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23/05/2018 | FRANCE | N°16/06103

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 23 mai 2018, 16/06103


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4



ARRÊT DU 23 MAI 2018



(n° , 15 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 16/06103



Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Janvier 2016 - Tribunal de Commerce de MARSEILLE - RG n° 2014F02194





APPELANTE



SARL ENTREPRISE DE BATIMENT DANIEL FILS

Ayant son siège social : [Adresse 1]

[Adresse 1]

[

Localité 1]

N° SIRET : 314 121 740 (MARSEILLE)

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège



Représentée par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZA...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRÊT DU 23 MAI 2018

(n° , 15 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 16/06103

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Janvier 2016 - Tribunal de Commerce de MARSEILLE - RG n° 2014F02194

APPELANTE

SARL ENTREPRISE DE BATIMENT DANIEL FILS

Ayant son siège social : [Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 1]

N° SIRET : 314 121 740 (MARSEILLE)

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020

Ayant pour avocat plaidant : Me Cyril KUJAWA de SEL LE ROUX - BRIN - KUJAWA, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMÉE

SASU ALTEO GARDANNE

Ayant son siège social [Adresse 2]

[Adresse 2]

N° SIRET : 410 127 948 (AIX-EN-PROVENCE)

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Alain FISSELIER de la SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044

Représentée par Me Antoine ARMINJON de la SCP BIGNON LEBRAY, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Avril 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Laure COMTE, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Irène LUC, Présidente de chambre

Madame Dominique MOUTHON VIDILLES, Conseillère,

Madame Laure COMTE, Vice-Présidente Placée, rédacteur

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Cécile PENG

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Irène LUC, président et par Madame Cécile PENG, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La société Entreprise de Bâtiment Daniel Fils, ci-après la société Daniel Fils, exerce une activité de nettoyage industriel.

La société Alteo Gardanne, ci-après la société Alteo, filiale de la société Alteo Holding, est spécialisée dans la production d'alumine destinée notamment aux marchés des céramiques, de la chimie, des matières premières et d'ignifugation. Le 31 juillet 2012, la société Alteo a repris l'activité d'alumine de la société Aluminium Pechiney que cette dernière exploitait notamment sur le site de [Localité 2].

La société Aluminium Pechiney, aux droits de laquelle vient la société Alteo, a lancé en début d'année 1998 un appel d'offres afin de confier à une société spécialisée des prestations de nettoyage de son usine de [Localité 2].

Le 1er juin 1998, la société Aluminium Pechiney et la société Daniel Fils ont ainsi conclu un contrat de nettoyage industriel de l'ensemble des secteurs de l'usine de [Localité 2], pour une durée de trois ans, soit jusqu'au 31 mai 2001.

Le 1er août 2000, la société Aluminium Pechiney et la société Daniel Fils ont régularisé une nouvelle convention portant sur le nettoyage de l'ensemble des secteurs de l'usine de [Localité 2]. Ce contrat, conclu pour une durée de 3 ans, soit jusqu'au 31 juillet 2003, a remplacé le contrat cadre du 1er juin 1998.

Le contrat du 1er août 2000 a fait l'objet de plusieurs avenants ayant pour effet de le prolonger jusqu'au 31 juillet 2007.

Des relations commerciales se sont ensuite poursuivies du 1er août 2007 au 31 décembre 2007 sans formalisation d'un accord contractuel cadre.

Le 24 avril 2008, un nouveau contrat de nettoyage de l'usine de [Localité 2] a été régularisé entre la société Daniel Fils et la société Aluminium Pechiney. Ce contrat a été conclu pour une durée de presque 3 ans, soit jusqu'au 28 février 2011.

Le 13 mars 2013, la société Daniel Fils et la société Alteo, venant aux droits de la société Aluminium Pechiney, ont régularisé un avenant n°7 prolongeant jusqu'au 31 mai 2013 la durée de la convention pour le nettoyage industriel.

Le 15 juillet 2013, un avenant n°8, régularisé entre la société Daniel Fils et la société Alteo, a prolongé la durée du contrat de nettoyage industriel du 24 avril 2008 de 7 mois, soit jusqu'au 31 décembre 2013.

Parallèlement à ce contrat principal de nettoyage industriel, les sociétés Aluminium Pechiney et Daniel Fils ont conclu le 2 septembre 2008 une convention complémentaire dite « contrat Filtre Presse » ayant pour objet les prestations de transport et stockage inhérentes au traitement et à l'exploitation des déchets inertes de l'usine de [Localité 2], et notamment la Bauxaline. Ce contrat était conclu pour une durée de 28 mois. Par avenant du 15 mars 2010, la société Daniel Fils et la société Aluminium Pechiney ont convenu de prolonger le contrat jusqu'au 28 février 2013.

Par courriel du 2 septembre 2013, la société Alteo a informé la société Daniel Fils du lancement d'une procédure d'appel d'offres au 3 septembre 2013, en précisant notamment que la société retenue entrerait en fonction au mois de janvier 2014.

Par courrier du 4 novembre 2013, la société Daniel Fils a contesté la mise en place d'une procédure d'appel d'offres en invoquant notamment le respect d'un juste préavis pour rompre la relation commerciale liant les deux sociétés.

