RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 3
ARRÊT DU 22 Mai 2018
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/11801
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Septembre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY RG n° 13/00713
APPELANTE
Madame [A] [T]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 1]
née le [Date naissance 1] 1953 à PORTUGAL ([Localité 2])
représentée par Me Olivier BONGRAND, avocat au barreau de PARIS, toque : K0136 substitué par Me Jouba WALKADI, avocat au barreau de PARIS, toque : K0136
INTIMEE
SA LA ROMAINVILLE
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Eric MANCA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438 substitué par Me Christel PHILIPPART, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Mars 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Laurence SINQUIN, Conseillère, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Daniel FONTANAUD, Président de Chambre
Madame Roselyne NEMOZ, Conseillère
Madame Laurence SINQUIN, Conseillère
Greffier : M. Julian LAUNAY, lors des débats
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé par mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure
civile.
- signé par Monsieur Daniel FONTANAUD, Président de Chambre et par Monsieur Julian LAUNAY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Madame [A] [T], engagée par la société LA ROMAINVILLE, à compter du 3 novembre 1975, en qualité d'opératrice spécialisée pâtisserie, au salaire mensuel brut moyen de 1949,87 euros, a pris acte de la rupture de son contrat de travail par courrier du 11 janvier 2013.
La lettre de rupture était rédigée dans les termes suivants :
« Je fais suite à votre courrier du 11 décembre 2012.
Vous persistez à refuser de me régler ma prime de production malgré le caractère contractuel de celle-ci.
Par ailleurs vous visez dans votre courrier la transmission d'un justificatif qui n'était pas joint à votre lettre.
En conséquence, je vous informe que je suis contrainte de prendre acte de la rupture de mon contrat de travail à vos torts.
Je terminerai mes fonctions le 30 janvier 2013.
Je vous remercie de préparer mon solde de tout compte.' »
Madame [T] a saisi le conseil de prud'hommes.
Par jugement du 25 septembre 2014, le conseil de prud'hommes de Bobigny considérant qu'un accord transactionnel du 3 mai 2011 avait mis fin aux actions et instances susceptibles d'être engagées par les parties au titre de la prime dite de production, a débouté Madame [T] de sa demande de requalification de sa prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il a également débouté la société LA ROMAINVILLE de ses demandes au titre des articles 32-1et 701 du code de procédure civile.
Madame [T] a relevé appel de cette décision.
Par conclusions visées au greffe le 13 mars 2018, au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, Madame [T] demande à la Cour l'infirmation du jugement et la condamnation ou la fixation au passif de la société LA ROMAINVILLE des sommes suivantes :
' 6420,60 euros de prime de production sur la période du 14 décembre 2010 au 31 janvier 2013 et les congés payés afférents,
' 90'000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
' 1819,72 euros d'indemnité compensatrice de congés payés,
' 3899,74 euros d'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents,
' 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Par conclusions visées au greffe le 13 mars 2018, au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne les moyens, la société LA ROMAINVILLE sollicite à titre principal, la confirmation du jugement et à titre subsidiaire, le rejet des demandes de Madame [T].
Elle estime qu'il n'existe pas d'obligation contractuelle concernant la prime de production, que la dénonciation de cette prime au 1er janvier 2000 est régulière et qu'en l'absence de manquements de l'employeur, la prise d'acte doit s'analyser en une démission.
Elle sollicite la condamnation de Madame [T] à la somme de 3899,57 euros correspondant aux deux mois de préavis non exécutés.
À titre infiniment subsidiaire, la société considérant que la prime d'assiduité a le même objet que la prime de production, demande que le rappel de prime soit réduit de la somme de 1760 euros versée au titre de la prime d'assiduité et celle de 368,59 euros correspondant aux jours d'absence de la salariée.
Elle indique que les bulletins de salaire qu'elle avait réclamés, ont été communiqués par la salariée et renonce à la demande de déduction des salaires des mois de décembre 2011 et janvier 2012.
