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29/05/2018 | FRANCE | N°17/00130

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 29 mai 2018, 17/00130


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 1



ARRET DU 29 MAI 2018



(n° 261 , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 17/00130



Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Novembre 2016 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 13/07550





APPELANTS



Madame Claudine Adrienne X... épouse Y...

[...]



née le [...] à PAMIE

RS (09)





Monsieur Henri Georges Y...

[...]



né le [...] [...]





Madame Jacqueline M... Z... épouse A...

[...]



née le [...] à SAINT OVIN (50)





Monsieur Hervé Manuel N... A...

[...]



...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1

ARRET DU 29 MAI 2018

(n° 261 , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 17/00130

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Novembre 2016 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 13/07550

APPELANTS

Madame Claudine Adrienne X... épouse Y...

[...]

née le [...] à PAMIERS (09)

Monsieur Henri Georges Y...

[...]

né le [...] [...]

Madame Jacqueline M... Z... épouse A...

[...]

née le [...] à SAINT OVIN (50)

Monsieur Hervé Manuel N... A...

[...]

né le [...] à EVREUX (27)

Représentés par Me Elodie B..., avocat au barreau de PARIS, toque : G0424

Ayant pour avocat plaidant Me Pierre C... de la SCP C... L... & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0215

INTIMES

Monsieur Charles D... es qualité de liquidateur amiable de la SCI 26 BOULEVARD SÉBASTOPOL

[...]

Madame Margaux E... épouse D...

[...]

SCI 26 BOULEVARD SÉBASTOPOL agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés [...]

N° SIRET : 435 354 865

Représenté par Me Sandra F... O... F... K... Cabinet d'Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

Ayant pour avocat plaidant par Me Ilan G..., avocat au barreau de PARIS, toque : D0718

SCI DE LA MUTUALITE FRANCAISE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés [...]

N° SIRET : 348 717 992

SCI DU [...] , prise en la personne de ses représentants légaux, domicilié [...]

N° SIRET : 378 720 395

Représentées et plaidant par Me Roger H... de la SCP H...DELION- GAYMARD - RISPAL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0516

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 Mars 2018, en audience publique, devant la Cour composée de:

M. Christian HOURS, Président de chambre

Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère

Mme Anne LACQUEMANT, Conseillère

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Christian HOURS dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Lydie SUEUR

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Christian HOURS, président et par Mme Lydie SUEUR, greffier.

*****

La société civile immobilière du [...] a été constituée le 1er mars 2001 entre, d'une part, la Fédération Nationale de la Mutualité Française (FNMF) qui a apporté l'immeuble à usage d'habitation et de commerce situé à l'adresse de sa dénomination sociale et, d'autre part, la société Euromut (ayant comme associées la SCI de la Mutualité Française, la FNMF et Matmut Assurances).

Suivant bail sous seing privé du 10 mars 2001 à effet au 1er mars 2001, soumis aux dispositions de la loi du 6 juillet 1989, la SCI du [...] a donné en location à M. Georges Y... et à Mme Claudine X..., son épouse, un appartement duplex dans l'immeuble situé au [...], lui appartenant.

Le 10 juillet 2004, à la suite d'une scission de la FNMF, la quasi-totalité du capital de la SCI du [...] est devenue la propriété de l'Union nationale de prévoyance de la Mutualité française (UNPMF).

Suivant bail sous seing privé du 13 décembre 2004, soumis aux dispositions de la loi du 6 juillet 1989, la SCI du [...] a donné en location à M. Hervé A... et à Mme Jacqueline Z..., son épouse, un appartement dans le même immeuble.

Le 27 septembre 2006, la SCI du [...] est entrée au capital social de la SCI du [...] , dont elle a acquis une part.

A cette date, le capital de la SCI du [...] était détenu par :

- l'Union nationale de prévoyance de la Mutualité française (UNPMF) : 33 538 parts,

- la SCI du [...] : 1 part.

Le 16 décembre 2009, l'UNPMF a cédé ses parts à la SCI de la Mutualité Française.

