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19/06/2018 | FRANCE | N°16/09278

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 19 juin 2018, 16/09278


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRÊT DU 19 Juin 2018

(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/09278



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 Juin 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY RG n° 13/02072



APPELANT



Monsieur Olivier X...

[...]

né le [...] à TULLIN (38000)

représenté par Me Marie-Caroline Y..., avocat au barreau de PA

RIS, toque : E0397





INTIMEE



SAS AIGLE AZUR

[...]

représentée par Me Loïc Z..., avocat au barreau de PARIS, toque : K0168 substitué par Me Jérémie A..., avocat au barr...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRÊT DU 19 Juin 2018

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/09278

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 Juin 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY RG n° 13/02072

APPELANT

Monsieur Olivier X...

[...]

né le [...] à TULLIN (38000)

représenté par Me Marie-Caroline Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : E0397

INTIMEE

SAS AIGLE AZUR

[...]

représentée par Me Loïc Z..., avocat au barreau de PARIS, toque : K0168 substitué par Me Jérémie A..., avocat au barreau de PARIS, toque : K0168

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Avril 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Jacqueline LESBROS, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Sylvie HYLAIRE, présidente

Madame Valérie AMAND, conseillère

Madame Jacqueline LESBROS, conseillère

Greffier : Mme Laurie TEIGELL, lors des débats

ARRET :

- Contradictoire

- Mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- Signé par Madame Sylvie HYLAIRE, présidente, et par Mme Caroline GAUTIER, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS Aigle Azur a pour activité l'exploitation et la location d'aéronefs, stations-service et transports aériens ; elle propose des vols commerciaux sur plus d'une vingtaine de destinations y compris à l'étranger.

Monsieur Olivier X..., né le [...], a été engagé en contrat à durée indéterminée à compter du [...] aux conditions de la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises de transport aérien, en qualité de directeur des ressources humaines, coefficient 510, Groupe IIb, statut cadre.

L'article VI du contrat de travail indique que la rémunération est composée d'un fixe mensuel brut de 6.154 € pour une durée de travail fixée « forfaitaire tout horaire» plus un 13ème mois égal au salaire de base du mois et une rémunération variable annuelle dans la limite de 30.000 €, « son montant étant directement lié au degré de réalisation des objectifs qui lui sont assignés chaque année».

L'article XII du contrat de travail est relatif à la discrétion, la confidentialité et la concurrence.

Le 8 avril 2013, par mail et courrier remis en main propre, M. X... a pris acte de la rupture de son contrat de travail à effet immédiat ; dans le courrier, il fait référence à l'entretien qu'il a eu le 2 avril 2013 avec le président et invoque les faits suivants :

- le contrat de travail qui le lie à la SAS Aigle Azur n'est pas respecté ni dans l'esprit ni même dans la lettre,

- à l'issue de sa première année chez Aigle Azur, aucune rémunération variable ne lui a été attribuée au motif d'un seul objectif non atteint alors que dans le contrat, rien ne fonde une décision de «tout ou rien» et que cela aboutit à le priver de 30% de sa rémunération contractuelle,

- en mars 2013, alors qu'aucun objectif ne lui a été assigné, à nouveau aucune rémunération variable ne lui a été versée,

- la non application loyale du contrat de travail par la SAS Aigle Azur,

- la privation répétée d'une partie de sa rémunération sans qu'une explication ne lui ait été donnée au cours de son entretien annuel du 5 mars,

- les conséquences qui en résultent sur le plan de sa vie personnelle (obligation de mettre en vente sa résidence ne pouvant plus assumer le remboursement des échéances, répercussions sur sa santé, sa vie quotidienne et son entourage).

La SAS Aigle Azur a accusé réception de la prise d'acte de rupture le 9 avril 2013 en indiquant en contester les raisons invoquées.

M. X... a reçu la somme de 13.640,74 € le 29 avril 2013 à titre de solde tout compte, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail mentionnant sa sortie des effectifs le 8 avril 2013.

