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05/06/2018 | FRANCE | N°15/10871

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 05 juin 2018, 15/10871


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRÊT DU 05 Juin 2018

(n° , 14 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/10871



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 Septembre 2015 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS section RG n° 13/01971





APPELANTE

SAS MARIONNAUD LAFAYETTE

[...]

N° SIRET : 348 674 169

représentée par Me Véronique X..., avocat au bar

reau de PARIS, toque : L0104





INTIMEE

Madame Anne-Sophie J...

[...]

née le [...] à PLOEMEUR (56270)

comparante en personne, assistée de Me Emmanuelle K..., avocat au ba...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRÊT DU 05 Juin 2018

(n° , 14 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/10871

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 Septembre 2015 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS section RG n° 13/01971

APPELANTE

SAS MARIONNAUD LAFAYETTE

[...]

N° SIRET : 348 674 169

représentée par Me Véronique X..., avocat au barreau de PARIS, toque : L0104

INTIMEE

Madame Anne-Sophie J...

[...]

née le [...] à PLOEMEUR (56270)

comparante en personne, assistée de Me Emmanuelle K..., avocat au barreau de PARIS, toque : E1355 substitué par Me Sophie Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : E1355

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 21 Décembre 2017, en audience publique, devant la Cour composée de:

Madame Valérie AMAND, Conseillère faisant fonction de présidente

Mme Jacqueline LESBROS, Conseillère

M. Christophe BACONNIER, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Laurie TEIGELL, lors des débats

ARRET :

- Contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Valérie AMAND, faisant fonction de Présidente, et par Madame Caroline GAUTIER, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

EXPOSÉ DU LITIGE

Par contrat à durée indéterminée conclu le 17 janvier 2007 à effet au 29 janvier suivant, Madame Anne-Sophie J..., née [...], a été engagée par la société AS Watson France en qualité de chef de projet communication, statut cadre, niveau 3 C, coefficient 250 de la convention collective nationale de la parfumerie de détail et esthétique.

Selon avenant à effet au 1er mai 2009, le contrat de travail de Mme J... a été transféré à la société Marionnaud Lafayette, l'avenant prévoyant une rémunération composée d'un salaire fixe de 2.840 € bruts et d'une partie variable d'un montant maximum de 10% du traitement annuel fixé versé, en fonction de la réalisation des objectifs déterminés durant l'entretien annuel avec son responsable hiérarchique.

En dernier lieu, le salaire fixe de Madame J... s'élevait à 3.041,64 € bruts outre une prime d'ancienneté de 31,80 €.

La convention collective de la parfumerie de détail et esthétique a été dénoncée par l'employeur en 2008 et a cessé d'être applicable à la relation contractuelle à compter du 29 octobre 2011.

Du 12 au 26 janvier 2012, Mme J... a été placée en arrêt de travail dans le cadre d'un congé pour grossesse pathologique, puis en congé maternité jusqu'au 17 mai 2012 et en congé parental jusqu'au 31 juillet 2012.

Après ses congés, Mme J... a repris son poste au sein de la société Marionnaud Lafayette le 3 septembre 2012 dans le cadre d'un temps partiel (4/5ème) initialement sollicité pour deux mois, soit jusqu'au 31 octobre 2012 puis prolongé jusqu'au 31 décembre 2012.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 7 novembre 2012, Mme J... a fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire et a été convoquée à un entretien préalable en vue d'une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement pour faute grave.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 26 novembre 2012, la société Marionnaud Lafayette a notifié à Mme J... son licenciement pour cause réelle et sérieuse motivé par une insuffisance professionnelle, un manquement à l'obligation de discrétion et un non-respect de ses obligations contractuelles.

Mme J... a été dispensée d'exécuter son préavis et la relation contractuelle a pris fin le 26 février 2013.

Estimant avoir été victime d'une discrimination, Mme J... a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 15 février 2013 afin de voir prononcer la nullité de la rupture de son contrat de travail ainsi que sa réintégration.

Par jugement rendu le 18 septembre 2015, le conseil de prud'hommes, statuant en formation de départage, a prononcé l'annulation du licenciement de Mme J... retenant le caractère discriminatoire de cette mesure, a ordonné sa réintégration dans les effectifs de la société et a condamné la société au paiement des salaires dûs depuis le 27 novembre 2012 jusqu'au jour de la réintégration sur la base d'un montant brut de 3.041,64 € ainsi que des sommes de 20.000 € en compensation du préjudice moral lié aux faits de discrimination et de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens, fixant la moyenne des trois derniers mois de salaires à la somme de 2.663,44€.

La décision a été assortie de l'exécution provisoire pour l'ensemble des condamnations prononcées.

Madame J... a été déboutée de sa demande en réparation du préjudice économique subi, calculé sur une rémunération mensuelle de 5.000 € ainsi que de sa demande de dommages et intérêts pour violation du plan d'action pour l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Par déclaration enregistrée au greffe le 4 novembre 2015, la société Marionnaud Lafayette a relevé appel de cette décision.

Après avoir été réintégrée dans l'entreprise le 4 janvier 2016, Madame J... a pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre recommandée avec avis de réception datée du 22 février 2016, invoquant divers manquements de l'employeur à ses obligations.