Par acte du 24 août 2012, la SCI de la Mutualité française et la SCI du [...] ont cédé à M. Charles D... et à Mme Margaux E..., son épouse, la totalité des parts de la SCI du [...].

Les époux D..., qui indiquaient avoir leur résidence principale au [...] dans un appartement qu'ils louaient depuis cinq ans, ayant souhaité occuper personnellement l'appartement duplex aux 5ème et 6ème étage pour en faire leur résidence principale, la SCI du 26 bd Sébastopol, dont ils avaient acquis les parts, ont fait délivrer aux époux Y..., dans les lieux depuis 2001, un congé pour reprise le 28 août 2012, dont ces derniers ont contesté la validité, la SCI les ayant ensuite assignés, le 13 mars 2013, en validation du congé et expulsion devant le tribunal d'instance de [...], lequel, par jugement du 10 septembre 2013, a sursis à statuer dans l'attente de la décision à intervenir dans la présente procédure.

Par ailleurs, par acte extrajudiciaire du 26 juillet 2013, la SCI du [...] a fait signifier aux époux A... une offre de vente à laquelle ceux- ci ont fait opposition par acte d'huissier de justice du 23 octobre 2013.

Leur appartement a été vendu aux parents de Mme D..., les époux E..., par acte du 20 novembre 2013, ce contre quoi les époux A... ont protesté, comme d'une vente faite en fraude de leurs droits.

Un congé reprise leur a été délivré le 26 avril 2016, qu'ils ont contesté le 6 septembre 2016, les époux E... saisissant en validation du congé le tribunal d'instance de [...], lequel, par jugement du 15 novembre 2016, a annulé le congé, les époux E... ayant interjeté appel contre cette décision.

Dès le 4 mai 2013, les époux Y... et les époux A... ont saisi le tribunal de grande instance de Paris pour que :

- l'acte du 24 août 2012 portant cession des parts sociales détenues par la SCI de la Mutualité et la SCI du [...] au profit des époux D... soit jugé frauduleux comme destiné à éluder les droits qu'ils tenaient des accords collectifs de location des 9 juin 1998 et 16 mars 2005, s'agissant notamment des modalités d'exercice de leur droit de préemption ;

- cette cession de parts soit déclarée nulle avec les conséquences attachées ;

- la SCI de la Mutualité Française, la SCI du [...] et les époux D... soient condamnés in solidum à payer aux époux Y... d'une part, aux époux A..., d'autre part, une somme de 100000 euros à titre de dommages et intérêts, outre une somme globale de 15000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 15 novembre 2016, le tribunal de grande instance de Paris a pour l'essentiel:

- débouté les époux Y..., d'une part, et les époux A..., d'autre part, de l'ensemble de leurs demandes ;

- débouté la SCI du [...], représentée par son liquidateur, M. Charles D..., ainsi que les époux D..., de leurs demandes de dommages-intérêts ;

- déclaré irrecevable la demande de la SCI du [...] et des époux D... tendant au prononcé d'une amende civile sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile ;

- condamné les époux Y... et les époux A... in solidum aux dépens ;

- condamné les époux Y... et les époux A... in solidum à payer aux SCI de la mutualité française et du [...] de 1500 euros chacune et aux époux D... et à la SCI du [...] représentée par son liquidateur, M. Charles D..., la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a considéré que les accords collectifs étaient applicables dès lors que la SCI du [...] avait l'intention de vendre plus de dix logements vacants ou occupés dans un même immeuble et que la cession litigieuse des parts des SCI de la mutualité française et du [...] aux époux D... du 24 août 2012, laquelle a porté sur des droits sociaux et non sur l'immeuble détenu par la SCI du [...], lui a permis d'éluder l'application de ces accords collectifs, s'agissant notamment des modalités d'exercice de leur droit de préemption par les locataires, toutefois la preuve n'était pas rapportée que le choix de ces SCI de céder leurs parts sociales, comme elles en avaient le droit, plutôt que de procéder à des ventes d'appartements serait constitutif d'une fraude, étant observé que les époux Y... et les époux A... ont respectivement bénéficié d'une offre de vente de l'appartement qu'ils occupaient en date des 6 août 2010 et 26 juillet 2013 qu'ils n'ont pas acceptée.