Par courrier du 19 décembre 2013, la société Alteo a indiqué à la société Daniel Fils que la procédure d'appel d'offres faisait suite à l'augmentation significative du coût de ses prestations et était de nature à engager la responsabilité de la société Daniel Fils car constitutive d'une rupture brutale des relations commerciales établies. La société Alteo confirmait par ailleurs à la société Daniel Fils que la relation contractuelle « prendrait fin le 31 décembre 2013 à l'issue du préavis de 7 mois, formalisé dans les avenant numéros 7 et 8 [au] contrat du 23 avril 2008 ».

Par lettre du 23 décembre 2013, la société Daniel Fils a contesté les termes de ce courrier.

Par courriel du 20 janvier 2014, la société Alteo a indiqué à la société Daniel Fils que le contrat « Filtre Presse » s'achèverait au 31 janvier 2014.

Par courrier du 27 janvier 2014, la société Alteo a indiqué à la société Daniel Fils que « [les] relations commerciales concernant le nettoyage industriel du site ALTEO GARDANNE se poursuiv[raient] jusqu' au 31 mars 2014 sans préjuger de la solution qui sera finalement retenue entre [les] deux sociétés ».

Par lettre du 28 février 2014, la société Alteo a notifié à la société Daniel Fils la fin des relations contractuelles relatives au contrat de nettoyage industriel à effet au 31 mars 2014.

Par acte du 11 août 2014, la société Daniel Fils a saisi le tribunal de commerce de Marseille pour demander la condamnation de la société Alteo au paiement des sommes de 2.046.604 euros au titre du contrat de nettoyage du site de Gardanne et de 249.684 euros au titre du contrat Filtre Presse, pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 26 janvier 2016, le tribunal de commerce de Marseille, sous le régime de l'exécution provisoire, a :

- dit que la rupture des relations commerciales au titre du contrat de prestations de nettoyage industriel entre les parties a été brutale, pour insuffisance de la durée du préavis,

- condamné la société Alteo Gardanne à payer à la société Entreprise Bâtiment Daniel Fils la somme de 102.097 euros HT à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de marge sur un préavis de 10 mois supplémentaires,

- dit que le préavis donné par la société Alteo Gardanne Sasu au titre du contrat « filtre presse » à compter du 17 octobre 2012 a été suffisant,

en conséquence,

- débouté la société Entreprise de Bâtiment Daniel Fils Sa de ses demandes, fins et conclusions formées au titre du contrat « filtre presse »,

- condamné la société Alteo Gardanne à payer à la société Entreprise de Bâtiment Daniel Fils la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Alteo Gardanne à payer à la société Entreprise Bâtiment Daniel Fils aux dépens toutes taxes comprises de la présente instance liquidés à la somme de 82,08 euros,

- rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du jugement.

Par déclaration remise au greffe le 10 mars 2016, la société Daniel Fils a relevé appel de ce jugement.

La procédure devant la cour a été clôturée le 27 mars 2018.

LA COUR

Vu les conclusions du 27 février 2018 par lesquelles la société Daniel Fils, appelante, invite la cour, au visa de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce, à :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* dit que la société Alteo Gardanne avait rompu brutalement les relations commerciales établies qui les liaient du chef des relations commerciales relatives au nettoyage industriel,

* dit qu'elle justifie d'un préjudice directement en lien avec la brutalité de la rupture constitué par la perte de marge subie pour la période du préavis suffisant auquel elle avait droit et qui lui a été refusé,

* condamné la société Alteo Gardanne à l'indemniser du chef de la brutalité de la rupture des relations commerciales établies,

- réformer le jugement pour le surplus,

- dire que la société Alteo Gardanne a également rompu brutalement les relations commerciales établies qui les liaient du chef du contrat à durée déterminée Filtre Presse du 2 septembre 2008 et de ses suites,

- dire que les relations commerciales relatives au nettoyage industriel ont été rompues le 28 février 2014 à effet du 31 mars 2014,

- dire que le préavis qui aurait dû lui être accordé du chef des relations commerciales relatives au nettoyage industriel, d'une durée de 35 ans et 6 mois, aurait dû être de 42 mois,

- dire que les relations commerciales relatives au contrat Filtre Presse, d'une durée de 5 ans et 4 mois, ont été rompues le 20 janvier 2014 à effet du 31 janvier 2014,

- dire qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis d'une durée de 8 mois du chef du contrat Filtre Presse,

- condamner en conséquence la société Alteo Gardanne à lui payer, à titre de dommages-intérêts correspondant à la perte de marge sur le préavis non accordé la somme de 1.399.203 euros décomposée comme suit :

* 1.581.364 euros au titre de la relation commerciale de nettoyage industriel correspondant à la perte de marge sur un préavis de 42 mois,

* 92.234 euros au titre de la relation commerciale Filtre Presse correspondant à la perte de marge sur un préavis de 8 mois,

soit un préjudice de 1.673.598 euros à minorer de la plus-value de cession d'un montant de 274.395 euros,

sur l'appel incident de la société Alteo Gardanne,

- dire qu'elle n'a pas mis elle-même un terme aux relations commerciales établies relatives au contrat de nettoyage industriel avec la société Alteo,