Par courrier en date du 30 avril 2013, le directeur général délégué a adressé un courrier à M. X..., rappelant les termes d'entretiens qu'ils avaient eus et indiquant avoir «finalement décidé de retenir votre succès sur les élections (...) et de vous octroyer une prime sur objectif de 10.000 € bruts, représentant ' seulement de ce que vous auriez pu obtenir avec un peu plus de bonne volonté et de meilleurs résultats. Nous avons ainsi tenu nos engagements contractuels et je considère que ce n'est pas votre cas. Cette prime sera versée sur votre solde de tout compte».

À la date des faits, la SAS Aigle Azur employait 651 salariés.

Le 16 mai 2013, M. X... a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny qui, par jugement rendu le 9 mars 2016, l'a débouté de l'intégralité de ses demandes.

M. X... a relevé appel de cette décision.

Il demande à la cour d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de :

- dire que la prise d'acte de rupture de son contrat de travail doit être requalifiée en licenciement aux torts exclusifs de la SAS Aigle Azur,

- dire que la SAS Aigle Azur ne lui a pas versé la partie variable de sa rémunération contractuellement due,

- dire qu'il a droit au paiement de la contrepartie financière de la clause de non concurrence,

- dire qu'il a effectué de nombreuses heures supplémentaires non déclarées et non payées au taux majoré,

- fixer son salaire moyen à la somme de 6.765,20 €,

- condamner la SAS Aigle Azur à lui délivrer sous astreinte une attestation Pôle Emploi, un bulletin de salaire rectifié,

- condamner la SAS Aigle Azur à lui payer les sommes suivantes assorties des intérêts légaux à compter de la saisine du bureau de conciliation, pour les demandes relatives à des éléments du salaire et à compter de la décision, pour les autres :

* 18.462 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 1.846,20 € au titre des congés payés afférents,

* 2.818,38 € à titre d'indemnité de licenciement,

* 1.538,50 € au titre du 13ème mois sur préavis outre 153,85 € pour congés payés afférents,

* 80.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 30.000 € à titre de rappel de bonus 2011/2012 outre 3.000 € au titre des congés payés afférents,

* 20.000 € à titre de rappel de bonus 2012/2013outre 2.000 € au titre des congés payés afférents,

* 64.453,36 € à titre de rappel d'heures supplémentaires outre 6.445,33 € au titre des congés payés afférents,

* 40.000 € à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

* 18.480 € en contrepartie de la clause non concurrence outre 1.848 € pour congés payés afférents

La SAS Aigle Azur demande à la cour de dire que la prise d'acte de son contrat de travail par M. X... produit les effets d'une démission, de le débouter de l'intégralité de ses demandes et de dire que M. X... ne caractérise aucune faute de l'employeur justifiant la rupture du contrat aux torts de la SAS Aigle Azur et en conséquence :

- de requalifier la prise d'acte de rupture en démission,

- de rejeter les demandes de M. X... et, à titre subsidiaire, de les réduire à de plus justes proportions.

- condamner M. X... à lui payer les sommes de :

* 18.462 € au titre du préavis non effectué,

* 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la prise d'acte de la rupture du contrat

La prise d'acte de la rupture du contrat par un salarié produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués par le salarié sont établis et caractérisent des manquements suffisamment graves de l'employeur à ses obligations empêchant la poursuite de la relation contractuelle. A défaut, la prise d'acte de la rupture produit les effets d'une démission.

En l'espèce, M. X..., qui a été embauché à compter du 1er mars 2011, invoque «le non respect répété et fautif de son contrat de travail » lui causant un préjudice financier et moral ; il fait grief à son employeur de ne lui avoir fixé aucun objectif précis que ce soit sur l'année 2011/2012 ou sur l'année 2012/2013 et de ne lui avoir jamais communiqué les données servant de base à sa rémunération variable.

La SAS Aigle Azur conteste les faits, soutenant qu'un directeur des ressources humaines doit demander à son employeur de lui fixer ses objectifs s'il estime ne pas les connaître, ce que n'a jamais fait Monsieur Olivier X... puisqu'il les connaissait parfaitement.