Le 16 janvier 2017, les époux Y... et les époux A... ont saisi le tribunal de grande instance de Paris en annulation de la vente intervenue entre la SCI du [...] et les époux E..., l'affaire étant en cours devant la 2ème chambre 2ème section.

Les époux Y... et les époux A... ont interjeté appel du jugement précité du 15 novembre 2016.

Le conseiller de la mise en état a rendu l'ordonnance de clôture, le 6 février 2018.

Aux termes de leurs dernières conclusions antérieures à cette ordonnance, en date du 23 ùars 2017, les époux Y... et les époux A... ils demandent à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris, tant en ce qu'il a rejeté les demandes et moyens des intimés, qu'en ce qu'il a dit que les accords collectifs étaient applicables ;

- l'infirmer en ce qu'il a dit qu'il n'y avait pas de fraude ;

- juger que l'acte du 24 août 2012 portant sur la cession des parts sociales détenues par la SCI

de la Mutualité Française et la SCI du [...] au profit des époux D... a été fait en violation de leurs droits ;

- déclarer nulle et de nul effet cette cession de parts avec les conséquences qui y sont attachées ;

- subsidiairement, juger que la cession leur est inopposable ;

- en conséquence, juger que les époux D... n'ont pas plus de droits que la SCI de la Mutualité Française et la SCI du [...] est et reste soumise aux accords collectifs ci-dessus visés ;

- condamner in solidum la SCI de la Mutualité Française, la SCI du [...], les époux D... à leur verser, d'une part aux époux Y..., d'autre part, aux époux A..., la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- les condamner à leur verser une somme globale de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeter les demandes reconventionnelles des intimés ;

- les condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés pour

les premiers par Me Pierre C... et pour les seconds par Me Elodie B..., conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières écritures du 22 mai 2017, les SCI de la Mutualité Française et du [...] demandent à la cour de :

- juger irrecevables les demandes des époux Y... et des époux A... en responsabilité pour manquement aux accords collectifs en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre des SCI Mutualité Française et [...] ;

- constater l'inapplicabilité des accords collectifs compte tenu de l'absence de délivrance d'un congé pour vente ;

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a jugé que la fraude à la loi n'est pas démontrée ;

- subsidiairement, dire et juger que les consorts Y... A... n'ont subi aucun préjudice;

- à titre infiniment subsidiaire, dire et juger les consorts Y... A... irrecevables à solliciter l'annulation de la cession de parts par la SCI du [...], acquéreur de l'appartement du rez-de-chaussée (lot 3), suivant acte notarié du 19 novembre 2012, ainsi qu'aux parents de Mme D..., acquéreurs de l'appartement du 1er étage suivant acte notarié de mars 2013 ;

- en toute hypothèse, débouter les consorts Y... A... de leur demande de dommages et intérêts ;

- les condamner à payer à la SCI Mutualité Française et à la SCI 255 rue de Vaugirard la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum les époux Y... et les époux A... en tous les dépens dont distraction au profit de la SCP H... Delion Gaymard Rispal, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières écritures antérieures à l'ordonnance de clôture, du 6 février 2018, la SCI du [...], les époux D... et M. D..., en sa qualité de liquidateur de la SCI 26 bd Sébastopol, demandent à la cour de :

- déclarer les époux Y... ainsi que les époux A... irrecevables et en tout cas mal fondés en leur appel ;

- confirmer le jugement querellé en ce qu'il a débouté les appelants ;

- l'infirmer en ce qu'il a débouté la SCI du [...] représentée par son liquidateur, M. D..., ainsi que les époux D... de leurs demandes de dommages et intérêts;

- statuant à nouveau :

- débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes ;

- condamner solidairement les époux Y... à payer aux époux D... la somme de 10000 euros pour procédure dilatoire ;

- condamner solidairement les époux A... à payer aux époux D... la somme de 250 000 euros au titre de leur préjudice financier ;

- condamner solidairement les appelants à payer aux époux D... et à la SCI du [...] représentée par son liquidateur, M. D... d'autre part, la somme de 20000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner solidairement 'M. et Mme Y... et M. et Mme A... et la SCI du [...] représentée par son liquidateur M. D..., aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Ilan G... en application de l'article 699 du code de procédure civile'.

SUR CE,

Considérant que les conclusions des parties postérieures à l'ordonnance de clôture ne peuvent être prises en considération, aucune cause grave n'étant alléguée qui justifierait sa révocation;

Considérant que les époux Y... et les époux A..., appelants, soutiennent que :

- le litige opposant les parties est né lorsque la SCI propriétaire (qui refusait d'appliquer les accords collectifs) a changé de nature juridique en devenant une SCI familiale, grâce à la cession de parts sociales contestée ;

- la loi du 6 juillet 1989 distingue en effet les droits et obligations du bailleur selon qu'il s'agisse d'une personne morale ou d'une personne physique, les obligations de ces dernières étant moins contraignantes que celles des personnes morales, notamment sur la durée du bail: 3 ans au lieu de 6, la possibilité de délivrer un congé pour reprise, la non application des accords collectifs de location qui ne s'imposent qu'aux bailleurs des second et troisième secteurs locatif ; afin de régler la situation des sociétés civiles non commerciales, le législateur a prévu une dérogation à l'application des textes, lorsque la SCI est une SCI «familiale» qu'il assimile à une personne physique, dès lors qu'elles sont constituées exclusivement entre parents et alliés jusqu'au quatrième degré inclus ;

- la cession des parts sociales faites par les 2 SCI, qui étaient des sociétés et non des particuliers, aux époux D..., personnes physiques, a changé la nature juridique de la SCI propriétaire, devenue un bailleur personne physique, non assujetti aux accords collectifs et pouvant de ce fait ne pas les appliquer avant de notifier une offre de vente et pouvant délivrer des congés pour reprise ; c'est ainsi qu'il a été délivré un congé pour reprise aux époux Y... puis aux époux A... (après que leur appartement a été vendu sans appliquer les accords collectifs) visant à les faire quitter leur appartement dès la fin de leurs baux respectifs ;

- le litige soumis à la cour se résume à la question de savoir si la SCI, qui était une personne morale lorsqu'elle a décidé de procéder à la vente par lots de la totalité de l'immeuble, était ou non tenue de respecter les accords collectifs de location de 1998 et de 2005 lesquels sont d'ordre public ;

- en cas de réponse positive, il faut se demander comment doit être qualifiée juridiquement la décision prise par les associés de la SCI de céder leurs parts sociales à deux particuliers, ce qui a permis à la SCI «d'éluder » (pour reprendre la formule du tribunal) l'application desdits accords puisque, compte tenu de son changement de nature juridique, elle n'y était plus soumise ;

- si les appelants ne se sont pas portés acquéreurs de leur appartement, lorsqu'ils ont reçu l'offre de vente, c'est parce qu'ils ne disposaient pas des garanties qui leur sont dues aux termes des accords collectifs et notamment d'un diagnostic technique fait de manière concerté, étant précisé que l'immeuble dans lequel ils vivent, compte tenu des travaux importants réalisés et des désordres qui en sont résultés, justifiait amplement que des investigations poussées soient faites ;

- ils démontrent que le choix fait de la cession des parts sociales, s'il est bien évidemment licite, faute de quoi, il n'y aurait pas débat, n'en constitue pas moins une fraude dans la mesure où il est 'l'artifice" visé par le tribunal ayant pour conséquence que les concluants n'ont pas eu droit aux informations et garanties prévues par les accords collectifs ni reçu en application desdits accords une offre de vente ;

- si le jugement était confirmé, cela aurait pour effet que les concluants seraient définitivement privés du droit de préemption spécifique applicable en cas de vente à la découpe, tel que cela est le cas en l'espèce et qu'à terme, compte tenu des congés reçus, ils seraient expulsés ;

- la SCI 26 boulevard de Sébastopol était propriétaire de l'ensemble de l'immeuble qu'elle a mis en copropriété et vendu par lots ; elle a pris toutes les décisions relatives à la vente de l'immeuble ;