- dire que le préavis donné par la société Alteo était insuffisant et que la rupture était imprévisible et brutale,

- dire qu'elle justifie d'un préjudice subi du fait de la brutalité de la rupture,

- débouter la société Alteo de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions formées au titre de ses conclusions d'appel incident notifiées le 15 juin 2016,

en tout état de cause,

- condamner la société Alteo Gardanne à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Alteo Gardanne aux entiers dépens ;

Vu les conclusions du 14 mars 2018 par lesquelles la société Alteo Gardanne, intimée ayant formé appel incident, demande à la cour, au visa de l'article L 442-6, I, 5° du code de commerce, de :

- débouter la société Daniel Fils de son appel,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Marseille en ce qu'il a :

* dit que le préavis donné par elle au titre du contrat « Filtre Presse » à compter du 17 octobre 2012 a été suffisant,

* débouté la société Daniel Fils de ses demandes, fins et conclusions formées au titre du contrat « filtre presse »,

* rejeté les autres demandes, fins et conclusions de la société Daniel Fils,

- recevoir la société Alteo en son appel incident,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

* a dit que la rupture des relations commerciales entre les parties a été brutale, pour insuffisance de la durée du préavis,

* l'a condamnée à payer à la société Daniel Fils la somme de 102.097 euros H.T. à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de marge sur un préavis de 10 mois supplémentaires,

* l'a condamnée à payer à la société Daniel Fils la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

* l'a condamnée à payer à la société Daniel Fils aux dépens,

* rejeté ses demandes reconventionnelles,

et, statuant à nouveau,

à titre principal,

- dire que c'est la société Daniel Fils elle-même qui a mis un terme aux relations commerciales établies relatives au contrat de nettoyage industriel avec elle lors de la renégociation des prix au mois de mars 2013,

et par conséquent,

- débouter la société Daniel Fils de ses demandes indemnitaires,

à titre subsidiaire,

- dire que la rupture des relations commerciales établies était prévisible et qu'elle n'est pas brutale,

- dire que le préavis donné par elle à la société Daniel Fils courant à compter du 13 mars 2013 pour le contrat de nettoyage de l'usine de [Localité 2] était suffisant,

et par conséquent,

- débouter la société Daniel Fils de ses demandes indemnitaires à ce titre,

à titre très subsidiaire,

- débouter la société Daniel Fils de ses demandes indemnitaires en raison du caractère non contradictoire des pièces utilisées pour le calcul de son préjudice,

- débouter la société Daniel Fils de ses demandes indemnitaires en raison de l'absence de préjudice subi du fait de la brutalité de la rupture,

en tout état de cause,

- débouter la société Daniel Fils de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- la condamner au paiement de la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens distraits au profit de la Selarl Guizard & Associés représentée par Me Michel Guizard, avocat au barreau de Paris, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;

SUR CE

La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

En application de l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

La société Daniel Fils fait d'abord valoir qu'elle a entretenu avec la société Alteo, qui vient aux droits de la société Aluminium Pechiney, des relations commerciales établies depuis au moins le mois d'octobre 1978, c'est-à-dire depuis 35 ans et 6 mois au jour de la rupture survenue le 31 mars 2014. Arguant d'une première baisse du coût total du contrat de 1,6 % en 2012, puis de 9,5 % en 2013, elle conclut qu'elle n'a aucunement imposé une hausse injustifiée du coût de ses prestations et conteste avoir elle-même mis un terme aux relations commerciales établies relatives au contrat de nettoyage industriel avec la société Alteo.

La société Daniel Fils soutient que, par courriel du 20 janvier 2014, la société Alteo lui a notifié la fin immédiate du contrat Filtre Presse à échéance du 31 janvier 2014, soit avec un préavis de 11 jours. Elle explique également que si la société Alteo se focalise sur l'augmentation du coût horaire du personnel, il convient de constater que c'est cette dernière qui a sollicité et obtenu une nouvelle baisse du coût des prestations en mars 2013 et en juillet 2013. La société Daniel Fils conclut qu'elle n'a aucunement imposé une hausse injustifiée du coût de ses prestations et conteste ainsi avoir elle-même mis un terme aux relations commerciales établies relatives au contrat de nettoyage industriel avec la société Alteo.

Concernant le contrat Filtre Presse, la société Daniel Fils fait valoir que par courriel du 20 janvier 2014 la société Alteo lui a notifié la fin immédiate du contrat Filtre Presse à échéance du 31 janvier 2014, soit avec un préavis de 11 jours, constituant ainsi une rupture brutale des relations commerciales établies.

Concernant les prestations de nettoyage industriel sur le site de [Localité 2], la société Daniel Fils soutient que par courrier du 28 février 2014, la société Alteo lui a notifié la rupture des relations commerciales à effet du 31 mars 2014, soit avec un préavis d'un mois. Elle explique qu'à cette date, la société Alteo ne l'a jamais informée du lancement d'un appel d'offres.