Au regard d'un salaire moyen fixé à la somme de 1949,78 euros, la société sollicite la limitation de sa condamnation à hauteur de :
' 2053,60 euros bruts à titre de rappel de prime de production,
' 21'915,53 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
' 3899, 57 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents.
Elle réclame en outre, la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et le rejet des autres demandes et prétentions de la salariée.
Pour plus ample exposé des faits de la procédure et des prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience.
MOTIFS
Sur l'application de la transaction
Il convient pour apprécier la position des premiers juges de rappeler le contexte dans lequel s'est opérée la saisine du conseil des prud'hommes.
Le 12 février 1992, la société LA ROMAINVILLE a institué, au profit des salariés totalisant plus d'un an d'ancienneté, une prime dite de production.
Une dénonciation de cette prime a eu lieu à effet au 1er janvier 2000, à l'initiative de l'employeur et une information individuelle a été portée à la connaissance de chaque salarié.
Plusieurs salariés ont saisis en 2008, le conseil des prud'hommes pour dénoncer le défaut de paiement de cette prime.
S'agissant de Madame [T], par un arrêt en date du 8 février 2011, la Cour d'appel de Paris, infirmant la décision du conseil de prud'hommes de Bobigny du 4 mars 2008, a condamné la société au paiement de la somme de 23'625 euros à titre de rappel de prime sur la période du 24 janvier 2002 au 22 novembre 2010 et les congés payés afférents.
Le 3 mai 2011, une transaction a été signée entre Madame [T] et la société LA ROMAINVILLE suite à cette décision.
Par lettre recommandée du 2 mars 2011, la société a transmis une nouvelle dénonciation de la prime de production à effet à compter du 3 juin 2011.
Madame [T] n'aura plus de versement de la prime à compter de janvier 2011 et va saisir de nouveau le conseil des prud'hommes pour obtenir un rappel de prime impayé et pour voir statuer sur sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail. Eu égard à la transaction intervenue entre les parties, le conseil des prud'hommes a débouté la salariée de l'ensemble de ses demandes.
Il y a lieu de rappeler les dispositions des articles 2049 et 2048 du Code civil selon lesquelles : « Les transactions ne règlent que les différents qui s'y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l'on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui est exprimé » ; « Les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tout droit, action et prétention s'entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu ».
En l'espèce, s'il a été convenu entre les parties à l'article 3 que Madame [T] « déclare expressément pour elle-même et ses ayants droits, renoncer à toute prétention, réclamation, action ou instance de quelque nature que ce soit à l'encontre de la société ou de toute entité apparentée à la société pouvant avoir pour cause le paiement de cette prime de production » et qu'au vu des dispositions de l'article 4, elle « s'engage à n'intenter aucune instance ou action d'aucune nature que ce soit et renonce irrévocablement à toute réclamation au titre de la prime dite de production », ces deux articles doivent s'analyser dans le contexte plus général de la transaction.
Dans les dispositions de rappel préalable inscrite dans la convention, il est clairement indiqué que l'accord trouve son origine dans la volonté des parties d'éviter un pourvoi en cassation de l'arrêt du 8 février 2011. Ainsi, l'article 2 mentionne : « le présent accord a donc pour objet premier d'indemniser Madame [T] de son préjudice moral attaché à l'éventualité d'une cassation que la société entrevoit comme fort certaine de l'arrêt du 8 février 2011 ».
L'article 6 de la convention qui prévoit que les dispositions interviennent pour solder l'ensemble des relations existantes ou ayant existé entre les parties en ce qui concerne la prime de production n'envisage pas de renonciation pour l'avenir de la salariée à l'application de cette prime.
Or dans sa décision du 8 février 2011, la Cour n'a statué que sur la demande relative à la prime de production sur la période du 24 janvier 2002 au 22 novembre 2010.
