ils constitueraient des manquements aux principes de prudence, de compétence ou de diligence, au titre de l'article 1.3 du RIN reprenant l'article 1.3 du règlement intérieur du barreau de Paris (RIBP);

- écarté des débats et du dossier les courriers du bâtonnier et du bâtonnier doyen parvenus postérieurement à la délivrance des citations ;

- constaté l'amnistie qui s'attache aux faits visés au point 4.4 de la citation ;

- constaté que ne peuvent être poursuivis les faits visés au point 4-1, 4-2 et 4-3 de la citation qu'en tant qu'ils sont susceptibles de constituer des manquements à l'honneur ;

- dit que M. Didier X... s'est rendu coupable de manquements au principe essentiel d'honneur de la profession et a en conséquence violé l'article 1.3 du RIN en ce qu'il reprend l'article 1.3 du RIBP ;

- prononcé à l'encontre de M. Didier X... la sanction de l'interdiction temporaire d'exercice pour une durée de 24 mois, assortie en totalité du sursis ;

- prononcé à l'encontre de M. Didier X..., à titre de sanction accessoire, la privation du droit de faire partie du conseil de l'ordre, du Conseil national des barreaux, des autres organismes professionnels et de se présenter aux fonctions de bâtonnier ou de vice-bâtonnier pendant une durée de 7 ans.

Le conseil de discipline a notamment relevé que :

- il s'agissait d'arbitrer une affaire de succession et de fondation pour lesquelles M. X... se reconnaît aussi peu d'expérience que de science juridique ;

- cette affaire, portant sur des enjeux financiers considérables, était connotée depuis plusieurs années d'aspects pénaux médiatiquement retentissants qu'il ne pouvait pas méconnaître ;

- M. X... n'avait jamais été juge et encore moins président d'un tribunal arbitral, la référence à des arbitrages ordinaux de contestations d'honoraires étant dénuée de sérieux;

- il ne s'est pas interrogé sur le point de savoir si ce cumul de ses propres inexpériences pour prendre en charge dans ce contexte un tel arbitrage sur de tels sujets ne pouvait pas être la raison pour laquelle M. Yann K..., qu'il indique ne pas connaître particulièrement bien, le sollicitait;

- dans ce contexte et ces conditions, il n'a pas tenu compte sciemment, fût-ce comme facteur supplémentaire de risque, des multiples et graves conflits d'intérêts affectant même l'un de ses co-arbitres dont témoignait notamment le procès-verbal du conseil d'administration de la Fondation du 16 juin 1995 dont il reconnaît avoir pris connaissance, ne pouvant exciper à ce propos du silence ou de l'accord des personnes publiques à cette solution arbitrale lors du conseil d'administration pour expliquer son attitude, sans souligner qu'il abdiquait ainsi sa qualité, sa mission et ses devoirs d'avocat ;

- l'acceptation d'un tel arbitrage sans honoraires constitue au regard des enjeux et du contexte un élément confirmant l'abdication de ses devoirs;

- en acceptant la sollicitation de son confrère, M. Yann K..., en menant en néophyte cette mission de président du tribunal arbitral pour, comme il le reconnaît à l'audience, rendre service, il a exposé sa profession à un grave risque d'atteinte à sa considération ;

- les faits susvisés dans les limites énoncés sont dès lors constitutifs d'atteinte à l'honneur;

- la circonstance que M. X..., en acceptant la sollicitation incongrue de M. K..., aurait commis un pêché d'orgueil, y ayant vu l'occasion d'un statut à gagner, en souligne la gravité.

Pour l'appréciation de la peine et l'application du sursis couvrant la totalité de la sanction d'interdiction temporaire de deux ans, le conseil de discipline a relevé que M X... exerce sa profession sans tache depuis plus de 32 années, a une excellente réputation professionnelle, ainsi que de confraternité et de courtoisie, qu'il s'est beaucoup dévoué à la profession dans des fonctions syndicales et ordinales, que les manquements retenus constituent un événement exceptionnel et unique de son parcours et ont procédé de la sollicitation flatteuse d'un avocat de souche confirmé, que ses manquements remontent à plus de 29 ans.

Par courrier du 4 août 2016, reçu le 5, M. X... a interjeté appel contre cette décision, qui lui avait été notifiée le 6 juillet 2016.