La Z... Marionnaud Lafayette demande à la cour de réformer la décision déférée et de:

A titre principal,

- juger qu'il n'existe aucune discrimination à l'encontre de Mme J...,

- réformer le jugement en ce qu'il a annulé le licenciement du 27 novembre 2012, ordonné la réintégration de Mme J... et a condamné la société Marionnaud Lafayette au paiement des salaires pour la période entre la fin du préavis et la réintégration ainsi qu'à la somme de 20.000 € au titre du préjudice,

- confirmer le jugement pour le surplus,

- condamner Mme J... à restituer à la société Marionnaud Lafayette la somme de 100.098,36 € versée au titre de l'exécution provisoire,

Statuant à nouveau,

- juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de Mme J... du 23 février 2016 produit les effets d'une démission,

- débouter en conséquence Mme J... de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Mme J... à payer à la société Marionnaud Lafayette la somme de 9.124,92 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- condamner Mme J... à payer à la société Marionnaud Lafayette la somme de 1.500 € euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

A titre subsidiaire,

- juger que le rappel de salaire sollicité par Mme J... doit porter sur la période courant du 27 février 2013 (date de fin du préavis) au 28 décembre 2015 (date de la réintégration effective) à raison de 3.041,64 euros bruts mensuels, déduction faite de l'indemnité de licenciement et des revenus de remplacement perçus depuis cette date (soit 44.602,26 € selon décompte arrêté à la date du 31 mai 2015 et à parfaire) et à tout le moins de l'indemnité de licenciement de 3.800 €,

- limiter le rappel de prime d'ancienneté à la somme de 2.098,88 € bruts,

- limiter le rappel de jours de RTT à la somme de 304,16 € bruts,

- limiter le rappel de bonus 2013 à la somme de 3.649,96 € ;

A titre infiniment subsidiaire,

- limiter l'indemnité compensatrice de préavis à la somme de 9.124,92 € bruts outre 912,49€ au titre des congés payés afférents,

- limiter le solde d'indemnité légale de licenciement à la somme de 1.726,10 €,

- limiter l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 18.247€;

En tout état de cause,

- débouter Mme J... du surplus de ses demandes,

- ordonner la compensation entre d'éventuelles condamnations mises à la charge de la société Marionnaud Lafayette et les sommes que Mme J... a perçues au titre de l'exécution provisoire et qu'elle sera condamnée à restituer,

- condamner en conséquence Mme J... à restituer à la société Marionnaud Lafayette le surplus,

- condamner Mme J... à lui payer la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Mme J... demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a'ordonné sa réintégration dans les effectifs de la société et condamné celle-ci à lui payer les sommes de 20.000 € pour le préjudice moral du fait de la discrimination et à la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, de le réformer pour le surplus et de :

- juger qu'elle a fait l'objet d'un traitement discriminatoire en raison de son sexe, de sa maternité et de sa situation de famille,

- juger que le licenciement du 26 novembre 2012 est nul,

- condamner la société Marionnaud Lafayette au paiement du rappel du bonus de l'exercice 2012 pour un montant de 3.688 € bruts,

- condamner la société Marionnaud Lafayette à verser à Mme J... les salaires échus depuis le 27 novembre 2012 jusqu'à sa réintégration, à titre principal sur la base de 5.000€ bruts par mois, outre les augmentations moyennes intervenues pendant cette période et, subsidiairement, sur la base de 3.041,64 € bruts par mois, outre les augmentations moyennes intervenues pendant cette période,

- condamner la société Marionnaud Lafayette à produire les bulletins de salaire rectifiés de Mme J... pour les années 2013, 2014 et 2015,

- condamner la société Marionnaud Lafayette à verser à Mme J... la somme de 106.684,11 € en réparation du préjudice économique lié à la discrimination en raison du sexe, de la maternité et de la situation de famille de la salariée,

- condamner la société Marionnaud Lafayette à verser à Mme J... la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour violation du plan d'action pour l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes,

- condamner la société Marionnaud Lafayette à verser à Mme J..., sur la base mensuelle de 5.000 € bruts, subsidiairement sur la base mensuelle de 3.041,64 € bruts':

* au titre de l'indemnité pour licenciement nul, la somme de 30.000 € et, subsidiairement, la somme de 18.249,84 €,

* au titre du préavis de trois mois, la somme de 15.000 € bruts outre les congés payés afférents soit 1.500 € bruts et, subsidiairement, la somme de 9.124,92 € bruts outre les congés payés afférents soit la somme de 912,49 € bruts,

* au titre du solde de l'indemnité légale de licenciement, la somme de 5.283,79 € et subsidiairement, celle de 1.726,10 €,

- condamner la société Marionnaud Lafayette à verser à Mme J..., sur la base mensuelle de 5.000 € bruts et, subsidiairement, sur la base mensuelle de 3.041,64 € bruts :

* au titre de rappel de la prime d'ancienneté 2013 à 2015, la somme de 3.216,60€ bruts,

*au titre du solde de congés payés 2014/2015, la somme de 2.200 € bruts et, subsidiairement, celle de 1.338,32 € bruts,

* au titre de rappel de congés payés 2015/2016, la somme de 1.500 € bruts et, subsidiairement, celle de 912,49 € bruts,

* au titre du solde de jours de RTT la somme de 800 € bruts et, subsidiairement, celle de 486,66 € bruts,

- ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil,

- condamner la société Marionnaud Lafayette à verser à Mme J... la somme de 4.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société S.A.S. Marionnaud Lafayette aux dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

Il est précisé qu'en cours de délibéré les parties ont fait connaître à la cour qu'elles entendaient bénéficier d'une procédure de médiation judiciaire ; un médiateur a été désigné par ordonnance du 9 février 2018 ; par courriel du 14 mai 2018 le médiateur a informé la cour de sa fin de mission les parties n'étant pas parvenues à un accord ; l'affaire a été rappelée à l'audience du 24 mai 2018 où a été confirmée l'absence d'accord ; l'arrêt a été mis en délibéré au 5 juin 2018.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la discrimination et l'inégalité de traitement

Au soutien de ses prétentions, Madame J... invoque tout à la fois la discrimination qu'elle aurait subie à son retour de congé parental ainsi qu'une inégalité de traitement dont elle aurait été victime.

Sur la discrimination

Aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison notamment de son sexe, de sa situation de famille ou de sa grossesse.