- Lorsque le bail des époux Y... est arrivé à échéance, le 1er mars 2013, la SCI a délivré un congé pour reprise dont la validité est contestée, une procédure étant en cours, le tribunal d'instance de [...], par jugement du 10 septembre 2013, ayant sursis à statuer dans l'attente de la décision qui sera rendue dans le cadre de la présente procédure;

- il ne s'est écoulé que 2 ans entre la décision de vendre par lots tout l'immeuble (le 24 janvier 2007), la mise en copropriété (le 13 avril 2007), la première vente (le 26 avril 2007) et la vente de la quasi-totalité des lots d'habitation (sauf 4), le 20 janvier 2009, ce qui est particulièrement court ; en 2010, la SCI tente de céder les deux appartements loués aux concluants parmi les quatre restants (les deux autres étant inoccupés) ;

- la SCI a été contrainte d'annuler le congé-vente délivré le 6 avril 2010 aux époux A... au prix de 845000 euros, dès lors que ceux-ci ont demandé le respect des accords collectifs, puisqu'elle n'aurait jamais pu en obtenir la validation, compte tenu de la jurisprudence constante sur ce point ; une offre de vente a été notifiée aux époux A..., le 26 juillet 2013, à laquelle ils ont fait opposition par acte du 23 octobre 2013 ; malgré cette opposition, leur appartement a été vendu aux parents de Mme D..., les époux E..., par acte du 20 novembre 2013 ; les époux A... ayant protesté contre cette vente faite en fraude à leurs droits, un congé reprise leur a été délivré le 26 avril 2016, qu'ils ont contesté le 6 septembre 2016 ; le 19 décembre 2016, les époux E... ont fait citer les concluants devant le tribunal d'instance du 4 ème arrondissement de Paris aux fins de voir valider le congé reprise avec toutes les conséquences qui y sont attachées, l'affaire étant pendante devant le tribunal, étant précisé que les époux A... ont demandé la nullité du congé délivré et le sursis à statuer dans l'attente des décisions à intervenir ; par jugement du 15 novembre 2016, le tribunal d'instance a annulé le congé délivré ; les époux E... ont interjeté appel de la décision rendue ; par acte du 16 janvier 2017, les époux A... ont saisi le tribunal de grande instance de Paris d'une demande d'annulation de la vente intervenue entre la SCI 26, bld de Sébastopol et les époux E..., l'affaire étant pendante ;

- l'action des appelantes est recevable comme le tribunal l'a jugé, dès lors que c'est la SCI du [...] qui a initié une procédure de vente par lots en refusant d'appliquer les accords collectifs, ce qui lui est reproché et ce sont ses anciens associés, la SCI de la Mutualité Française et la SCI du [...], qui ont commis une fraude en cédant aux époux D... leurs parts sociales ; les SCI associées étaient parfaitement au fait de la situation de la SCI du [...] puisque M Abdou I... est, tout à la fois : gérant ou cogérant de la SCI depuis sa création jusqu'à sa cession aux époux D..., cogérant de la SCI Mutualité Française et cogérant de la SCI du [...] ;

- le ton comminatoire, agressif et menaçant des lettres adressées par M. D... est nettement plus perturbant que le fait de recevoir la même lettre en plusieurs exemplaires, dès lors que les destinataires occupent des fonctions différentes ;

- la décision de vendre l'appartement des époux A... aux époux E..., parents et beaux-parents des époux D..., au prix exact proposé aux époux A..., est antérieure à l'opposition à l'offre de vente, tel que cela résulte de l'acte de vente lui-même, ce qui démontre que les époux D... n'ont souffert d'aucune perte, ainsi qu'il a été jugé en première

instance ;

- la SCI ayant décidé de vendre par lots la totalité de l'immeuble était tenue de respecter les accords collectifs de location ; en décidant de ne pas le faire, elle a privé les concluants des droits et garanties qu'ils tiennent desdits accords, notamment en ce qui concerne leur droit de

préemption spécifique ; les accords collectifs sont bien applicables, l'immeuble comportant plus de 10 logements et ayant porté sur plus de 10 logements, peu important qu'aucun congé vente n'ait été délivré ;

