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22/05/2018 | FRANCE | N°17/06736

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 22 mai 2018, 17/06736


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRÊT DU 22 Mai 2018

(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 17/06736



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Septembre 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY RG n° 11/01327





APPELANTE



Madame [Y] [B] épouse [E]

née le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 1]

Demeurant [Adresse 1]

[Adre

sse 2]

comparante en personne, assistée de Me Charlotte HODEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : E0028

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2015/001129 du 30/01/201...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRÊT DU 22 Mai 2018

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 17/06736

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Septembre 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY RG n° 11/01327

APPELANTE

Madame [Y] [B] épouse [E]

née le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 1]

Demeurant [Adresse 1]

[Adresse 2]

comparante en personne, assistée de Me Charlotte HODEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : E0028

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2015/001129 du 30/01/2015 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

INTIMEE

La société LUXE ET TRADITIONS

Sise [Adresse 3]

[Adresse 4]

représentée par M. [V] [D] (Gérant) en vertu d'un pouvoir général

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 mars 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Olivier MANSION, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Bruno BLANC, président

Madame Marianne FEBVRE MOCAER, conseillère

Monsieur Olivier MANSION, conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Marine BRUNIE, lors des débats

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Bruno BLANC, président et par Mme Marine BRUNIE, greffier présent lors du prononcé.

Exposé du litige :

Mme [E] (la salariée) a été engagée le 29 février 1996 par contrat à durée déterminée puis par contrat à durée indéterminée par la société Luxe et traditions (l'employeur) et occupait en dernier lieu les fonctions d'agent très qualifié de service en charge de la lingerie.

Elle a été licenciée le 7 mars 2011 pour inaptitude.

Estimant ce licenciement infondé, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes qui, par jugement du 3 septembre 2012, a rejeté toutes ses demandes.

La salariée a interjeté appel le 29 octobre 2012, après notification du jugement le 8 octobre 2012.

L'affaire a été radiée le 14 janvier 2015.

Une demande de réinscription a été formulée le 18 juillet 2016.

La salariée demande, au regard d'un licenciement nul sur le foncement de l'article L. 1226-10 du code du travail, paiement des sommes de :

- 42 744,96 € d'indemnité pour licenciement nul,

- 8 377,31 € d'indemnité spéciale de l'article L. 1226-14 du code du travail,

à titre subsidiaire : 42 744,96 € d'indemnité pour licenciement nul pour harcèlement moral;

à titre infiniment subsidiaire : 42 744,96 € d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

et en tout état de cause :

- 3 562,08 € d'indemnité compensatrice de préavis,

- 356,20 € de congés payés afférents,

- 1 733,04 € de rappel d'indemnité légale de licenciement,

- 7 124,18 € de dommages et intérêts pour harcèlement moral et non-respect de l'obligation de sécurité,

- 1 000 € et 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

et réclame la délivrance sous astreinte de 50 € par jour de retard et par document, d'un bulletin de paie, de l'attestation Pôle emploi et d'un certificat de travail, la cour se réservant le droit de liquider l'astreinte.

L'employeur conclut à la confirmation du jugement et sollicite paiement de 3 500 € de dommages et intérêts pour procédure abusive et 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige aux conclusions des parties du 26 mars 2018.

MOTIFS :

Sur le harcèlement moral :

En application des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de la loi. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements indiqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, la salariée soutient qu'elle a été victime des agissements de Mme [G], responsable qualité de l'hôtel [S] où elle travaillait.

Elle se prévaut de plusieurs arrêts de travail pour raison de santé de juin 2009 à novembre 2011, d'une lettre du 12 mai 2009 (pièce n°49) où elle dénonce des faits de harcèlement moral, de l'inaptitude médicale, d'une affectation à un poste sous-qualifié, de certificats médicaux et de plusieurs attestations.

Les différents certificats médicaux du Dr [M] (pièce n°68, 70 à 73) font état de troubles anxio-dépressifs et anxio-phobiques en rappelant les dires de la patiente.

Le Dr [H] reprend également les propos de la patiente (pièce n°74) et indique que l'intéressée est en grande souffrance et n'arrive pas à prendre du recul pour analyser plus objectivement sa situation de travail dégradée.

L'inaptitude pour danger immédiat constatée par le médecin du travail (pièce n°65) vise tous les postes de l'unité économique et sociale sans indiquer de lien entre ce danger et un éventuel harcèlement moral.

L'attestation de M. [A] [N] (pièce n°88) indique qu'une femme est arrivée et qu'elle a fait courir des rumeurs sur la salariée portant sur le fait qu'elle buvait, qu'elle n'était pas intelligente, qu'elle ne faisait pas son travail et qu'elle était raciste.

Il ajoute que Mme [G] était 'la méchanceté personnifiée avce [Y] et son seul but était de la faire craquer' et qu'aucun de ses supérieurs qui étaient informés, n'a réagi pour l'aider.

L'attestation de Mme [W] (pièce n°89) indique qu'elle a vu [P] [Mme [G]] hurler sur [Y]. Elle rapporte les propos d'autres salariés selon lesquels la salariée était la souffre douleur de Mme [G], que tout le monde était au courant et qu'ils ne pouvaient rien faire, M. [S] lui ayant délégué ses pouvoirs.

Face à ces éléments, l'employeur indique qu'à la suite de la lettre du 12 mai 2009 il a répondu le 18 mai (pièce n°50) et devant le refus de la salariée de prendre cette lettre en main propre a réitéré ses propositions le 28 mai (pièce n°51) consistant à exercer ses fonctions dans un autre hôtel.

Elle a exprimé son refus, par l'intermédiaire d'un avocat, le 16 juin, en soulignant que ce poste ne correspondait pas à sa qualification.

Le 2 juillet, l'employeur 'sans se prononcer sur la réalité des faits, sur leur qualification ou sur leur imputation' lui répond en précisant que ses fonctions seront les mêmes et qu'elle pourra les occuper après son arrêt maladie.

Après avis d'aptitude du 10 janvier 2011, à mi-temps thérapeutique, il a été proposé un poste sur un autre hôtel avec lingerie ayant accès à la lumière du jour et un avenant à son contrat de travail lui a été proposé.

Cet avenant n'a pas été signé et le 20 janvier 2011, la salariée demandait par lettre (pièce n°60) à réintégrer son ancien poste, la personne à l'origine de ses arrêts maladie ayant quitté l'hôtel [S].

L'employeur s'en est étonné, ce poste n'étant pas conforme aux préconisations du médecin du travail qui, le même jour, a prononcé l'inaptitude à tous postes.

Il en résulte que l'ensemble des éléments avancés par la salariée et notamment le seul fait relaté par Mme [W], ne suffisent pas à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Par ailleurs, l'employeur au regard des actions et propositions ci-avant décrites n'a pas manqué à son obligation de sécurité, de sorte que la demande n'est pas plus recevable sur ce fondement.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur le licenciement pour inaptitude:

Il est invoqué la nullité de ce licenciement s'agissant d'une maladie professionnelle, ou en tout état de cause d'une origine professionnelle de l'état anxio-dépressif.

Il en irait de même pour défaut de consultation régulière des délégués du personnel et pour une absence de recherche sérieuse de reclassement.

Il sera relevé, à titre liminaire, que le non-respect de l'obligation de reclassement ou de consultation des délégués du personnel n'entraîne pas la nullité du licenciement mais seulement l'absence de cause réelle et sérieuse, sous réserve des dispositions de l'article L. 1226-13 du code du travail.

Par ailleurs, le caractère professionnel de l'inaptitude n'est pas établi dès lors que le harcèlement moral n'a pas été retenu, que le médecin du travail n'en fait pas état et que les documents médicaux prennent la précaution de reprendre les dires de la salariée sans indiquer de constat personnel.

Toutefois, les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement. L'application de l'article L. 1226-10 du code du travail n'est pas subordonnée à la reconnaissance par la caisse primaire d'assurance maladie du lien de causalité entre l'accident du travail et l'inaptitude.

La consultation des délégués du personnel devait avoir lieu même si au moment de l'engagement de la procédure de licenciement le caractère professionnel de la maladie n'avait pas encore été reconnu par la CPAM et si l'employeur avait connaissance qu'une telle origine était alléguée.

Elle doit intervenir, en cas d'impossibilité de reclassement, avant l'engagement de la procédure de licenciement, soit avant la convocation du salarié à l'entretien préalable.