L'article L.1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, si le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article'1er de la loi n° 2008-496 du 27'mai'2008, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Au soutien de ses prétentions, Mme J... fait état des faits suivants :

- elle a subi une pénalisation salariale en raison de sa maternité : alors qu'en novembre 2011, elle a été informée de l'augmentation de son périmètre d'activité et de ses responsabilités puisqu'elle devenait responsable du pôle media sociaux et se voyait confier l'encadrement d'une deuxième collaboratrice, sans pour autant avoir bénéficié de la formation nécessaire à ses nouvelles fonctions, elle n'a pas eu d'augmentation individuelle, n'ayant obtenu en avril 2012 que la revalorisation de 2% appliquée à l'ensemble des collaborateurs dans le cadre de la NAO et ce, en violation des dispositions de l'article L.1225-6 du code du travail ;

- lorsqu'à son retour de congé maternité, elle a sollicité cette augmentation, en raison de l'élargissement de son domaine d'activité et au regard des salaires pratiqués sur le marché du travail pour des fonctions équivalentes, elle s'est vue opposer un refus alors qu'en avril 2012, son supérieur hiérarchique lui avait indiqué avoir demandé cette augmentation ;

- suite à son licenciement, l'offre d'emploi mise en ligne pour pourvoir à son remplacement était assortie d'une rémunération de plus de 24.000 € de celle qu'elle percevait ; au surplus, malgré l'engagement pris par la société lors de l'audience de conciliation du conseil, ni le contrat de travail, ni les bulletins de paie de la personne engagée, Mme D... A..., n'ont été communiqués;

- en mars 2013, elle n'a pas perçu de bonus pour l'exercice 2012 au cours duquel n'a eu lieu aucun entretien d'évaluation et ce, alors même qu'elle avait travaillé durant quatre mois;

- à son retour de congé, la personne engagée pour la remplacer sur une partie de ses fonctions a été maintenue à son poste, laissant ainsi supposer que son employeur l'estimait incapable de reprendre pleinement ses fonctions ;

- en outre, elle a été victime d'une mise à l'écart, n'étant pas invitée à des réunions auxquelles assistait sa collaboratrice avec laquelle son supérieur a continué à communiquer directement, étant privée des informations quant à des réunions concernant ses dossiers ou ne pouvant participer à certaines réunions en raison de leurs horaires soit trop matinaux soit tardifs ;

- elle a été sciemment mise en difficultés soit par des demandes de travaux urgents à réaliser dans des délais trop courts, soit par la fixation de réunions à des horaires incompatibles avec sa situation familiale, alors qu'elle avait informé son employeur de ses contraintes, étant ainsi décrédibilisée vis-à-vis de ses collaborateurs ;

- elle n'a fait l'objet d'aucun entretien professionnel à son retour, ne se voyant ainsi fixer aucun objectif ni proposer une formation en vue de remplir ses fonctions nouvelles de management ;

- à peine deux mois après sa reprise et alors que ses compétences professionnelles n'avaient jamais été remises en cause puisqu'au contraire ses évaluations avaient toujours été excellentes, elle a fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire puis a été brutalement licenciée pour une insuffisance professionnelle que l'employeur ne justifie pas, pas plus qu'il n'établit lui avoir adressé des reproches sur la qualité de son travail.

Ces éléments laissent présumer l'existence d'une discrimination.

La société Marionnaud Lafayette conteste toute discrimination et fait valoir les éléments suivants:

- il n'existe pas un droit à promotion et l'employeur reste libre dans le cadre de son pouvoir de direction de décider des augmentations de salaires et d'en fixer le taux et en l'espèce, en moins de six ans, la rémunération de Mme J... avait progressé de 14,6%;

- Mme J... a bénéficié d'une augmentation en avril 2012, le fait qu'il s'agisse d'une augmentation générale étant indifférent dès lors que seuls les salariés n'ayant pas bénéficié d'une promotion individuelle étaient éligibles à l'augmentation collective et seule Madame B... a obtenu une augmentation individuelle au [...], 2011 et 2012 ;

- la prétendue augmentation du périmètre d'activités et de responsabilités dévolues à la salariée, est contestée, la société exposant qu'en réalité, en novembre 2011, Mme J... a été déchargée d'un certain nombre de ses tâches par l'adjonction à son service d'un poste de chargé de marketing Web en la personne de Mme C... ;

- Mme J... n'a pas été remplacée par Mme D... A... qui, suite à la restructuration de la direction Marketing Enseigne, a été recrutée non en qualité de chef de projet mais de responsable communication et qui justifiait de plus de 10 ans d'expérience à cette fonction au sein de deux autres groupes (ETAM et LVMH) ;

- le poste de Mme J... a en réalité été pourvu par Mme E..., réembauchée à compter du 10 décembre 2012 ;

- le non-paiement du bonus au titre de l'exercice 2012 était justifié par l'absence de Mme J... de janvier à août 2012, raison expliquant également l'absence d'entretien annuel d'évaluation, la société soulignant qu'un entretien a eu lieu dès le retour de la salariée, le 4 septembre 2012 ;

- à son retour, Mme J... a retrouvé son emploi contrairement à ce qu'elle prétend;

- le maintien du contrat de travail de Mme E..., recrutée pour remplacer Mme J... durant ses absences, pendant un mois après le retour de celle-ci était destinée à permettre sa reprise dans de bonnes conditions, d'autant que la salariée avait sollicité un temps partiel ;

- Mme J... n'a pas été mise à l'écart des réunions, son supérieur hiérarchique étant fondé à solliciter la présence de Mme C... à une réunion portant sur des opérations sur lesquelles celle-ci travaillait ;

- le supérieur hiérarchique de Mme J... a essayé de tenir compte des contraintes familiales de la salariée mais ne lui a pas tenu rigueur de ses empêchements (notamment lors de la réunion du 24 septembre 2012) ;

- Mme J... a bénéficié d'un entretien professionnel dès son retour le 4 septembre 2012 ;

- son licenciement était parfaitement justifié au regard de l'attitude manifestée à son retour par Mme J... qui n'avait plus la volonté de réaliser les missions qui étaient les siennes comme auparavant, a volontairement adopté un comportement déloyal et polémique et s'est employée à délivrer un travail superficiel.