- le choix fait de céder des parts sociales plutôt que de vendre des appartements l'a été dans le but d'éluder l'application des accords collectifs, ce qui constitue bien l'« artifice » demandé par le tribunal, qui doit être sanctionné au titre de la fraude compte tenu de

l'analyse faite par la doctrine et la jurisprudence ; la fraude consiste « à faire jouer une règle de droit pour tourner une autre règle de droit », étant souligné que les venderesses des parts de la SCI appartiennent à la Mutualité française, que M. D... était notaire assistant, de sorte qu'ils connaissaient tous parfaitement les règles de droit applicables à la cession d'appartements dans le cadre d'une vente à la découpe ;

- le fait de ne pas tenir compte des accords collectifs a permis indûment aux intimés de délivrer d'une part un congé pour habiter, ce qui a été fait contre les époux Y... et après la vente contre les époux A..., d'autre part, pour vendre, sans respecter les accords collectifs, ce qui a été fait contre les époux A... et qui a permis aux acquéreurs (parents et beaux parents des époux D...) de leur délivrer un congé reprise ; la SCI n'a pas eu non plus à donner à ses locataires les informations et garanties auxquelles ils avaient droit, avant que ne leur soit notifiée une offre de vente, étant précisé que cette notification d'offre de vente n'était pas une possibilité pour la SCI mais bien une obligation, puisqu'elle vendait la totalité de l'immeuble ;

- il n'y a pas discordance entre la valorisation de parts de la SCI et la valeur vénale des immeubles qui composent son actif comme le prétend la SCI pour justifier le choix de vendre les parts et non les lots d'immeuble ; les SCI qui avaient procédé à la vente de la quasi-totalité de l'immeuble démontrent, sans contestation possible, qu'elles ont choisi la cession de parts sociales plutôt que le respect des accords collectifs pour justement ne pas avoir à les appliquer ;

- ils subissent un préjudice car, si la cession de la SCI à Mme et M D... était confirmée, elle aurait pour résultat de les priver définitivement de la possibilité d'acquérir leur appartement avec les garanties apportées par les accords collectifs, garanties qu'ils jugent essentielles en l'espèce, alors même que l'immeuble a fait l'objet d'une vente par lots et que cette information aurait dû leur être délivrée ; la cession confirmée les contraindrait à quitter leur appartement contrairement aux engagements répétés de la SCI de ne les vendre qu'aux locataires qui en feraient la demande et de ne pas rompre les baux des autres locataires ;

- la fraude doit être sanctionnée par la nullité, notamment en vertu de l'adage «La fraude corrompt tout» ; subsidiairement, elle doit être sanctionnée par l'inopposabilité de celle-ci, comme l'ont demandé à titre subsidiaire les SCI ;

Considérant que les SCI de la Mutualité Française et du [...] plaident que:

- la faute prétendument commise par la SCI du [...] ne peut qu'engager la responsabilité de celle-ci et non celle de ses associés, de sorte que la demande dirigée à leur encontre est irrecevable ;

- en 2007 et 2008, à l'époque des ventes, la Mutualité Française n'était pas propriétaire des parts de la SCI, puisqu'elle ne les a acquises qu'en décembre 2009, tandis que la SCI du [...] ne disposant que d'une voix, n'avait aucun poids dans les décisions prises par la SCI ;

- l'application des accords collectifs de 1998 et 2005 est subordonnée à la délivrance au minimum d'un congé pour vente ;

- leur intention fraudeuse n'est aucunement démontrée, rien ne leur interdisant de vendre leurs parts ;

- les droits des appelants restent intacts ;

- aucun préjudice n'est justifié ;

Considérant que la SCI du [...], les époux D... et M. D..., en sa qualité de liquidateur de la SCI 26 bd Sébastopol, intimés, répliquent que :

- au moment de la régularisation de la cession de parts au profit des époux D... E... (respectivement clerc de notaire, au moment des faits et docteur en psychologie) le 24 août 2012, la SCI du [...] et notamment d'un appartement en duplex aux 5ème et 6ème étages, dont les époux D... ont souhaité faire leur résidence principale, d'où le congé pour reprise délivré le 28 août 2012 aux époux Y... ;