Il soulève la nullité de l'acte de poursuite, du rapport d'instruction, de la citation et conclut à l'annulation de la décision du 5 juillet 2016. Subsidiairement, il argue de l'illégalité de l'article 277 du 27 novembre 1991, de la prescription de la poursuite. Plus subsidiairement, il demande à la cour de renvoyer l'examen de l'illégalité de l'article 275 du décret, en ce qu'il se rapporte à la matière disciplinaire, à l'examen du Conseil d'Etat. Encore plus subsidiairement, il demande à la cour de dire que les faits reprochés sont amnistiés par application de la loi du 6 août 2002. Enfin, il considère qu'aucun manquement déontologique ne peut lui être reproché, de sorte qu'il sollicite l'infirmation de la décision attaquée et que la cour dise n'y avoir lieu à poursuite.

Le bâtonnier soutient que la procédure est parfaitement valable et que M. X... aurait dû refuser de participer à ce tribunal arbitral et qu'avoir laissé associer le nom d'un avocat à un tel arbitrage est attentatoire à l'honneur et à la probité. Il conclut à la confirmation de la décision critiquée.

Le ministère public a conclu au rejet des moyens soulevés par M. X... et à la confirmation de la sentence arbitrale contestée.

Le conseil de M. X... et ce dernier ont eu la parole en dernier.

SUR CE,

La Cour,

Considérant que le recours interjeté par M. X... dans les formes et délais légaux est recevable ;

Considérant que M. X... soulève la nullité de la procédure ouverte contre lui, aux motifs que les conditions prévues par l'article 187 du décret n'ont pas été respectées, que le bâtonnier ne peut saisir la formation disciplinaire que s'il est témoin d'un comportement déontologique susceptible de donner lieu à poursuite ou s'il est saisi d'une plainte du parquet général ou de toute personne intéressée ;

Mais considérant que, ainsi que le fait valoir le ministère public, une réclamation n'est pas nécessaire pour que le bâtonnier puisse exercer des poursuites disciplinaires ; qu'il suffit qu'il ait eu connaissance de faits susceptibles de constituer une contravention aux lois et règlements, une infraction aux règles professionnelles, un manquement à la probité, à l'honneur ou à la délicatesse, même se rapportant à des faits extra-professionnels ;

Considérant que la réalisation d'une enquête déontologique préalablement à des poursuites disciplinaires n'est par ailleurs qu'une possibilité offerte par l'article 187 du décret du 27 novembre 1991 et non une obligation ;

Considérant en conséquence que le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris, autorité de poursuite, ayant, dans le cadre de ses fonctions, pris connaissance d'un arrêt exécutoire de la cour d'appel de Paris, rendu publiquement, après des débats publics, dans une affaire très médiatisée, qui constitue un fait juridique, ayant annulé un arbitrage réalisé par un tribunal présidé par un avocat au barreau de Paris, au motif que cet arbitrage devait être regardé comme participant d'un simulacre mis en place par les héritiers B... pour favoriser leurs intérêts au détriment de ceux de la Fondation B..., faisant ainsi expressément état de l'existence d'une fraude, a pu valablement estimer qu'il y avait lieu à l'ouverture d'une procédure disciplinaire sans qu'il soit nécessaire d'ordonner préalablement une enquête déontologique ;

Considérant qu'il n'existe pas de ce chef de motif de nullité de la poursuite disciplinaire;

Considérant ensuite que M. X... soutient que l'acte de poursuite est nul pour absence de motivation en ce qu'il se borne à lui reprocher d'avoir sciemment méconnu les règles de sa profession en participant à la juridiction arbitrale instituée pour statuer sur les différends survenus entre la Fondation B... et certains des héritiers du peintre dans les conditions résultant des constatations de l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 27 mai 2014 et de celui de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 4 novembre 2015, faits contraires aux principes essentiels tels que résultant de l'article 1.3 du règlement intérieur national de prudence, de dignité et de conscience, d'indépendance, de probité, d'honneur et de loyauté ;