En réplique, la société Alteo Gardanne soutient que la société Daniel Fils ne démontre ni l'existence, ni le caractère établi de relations antérieures à 1998, en ce que la seule pièce produite n'est pas probante, et conclut que l'ancienneté des relations entre les deux sociétés ne saurait dépasser 15 ans et 6 mois. Elle estime que c'est la société Daniel Fils, elle-même, qui a mis un terme aux relations commerciales établies en lui imposant, au mois de mars 2013, une importante hausse tarifaire lors de la renégociation des prix des prestations de nettoyage industriel du site de [Localité 2]. Elle allègue que cette hausse tarifaire a notamment été consacrée dans l'avenant n°7 signé le 13 mars 2013 et a été à nouveau pratiquée par la société Daniel Fils fin juin 2013 lors de la négociation de l'avenant n°8. Elle conclut que la société Daniel Fils a ainsi adopté un comportement manifestant sa volonté de mettre un terme aux relations commerciales en pratiquant des prix déconnectés du marché, en adoptant une position tarifaire incompatible avec l'esprit du contrat liant les deux sociétés, et en refusant de suivre les préconisations de la société Alteo pour répondre à l'appel d'offres.

La société Alteo réplique, s'agissant du contrat Filtre Presse, que la société Daniel Fils ne peut pas se prévaloir de la brutalité de la rupture dudit contrat, cette dernière ayant été informée lors d'une réunion du 17 octobre 2012 que le contrat Filtre Presse prendrait fin le 30 septembre 2013 au plus tôt en raison du lancement d'un appel d'offres pour l'exploitation des résidus de Bauxite. Elle relève donc que la société Daniel Fils a bénéficié d'un préavis de près de 18 mois débutant le 17 octobre 2012 et s'achevant finalement le 31 mars 2014.

La société Alteo relève également que la rupture des relations relatives au contrat de nettoyage de l'usine de [Localité 2] était prévisible, en ce que la société Daniel Fils avait une parfaite connaissance du point de départ du préavis et du terme du contrat lors de la signature de l'avenant n°7 le 13 mars 2013, de la réunion du 23 mai 2013, de la transmission de l'avenant n°8 du 28 juin 2013, et en tout état de cause le 2 septembre 2013 lors de la remise du calendrier d'appel d'offre. Elle excipe que la rupture des relations commerciales découle ainsi d'un processus s'étalant sur plusieurs mois à compter desquels la société Daniel Fils aurait dû entreprendre de rechercher une solution de reconversion et conclut que la rupture n'était ni imprévisible, ni soudaine, ni violente, la société Daniel Fils ayant bénéficié d'un préavis d'une durée de 12,5 mois à compter du 13 mars 2013.

***

Les parties s'opposent sur la durée des relations commerciales établies, l'imputabilité et la date de la rupture ainsi que sur le délai de préavis. Elles distinguent les conditions de la rupture en fonction des deux contrats distincts les liant.

Aux termes de l'article L 442-6, I, 5° du code de commerce :

« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (') de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».

La rupture des relations commerciales établies peut intervenir à effet immédiat à la condition qu'elle soit justifiée par des fautes suffisamment graves imputées au partenaire commercial.

Le contrat de nettoyage industriel sur le site de [Localité 2]

Sur la durée des relations commerciales établies 

Une relation commerciale « établie » présente un caractère « suivi, stable et habituel » et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.

Pour justifier de l'ancienneté des relations commerciales établies entre les parties, la société Daniel et Fils communique une attestation de son commissaire aux comptes datée du 11 juillet 2014 (pièce n°37), dont le contenu est contesté dans son intégralité par la société Altéo Gardanne. Il est indiqué dans cette attestation du commissaire aux comptes que « pour les exercices 1978 à 1991, il lui est demandé de se prononcer sur la concordance des chiffres indiqués dans un registre manuscrit dans lequel était consignées les factures de vente HT ventilées mensuellement par clients, avec la reconstitution du chiffre d'affaires estimé sur cette période récapitulée dans le document joint en annexe 1. Nous n'avons cependant pas pu rapprocher ces informations des comptes annuels et de la comptabilité de la société Entreprise de Batiment Daniel Fils SA dans la mesure où ces documents n'étaient plus disponibles sur cette période » et que les diligences réalisées ont consisté à « vérifier les calculs permettant de reconstituer le chiffres d'affaires à partie du registre manuscrit dans lequel étaient consignées les factures de vente HT ventilées mensuellement par client, vérifier la concordance entre les montants de chiffres d'affaires récapitulés dans le document joint (annexe 1) et le registre manuscrit communiqué ». Or, les chiffres communiqués sont les soldes annuels tels qu'il en ressortirait de la comptabilité manuscrite de la société. Ces seuls éléments ne peuvent établir la réalité des relations commerciales établies entre les parties pour les exercices 1978 à 1991, en ce que les vérifications réalisées par le commissaire aux comptes sont limitées à un registre manuscrit, dont l'origine n'est pas démontrée, tout comme les chiffres qu'il mentionne, étant d'ailleurs relevé que la société Altéo Gardanne n'a pas en sa possession ces chiffres, pour exploiter le site dont il question après avoir racheté l'activité auprès d'autres sociétés.