Aux termes des pièces et explications fournies par les parties, la cour relève que l'affirmation selon laquelle Mme D... A... n'a pas remplacé Mme J... n'est pas justifiée par la société.

D'une part, si, comme l'indique la société Marionnaud Lafayette, Mme E... a certes remplacé l'intimée durant les congés liés à la grossesse de celle-ci puis pendant ses congés payés, ce remplacement n'a pas eu un caractère définitif puisqu'à compter du 10 décembre 2012, il est seulement justifié que Mme E... a bénéficié d'un contrat de travail à durée déterminée lié à un accroissement temporaire d'activité dont le terme était fixé au 9 juin 2013 et il n'est nullement établi que Mme E... a été maintenue au poste de chef de projet communication postérieurement à cette date et notamment après l'engagement de Mme D... A....

D'autre part, force est de constater que si la société Marionnaud Lafayette affirme que Mme D... A... a été engagée sur un poste différent de celui qu'occupait Mme J... pour être recrutée en qualité de 'responsable de communication', cette seule différence d'appellation ne permet nullement à la cour de s'assurer de la réalité des fonctions confiées à Mme D... A..., faute pour la société de produire le contrat de travail de celle-ci ainsi que sa fiche de poste et ce, malgré plusieurs sommations de communiquer délivrées à cette fin par le conseil de Mme J....

De plus, en s'abstenant de verser aux débats les bulletins de paie de Mme D... A..., la société Marionnaud Lafayette, qui reconnaît, sans plus de précision, que celle-ci perçoit une rémunération supérieure, place la cour dans l'impossibilité de s'assurer que le différentiel serait justifié tant par des fonctions et responsabilités plus importantes que par des compétences en meilleure adéquation avec le poste occupé.

En outre, Mme J... justifie que ses fonctions d'encadrement ont été élargies en 2011 par le management, outre de Mme Stéphanie F..., assistante communication marketing, d'une deuxième collaboratrice, Mme Marine C..., chargé de marketing Web, ainsi que cela ressort d'ailleurs des termes mêmes de la lettre de licenciement qui évoque les difficultés prétendument rencontrées par la salariée dans l'accompagnement de Mme C... et dans la prise en main de l'activité SMO (optimisation des media sociaux).

Aucune explication n'est fournie par la société autre que le fait que Mme J... avait une ancienneté peu élevée et qu'elle avait déjà bénéficié d'augmentations à deux reprises, pour justifier que malgré cette promotion, la salariée n'a bénéficié d'aucune augmentation de salaire si ce n'est celle résultant de la NAO.

En outre, l'affirmation selon laquelle seuls les salariés n'ayant pas bénéficié d'une promotion ou d'une augmentation individuelle de salaires étaient éligibles à l'augmentation collective est démentie par les termes du courrier du 15 juin 2012 du DRH qui démontrent seulement que n'étaient pas éligibles à l'augmentation collective, les salariés n'ayant pas bénéficié d'augmentation depuis le début de l'année 'hors promotion'.

Il n'est pas plus établi que seule Mme B... aurait obtenu une augmentation individuelle au [...], 2011 et 2012, la société procédant par voie de simples affirmations qui ne sont étayées par aucune pièce.

Au surplus, si la société Marionnaud conteste toute discrimination en soulignant que Mme J... était la seule de sa catégorie professionnelle, elle ne justifie par aucune pièce le fait qu'alors que le champ des responsabilités de celle-ci avait été étendu, elle n'a bénéficié d'aucune augmentation : dans la mesure où la société Marionnaud s'abstient de produire un quelconque élément quant aux rémunérations et parcours professionnels de cadres engagés dans les mêmes conditions de classification et avec la même ancienneté que Mme J..., la cour est dans l'impossibilité de vérifier que les éléments invoqués pour justifier le refus d'augmentation sont étrangers à toute discrimination.

S'agissant du non-paiement du bonus, si la rémunération variable de la salariée était subordonnée à l'atteinte des objectifs fixés, il ne peut qu'être relevé que postérieurement au 18 février 2011, Mme J... n'a bénéficié d'aucun entretien annuel de performance et par conséquent, d'aucune fixation d'objectifs pour l'exercice 2012. Or, même si la salariée était absente jusqu'au mois d'août 2012, l'employeur aurait néanmoins pu lui fixer des objectifs à son retour en septembre 2012 et le non-paiement du bonus, que la salariée justifie avoir perçu pour les exercices 2010 et 2011 à hauteur de 2.500 € pour chaque année, n'est ainsi pas justifié autrement que par l'absence liée à sa situation de grossesse et ce, alors même que la salariée avait repris ses fonctions dès le mois de septembre 2012.

Par ailleurs, concernant la mise à l'écart alléguée par la salariée, il ressort des pièces produites par Mme J... qu'elle a été à plusieurs reprises évincée de réunions concernant son service :

- en particulier, si certes l'employeur est libre de l'organisation des réunions, la société Marionnaud Lafayette n'explique pas en quoi le fait de différer d'un quart d'heure la réunion hebdomadaire de la salariée avec son supérieur hiérarchique posait une difficulté insurmontable comme le fait de prévoir une réunion importante de 18h à 19h, le lundi pour le mercredi en sorte que la salariée, à laquelle il était néanmoins demandé d'être présente, était placée dans l'impossibilité d'y assister ;

- quant au fait que soit conviée à une réunion la remplaçante de Mme J... qui avait pourtant repris ses fonctions, s'il peut s'expliquer par la connaissance des dossiers qu'avait Mme E..., il était parfaitement vexatoire d'en exclure la responsable du service, caractère vexatoire renforcé par le ton pour le moins polémique, pour ne pas dire agressif de la réponse apportée par Monsieur G... à Mme J... qui s'étonne de ne pas avoir été informée :'A toi de voir ! J'ai été clair donc le temps de vous caler, viens si tu veux... Bah, parlez-vous ! Et ne me fais pas porter cette responsabilité !! elle m'a envoyé un sms hier soir. Je suis très clair !'.