Considérant que l'acte de poursuite, qui faisait référence aux constatations faites dans l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 17 mai 2014 et celui de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 4 novembre 2015, alors que l'arrêt de la cour d'appel, irrévocable, constituant un fait juridique opposable à tous, détaillait les éléments ayant amené cette juridiction à caractériser l'existence d'une fraude à l'arbitrage, comportait une motivation suffisante permettant à M. X... de savoir ce qui lui était reproché, de se défendre en apportant toutes les explications qu'il jugeait nécessaires, ce qu'il n'a pas manqué de faire; qu'il n'y a pas lieu dès lors d'en prononcer la nullité ;

Considérant que M. X... soutient que le rapport d'instruction disciplinaire est nul comme vague et manquant à l'impartialité ;

Considérant que, loin d'être vague et partial, le rapport critiqué, qui ne propose pas six griefs mais se borne à reprendre ceux figurant dans la décision de la cour d'appel à la base de la poursuite, recense précisément les éléments à décharge (autorité relative de la chose jugée de l'arrêt, absence de connaissance par M. X... du mandat rémunéré de gestion entre les héritiers B... et la présidente de la Fondation B... avec la précision que les dénégations de M. X... ne sont infirmées par aucune déclaration de témoin, caractère pro bono de la mission d'arbitre dont il est précisé qu'il s'agit d'un élément qui n'est pas démenti par les pièces du dossier) comme les éléments à charge (circonstances de la désignation de M. X... comme arbitre, audition de M. K... comme sachant, présence de Me Pierre A... au sein du tribunal arbitral, autres anomalies telles que le non-respect des délais prévus pour l'arbitrage, absence d'expertise pour évaluer les oeuvres d'art et l'immeuble, contradiction entre les arbitres sur les modalités de l'arbitrage, nomination de M. X... comme président du tribunal arbitral, alors qu'il n'a pas d'expérience en ce domaine) ;

Considérant que ce rapport, qui mentionne les éléments favorables à M. X... comme ceux défavorables et qui précise laisser le soin à la formation de jugement de dire si la participation de M. X... à cet arbitrage en qualité de président doit être considérée comme un manquement à ses obligations déontolologiques, est suffisamment précis et équilibré pour ne pas encourir la nullité sollicitée ;

Considérant que M. X... critique ensuite la citation dont les termes ne lui permettaient pas d'être informé de façon précise des charges pesant contre lui et de leur qualification juridique, le privant d'un procès équitable ;

Mais considérant que, comme le souligne le ministère public, même si la citation est particulièrement développée, les manquements poursuivis sont clairement indiqués en pages 16, 17 et 18 de cet acte et les fondements juridiques précisés ; que la critique faite sur l'applicabilité en 1995 de l'article 1.3 du RIN est une critique de fond, qui n'entache pas la régularité de la citation ; qu'il convient d'ores et déjà à cet égard de souligner que l'article 1.3 du RIN, introduit après les faits reprochés, n'est que la reprise de l'article 1.3 du règlement intérieur du barreau de Paris, qui existait bien à l'époque des faits, à l'exception des principes de prudence, de compétence et de diligence et dont le non-respect était à lui seul susceptible d'entraîner des poursuites disciplinaires ;

Considérant que la citation renseignait ainsi M. X..., avocat, sur les faits reprochés et le fondement juridique invoqué, tandis que l'article 184 du décret du 27 novembre 1991 énonçant les sanctions encourues était également mentionné, de sorte qu'il pouvait utilement se défendre en toute connaissance de cause, ce qu'il a d'ailleurs fait ; que la citation n'est dès lors pas entachée de nullité ; que M. X... a pu bénéficier d'un procès équitable ;

Considérant que M. X... invoque à titre subsidiaire la fin de non-recevoir tirée de la prescription des faits ;

Considérant que si une sanction disciplinaire présente un caractère de punition, elle n'est pas pour autant une sanction pénale et ne relève pas de la procédure pénale ;

Considérant que si M. X... estime que l'absence de prescription pour les infractions disciplinaires commise par les avocats est contraire à la convention EDH, force est de constater que la Cour européenne des Droits de l'Homme, tout en estimant que, s'agissant de la procédure de révocation d'un magistrat pour parjure, l'absence d'un délai de prescription dans une telle matière constituait un risque grave au regard du principe d'insécurité juridique, est restée muette sur le point de départ d'un tel délai de prescription;