Pour justifier de ce qu'elle avait bien fixé des objectifs à Monsieur Olivier X..., la société invoque notamment un courrier du salarié en date du 24 mars 2013 qu'elle verse aux débats et dans lequel Monsieur Olivier X... écrit effectivement « En juin 2011, j'ai accepté des objectifs au rang desquels figurait l'élaboration d'un tableau de bord RH. Force a été de constater en mars 2012 que ce tableau de bord n'existait pas (....) Bref en mars 2012, j'avais beaucoup de raisons de penser que certes tous mes objectifs n'étaient pas tenus mais la plupart et donc que Jean-Louis [c'est le directeur général délégué, supérieur hiérarchique de M. X... ] pourrait m'accorder des circonstances atténuantes et me payer une partie significative de ma rémunération variable. Il n'en a rien été (...)».

La société fait valoir que parmi ces objectifs, figurait à titre principal celui de la réalisation du tableau de bord RH et justifie par exemple d'un mail adressé à M. X... le 19 septembre 2011 par le directeur général délégué, Jean- Louis B..., dans lequel ce dernier écrivait « En mai dernier tu as pris l'engagement de me remettre pour le 15 septembre, un tableau de bord RH sur le modèle qui est toujours affiché dans mon bureau. Cette date est révolue, tu n'as pas tenu ton engagement. J'attends désormais que tu me fasses une nouvelle proposition de calendrier» et ajoute qu'au-delà de cet objectif principal, les autres objectifs fixés étaient visés dans sa délégation de pouvoir, sa fiche de poste et la présentation de son activité professionnelle sur les réseaux.

L'employeur soutient que faisait partie des objectifs la réalisation des tâches figurant à la fiche de poste et dans la délégation de pouvoir.

Cependant, il ne justifie pas, au vu des pièces communiquées que M. X... n'aurait pas rempli les tâches énumérées en résultant qui constituent en fait les tâches basiques et le coeur de métier d'un DRH.

Au titre de l'année 2011/2012,la cour retient que M. X... ne peut pas contester, l'ayant lui-même reconnu dans sa lettre du 24 mars 2013 adressée au Président de la société, que des objectifs lui avaient bien été fixés et qu'il les connaissait puisqu'il indique que tous n'ont pas été tenus ; toujours dans son courrier du 24 mars 2013, le salarié indique que, trouvant la décision de ne pas lui attribuer de rémunération variable injuste, il avait néanmoins décidé de ne pas en référer au Président et qu'après discussions houleuses, le directeur général délégué lui avait proposé de renoncer à cette rémunération variable contre une augmentation de sa rémunération fixe de 5.000 €, ce qu'il avait trouvé scandaleux et avait refusé.

Le fait pour le salarié de ne pas avoir contesté officiellement l'absence d'attribution de bonus au titre de la rémunération variable ne le prive pas de son droit d'en réclamer ensuite le paiement, sa décision pouvant en outre, spécialement en l'espèce, se justifier par le souci de conserver son emploi, compte tenu de son peu d'ancienneté ;

Dès lors, la cour considère que les critères des objectifs à atteindre et les éléments servant de base à l'appréciation de leur atteinte n'avaient pas été clairement portés à la connaissance du salarié lors de la fixation «des objectifs» et qu'il n'avait pas été précisé que la réalisation du tableau de bord RH constituait sur l'année 2011/2012 à 100% la condition d'attribution d'une rémunération variable.

Dès lors, il appartient au juge de fixer souverainement au vu des éléments de la cause la somme allouée au salariée à ce titre.

En l'espèce et faute de référence possible par rapport aux années antérieures, s'agissant pour M. X... de sa première année et eu égard au fait qu'il a lui même reconnu dans le courrier cité ci-avant que « certes tous mes objectifs n'étaient pas tenus», la cour considère avoir les éléments nécessaires pour lui allouer la somme de 15.000 € au titre de la rémunération variable pour l'année 2011/2012 outre les congés payés afférents pour 1.500 €.

S'agissant de la rémunération variable 2012/2013, il ne résulte pas davantage des pièces communiquées que l'employeur avait porté à la connaissance du salarié les critères et modalités servant de base à la détermination de la partie variable de sa rémunération ; la seule mention dans le contrat de travail que le montant de la rémunération variable est directement lié au degré de réalisation des objectifs « qui lui sont assignés chaque année» ne constitue pas une détermination précise des éléments de base servant à mesurer le degré d'atteinte et la valeur accordée à chacun des objectifs dans la répartition.