S'agissant du licenciement, comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, aucune des pièces produites par la société Marionnaud Lafayette ne vient justifier les motifs allégués:

La procédure de licenciement a été engagée sur un terrain disciplinaire avec notification d'une mise à pied à titre conservatoire, mesure sur laquelle aucune explication ni justification ne sont données par l'employeur, alors même que la salariée, dont les évaluations antérieures étaient positives, n'avait repris le travail que deux mois auparavant.

En outre, cette procédure, initiée sur un terrain disciplinaire, s'est finalement soldée par un licenciement pour cause réelle et sérieuse reposant sur une insuffisance professionnelle et des manquements aux obligations professionnelles de la salariée.

L'insuffisance professionnelle invoquée ne repose sur aucun élément matériel vérifiable autre que les seules affirmations de l'employeur : en particulier, à réception des documents sollicités le 17 septembre 2012 pour une réunion programmée le 24 septembre 2012, Mme J... a effectué les démarches nécessaires à l'obtention des informations sollicitées et l'examen du courriel adressé à cette fin au partenaire de la société le 17 septembre 2012 ne témoigne ni 'd'un manquement à l'obligation de discrétion' ni 'd'une incrimination de son supérieur hiérarchique', la salariée expliquant seulement le caractère urgent de sa demande, ayant elle-même été soumise à un délai très court pour exécuter la tâche sollicitée.

Quant aux reproches quant à la qualité du travail fourni (bilan SMO) évoqués dans la lettre de licenciement, ils ne sont étayés par aucun élément permettant d'en vérifier la pertinence, la société ne produisant aucune pièce relative à la teneur des entretiens de la salariée avec son supérieur hiérarchique, Monsieur G... : en particulier, le prétendu refus de Mme J... de bénéficier d'un ordinateur portable pour pouvoir travailler à son domicile n'est pas établi et est d'ailleurs en contradiction avec le fait que l'intimée justifie avoir échangé des mails avec son supérieur à des heures tardives (lundi 17/09/2012 19h52) ou le samedi (22/09/2012), ces éléments démontrant également le caractère non fondé du manque de disponibilité reproché de façon sous-jacente à Mme J....

De la même manière, les difficultés prétendues rencontrées dans le management de Mme C... ne reposent sur aucun élément concret.

Par ailleurs, le fait que la salariée ait revendiqué une augmentation de salaire à son retour de congés ne peut caractériser une cause réelle et sérieuse de licenciement et ce, même si Mme J... a réitéré à plusieurs reprises cette demande auprès de son supérieur hiérarchique, les termes utilisés restant courtois et non polémiques.

En outre, les motifs invoqués à l'appui du licenciement sont en contradiction flagrante avec le fait que depuis son embauche au sein de l'entreprise et avant son congé maternité et sa reprise à temps partiel, Mme J... avait fait l'objet d'appréciations élogieuses ainsi qu'en attestent ses comptes-rendus d'évaluation des années antérieures.

En considération de l'ensemble de ces éléments, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu que Mme J... avait été victime d'une discrimination liée à son état de grossesse puis à sa situation familiale et la décision déférée sera confirmée de ce chef ainsi qu'en ce qu'elle a prononcé l'annulation du licenciement notifié le 27 novembre 2012 et ordonné la réintégration de la salariée.

Sur l'inégalité de traitement

Il résulte du principe 'à travail égal, salaire égal', dont s'inspirent les articles L.1242-14, L.1242-15, L. 2261-22.9°, L.2271-1.8° et L.3221-2 du code du travail, que tout employeur est tenu d'assurer l'égalité de rémunération entre tous ses salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale.

Sont considérés comme ayant une valeur égale par l'article L.3221-4 du code du travail les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse.

En application de l'article 1315 du code civil devenu l'article 1353, s'il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe 'à travail égal, salaire égal' de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence.

Au soutien de ses prétentions, Madame J... invoque les mêmes éléments que ceux invoqués au titre de la discrimination, outre le fait que la société aurait violé de manière caractérisée le plan d'action pour l'égalité professionnelle de l'entreprise qui impose à l'employeur de prendre les mesures nécessaires à l'articulation entre l'activité professionnelle et l'exercice des responsabilités familiales.

Il sera relevé d'une part que contrairement à ce que prétend la salariée, elle a bénéficié à son retour de congé d'un entretien avec son supérieur hiérarchique le 4 septembre 2012 ainsi que de la hausse de salaire collective appliquée dans l'entreprise et, en l'état des pièces produites, aucun manquement ne peut être valablement reproché à l'employeur à ce titre, ses demandes tant au titre de son congé parental que de l'aménagement des horaires ayant en outre été acceptées.

D'autre part, quant à la disparité de traitement entre les hommes et les femmes, si le rapport de situation comparée hommes/femmes au sein de l'entreprise pour l'année 2011 fait apparaître que la rémunération moyenne des femmes cadres travaillant au siège de l'entreprise s'élevait à 4.019€ et pour les hommes à 5.539€, le salaire médian se situant pour les femmes à 3.949 € et pour les hommes à 5.680 € soit environ 1.000 à 2.500 € de plus que le salaire perçu par Madame J..., ces considérations générales ne permettent pas à la cour de retenir une inégalité de traitement par une comparaison pertinente avec un ou plusieurs salariés placés dans une situation identique, d'autant, s'agissant de Madame D... A..., que le curriculum vitae de celle-ci démontre un parcours professionnel différent, élément objectif de nature à justifier la disparité de traitement.

La décision déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a débouté Mme J... de sa demande au titre de la violation du plan d'action pour l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

Sur la prise d'acte de la rupture du contrat après la réintégration de Mme J...