Considérant que la loi du 20 avril 2016 instituant en France un délai de prescription de trois ans pour la faute disciplinaire d'un fonctionnaire, à laquelle M. X... veut comparer la faute de l'avocat, prévoit que son point de départ est le jour de la connaissance par l'administration de l'infraction commise ;

Considérant en l'espèce que les conditions exactes de l'arbitrage litigieux n'ont été portées avec certitude à la connaissance de l'autorité de poursuite qu'à l'occasion de l'action en annulation de la sentence arbitrale et par l'arrêt de la cour d'appel de 2014 explicitant les raisons de la mise à néant de cet arbitrage ; qu'en conséquence il y a lieu de considérer, comme le ministère public, qu'à supposer qu'il faille appliquer aux infractions disciplinaires un délai de prescription de trois ans, le délai de prescription de l'infraction disciplinaire reprochée à M. X... n'aurait commencé à courir qu'à compter de l'arrêt du 27 mai 2014 ; que par suite l'action disciplinaire, engagée par le bâtonnier le 30 novembre 2015, ne peut être considérée comme prescrite ; qu'il y a lieu en conséquence de rejeter l'ensemble des demandes de M. X... afférentes à la prescription alléguée en ce compris la demande de renvoi au Conseil d'Etat de la légalité de l'article 277 du décret, dans sa version alors applicable, selon laquelle il est procédé comme en matière civile pour tout ce qui n'est pas réglé par le présent décret ;

Considérant sur l'amnistie intervenue le 6 août 2002, qu'ainsi que l'a justement relevé l'arrêté critiqué du 5 juillet 2016, les faits contraires à l'honneur ou à la probité ne sont pas amnistiables;

Considérant que les faits reprochés dans la citation, à l'exception de ceux mentionnés au paragraphe 4-4, visent expressément dans leur intitulé, notamment un manquement à l'honneur; qu'ils ne sont dès lors pas couverts d'emblée par l'amnistie précitée à l'exception de ceux visés au paragraphe précité qui, s'agissant de reproches purement techniques, ne sont manifestement pas des reproches contraires à l'honneur et ne seront par conséquent pas examinés, la sentence étant confirmée sur ce point ;

Considérant sur les faits eux-mêmes que la cour prend acte de la lettre du bâtonnier acceptant la contestation de M. X..., qui niait avoir reconnu devant le conseil de discipline qu'il avait accepté de présider le tribunal arbitral pour 'rendre service' ; qu'il convient de retenir que de telles paroles n'ont pas été prononcées ;

Considérant que l'arbitrage annulé a été décidé par le conseil d'administration de la Fondation pour se prononcer sur la réduction des donations faites par Mme Claire B..., excédant la quotité disponible ; que la procédure se faisait ainsi dans l'intérêt exclusif des consorts B..., qui souhaitaient récupérer une partie des oeuvres données par Mme B..., et au détriment de la Fondation B..., qui, de façon symétrique, devait les restituer, alors même qu'elle était exsangue sur le plan financier ;

Considérant que la Fondation B... était présidée par Michèle E..., épouse de Jean-Pierre B... et dès lors liée à un des héritiers B..., demandeurs à la réduction des donations ;

Considérant que Mme Michèle B..., malgré ses affirmations contraires, n'était objectivement pas dans la position de défendre les intérêts de la Fondation, de sorte qu'il aurait été nécessaire de désigner à la Fondation un représentant objectivement impartial ;

Considérant qu'une analyse, même sommaire de la situation aurait permis à M. X... de constater que les intérêts de la Fondation B..., n'étaient objectivement pas convenablement représentés, ce qui aurait dû, comme avocat, l'amener à refuser d'intervenir dans ces conditions ;

Considérant par ailleurs que l'arbitre, même choisi par une partie, doit rester indépendant, une telle qualité, étant comme le rappelle l'arrêt du 27 mai 2014 de cette cour, consubstantielle à l'arbitrage ; que le notaire choisi comme l'un des arbitres était au contraire particulièrement impliqué dans l'affaire puisqu'il était le rédacteur de l'ensemble des actes de donation remis en question et qu'il avait été membre du conseil d'administration de la Fondation depuis l'origine; que le choix de cet arbitre aurait dû également constituer un obstacle dirimant pour l'acceptation de la présidence du tribunal arbitral ;

Considérant encore que M. X... ne pouvait ignorer que la Fondation B... avait connu de très graves vicissitudes dans le passé, ayant été victime des agissements très préjudiciable d'un ancien président, M. F..., condamné pénalement ; que l'existence d'un tel passif aurait dû inciter l'appelant à redoubler de vigilance et à se montrer particulièrement exigeant sur les garanties devant être apportées pour assurer un déroulement inattaquable de l'arbitrage;

Considérant que M. X..., qui n'était intervenu jusque là que pour réaliser des arbitrages, à arbitre unique, en matière de conflits à propos d'honoraires, ne pouvait pas sérieusement estimer que cette expérience, pour intéressante et importante qu'elle fût, suffisait à le préparer pour mener à bien une procédure d'arbitrage complexe, portant sur des sommes très importantes, à la tête d'un tribunal arbitral, dans le domaine de l'art et des fondations qu'il ne connaissait pas professionnellement, puisqu'il intervient essentiellement en droit des sociétés et où ne figurait pas de spécialiste de la matière litigieuse ;

Considérant que la garantie minimale exigible aurait été, au regard des sommes importantes en cause et de l'incompétence des arbitres dans ce domaine particulier, de diligenter des expertises incontestables, tant pour évaluer les oeuvres d'art en cause que les autres donations faites par Mme B... (terrain, droit au bail, constructions...), afin de chiffrer le montant des réductions de donations à faire ; que les éléments d'appréciation dont s'est contenté M. X..., président de l'instance arbitrale, étaient manifestement insuffisants pour disposer de telles évaluations objectives et actuelles, étant rappelé que l'artiste Victor B..., censé connaître la valeur de ses oeuvres, était à l'époque placé sous tutelle et que les évaluations de tiers dont il a été fait utilisation étaient partielles car très ponctuelles et relativement anciennes (1990) ; que l'impécuniosité dans laquelle se trouvait la Fondation ne justifiait pas une telle carence et imposait au contraire de rechercher d'autres modalités acceptables pour le financement d'une mesure d'instruction ;

Considérant enfin que le fait pour M. X... de n'avoir pas été rémunéré pour le poste de président du tribunal arbitral ne diminue en rien le niveau des exigences qui aurait dû être le sien pour accepter cette fonction ;

Considérant que la cour estime, au vu de l'ensemble de ces éléments, qu'en acceptant dans les conditions rappelées, le poste de président du tribunal arbitral qui lui était proposé, dans une affaire particulièrement exposée, afin d'effectuer une mission, qu'il n'avait ni les moyens juridiques ni les moyens financiers de mener à bien, M. X... a gravement exposé sa qualité d'avocat et la réputation du barreau auquel il appartient, manquant ainsi à l'honneur ;

Considérant dès lors que la décision qu'il critique doit être confirmée en ce qu'elle l'a reconnu coupable de faits contraires à l'honneur ; qu'en revanche, il sera tenu compte des qualités de M. X... soulignées par le conseil de discipline, de sa bonne réputation professionnelle, du fait qu'il n'a pas fait l'objet de sanction ni avant les faits pendant 32 ans d'exercice, ni après ces faits, qui remontent à plus de 20 ans, pour diminuer très sensiblement le quantum de la sanction d'interdiction d'exercice, qui sera ramenée à une durée d'une année entièrement assortie du sursis ; que la sanction accessoire sera en revanche maintenue ;

PAR CES MOTIFS,

Déclare recevable le recours de M. X... ;

Le déboute de l'ensemble de ses exceptions et fins de non recevoir ;

Dit n' avoir lieu à renvoi au Conseil d'Etat pour examen de la légalité de l'article 277 du décret du 27 novembre 1991 ;

Confirme l'arrêté du conseil de discipline des avocats de Paris du 5 juillet 2016 sauf sur le quantum de la sanction principale prononcée ;

Statuant à nouveau, prononce à l'encontre de M. Didier X... la sanction de l'interdiction temporaire d'exercice pour une durée d'un an, assortie en totalité du sursis;

Laisse les dépens de l'instance à sa charge.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 16/16859
Date de la décision : 28/06/2018

Références :

Cour d'appel de Paris C1, arrêt n°16/16859 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-06-28;16.16859 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award