Sans que la preuve contraire soit sérieusement rapportée par l'employeur, le salarié mentionne dans son courrier du 24 mars 2013 : « En 2012, je n'ai pas eu d'objectifs formalisés même aussi sommairement que cela avait été le cas en 2011» ; l'employeur rétorque dans son courrier du 30 avril 2013, donc postérieur à la prise d'acte de rupture du salarié, que des objectifs pour 2012/2013 avaient été fixés, laissant entendre qu'ils étaient connus du salarié : « l'objectif non atteint avait été reconduit ainsi qu'un deuxième objectif sur l'organisation des élections du Comité d'Entreprise et un troisième sur la signature d'accords avec les syndicats du personnel navigant de façon à relancer la dynamique contractuelle » ;

L'employeur indique dans ce courrier qu'au cours de l'entretien du 5 mars 2013 avec le salarié, avaient été retenu comme point positif le traitement des élections du comité d'entreprise qui se sont tenues en 2012, sans contestations judiciaires (les élections ont eu lieu les 31 janvier 2012 et 28 février 2012 pour le second tour) ; à ce titre, il décide postérieurement à la prise d'acte de rupture, d'octroyer une prime sur objectif de 10.000€.

Mais il rappelle aussi dans la lettre du 30 avril 2013, comme justifiant la non atteinte des objectifs 'connus' du salarié, qu'au cours de l'entretien annuel du 5 mars 2013 qui a duré 2 heures (la cour constate qu'aucun compte rendu n'est versé aux débats), a été évoqué le problème des reportings dont M. X... n'a adressé les premiers qu'en octobre et novembre 2012 avec une reprise seulement en février 2013 et qu'il considère que l'objectif n'est toujours pas atteint.

L'employeur rappelle également que le troisième objectif consistant en la conclusion d'accord avec les partenaires sociaux n'a pas été atteint, alors que la situation sociale s'est sensiblement dégradée, ce qui a conduit la direction à dénoncer l'accord d'entreprise PILOTES et que la position de M. X... a été fragilisée auprès des représentants du personnel par ses sautes d'humeur en réunion et ses débordements verbaux.

L'employeur communique notamment un mail des membres du CHSCT qui a été adressé à l'employeur et à l'inspection du travail le 20 mars 2013, se plaignant du comportement de M. X... et des menaces adressées le 19 mars 2013 en réunion du CHSCTà un membre élu, M. Mickaël C..., à qui il a déclaré qu'à la moindre occasion de licenciement, il pouvait être sûr qu'il ne le louperait pas et qu'il avait encore déclaré à l'ensemble des élus « vous êtes répugnants, vous êtes des minables zozos, des abrutis et des porcs» ; le 20 mars 2013 Monsieur Olivier X... a reconnu dans un mail à son directeur général délégué avoir perdu son calme, s'être emporté et avoir tenu des propos qu'il regrette.

La preuve de l'absence de moyens donnés au DRH et sa réelle surcharge de travail n'est pas établie, l'employeur justifiant des moyens en personnel mis en 'uvre pour le service de M. X... en produisant notamment des mails l'autorisant à prendre du personnel dédié et des stagiaires.

La cour fait cependant les mêmes observations que pour l'année 2011/2012, concernant l'absence de définition claire et précise des critères des objectifs à atteindre et des éléments servant de base à l'appréciation de leur atteinte, l'employeur ne justifiant pas les avoir portés clairement à la connaissance du salarié lors de la fixation «des objectifs». Dès lors, il appartient au juge de fixer souverainement au vu des éléments de la cause la somme allouée au salarié à ce titre.

L'employeur a alloué au salarié la somme de 10.000 € pour la réussite de l'organisation des élections professionnelles qui se sont déroulées en janvier et février 2012, le fait que du travail de préparation ait été effectué sur la fin 2011 comme le soutient M. X... est sans conséquence ; eu égard à l'ensemble de ce qui précède, la cour fixe à la somme complémentaire de 8.000 € le montant de la prime d'objectif due à M. X... pour l'année 2012/2013.

En ne fixant pas chaque année clairement le mode de calcul de réalisation des objectifs et de l'attribution du montant de la rémunération variable, la SAS Aigle Azur a manqué à ses obligations sans qu'il y ait lieu de prendre en considération la fonction occupée par le salarié, fût-il DRH, dès lors qu'une partie de la rémunération dépend précisément de l'atteinte des objectifs fixés dont le salarié doit connaître à l'avance les critères d'attribution et de calcul.

En conséquence, constatant que la prise d'acte de rupture de son contrat de travail par le salarié a manifestement été l'unique élément déclencheur de l'attribution d'une prime sur objectif pour l'année 2012/2013, outre le fait qu'il ressortait clairement du courrier du salarié en date du 24 mars 2013 au Président de la SAS Aigle Azur que, s'il ne tenait pas à aller réclamer à un juge, il n'hésiterait pas à le faire le cas échéant, la cour juge que le manquement de l'employeur à l'une de ses obligations touchant à la rémunération du salarié deux années de suite est suffisamment grave et justifie la prise d'acte aux torts de la SAS Aigle Azur.

Sur les conséquences financières de la prise d'acte de rupure aux torts de l'employeur

La prise d'acte de la rupture du contrat par le salarié ayant été jugée bien fondée par la cour, elle a les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et ouvre droit au paiement des sommes suivantes :

- indemnité de préavis : trois mois soit, compte tenu du salaire de 6.154 €, la somme de 18.462 € bruts plus les congés payés afférents pour 1.846,20 € bruts,

- 13ème mois sur préavis : 1.538,50 € bruts plus 153,85 € bruts au titre des congés payés afférents,

- indemnité de licenciement représentant 1/5ème de mois par année de présence calculée sur la base du salaire moyen des 12 derniers mois selon la formule la plus favorable soit 2.818,38 € ;

Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, eu égard à l'ancienneté du salarié, à son salaire, au fait qu'il a retrouvé très rapidement un emploi d'administrateur civil HC en 2013 pour une rémunération nette sensiblement équivalente, il est approprié de lui allouer la somme de 45.000 € en application de l'article L.1235-5 du code du travail.

Sur la clause de non concurrence

L'article XII du contrat de travail intitulé 'discrétion, confidentialité et concurrence prévoit en son alinéa 3 que 'Plus généralement M. X... s'engage à ne rien faire qui puisse concurrencer la SAS Aigle Azur TA à partir de ce qu'il a pu apprendre durant l'exécution du présent contrat'.

Cette clause, qui n'est pas limitée dans le temps, doit s'analyser en une clause de non-concurrence car, elle ne stipule pas, contrairement à ce que soutient l'employeur, qu'elle ne concernerait que la durée d'exécution du contrat de travail.

La convention collective applicable, expressément mentionnée dans le contrat de travail, prévoit une indemnité mensuelle égale à 50% du salaire moyen des 3 derniers mois, limitant à 6 mois la durée maximum de la clause de non-concurrence.

Il y a donc lieu d'appliquer les dispositions conventionnelles, plus favorables que le contrat de travail qui n'en prévoyait pas.

Il sera en conséquence alloué à X... la somme de 18.480 €, augmentée des congés payés afférents pour 1.848 €.

Sur la demande de rappel d'heures supplémentaires

Pour s'opposer à la demande de M. X..., la SAS Aigle Azur soutient que le salarié était cadre dirigeant et participait à la direction de l'entreprise, était dans le premier cercle du président de la société, participait au comité de direction, qu'il percevait une rémunération élevée, que dans son contrat il est indiqué que sa rémunération est «forfaitaire tout horaire », ce qui est une expression employée pour les cadres dirigeants, que d'ailleurs, il avait une large délégation de pouvoir pour représenter la société et elle en veut pour preuve supplémentaire que le salarié n'a jamais réclamé le paiement d'heures supplémentaires, sa demande ayant été formulée pour la première fois le 28 octobre 2015 soit bien après la saisine du conseil des prud'hommes.

M. X... affirme qu'il n'était pas cadre dirigeant, que sa délégation de pouvoir le démontre, que ses bulletins de salaire ne font pas mention de cette fonction et qu'il ne percevait pas un revenu se situant dans le haut de la classification puisqu' il n'était que groupe II position IIB alors que le groupe le plus haut de la classification conventionnelle est le groupe III, position IIIB.

L'article L. 3111-2 § 2 du code du travail stipule que sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant, les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.

Il est constant que les critères sont cumulatifs et il appartient au juge d'examiner les fonctions réellement occupées dans l'entreprise au regard de chacun des critères et les conditions dans lesquelles il était réellement habilité à les remplir.

En l'espèce, il convient de relever que l'employeur ne verse aucune pièce aux débats dont il résulterait comme il l'affirme que M. X... participait au CODIR, pas plus qu'au conseil d'administration.

L'unique pouvoir donné à X... le 1er avril 2011 pour un an dont il n'est pas justifié qu'il ait été renouvelé concernait le cadre limitatif qu'il décrivait et uniquement le pouvoir de représenter la société et signer les procédures disciplinaires, de la représenter dans le cadre des déclarations sociales, aux réunions du CE, de DP et du CHSCT, de signer l'ordre du jour et les comptes rendus, c'est à dire ainsi que mentionné, par le pouvoir d'accomplir au nom de l'employeur toute démarche administrative en ressources humaines.

Il ressort de l'abondante communication de mails échangés par les parties, que M. X... sollicitait l'accord du Président de la société, du Directeur général délégué, par exemple pour l'octroi d'une prime exceptionnelle de 300 € à un salarié dans le cadre d'un traitement massif de congés payés, ou encore pour un passage au statut cadre d'un salarié, ou encore dans un mail du 10 janvier 2012 du directeur Général adjoint, il était informé que la direction avait retenu telle méthode pour la comptabilisation des congés payés navigants, ce qui démontre qu'il n'avait pas fait partie du comité de décision.

Enfin il ne peut qu'être relevé par la cour, que l'employeur rappelle dans sa lettre du 30 avril 2013 qu'il avait «été obligé» de faire une réflexion à M. X... sur ses arrivées tardives que le salarié avait contestées, considérant que des arrivées tardives nuisaient au bon fonctionnement du service et à l'exemplarité, de sorte que la liberté de gestion de son emploi du temps par le salarié n'était en fait qu'apparente.

Au vu de ce qui précède et en l'absence de réelle justification de ce que M. X... avait le pouvoir de prendre des décisions et de participer à la politique stratégique de l'entreprise, la cour considère qu'il n'avait pas la qualité de cadre dirigeant.

En conséquence, X... est recevable à solliciter le paiement d'heures supplémentaires, la SAS Aigle Azur ne pouvant pas opposer l'existence d'une rémunération forfaitaire dans la mesure où il n'est pas justifié qu'un accord d'entreprise ou un accord collectif ait prévu la possibilité pour l'employeur de conclure des conventions de forfait.

L'article L. 3171-4 du code du travail dispose qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié, qui doit fournir au juge des éléments de nature à étayer sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en tant que de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, le salarié communique des tableaux par année et par jour comportant ses heures d'arrivée et de départ, le nombre d'heures supplémentaires qu'il estime avoir effectuées au quotidien et des mails envoyés ou transférés tôt ou tardivement.

La SAS Aigle Azur conteste tout d'abord le fait que X... ait été tous les jours à son poste à 9h et que sa pause déjeuner n' ait toujours été que d'une heure comme cela apparaît dans ses tableaux ; s'étant livrée à une analyse détaillée des mails dont se prévaut l'appelant, elle en tire la constatation, sans que X... apporte une démonstration inverse pouvant jeter le doute sur l'analyse de l'employeur, qu'en fait, compte tenu du temps de présence du salarié dans l'entreprise équivalent à 490 jours, la liste de mails dont il se prévaut fait apparaître 1,5 mail par jour qu'il aurait adressé avant 9h et après 17h, ce qu'elle considère ne pas être la preuve d'un volume important de travail à traiter ni la preuve que le salarié, qui bénéficiait d'un accès à sa messagerie à distance, était dans l'obligation de répondre immédiatement.