Mme J... demande à la cour de dire que la prise d'acte de la rupture de son contrat s'analyse en un licenciement nul et, outre que cette prise d'acte résulterait d'actes discriminatoires, invoque les éléments suivants :

- la société a sciemment tardé à exécuter la décision du conseil de prud'hommes ordonnant sa réintégration malgré les courriers adressés par elle les 13 octobre, 13 et 27 novembre 2015 et ce n'est que lorsqu'elle a annoncé par lettre du 8 décembre 2015 qu'elle se présenterait à l'entreprise le 15 décembre que l'employeur l'a convoquée à un entretien avec une responsable RH qui lui a alors expliqué que les postes disponibles n'étaient pas comparables à son poste antérieur, lui demandant d'ailleurs d'adresser un CV ;

- la société l'a délibérément mise en difficulté en lui demandant moins de 8 jours avant de reprendre son poste le 28 décembre, en pleines vacances scolaires étant précisé qu'elle était en arrêt de travail pour maladie depuis le 11 décembre 2015 et jusqu'au 3 janvier 2016 ;

- la société n'a réglé les salaires dûs qu'à la mi-février 2016 soit avec cinq mois de retard, de même qu'elle lui a remis des bulletins de paie erronés et ne contenant pas la plupart des mentions obligatoires ;

- sa réintégration dans l'entreprise n'a été que de façade, aucune fiche de poste ne lui a été donnée, ses missions n'ont pas été définies et ce, alors même que son poste antérieur existait toujours mais était confié à Mme D... A... et aucune réponse à ses courriers et demandes de rendez-vous pour remédier à cette situation ne lui a été donnée ;

- à la différence des autres collaborateurs du service, elle n'a été dotée ni d'un PC portable ni d'un téléphone professionnel et a été exclue de la réunion stratégique trimestrielle du 14 janvier 2016 ;

- elle n'a pas pu bénéficier d'un entretien de retour à l'emploi ni des congés payés et RTT auxquels elle pouvait prétendre, pas plus que de son crédit d'heures de formation ;

- la société a ainsi adopté une attitude visant à la contraindre à prendre acte de la rupture de son contrat qui a eu un impact sur sa santé puisqu'elle a été victime d'un syndrome anxiodépressif la contraignant à un arrêt de travail dès le 22 janvier 2016.

La société Marionnaud Lafayette estime que la prise d'acte de la rupture du contrat doit produire les effets d'une démission et, contestant les manquements allégués, fait valoir les éléments suivants :

- le retard pris dans l'exécution du jugement était justifié par la disparition du poste de Mme J... et la nécessité de lui trouver un emploi équivalent, l'ayant conduite à finalement créer ex nihilo un poste de chef de projet communication, ce qui ne pouvait se faire immédiatement ;

- le poste proposé était conforme aux responsabilités antérieurement assumées par Mme J... qui n'avait pas, contrairement à ce qu'elle prétend, la charge des relations avec la presse ;

- lorsque la société a proposé à Mme J... de reprendre son poste le 28 décembre 2015, avec un délai de prévenance de 8 jours, elle ignorait que celle-ci était en arrêt de maladie;

- ayant repris son poste le 4 janvier 2016 et s'étant vue confier la gestion d'un projet qui lui convenait, elle a, 10 jours plus tard, contesté cette réintégration et a été placée en arrêt de travail pour maladie le 22 janvier 2016, après avoir été déclarée, la veille, apte à la reprise par le médecin du travail et n'a plus reparu ensuite dans l'entreprise, le certificat médical produit, daté du 5 février 2016, étant parfaitement critiquable en ce que le médecin rédacteur n'a pas lui-même pu constater 'l'altération de l'état de santé en lien avec le conflit opposant la salariée à sa direction';

- les salaires dûs ont été réglés début février au conseil de la salariée et étaient donc régularisés à la date de la prise d'acte ;

- des bulletins annuels, parfaitement réguliers, ont été établis ;

- les jours de RTT n'avaient pas été réclamés devant le conseil de prud'hommes et ne sont pas dûs puisque la période d'éviction de l'entreprise n'ouvre pas droit à l'acquisition de congés.

La prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par un salarié produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse -voire nul, dans l'hypothèse notamment d'actes de discrimination - si les faits invoqués par le salarié sont établis et caractérisent des manquements suffisamment graves de l'employeur à ses obligations empêchant la poursuite de la relation contractuelle. A défaut, la prise d'acte de la rupture produit les effets d'une démission.

Il sera relevé en premier lieu que le jugement en date du 18 septembre 2015 a été notifié aux parties le 6 octobre 2015 et que si Mme J... fait état de 5 courriers adressés en vain à son employeur, seules deux lettres sont produites, datées du 13 et 27 novembre 2015, outre un courriel du 8 décembre 2015 auquel il a été répondu le 9 décembre par l'employeur.

En second lieu, il n'est pas contesté par l'intimée que son poste antérieur n'existait plus, Mme J... exposant qu'elle avait été remplacée à son poste par Mme D... A....

Par ailleurs, à la date à laquelle Mme J... a pris acte de la rupture de son contrat, elle avait déjà été réintégrée dans l'entreprise en sorte que le manquement lié au retard dans l'exécution de la décision était régularisé, l'employeur ne pouvant par ailleurs pas se voir reprocher d'avoir demandé à la salariée de reprendre son emploi le 28 décembre 2015 alors même que celle-ci exigeait une régularisation de sa situation avant le 31 décembre (dans son courrier du 16 décembre) et qu'il n'est pas établi que la société était informée de son arrêt de travail pour maladie. Au surplus, la salariée n'a finalement repris le travail que le 4 janvier 2016.

Quant au paiement des sommes dues en vertu du jugement, il est également intervenu avant que Mme J... ne prenne acte de la rupture de son contrat, dans les termes prévus par la décision, à savoir, le paiement d'un salaire brut de 3.041,64 € par mois par un chèque d'un montant de 77.098,36 € adressé le 5 février 2016 au conseil de la salariée outre les sommes de 20.000 et 3.000 € au titre des dommages et intérêts et des frais irrépétibles dont il n'est pas contesté qu'elles ont été réglées avec le salaire du mois de janvier 2016.