Ainsi, la combinaison de ces dispositions permet de considérer qu'afin d'échapper aux aléas judiciaires attachés à un éventuel pourvoi en cassation de l'arrêt du 8 février 2011, les parties ont renoncé à engager une action, ont transigé sur l'indemnité à allouer en contrepartie à la salariée.
Rien ne permet de considérer que postérieurement à la période indemnisée, il y a eu une renonciation globale de la salariée à l'octroi de cette prime.
Par ailleurs, la nature même de cette prime, dont le versement dépend notamment de la présence effective de la salariée et de la qualité de la réalisation de sa prestation de travail, ne permettait pas de déterminer pour le futur le préjudice et de l'indemniser.
En tout état de cause, cette transaction ne règle pas le problème de la rupture du contrat de travail par la prise d'acte de la salariée.
Au vu de ces motifs, il y a lieu de réformer la décision des premiers juges et de déclarer la salariée recevable en ses demandes.
Sur la demande de rappel de prime
La société LA ROMAINVILLE soulève, en premier lieu, l'autorité de la chose jugée concernant la nature de la prime de production. L'arrêt du 8 février 2011 analyse cette prime comme un engagement unilatéral de l'employeur susceptible, en conséquence, de renonciation.
Il y a lieu de relever que par un arrêt en date du 1er février 2012, la Cour de Cassation dans une instance concernant deux autres salariés de la même société a statué sur la nature de la prime et a considéré qu'elle constituait un élément de la rémunération à caractère contractuel.
La société estime que cet arrêt dont se prévaut la salariée ne peut être créateur de droit à son égard dès lors qu'elle n'était pas partie à l'instance.
Si en vertu de l'arrêt du 8 février 2011, l'autorité de la chose jugée peut être opposée à Madame [T], ce n'est que dans la limite du litige qu'il concerne et en l'occurrence, la demande de prime jusqu'au mois de novembre 2010.
Il ressort des débats et éléments communiqués que par lettre du 12 et février 1992, l'employeur avait proposé à la salariée une nouvelle méthode de calcul des salaires entraînant la suppression des primes antérieures et l'instauration d'une prime de production et une gratification annuelle et lui avait demandé de la signer pour acceptation en précisant que l'absence de réponse valait acceptation, puis que par lettre du 8 décembre 1998, la salariée avait été informée de la suppression de la prime de production à compter du 1er janvier 2000. Dès lors, la prime de production doit s'analyser comme un avantage incorporé au contrat de travail.
Madame [T] a été embauchée avant 1992, a été destinataire des différents courriers précités et se trouve bien dans des circonstances identiques à celles retenues par la Cour de Cassation pour qualifier la prime de production d'élément de rémunération à caractère contractuel. La suppression de cet élément supposait un accord de la salariée et il importe peu qu'il y ait eu dénonciation unilatérale par l'employeur.
Cette analyse conforme à celle exprimée par la Cour de cassation dans un arrêt du 1er février 2012 impose le rejet du moyen tiré de l'autorité de la chose jugée concernant la nouvelle demande de prime formée par la salariée après novembre 2010.
En conséquence de ces motifs, il convient de faire droit à la demande de Madame [T] concernant les rappels de primes.
Sur le calcul de la prime
La société LA ROMAINVILLE conteste le montant sollicité dès lors qu'elle considère que la prime d'assiduité intervenue en juillet 2010 a remplacé et a le même objet que la prime de production et que les sommes perçues à ce titre doivent en conséquence, être déduite des sommes sollicitées outre les jours d'absences.
Il ressort de l'accord de la NAO 2009 que la prime d'assiduité est une prime uniquement destinée à réguler l'absentéisme : elle prévoit le paiement au salarié présent d'une somme mensuelle de 80 euros, réduite à 40 euros si il y a une absence et à 0 en cas de deux absences.
Le courrier du 12 février 1992 détaille la nature et les modalités de calcul de la prime de production.