En l'espèce, il est donc indifférent que la demande d'accident du travail ait été classée par la CPAM le 9 février 2012 pour défaut de diligence de la salariée.

Les délégués du personnel ont été consultés et un compte-rendu de réunion a été dressé le 24 février 2011.

La salariée a été convoquée à l'entretien préalable par lettre du 18 février 2011 (pièce n°66), pour un entretien au 1er mars et une lettre de licenciement datée du 7 mars 2011.

Il en résulte que la consultation des délégués du personnel est tardive et que le non-respect de cette formalité substantielle implique un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans qu'il soit besoin d'examiner l'argument relatif à l'obligation de reclassement.

La salariée peut réclamer une indemnité de préavis, l'employeur ayant manqué à ses obligations, et une indemnité pour licenciement abusif.

L'indemnité spéciale prévue à l'article L. 1222-14 du code du travail n'est pas due en l'absence de maladie professionnelle avérée.

L'indemnité compensatrice de préavis sera chiffrée à 3 562,08 €, soit deux mois de salaire, avec congés payés afférents de 356,20 € et les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse évalués, notamment en raison de l'ancienneté de la salariée, à 34 000 €.

Il est demandé un rappel d'indemnité légale de licenciement à hauteur de 1 733,04 € soit la différence entre la somme calculée de 6 644,26 € sur la base d'un salaire mensuel de référence de 1 781,04 € et le versement perçu de 4 911,22 €.

L'employeur conclut que la salariée a été indemnisée au delà de ce qu'elle aurait dû percevoir.

Au regard de l'ancienneté de la salariée de plus de 15 ans et du salaire de référence et du calcul de l'indemnité selon le décret n°2008-715 du 18 juillet 2008 alors applicable, il convient d'accueillir la demande.

Sur les autres demandes :

1°) L'employeur fournira un certificat de travail et l'attestation Pôle emploi conforme au présent arrêt sans que la nécessité de recourir à une astreinte ne soit démontrée.

Il n'est pas expliqué la cause justifiant la production d'un bulletin de paie. Cette demande sera donc rejetée.

2°) Il n'y a pas lieu de rappeler que les sommes allouées produisent intérêts au taux légal du seul fait de l'application de la loi.

Par ailleurs la demande de capitalisation des intérêts n'est pas reprise dans le dispositif des conclusions qui seul fixe les demandes en application de l'article 954 du code de procédure civile.

3°) La demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par l'employeur sera écartée, le licenciement ayant été jugé sans cause réelle et sérieuse.

3°) Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l'employeur et le condamne à payer à Mme [E] la somme de 1 000 €.

L'avocate de la salarié demande le paiement de la somme de 1 000 € directement en application de 2° de cet article 700.

Celui-ci renvoie à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 qui dispose que dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à payer à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, partielle ou totale, une somme qu'il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de l'Etat, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide.

En conséquence, il sera allouée à Me Hodez la somme de 1 000 €.

L'employeur supportera les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant publiquement, par décision contradictoire :

- Infirme le jugement du 3 septembre 2012 ;

Statuant à nouveau :

- Juge le licenciement pour inaptitude de Mme [E] sans cause réelle et sérieuse ;

- Condamne, en conséquence, la société Luxe et traditions à payer à Mme [E] les sommes de :

3 562,08 € (trois mille cinq cent soixante-deux euros et huit centimes) d'indemnité compensatrice de préavis,

356,20 € (trois cent cinquante-six euros et vingt centimes) d'indemnité compensatrice de congés payés afférents,

34 000 € (trente-quatre mille euros) de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

1 733,04 € (mille sept cent trente-trois euros et quatre centimes) de rappel d'indemnité légale de licenciement ;

Y ajoutant :

- Rejette les autres demandes ;

- Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Luxe et traditions et la condamne à payer à Mme [E] la somme de 1 000 euros (mille euros) et la somme de 1 000 € (mille euros)à Me Charlotte Hodez ;

- Condamne la société Luxe et traditions aux dépens de première instance et d'appel ;

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 17/06736
Date de la décision : 22/05/2018

Références :

Cour d'appel de Paris K4, arrêt n°17/06736 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-05-22;17.06736 ?
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