S'agissant des bulletins de salaires délivrés à l'occasion de la régularisation, si ceux-ci ne remplissent pas toutes les mentions obligatoires, ce seul manquement ne peut justifier la prise d'acte de la rupture alors même qu'il n'est ni établi ni même allégué que Mme J... a sollicité une régularisation préalable.

Celle-ci soutient enfin que la réintégration n'aurait été que 'de façade', évoquant une description très floue de sa mission et la diminution de ses responsabilités.

S'il n'est pas contestable que la salariée a été privée de ses fonctions d'encadrement (de deux personnes) qu'elle assumait antérieurement, il a déjà été relevé que, dans l'intervalle entre son licenciement intervenu en novembre 2012 et sa réintégration en janvier 2016, le service avait été réorganisé et le poste de Mme J... avait été pourvu par une autre salariée.

Or, Mme H... a néanmoins été réintégrée dans un poste de chef de projet de communication, après avoir bénéficié d'un entretien professionnel dès son arrivée, le 4 janvier 2016, l'employeur étant libre de choisir l'interlocuteur de la salariée lors de cet entretien.

Par ailleurs, la société justifie lui avoir adressé un descriptif de ses missions (courriers des 21 et 24 décembre 2016), lui précisant notamment quel était son rattachement hiérarchique ainsi que le fait que l'attribution de responsabilités manageriales pourrait être envisagée par la suite et, en l'état des pièces produites, il n'est pas démontré par la salariée que son poste était une coquille vide ni qu'elle n'était pas dotée des moyens nécessaires à l'exécution de ses fonctions.

Il n'est pas plus établi que Mme J... était la seule exclue de la réunion du 14 janvier 2016, sa supérieure hiérarchique, Mme I..., lui ayant d'ailleurs précisément répondu à ce sujet et lui adressant le 21 janvier 2016 les éléments nécessaires à la prise en charge d'un dossier qui lui était confié.

Mme J... déplore également ne pas avoir récupéré certains de ses droits notamment en terme de congés payés, RTT et compte formation : cependant, ces droits, découlant d'un travail effectif, ne peuvent être valablement revendiqués par la salariée pour la période correspondant à son éviction et les demandes en paiement formulées en cause d'appel au titre des congés payés et RTT seront donc rejetées.

Au surplus, aux termes du courriel adressé à Mme I... le 21 janvier 2016, il était prévu que la salariée participe à une formation le lendemain, son arrêt de maladie à cette date ne lui ayant pas permis d'en bénéficier.

Enfin, l'employeur, ayant organisé un entretien lors de la réintégration de la salariée, ne peut se voir reprocher de ne pas avoir prévu un entretien annuel de développement dans les jours qui ont suivi.

Quant à la dégradation de l'état de santé de la salariée, le médecin rédacteur du certificat daté du 5 février 2016 n'a pas pu constater la réalité du conflit dont il fait état, conflit au demeurant démenti par le contenu des courriels échangés entre Mme J... et sa supérieure hiérarchique.

Par ailleurs, s'agissant de l'allégation d'actes discriminatoires, aucun autre agissement que ceux antérieurs au licenciement intervenu en novembre 2012 n'ont été développés par Mme J.... Ces faits remontant à près de trois ans et demi avant la prise d'acte ne peuvent justifier celle-ci.

Les manquements invoqués par Mme J... étant pour la plupart soit non établis soit dépourvus de gravité suffisante, la prise d'acte de la rupture du contrat de travail doit produire les effets d'une démission.

Sur les demandes pécuniaires de la salariée

Mme J... sollicite à la fois le paiement d'un rappel de salaires pendant la période d'éviction sur la base d'une rémunération de 5.000 € bruts par mois ainsi que, sur les mêmes bases, du préjudice économique qu'elle aurait subi du fait de la discrimination en raison de sa situation familiale, estimant qu'elle aurait dû percevoir cette rémunération depuis son embauche.

S'il a été admis qu'elle avait été victime d'une discrimination à raison de sa situation familiale et de son état de grossesse, il n'est pour autant pas établi qu'elle aurait dû être engagée, alors qu'elle n'avait aucune expérience professionnelle, sur une rémunération identique à celle qui a ensuite été proposée pour pourvoir à son remplacement.

Par ailleurs, eu égard à son ancienneté relative, à son parcours professionnel manifestement différent de celui de Mme D... A..., il ne saurait être retenu que sa rémunération aurait dû s'élever à 5.000 € bruts.

Il ressort des pièces produites, qu'engagée en janvier 2007 sur la base d'un salaire brut de 2.667€, Mme J... avait bénéficié en mai 2008 d'une augmentation de 6,60% puis en juin 2001 de 5% et enfin en avril 2012 de 2%, sa rémunération brute de base s'élevant en dernier lieu à 3.041,64 €.

Compte tenu de l'élargissement de ses responsabilités en novembre 2011, il sera considéré que sa rémunération brute aurait dû être portée à 3.300 € bruts à compter du mois d'avril 2012.

Le préjudice économique subi sera évalué à la somme de 3.500 €.

La décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a alloué à Mme J... la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts, au vu notamment des déclarations de ses proches attestant de l'impact sur l'état de santé de la salariée au moment de son licenciement, cette somme ayant été réglée par la société Marionnaud Lafayette en exécution du jugement avec le salaire du mois de février 2016.

Quant au rappel de salaire dû pour la période d'éviction, sur la base d'un salaire brut fixe de 3.041,64 € bruts dû entre le 27 février 2013 et le 27 décembre 2015, la société a versé à la salariée, suite au jugement déféré, la somme de 77.098,36 € nets le 2 février 2016.

L'employeur sollicite la déduction des revenus de remplacement perçus par la salariée ainsi que de l'indemnité de licenciement qui lui a été versée.

Le salarié dont le licenciement est nul et qui a demandé sa réintégration a droit au paiement d'une somme correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des revenus dont il a été privé.

Il convient donc de déduire des sommes dues par l'employeur les revenus de remplacement perçus par Mme J... ainsi que l'indemnité de licenciement versée par la société Marionnaud Lafayette.

Au vu des pièces produites, d'une part, Madame J... a perçu la somme de 3.799,54 € au titre de l'indemnité légale de licenciement.

D'autre part, durant la période d'éviction (soit du 27 février 2013 au 27 décembre 2015), elle a bénéficié des sommes suivantes :

- du 30 avril 2013 au 10 novembre 2013 : 191 jours au titre de l'allocation de retour à l'emploi pour un montant net journalier de 49 € soit 9.359 € ;

- du 11 novembre 2013 au 2 mars 2014 : 112 jours d'indemnités journalières versées par la CPAM pour un montant net de 8.274,56 € nets ;

- du 3 mars 2014 au 31 décembre 2014 : 304 jours au titre de l'allocation de retour à l'emploi pour un montant net journalier de 49 € soit 14.896 € nets.

Si Pôle Emploi a continué à verser à Mme J... l'allocation de retour à l'emploi jusqu'au 31 mai 2015, à réception de l'attestation délivrée par la société Marionnaud Lafayette suite à la prise d'acte de la rupture du contrat, Pôle Emploi a sollicité le remboursement de ces sommes qu'il n'y a donc pas lieu de déduire.

En conséquence, sur la somme de 77.098,36 € nets perçue, Mme J... devra restituer une somme de 36.329,10 € nets.

La cour ayant retenu que le salaire de Mme J... aurait dû être porté à la somme de 3.300 €, le solde de rappel de salaire dû pendant la période d'éviction sera fixé à la somme de 8.784,24€ bruts, étant observé que si Mme J... revendique l'application des augmentations pratiquées, elle ne verse aux débats aucune pièce qui permettrait à la cour d'effectuer les calculs correspondant à cette demande non chiffrée, qui sera en conséquence rejetée.

S'agissant de la somme due au titre du bonus 2012, compte tenu de la période d'activité à temps partiel de la salariée des mois de septembre à décembre 2012, elle sera fixée à 1.056,03 € bruts.

Mme J... sollicite également le paiement d'un rappel de prime d'ancienneté en se fondant sur le montant perçu en janvier 2016 pour la période de mars 2013 à décembre 2015.

Au vu de l'accord d'entreprise en date du 31 octobre 2011 et de l'ancienneté de la salariée (moins de 9 ans avant janvier 2016), la somme due à ce titre sera fixée à 2.162,40 € bruts (63,60 € X 34 mois), la société invoquant à tort un indu des mois de janvier et février 2016 dès lors que l'accord d'entreprise prévoit 15 points de prime à partir de 9 années d'ancienneté.

La prise d'acte de la rupture produisant les effets d'une démission, Mme J... sera déboutée de ses demandes découlant de la qualification de licenciement nul qui n'est pas retenue par la cour à ce titre (indemnité pour licenciement nul du 22 février 2016, indemnité de licenciement et préavis).

Sur la demande en paiement de la société Marionnaud Lafayette au titre du préavis

La prise d'acte de la rupture produisant les effets d'une démission, Mme J... sera condamnée à payer à la société Marionnaud Lafayette la somme de 9.124,92 € bruts sollicitée.

Sur les autres demandes

La société Marionnaud Lafayette devra délivrer à Mme J... des bulletins de paie rectifiés pour la période de mars 2013 à décembre 2015 conformes au présent arrêt, mentionnant notamment sa qualification et classification exactes, sa date d'entrée dans l'entreprise ainsi que son ancienneté et ce, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, étant précisé que cette remise pourra être effectuée sous la forme d'un bulletin récapitulatif établi par année.

Il sera fait droit à la demande de compensation formulée par la société Marionnaud Lafayette entre les créances respectives des parties.

La société Marionnaud Lafayette qui succombe à l'instance sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à Mme J... la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Confirme le jugement déféré dans l'intégralité de ses dispositions sauf en ce qui concerne la réparation du préjudice économique subi par Mme J... au titre de la discrimination et sauf à déduire du montant des salaires dûs pendant la période d'éviction les revenus de remplacement perçus au cours de cette période,

Statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant,

Dit que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par Mme J... du 22 février 2016 produit les effets d'une démission,

Condamne Mme J... à payer à la société Marionnaud Lafayette la somme de 9.124,92 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

Condamne Mme J... à restituer à la société Marionnaud Lafayette la somme de 36.329,10 € nets, correspondant aux revenus de remplacement perçus durant la période d'éviction à déduire de la somme de 77.098,36 € nets versée par la société Marionnaud Lafayette au titre des salaires dûs pendant la même période, tels que fixés par la décision déférée,

Condamne la société Marionnaud Lafayette à payer à Mme J... les sommes suivantes :

- 8.784,24€ bruts au titre du solde de rappel de salaire dû pour la période de mars 2013 à décembre 2015, en sus de la somme déjà réglée à ce titre (77.098,36 € nets),

- 3.500 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique résultant de la discrimination,

- 1.056,03 € bruts au titre du rappel de bonus dû pour l'année 2012,

- 2.162,40 € bruts au titre de la prime d'ancienneté due de mars 2013 à décembre 2015,

- 3.000 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

Ordonne à la société Marionnaud Lafayette de délivrer à Mme J... des bulletins de paie rectifiés pour la période de mars 2013 à décembre 2015 conformes au présent arrêt, mentionnant notamment sa qualification et classification exactes, sa date d'entrée dans l'entreprise ainsi que son ancienneté et ce, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, étant précisé que cette remise pourra être effectuée sous la forme d'un bulletin récapitulatif établi par année,

Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le conseil de prud'hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, devenu l'article 1343-2,

Ordonne la compensation entre les créances respectives des parties,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Condamne la société Marionnaud Lafayette aux dépens.

LE GREFFIER LE CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 15/10871
Date de la décision : 05/06/2018

Références :

Cour d'appel de Paris L2, arrêt n°15/10871 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-06-05;15.10871 ?
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