La cour constate que pour un grand nombre de mails, l'absence de nécessité d'une réponse immédiate en dehors des heures de travail est effective.

En outre, aux termes de l'article L. 3121-20 du code du travail, les heures supplémentaires se décomptent par semaine civile : or, par exemple, sur la semaine du 1er mars 2011 au 5 mars 2011,M. X... compte 2h 51 au titre des heures supplémentaires alors qu'en réalité sur la semaine il n'a pas dépassé les 35h, son calcul étant erroné puisqu'il compte son nombre d'heures supplémentaires à partir d'un dépassement journalier de 7h.

Au-delà de cette constatation, il apparaît que par nécessité des heures supplémentaires ont été effectuées dans des périodes de préparation d'élections et d'élections professionnelles, de réunion des organes représentatifs du personnel ou de préparation de négociations, l'absence de réclamation du salarié pendant la durée d'exécution du contrat de travail ne le privant pas de le faire postérieurement pour les périodes non prescrites.

Il s'ensuit que la cour dispose des d'éléments nécessaires et suffisants pour retenir que M.X... effectuait par nécessité des heures supplémentaires certaines semaines mais pas dans la proportion qu'il prétend et qu'il y a lieu après examen de l'ensemble des pièces communiquées et observations des parties, eu égard au taux horaire et aux majorations légales de fixer le montant des heures supplémentaires à la somme de 21.708,57 € outre les congés payés afférents pour 2.170,85 €.

Il y a lieu de rejeter la demande d'indemnité pour travail dissimulé en l'absence de preuve du caractère intentionnel de la SAS Aigle Azur d'y recourir.

Sur les autres demandes

Il y a lieu de rejeter la demande de la SAS Aigle Azur en paiement du préavis, la prise d'acte de rupture aux torts de l'employeur ayant été jugée bien fondée par la cour et ayant par conséquent un effet immédiat.

Il convient d'accueillir la demande relative aux intérêts légaux des condamnations prononcées dans les limites qui seront précisées au dispositif et d'ordonner la remise par l'employeur des documents conformes aux condamnations prononcées sans que la mesure d'astreinte sollicitée ne soit en l'état justifiée.

Il y a lieu de condamner la SAS Aigle Azur à payer à M. X... la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et de dire que la SAS Aigle Azur conservera à sa charge ses propres frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

Dit que la prise d'acte de rupture de son contrat de travail par Monsieur Olivier X... aux torts de la SAS Aigle Azur a les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Fixe le salaire moyen de Monsieur Olivier X... à la somme de 6.765,20 € bruts,

Condamne la SAS Aigle Azur à payer à Monsieur Olivier X... les sommes de :

- 15.000 € à titre de rémunération variable (bonus) pour l'année 2011/2012 outre 1.500€ au titre des congés payés afférents,

- 8.000 € à titre de rémunération variable complémentaire pour l'année 2012/2013 outre 800 € au titre des congés payés afférents,

- 18.462 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 1.846,20 € bruts au titre des congés payés afférents,

- 1.538,50 € bruts au titre du 13ème mois sur préavis outre 153,85 € bruts au titre des congés payés afférents,

- 2.818,38 € au titre de l'indemnité de licenciement,

- 45.000 € à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 18.480 € à titre d'indemnité due en vertu de la clause de non concurrence figurant sur le contrat de travail outre 1.848 € au titre des congés payés afférents,

- 21.708,57 € à titre de rappel d'heures supplémentaires outre pour 2.170,85 € au titre des congés payés afférents,

Rappelle que les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

Ordonne la remise par l'employeur des documents conformes à la présente décision (attestation Pôle Emploi et bulletin de salaire récapitulatif rectifiés) dans le délai de deux mois à compter de sa notification,

Rejette les autres demandes des parties,

Condamne la SAS Aigle Azur aux dépens et à payer à M. X... la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 16/09278
Date de la décision : 19/06/2018

Références :

Cour d'appel de Paris L2, arrêt n°16/09278 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-06-19;16.09278 ?
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