- le 26 juillet 2013, la SCI du [...] a fait signifier aux époux A... une offre de vente à laquelle ceux-ci se sont opposés

- les appelants ne démontrent pas que les dispositions protectrices des accords collectifs sont applicables en l'espèce ; là où le congé pour vente n'est pas applicable, l'accord collectif n'a pas à l'être ; or, en l'espèce, s'il y a bien eu transaction le 24 août 2012, celle-ci n'a porté que sur des droits sociaux et non sur l'immeuble détenu par la SCI du 26 bd Sébastopol et donc les lots de copropriété ; la discordance entre la valorisation de parts de SCI et la valeur vénale des immeubles qui composent son actif justifie, entre autre, que les locataires ne puissent bénéficier d'un droit de préemption en cas de cession de parts sociales et que l'application des accords collectifs soit exclue ; l'intention de la SCI du 26 bd Sébastopol de vendre plus de dix logements n'est donc pas établie à l'époque des premières ventes en 2007 ; il ne peut être considéré que le congé pour vendre litigieux s'inscrivait dans le cadre d'une opération de mise en vente de plus de 10 logements ; dès lors les accords collectifs des 9 juin 1998 et 16 mars 2005 étendus par la loi du 13 juin 2006 et le décret du 10 novembre 2006 ne sont pas applicables en l'espèce ;

- en tout état de cause, la sanction du non-respect du formalisme des accords collectifs de location des 9 juin 1998 et 16 mars 2005 est la nullité du congé pour vente ; or, il n'y a pas eu de congé pour vente mais un congé pour reprise ;

- la cession de parts sociales litigieuse n'encourt pas davantage une sanction pour fraude à la loi ; la cour s'interrogera alors pour quelle raison le cédant, les SCI de la Mutualité Française et du [...], et le cessionnaire, les époux D..., auraient dû redouter la préemption par les époux A... et les époux Y..., alors qu'ils ont toujours refusé d'acquérir malgré les propositions qui leur ont été faites à des prix inférieurs au marché immobilier ; les modalités de vente dans le cadre des accords collectifs ne s'appliquent pas entre un bailleur et son locataire mais lorsqu'un bailleur vend à un acquéreur-tiers ;

- la procédure engagée par les époux Y... et les époux A..., le jour de l'assignation des époux Y... en validation du congé pour reprise et en expulsion, alors qu'ils n'ont pas donné suite à l'offre de vente à un prix en dessous du marché, qui a été faite, est purement dilatoire, ce qui constitue une faute à l'origine d'un préjudice certain pour les époux D... ; les courriers multiples des époux Y... et des époux A... ont eu des répercussions sur la santé notamment de Mme D... ; le refus de laisser visiter l'appartement par les époux A... ont contraint les époux D... à revendre l'appartement occupé et décoté au prix de 840 000 euros au lieu d'un prix de 1 000 000 euros à 1 100 000 euros, d'où un préjudice financier important ;

Considérant que lors de l'assemblée générale extraordinaire du 24 janvier 2007, les associés de la SCI du [...] ont décidé la mise en copropriété de l'immeuble, autorisé la vente de gré à gré, en totalité ou en partie et par lots, moyennant les prix, charges et conditions que le mandataire jugera convenables, de lots de copropriété ainsi créés, donné tout pouvoir à M. Abdou I... et M. Jean-Philippe J... afin de mettre en oeuvre ces délibérations ;

Considérant qu'il est ainsi établi que, conformément à la ligne selon laquelle ce n'est pas la vocation des mutuelles de détenir directement ou indirectement à long terme des logements d'habitation, il avait alors été pris la décision de vendre l'intégralité de l'immeuble ou, à la découpe, en partie et par lots ; que différentes ventes de lots sont ainsi intervenues de cet immeuble mis en copropriété qui en comportait plus de 10 ; qu'au 3 mai 2010, soit dans un délai relativement bref, seuls 4 lots étaient invendus dont 2 inoccupés et les 2 occupés par les appelants ;

Considérant que dès cette date, ainsi que le tribunal l'a relevé, la SCI, qui avait décidé de vendre par lots plus de 10 logements dans le même immeuble, était tenue d'appliquer jusqu'à la dernière vente les accords collectifs de 1998 et 2005, peu important qu'il y ait eu ou non congé vente ou simple offre de vente aux locataires, l'objectif recherché par la législation étant notamment de renforcer par un mécanisme protecteur l'information des locataires d'un immeuble de plus de 10 logements pour leur permettre d'exercer le droit de préemption prévu par l'article 10 de la loi du 31 décembre 1975 en disposant de toutes les informations sur l'immeuble leur permettant de se prononcer en pleine connaissance de cause;

Considérant que cette décision même si elle n'a pas été prise par les auteurs des associés intimés créait un cadre juridique qui les engageait à l'égard des locataires de l'immeuble;

Considérant dans ces conditions que la décision des associés de la SCI prise ensuite de se défaire des derniers appartements en procédant à une cession des parts de la société au profit d'une SCI familiale, assimilable à une personne physique, plutôt qu'à la vente des derniers appartements comme cela avait été le cas de tous les autres, apparaît avoir eu pour effet et pour but, au vu des difficultés déjà rencontrées, d'éluder les droits des locataires récalcitrants encore en place, en évitant d'avoir à appliquer les accords collectifs d'ordre public, destinés à assurer auxdits locataires une protection renforcée à divers titres : concertation, diagnostics et bilans techniques de l'immeuble, information sur les travaux, information des locataires protégés car fragiles...) ; que, dans cette mesure, elle constitue un abus assimilable à une fraude aux droits des locataires, de sorte que cette cession doit être, non pas annulée mais seulement déclarée inopposable aux appelants dont les droits ont été ignorés ;

Considérant que les appelants réclament des dommages et intérêts importants mais ne caractérisent pas leur préjudice actuel, étant à ce jour toujours dans les lieux ;

Considérant que celui-ci ne pourra être apprécié qu'une fois les conséquences tirées par les différentes juridictions saisies de l'inopposabilité à leur égard de la cession des parts de la SCI ; que ce préjudice pourra, le cas échéant, être réclamé devant ces juridictions ;

Considérant qu'à ce stade, les appelants ne peuvent qu'être déboutés de leurs prétentions;

Considérant en revanche que la SCI de la Mutualité Française et la SCI du [...] devront verser ensemble aux époux Y... et aux époux A... la somme de 10000 euros pour compenser les frais qu'ils ont exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens ; qu'ils devront en outre supporter les dépens de première instance et d'appel, avec possibilité de recouvrement direct pour les premiers au profit de Me C... et pour les seconds au profit de Me B..., conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

- dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture et déclare irrecevables les conclusions postérieures à l'ordonnance de clôture ;

- infirme le jugement du 15 novembre 2016 du tribunal de grande instance de Paris sauf en ce qu'il a débouté la SCI du [...] et les époux D... de leurs demandes de dommages et intérêts et les a déclarés irrecevables en leur demande tendant au prononcé d'une amende civile ;

- statuant à nouveau :

- déboute les époux Y... et les époux A... de leurs demandes de nullité de la cession des parts de la SCI du [...] par la SCI de la Mutualité Française et la SCI du [...] aux époux D... ;

- déclare inopposable aux époux Y... et aux époux A... la dite cession de parts ;

- déboute les époux Y... et les époux A... de leurs demandes de dommages et intérêts ;

- condamne la SCI de la Mutualité Française et la SCI du [...], ensemble, aux époux Y... et aux époux A..., ensemble, la somme de 10000 euros pour compenser les frais qu'ils ont exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens;

- les condamne en outre à supporter les dépens de première instance et d'appel, avec possibilité de recouvrement direct pour les premiers au profit de Me C... et pour les seconds au profit de Me B..., conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER,LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 17/00130
Date de la décision : 29/05/2018

Références :

Cour d'appel de Paris C1, arrêt n°17/00130 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-05-29;17.00130 ?
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