S'agissant des exercices 1992 à 2013, le commissaire aux comptes explique qu'il a vérifié la concordance des chiffres d'affaires réalisés sur cette période récapitulée dans le document joint en annexe 1 et les comptes annuels de la société Entreprise de Batiment Daniel Fils SA en effectuant ses travaux « selon la norme d'exercice professionnel relative aux attestations particulières entrant dans le cadre de diligences directement liées à la mission de commissaire aux comptes » et en rapprochant « les montants de chiffres d'affaires récapitulé dans le document joint (annexe 1) avec la comptabilité dont ils sont issus, et vérifier qu'ils concordent avec les éléments ayant servi de base à l'établissement des comptes annuels ». Il conclut qu'il n'a pas « d'observations à formuler sur la concordance des informations figurant dans le document joint (annexe 1) avec les chiffres indiqués dans la comptabilité et les comptes annuels de la société Entreprise de Batiment Daniel Fils SA ». La société Daniel Fils communique un contrat signé le 1er juin 1998 entre la société Aluminium Pechiney, aux droits de laquelle vient la société Altéo Gardanne, et elle-même pour l'activité de nettoyage industriel sur le site de Gardanne.

Ainsi, il convient d'abord de relever que la société Altéo Gardanne n'était pas en relation commerciale avec la société Daniel et Fils, n'ayant repris l'activité de la société Aluminium Pechiney que le 31 juillet 2012. La société Altéo Gardanne ne dispose pas des éléments comptables pour vérifier les chiffres avancés par la société Daniel et Fils. Dès lors, la seule attestation du commissaire aux comptes ne peut suffire à démontrer une relation commerciale établie entre les parties avant le 1er juin 1998, aucune facture n'étant produite, ce qui ne permet pas de vérifier la nature des relations dont il est question ni l'objet des prestations ni de corroborer cette attestation. De même, il n'est fait état que d'un chiffre d'affaires annuel, insuffisant pour établir l'ancienneté d'une relation commerciale établie.

Le premier contrat du 1er juin 1998 signé entre la société Daniel Fils et la société Aluminium Pechiney avait une durée de 3 années, portant sur le nettoyage industriel sur le site de [Localité 2]. Le 1er août 2000, une nouvelle convention sous le même intitulé a été signée pour durer 36 mois entre les parties portant notamment sur la réévaluation et la redéfinition des prestations de la société Daniel Fils. Ensuite, par avenant n°4 du 24 janvier 2003 au contrat du 1er août 2000, il est notamment précisé que « il est convenu entre les parties que les conditions appliquées au 1er janvier 2003 le sont dans l'attente d'une signature d'un nouveau contrat au 1er août 2003 pour une période de 3 ans, certaines clauses restant à préciser ». Par avenant n°5 signé le 28 juillet 2004 au contrat du 1er août 2000, les parties conviennent de la prolongation du contrat jusqu'au 31 décembre 2004, étant relevé qu'il n'est pas contesté que l'activité de la société Daniel Fils sur le site de [Localité 2] ne s'est pas interrompue. Par avenant n° 6 du 1er août 2005 au contrat du 1er août 2000, les parties ont convenu des conditions tarifaires applicables jusqu'au 31 juillet 2006, puis par avenant n° 8 du 8 janvier 2007 au contrat du 1er août 2000, les parties ont convenu de prolonger les conditions tarifaires applicables jusqu'au 31 juillet 2007.

Du 1er août 2007 au 31 décembre 2007, la société Daniel Fils établit par la communication de commandes réalisées par la société Aluminium Pechiney spécifiquement sur cette période auprès d'elle (pièces 13 et 14), portant sur les prestations réalisées jusque-là en vertu d'un contrat-cadre signé entre les parties, la poursuite des relations commerciales entre elles dans les conditions antérieures.

Le 24 avril 2008, la société Daniel Fils et la société Aluminium Pechiney ont signé un nouveau contrat, prenant effet à la date de sa signature « pour s'achever au 28 février 2011 », et portant toujours sur les prestations de nettoyage industriel de l'ensemble de l'usine de [Localité 2].

Par un avenant n°4 au contrat du 24 avril 2008, du 15 mars 2010, les sociétés Daniel Fils et la société Aluminium Pechiney ont convenu de prolonger le contrat les liant jusqu'au 28 février 2013.

Le 13 mars 2013, la société Daniel Fils et la société Altéo Gardanne, venant aux droits de la société Aluminium Pechiney, ont signé un avenant n°7 au contrat du 24 avril 2008, lequel prolonge de 3 mois, jusqu'au 31 mai 2013, sa durée.

Par un avenant n°8 au contrat du 24 avril 2008, signé le 15 juillet 2013, les sociétés Daniel Fils et Altéo Gardanne ont prolongé de 7 mois la durée de la convention du 1er juin 2013 jusqu'au 31 décembre 2013.

En conséquence, les relations commerciales établies entre les parties ont débuté au 1er juin 1998, la société Altéo Gardanne reconnaissant venir aux droits et obligations de la société Aluminium Pechiney qui a signé avec la société Daniel Fils les deux contrats successifs les liant.

Sur la date de la rupture 

Il est de principe que le caractère prévisible de la rupture d'une relation commerciale établie ne prive pas celle-ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d'un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis.

Dès lors, l'annonce du recours à un appel d'offres caractérise la date de la rupture des relations commerciales établie, dans la mesure où le partenaire commercial est informé de la date à laquelle prendra fin le contrat en cours et où les résultats d'un appel d'offres sont nécessairement incertains.

En l'espèce, il est établi par les différents échanges entre les parties que la société Daniel Fils n'a été avertie que par courriel du 2 septembre 2013 par la société Altéo Gardanne de sa décision de recourir à un appel d'offres, du calendrier de celui-ci et donc de la date de la fin de son contrat de prestations de nettoyage industriel sur le site de Gardanne, en raison d'un démarrage du contrat au mois de janvier 2014. En effet, les précédents échanges de courriels entre les parties au cours du printemps 2013 ne font qu'une vague référence à la mise en place d'appels d'offres par la société Altéo Gardanne sans ne jamais mentionner de calendrier précis. Dès lors, ces courriels ne peuvent être considérés comme constituant la rupture des relations entre les parties, la société Daniel Fils n'étant pas avisée de la date de la fin de son contrat et ne pouvant dans ces conditions envisager sérieusement sa réorganisation.

Ainsi, le courriel du 2 septembre 2013 doit être considéré comme le courrier de rupture, contrairement aux affirmations de la société Daniel Fils, la société Altéo Gardanne signifiant clairement et sans ambiguïté à son prestataire la fin de leurs relations commerciales, à tout le moins dans les conditions en cours. Ainsi, si le calendrier de l'appel d'offres et la date d'entrée en vigueur du nouveau contrat ont ensuite été décalés par la société Altéo Gardanne, cette circonstance est sans incidence sur la date de rupture à prendre en compte dans le cadre d'une action fondée sur l'article précité.

Enfin, si la société Daniel Fils connaissait la date du terme du contrat au 31 décembre 2013, il ne peut être toutefois soutenu que la rupture était pour ce motif prévisible, en ce que la pratique entre les parties démontre que ces termes sont depuis l'année 1998 très régulièrement repoussés d'année en année, par la signature d'avenants entre elles. Ce seul élément ne peut donc démontrer que la date de la fin définitive des relations commerciales établies entre les parties était pour la société Daniel Fils nécessairement le 31 décembre 2013, à la signature du dernier avenant. Ainsi, au regard de la nature des relations entre les parties, la société Daniel Fils ne pouvait considérer que cette date correspondait, en signant ledit avenant, à la fin de leur relations commerciales.

Il s'agit donc de l'envoi du courrier relatif à l'organisation effective de l'appel d'offres qui constitue la lettre de rupture et non pas, comme le soutient la société Daniel Fils, le courrier du 28 février 2014 de la société Altéo Gardanne, lui signifiant qu'elle n'a pas été retenue dans le cadre de cet appel d'offres.

La date de la rupture des relations commerciales établies par la société Altéo Gardanne avec la société Daniel Fils est donc le 2 septembre 2013.

Sur l'imputabilité de la rupture

En l'espèce, la société Altéo Gardanne reproche vainement à la société Daniel Fils d'être responsable de la rupture des relations commerciales, au motif que les prix pratiqués par elle étaient volontairement trop élevés, alors qu'elle ne démontre pas avoir signalé préalablement que la question du prix était essentielle et pouvait conduire à la rupture de leurs relations commerciales, que le rappel de son objectif de réduire ses coûts de fonctionnement ne peut suffire à caractériser la demande expresse à son sous-traitant par la société Altéo Gardanne de réduire les coûts sous peine de rupture contractuelle (pièce Altéo n°4), tout comme la réflexion relative au coût de main d''uvre dans le courriel du 27 mai 2013 (pièce Altéo n°6), réflexion inhérente à toute relation commerciale. La société Altéo Gardanne ne démontre ainsi pas avoir mis en demeure la société Daniel Fils de réduire ses coûts conformément aux dispositions du contrat du 24 avril 2008. Il n'est enfin pas établi que la société Daniel Fils ait augmenté ses prix de manière insurmontable par la société Altéo Gardanne.

La comparaison avec les tarifs proposés par d'autres sociétés concurrentes au moment de l'appel d'offres lancé le 2 septembre 2013, est sans effet s'agissant des rapports entre les parties, et notamment pour imputer la rupture à la société Daniel Fils.

Enfin, les deux rappels par la société Altéo Gardanne relatifs au respect des règles de sécurité sur le site après avoir constaté des manquements, l'un de juillet 2012 et l'autre de janvier 2013, ne sont pas des lettres de mise en demeure. Il n'apparaît d'ailleurs pas que ces éléments constituent pour la société Altéo Gardanne des fautes d'une gravité suffisante justifiant une rupture des relations commerciales entre les parties.

Il ne ressort dès lors d'aucun élément du dossier que la société Daniel Fils est à l'origine de la rupture des relations commerciales.

Dans ces conditions, la société Altéo Gardanne est l'auteur de la rupture des relations commerciales établies concernant le contrat de prestations de nettoyage industriel avec la société Daniel Fils, pour avoir organisé un appel d'offres relatif à l'activité de nettoyage industriel de son site de Gardanne.

Sur la brutalité de la rupture et la durée du préavis nécessaire 

Il ressort de l'article L 442-6, I, 5° du code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures. L'évaluation de la durée du préavis à accorder est fonction de toutes les circonstances de nature à influer son appréciation au moment de la notification de la rupture, notamment de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé avec l'auteur de la rupture, du secteur concerné, de l'état de dépendance économique de la victime, des dépenses non récupérables dédiées à la relation et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire sur le marché de rang équivalent.

En l'espèce, les relations commerciales établies entre les parties ont débuté le 1er juin 1998 pour cesser le 2 septembre 2013. Elles ont donc duré 15 ans et 3 mois.

Il ressort des éléments du dossier que la société Daniel Fils mettait à disposition de la société Altéo Gardanne, au titre du contrat de prestations de nettoyage industriel, un effectif variant entre 23 et 26 personnes, suivant l'évolution des différents avenants depuis 2008, dédiées exclusivement au site de Gardanne pour réaliser les prestations à sa charge dans le cadre du forfait.

Par ailleurs, le secteur d'activité concerné est très spécifique s'agissant de prestations de nettoyage d'un site industriel et notamment des filtres utilisés dans une usine produisant de l'alumine.

En outre, il n'est pas contesté que le flux d'affaires entre les parties en vertu du contrat de prestations de nettoyage industriel sur le site de [Localité 2] est de 2.562.406 euros en 2011, 2.563.410 euros en 2012 et de 2.329.484 euros en 2013.

En revanche, la société Daniel Fils soutient que les contrats la liant à la société Altéo Gardanne représentaient 85 % de son chiffre d'affaires et près de 60 % du chiffre d'affaires du groupe, sans pour autant étayer ces chiffres. Il n'en sera donc pas tenu compte, ceux-ci n'étant pas prouvés.

Les circonstances de sa reconversion, l'évolution de l'activité de la société Daniel Fils ultérieurement à la rupture et la poursuite du contrat entre les parties à l'issue du terme du préavis jusqu'au 31 mars 2014, dans le cadre de relations précaires, sont sans incidence sur l'appréciation de la brutalité de la rupture, la durée nécessaire de préavis devant être déterminée uniquement au regard du contexte au jour de la rupture, à savoir en l'espèce le 2 septembre 2013 et de la date de commencement du nouveau contrat, annoncée dans le courrier de rupture, soit au mois de janvier 2014.

Ainsi, eu égard à l'ensemble de ces éléments et du temps nécessaire pour que la société Daniel Fils réorganise son activité, elle aurait dû bénéficier d'un préavis de 18 mois.

L'issue annoncée du contrat étant la fin de l'année 2013, le délai de préavis octroyé à la société Daniel Fils au moment de la rupture était de 4 mois.

Dès lors, la rupture des relations commerciales établies par à la société Altéo Gardanne avec la société Daniel Fils a été brutale, cette dernière n'ayant pas bénéficié d'un préavis suffisant, nécessaire à l'organisation de son activité.

Sur le préjudice subi par la société Daniel et Fils 

Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.

De même, les dommages et intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit.

La société Daniel Fils a finalement bénéficié d'un préavis effectif de 7 mois, pour avoir exécuté en réalité le contrat jusqu'au 31 mars 2014. Ainsi, elle n'a pas subi de préjudice au titre de la perte de marge s'agissant des mois de janvier à mars 2014.

Dès lors, alors que le préavis aurait dû être de 18 mois, son préjudice correspond donc à 11 mois de préavis non effectué et à la marge sur coût variable perdue pendant ces 11 mois de préavis dont elle a été privée pour réorganiser son activité.

Le chiffre d'affaires réalisé par la société Daniel Fils et la société Altéo Gardanne est de 2.562.406 euros en 2011, 2.563.410 euros en 2012 et de 2.329.484 euros en 2013, soit un chiffre d'affaires annuel moyen de 2.485.100 euros et un chiffre d'affaires moyen mensuel de 207.091 euros.

Le taux de marge de 18,18% de la société Daniel Fils est contesté par la société Altéo Gardanne.

L'expert-comptable de la société Daniel Fils a réalisé une étude comptable sur les exercices 2011 à 2013 relative à la marge de la société Daniel Fils dégagée dans ses activités avec la société Altéo Gardanne (pièce Daniel Fils 64). Il tient compte des charges de sous-traitance, des charges de location interne, des charges d'interim, des charges de personnel, des dotations aux amortissements, des coûts immobiliers, des prestations d'assistance Elitha, pour conclure que le taux de marge moyen sur EBE est de 18,18% au titre du contrat de nettoyage. Cette attestation est contestée par la société Altéo Gardanne, au motif qu'elle ne présente pas un degré de fiabilité suffisant, au regard de l'insuffisance des documents comptables communiqués notamment liée aux charges externes, à l'utilisation du matériel de transport ou aux modalités de facturation des prestations.

Toutefois, les calculs ainsi que les éléments comptables utilisés par l'expert-comptable pour déterminer la marge à prendre en compte pour évaluer le préjudice subi par la société Daniel Fils sont cohérents et apparaissent suffisants pour établir le préjudice subi, étant corroborés par des documents comptables qui ont été communiqués à la société Altéo Gardanne pour vérifier la plupart des chiffres avancés.

Le taux de marge sur coût variable moyen de la société Daniel Fils dans son activité de nettoyage industriel avec la société Altéo Gardanne doit donc être fixé à 18,18%. Ainsi, la marge perdue par la société Daniel Fils du fait de la brutalité de la rupture est de 414.140 euros ([207.091x18,18%]x11).

Il y a donc lieu de confirmer le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société Alteo Gardanne à payer à la société Entreprise Bâtiment Daniel Fils la somme de 102.097 euros HT à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de marge sur un préavis de 10 mois supplémentaires, et, statuant à nouveau, de condamner la société Alteo Gardanne à payer à la société Entreprise Bâtiment Daniel Fils la somme de 414.140 euros HT à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies au titre du contrat de prestation de nettoyage industriel.

Le contrat Filtre Presse 

Les parties s'accordent sur la durée des relations commerciales établies s'agissant de ce contrat, celles-ci ayant débuté le 2 septembre 2008. Elles s'opposent en revanche sur la date de la rupture, la durée du préavis et le préjudice subi.

Sur la date de la rupture 

Il ressort des termes du procès-verbal de la réunion qui s'est tenue entre les parties le 17 octobre 2012 que la société Altéo Gardanne indiquait à la société Daniel Fils que pour le contrat Filtre Presse un avenant serait signé pour qu'il prenne fin au 30 septembre 2013, la société Altéo Gardanne prévoyant d'organiser un appel d'offres pour démarrer le contrat au dernier trimestre 2013 (pièce Altéo n°14). Cet avenant a été signé le 19 mars 2013 par les parties, étant relevé qu'il était prévu que la durée du contrat pouvait être prolongée par période d'un mois jusqu'au 31 décembre 2013, si la mise en fonction du filtre presse 2 n'était pas effective (pièce Altéo n°15). Cet appel d'offres n'était pas présenté par la société Altéo Gardanne comme étant certain, le paragraphe étant intitulé « proposition Altéo ». Il ne peut donc être considéré comme la date de la rupture entre les parties.

En revanche, la société Alteo Gardanne a transmis le 14 juin 2013 à la société Daniel Fils l'ensemble des éléments nécessaires pour répondre à l'appel d'offres pour l'exploitation des résidus de Bauxite avec un début des prestations annoncé par « une mobilisation du personnel pour le démarrage FP2 » au mois de décembre 2013 (pièces Altéo n°16).

Il y a lieu de considérer ce courriel de la société Alteo Gardanne comme une lettre de rupture de son contrat Filtre Presse avec la société Daniel Fils, les résultats d'un appel d'offres étant nécessairement incertains.

Pour les mêmes motifs que ceux exposés ci-dessus, la date du 14 juin 2013 est retenue comme étant la date de la rupture et donc du point de départ du préavis.

Sur la brutalité de la rupture 

La société Daniel Fils a bénéficié au jour de la rupture annoncée dans le cadre des opérations d'appel d'offres d'un préavis de 5 mois et demi. La relation commerciale établie entre les parties durait à cette date depuis 4 ans et 8 mois.

Le chiffre d'affaires réalisé entre les parties sur les exercices 2011 à 2013 est de 1.044.115 euros, 1.079.655 euros et 1.005.975 euros.

Il y a par ailleurs lieu de se référer aux éléments déjà évoqués supra concernant les éléments non spécifiques au contrat de nettoyage industriel pour apprécier la brutalité de la rupture.

Dès lors, il y a lieu de considérer qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, à savoir la durée de la relation commerciale établie, le flux d'affaires et au secteur d'activité du transport de déchet, que le préavis dont a bénéficié la société Daniel Fils au titre du contrat Filtre Presse était suffisant pour lui permettre de réorganiser son activité.

Le jugement doit donc être confirmé sur ce point.

Sur les dépens et application de l'article 700 du code de procédure civile

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Alteo Gardanne doit être condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Daniel Fils la somme supplémentaire de 10.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du code de procédure civile formulée par la société Alteo Gardanne.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société Alteo Gardanne à payer à la société Entreprise Bâtiment Daniel Fils la somme de 102.097 euros HT à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de marge sur un préavis de 10 mois supplémentaires ;

L'infirmant sur ce point,

Statuant à nouveau,

CONDAMNE la société Alteo Gardanne à payer à la société Entreprise Bâtiment Daniel Fils la somme de 414.140 euros HT à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies au titre du contrat de prestation de nettoyage industriel ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Alteo Gardanne aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Daniel Fils la somme supplémentaire de 10.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

REJETTE toute autre demande.

Le Greffier La Présidente

Cécile PENG Irène LUC


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 16/06103
Date de la décision : 23/05/2018

Références :

Cour d'appel de Paris I4, arrêt n°16/06103 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-05-23;16.06103 ?
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