Il fait état tout d'abord du fait que la prime de production et la gratification annuelle remplacent la prime d'ancienneté et la prime annuelle. Rien dans ce préalable ne permet d'y voir une référence à l'assiduité.
Le système a pour objectif d'encourager les nouveaux venus qui ne bénéficiaient pas de la prime d'ancienneté.
Le calcul du montant de la prime de production est journalière, la prime de production ne bénéficie qu'aux salariés ayant un an d'ancienneté, évolue selon le niveau et l'échelon et le montant de la gratification annuelle, sur la base de 169 heures par mois pour 5 jours de travail par semaine et peut être majorée en cas de jours ou demie journées travaillées en plus.
Elle peut être augmenté en même temps que l'augmentation générale des salaires et la valeur du salarié. L'employeur donne des exemples de critères d'appréciation de la valeur du salarié par le responsable d'exploitation. La présence du salarié figure parmi eux, tout comme son professionnalisme ou sa mobilité.
Ainsi, l'employeur ne démontre pas que les primes aient le même objet et encore moins que la prime d'assiduité ait remplacé la prime de production.
Rien ne justifie que les paiements au titre de la prime d'assiduité soient déduits de la demande formée pour la prime de production.
Au vu des bulletins de salaire produits et des 35 jours d'absence justifiés par la salariée, il ya lieu de faire droit à l'intégralité de sa demande.
Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail du 11 janvier 2013
En application de l'article L 1231-1 du code du travail, le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié ou d'un commun accord. La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquements suffisamment graves de l'employeur, empêchant la poursuite du contrat de travail. Lorsque le salarié prend acte de la rupture, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifient, soit d'une démission dans le cas contraire.
L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige, en sorte que d'autres manquements peuvent être invoqués, ne figurant pas dans cet écrit.
Madame [T] considère que le non paiement de la prime constitue un manquement suffisamment grave pour justifier la rupture aux torts de l'employeur.
S'il est constant qu'à compter de décembre 2010, la prime de production n'a plus été payée, la salariée ne rapporte pas la preuve de ce que ce manquement a empêché la poursuite du contrat de travail puisque la relation de travail a perduré pendant encore deux ans.
La société pouvait à son égard, en tout cas pour toute la période allant jusqu'au 1er février 2012 date de l'arrêt de la Cour de cassation, croire que la prime de production s'analysait en un engagement unilatéral susceptible de renonciation et que par l'effet de la transaction le sort de la prime de production avait été réglée la concernant. Le seul fait de l'erreur d'appréciation sur la transaction ne suffit pas à justifier du manquement grave et la responsabilité de l'employeur face aux diverses positions arrêtées dans les décisions judiciaires ne saurait être retenue.
La salarié n'établit donc pas l'existence de manquements suffisamment graves de l'employeur, empêchant la poursuite du contrat de travail et la prise d'acte devra s'analyser en une démission.
En conséquence de ces motifs, la demande incidente de la société LA ROMAINVILLE concernant le préavis devra être déclaré recevable et bien fondée.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
INFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes fondées sur la requalification de la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Et statuant à nouveau ;
DIT que la prime de production s'analyse en un élément de la rémunération à caractère contractuel ;
CONDAMNE la société LA ROMAINVILLE à payer à Madame [T] la somme de 6420,60 euros de prime de production sur la période du 14 décembre 2010 au 11 janvier 2013 et 642,06 euros au titre des congés payés afférents,
DIT que la prise d'acte de la rupture de Madame [T] du11 janvier 2013 s'analyse en une démission ;
DEBOUTE Madame [T] de ses demandes formées au titre de son licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
CONFIRME le jugement en ses autres dispositions ;
Y ajoutant ;
CONDAMNE Madame [T] à payer à la société LA ROMAINVILLE la somme de 3899,57 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE les parties du surplus des demandes ;
LAISSE à chacune des parties les dépens par elle exposés en cause d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT