RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 2
ARRÊT DU 07 Juin 2018
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 17/14872
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 Octobre 2017 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS - section commerce - RG n° 16/04521
APPELANT DU CHEF DE LA COMPETENCE
Monsieur Simone X...
né le [...] à Ortona (ITALIE)
[...]
représenté par Me Béatrice Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : P0469, substituée par Me Benjamin Z...
INTIMES DU CHEF DE LA COMPETENCE
Me A... Jean-Charles (SELARL AXYME)
en qualité de mandataire liquidateur de la SARL GIGI
[...]
représenté par Me Jacques B..., avocat au barreau de PARIS, toque : D1017
SAS LOCO
N° SIRET : 817 486 640
[...]
représentée par Monsieur Ivan C..., gérant
représentée par Me Marion D..., avocat au barreau de MEAUX
UNEDIC DELEGATION AGS CGEA IDF OUEST
[...]
représentée par Me Arnaud E... de la SELARL LAFARGE ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : T10, substitué par Me Sabine F...
Monsieur Gilles G...
[...]
défaillant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 mars 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de:
Madame Catherine MÉTADIEU, Président
Madame Patricia DUFOUR, Conseiller appelé à compléter la chambre par ordonnance de roulement en date du 05 janvier 2018
Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller
GREFFIER : Madame FOULON, lors des débats
ARRET :
- par défaut
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Catherine MÉTADIEU, Président et par Madame FOULON, Greffier.
**********
Statuant sur l'appel interjeté le 06 décembre 2017 par M. Simone X... d'un jugement statuant exclusivement sur la compétence rendu le 18 octobre 2017 par le conseil de prud'hommes de Paris lequel, saisi par l'intéressé de demandes tendant essentiellement à voir juger qu'en application de l'article L 1224-1 du code du travail son contrat de travail aurait dû être transféré à la SAS LOCO, juger qu'en déclarant n'avoir aucun salarié lors de la cession du fonds la SARL GIGI a porté atteinte à des dispositions d'ordre public, juger qu'elle a en outre manqué gravement à ses obligations en ne payant pas l'intégralité du salaire contractuel, condamner la SARL GIGI à lui payer un arriéré de salaire de 36 430 €, prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la SARL GIGI et la condamner au paiement de diverses indemnités liées à la rupture du contrat de travail ainsi que par la SARL LOCO d'une exception d'incompétence matérielle soulevée in limine litis, s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris,
Vu la requête transmise à la cour le 08 décembre 2017 et l'ordonnance sur requête rendue le 20 décembre 2017 par la délégataire de la première présidente de la cour de céans autorisant l'appelant à assigner à jour fixe pour l'audience du 30 mars 2018,
Vu les assignations à jour fixe délivrées les 18, 22 et 23 janvier 2018 à M. Gilles G..., à Maître Jean-Charles A... en qualité de mandataire liquidateur de la société GIGI, à l'AGS et à la société LOCO ainsi que les conclusions annexées, aux termes desquelles M. Simone X... demande à la cour de':
- infirmer le jugement déféré,
en conséquence,
- déclarer la section commerce du conseil de prud'hommes de Paris compétente,
Vu les conclusions transmises le 08 février 2018 pour la SELARL AXYME prise en la personne de Maître Jean-Charles A... en sa qualité de mandataire liquidateur de la SARL GIGI, venant en remplacement de la SELARL EMJ, intimée qui demande à la cour de':
- dire et juger M. Simone X... mal fondé en son appel et confirmer la décision entreprise en ce que le conseil de prud'hommes de Paris a décliné sa compétence matérielle au profit du tribunal de commerce de Paris,
- condamner M. Simone X... à lui payer la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,
Vu les conclusions transmises le 16 février 2018 pour l'association centre de gestion et d'études AGS (CGEA) d'Île de France ouest délégataire de l'UNEDIC (ci-après dénommée l'AGS), autre intimée qui demande à la cour de':
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- condamner M. Simone X... aux entiers dépens,
sur sa garantie':
- dire et juger que s'il y a lieu à fixation, celle-ci ne pourra intervenir que dans les limites de la garantie légale,
- dire et juger qu'en tout état de cause, la garantie prévue aux dispositions de l'article L 3253-6 du code du travail ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution du contrat de travail au sens de l'article L 3253-8 du même code, les astreintes ou l'article 700 du code de procédure civile étant ainsi exclus de la garantie,
- dire et juger que sa garantie est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis à l'article D 3253-5 du code du travail,
- statuer ce que de droit quant aux frais d'instance dont les dépens sans qu'ils puissent être mis à sa charge,
Vu les conclusions transmises le 28 mars 2018 pour la société par actions simplifiée LOCO, autre intimée qui demande à la cour de':
- confirmer le jugement entrepris en ce que le conseil de prud'hommes de Paris s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes de M. Simone X... au profit du tribunal de commerce de Paris, à défaut de relation de salariat le liant à la SARL GIGI,
- condamner M. Simone X... à lui verser la somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. Simone X... aux dépens de l'instance, y compris les frais d'exécution par voie d'huissier de justice,
La cour faisant expressément référence aux écrits suvisés pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties,
Vu l'absence de constitution d'avocat dans les intérêts de M. Gilles G...,
SUR CE, LA COUR
EXPOSE DU LITIGE
La SARL GIGI exploitait un restaurant «'IL PASSAGGIO'» situé [...].
Le 1er janvier 2013, la société GIGI alors gérée par M. Giuseppe H... a embauché M. Simone X... sous contrat de travail à durée indéterminée à temps plein en qualité de chef de cuisine, moyennant une rémunération mensuelle nette de 2 000 €.
La relation contractuelle était régie par la convention collective nationale des hôtels, cafés restaurants.
A la suite de dissensions entre M. Gilles G... et M. Giuseppe H..., celui-ci s'est retiré de la société le 14 novembre 2014. Aux termes de l'assemblée générale extraordinaire tenue le même jour, M. Gilles G... a été nommé en qualité de nouveau gérant et la nouvelle répartition du capital a été fixée comme suit':
- M. Gilles G...': 67 parts sociales,
- M. Simone X...': 33 parts sociales.
Par acte sous seing privé en date du 25 janvier 2016 à effet au 1er janvier 2016, la SARL GIGI a cédé son fonds de commerce à la société par actions simplifiée LOCO, ledit acte précisant qu'il n'y avait pas de personnel à reprendre comme il était déjà stipulé dans la promesse synallagmatique de vente signée le 09 novembre 2015.
C'est dans ses conditions que le 26 avril 2016, M. Simone X... a saisi le conseil de prud'hommes de Paris de la procédure qui a donné lieu au jugement déféré.
Par jugement du 18 mai 2016, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée à l'égard de la société GIGI et désigné la SELARL EMJ prise en la personne de Maître Jean-Charles A... en qualité de liquidateur.
Par lettre du 31 mai 2016, le liquidateur a notifié à titre conservatoire son licenciement pour motif économique à M. Simone X....
MOTIFS
Sur la nature de la relation contractuelle entre les parties':
Aux termes de l'article L. 1411-1 du code du travail, «'le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient'» et «' juge les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti'».
Le contrat de travail se définit par l'engagement d'une personne à travailler pour le compte et sous la direction d'une autre moyennant rémunération, le lien de subordination juridique ainsi exigé se caractérisant par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Il doit encore être précisé que le fait que le travail soit effectué au sein d'un service organisé peut constituer un indice de l'existence d'un lien de subordination lorsque l'employeur en détermine unilatéralement les conditions d'exécution.
Enfin, l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité.
Au cas présent, dès lors qu'il existe un contrat de travail apparent, c'est à la partie qui conteste l'existence de ce contrat de rapporter la preuve de son caractère fictif.
Il doit d'abord être relevé que si la rémunération prévue au contrat était exclusivement fixée en net ' ce que confirme le comptable M. I... DA SILVA en prétendant qu'il s'agit d'une pratique courante ' en tout état de cause cette disposition financière n'a de fait pas été exécutée.
En effet, il ressort des bulletins de paie produits que M. Simone X... n'a jamais perçu une rémunération mensuelle nette de 2 000 €. L'intéressé a perçu un salaire net de 1 500 € les premiers mois (1 120,45 € toutefois en avril 2013), de 753,03 € en août et septembre 2013, puis de 1 103,17 € à compter du 1er octobre 2013, augmenté à 1 111,45 € à compter du 1er janvier 2014 correspondant à un salaire brut de base de 1 445,42 €. Le salaire brut de base est fixé à 1 457,55 € à compter du 1er janvier 2015 puis définitivement à 728,73 € à compter du 1er mars 2015, les frais remboursés étant majorés à partir de cette date de près de 600 € par mois.
En outre, le nombre d'heures payées a été certains mois très inférieur à un temps plein': 77 heures en août et septembre 2013, puis 75,83 heures à compter du 1er mars 2015.
Ensuite, M. Simone X... était associé de la société GIGI à hauteur de 33 % des parts selon le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire en date du 14 novembre 2014.
A cet égard, s'il fait valoir n'être entré au capital que le 14 novembre 2014 en produisant un contrat de cession de 23 parts signé à la même date entre M. Gilles G... et lui (sa pièce n° 21), ladite cession de 23 parts (sur 100) ne suffit pas à justifier de la détention de 33 % du capital social tel qu'indiqué dans le procès-verbal précité.
En troisième lieu, un extrait du site société.com (pièce n° 6 de la société LOCO) tend à démontrer que M. Simone X... exerçait en nom propre au cours de la période considérée une activité de traiteur, l'intéressé concluant sans autre explication que la preuve de cette activité d'autoentrepreneur n'est pas rapportée.
En quatrième lieu, il ressort des productions que M. Simone X... disposait de la signature bancaire et signait des chèques de la société GIGI en remplissant les talons correspondants, qu'il a effectué seul de nombreuses démarches comptables, notamment en renseignant le livre des recettes et les enveloppes journalières, qu'il a signé à la place de M. Gilles G... un contrat conclu au début du mois d'avril 2015 avec la société DELIVEROO FRANCE portant sur la vente et la livraison de repas, qu'il gérait le restaurant et le personnel, les tâches accomplies excédant ses attributions de chef de cuisine dans la mesure où il signait également sans délégation écrite les certificats de travail, les attestations Pôle emploi et les reçus pour solde de tout compte des autres salariés sous le nom de M. Gilles G..., alors que ce dernier, sans aucune expérience de la restauration, exerçait une activité d'assureur en qualité de gérant de la SARL MLV et était très souvent absent.
Si donc M. Simone X... a travaillé au restaurant dès l'origine et jusqu'à la rupture des relations, il est suffisamment démontré que ce travail n'a pas été accompli dans un lien de subordination avec M. Gilles G..., les intéressés n'entretenant pas des rapports d'employeur et d'employé.
Dans un tel contexte, l'investissement de M. Simone X... en industrie, sa gestion de fait de l'établissement ainsi que du personnel et ses renoncements pécuniaires en matière de salaire traduisent une implication dans la vie sociale de la société et un intérêt personnel à son développement sans commune mesure avec ceux d'un salarié.
Considérant ces éléments probants qui pris dans leur ensemble établissent le caractère fictif du contrat de travail de M. Simone X... et sa qualité de gérant de fait de la société GIGI, les six attestations communiquées par l'intéressé, dont les auteurs procèdent par affirmations générales sans relater de faits précis établissant qu'il était sous la subordination de M. Gilles G..., et la lettre de convocation en date du 15 septembre 2015 à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement, qui n'a pas été suivie d'effets, n'emportent pas la conviction de la cour, alors qu'il n'existe par ailleurs au dossier aucun écrit de M. Gilles G... ou de M. Simone X... laissant à penser que le premier donnait des directives et des instructions au second ou contrôlait ses activités et ses absences.
Il convient en conséquence de dire que les parties n'étaient pas liées par un contrat de travail, de confirmer le jugement déféré, de déclarer le conseil de prud'hommes de Paris incompétent pour connaître du litige opposant les parties et de renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Paris.
Sur les frais irrépétibles et les dépens d'appel':
Il n'y a pas lieu en équité de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque.
M. Simone X... qui succombe supportera les entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
Dit que les parties n'étaient pas liées par un contrat de travail ;
Confirme le jugement déféré';
Déclare le conseil de prud'hommes de Paris incompétent pour connaître du litige opposant les parties ;
Renvoie l'affaire devant le tribunal de commerce de Paris ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile';
Condamne M. Simone X... aux entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT