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16/05/2018 | FRANCE | N°16/05978

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 16 mai 2018, 16/05978


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 16 Mai 2018

(n° , 9 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/05978





Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Février 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 14/12660





APPELANTE



SAS ODF

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Virginie LISFRANC-GALESNE,

avocat au barreau de PARIS, toque : A0303



INTIMEE



Madame [C] [M]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

comparante en personne, assistée de Me Alina PARAGYIOS, avocat au barreau de PARIS, toque : A0374 s...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 16 Mai 2018

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/05978

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Février 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 14/12660

APPELANTE

SAS ODF

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Virginie LISFRANC-GALESNE, avocat au barreau de PARIS, toque : A0303

INTIMEE

Madame [C] [M]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

comparante en personne, assistée de Me Alina PARAGYIOS, avocat au barreau de PARIS, toque : A0374 substitué par Me Pierre BEFRE, avocat au barreau de PARIS, toque : A0374

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Février 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Christine LETHIEC, Conseillère, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Catherine SOMMÉ, président

Monsieur Benoit HOLLEAUX, conseiller

Madame Christine LETHIEC, conseiller

Greffier : Mme Laurie TEIGELL, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile

- signé par Madame Catherine SOMMÉ, Président et par Madame Laurie TEIGELL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits et prétentions des parties

Mme [C] [M] a été engagée par la SAS ODF, dans le cadre d'un contrat de qualification à compter du 17 juillet 2000 jusqu'au 31 août 2011, pour y exercer les fonctions d'assistante commerciale ; aux termes de ce contrat, l'intéressée a été engagée par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2011 pour exercer les mêmes fonctions d'assistante commerciale, niveau 5, échelon 2 et en contrepartie d'une rémunération mensuelle brute de 9 000 Frs pour un horaire hebdomadaire de travail de 39 heures.

Elle percevait, en dernier lieu,une rémunération mensuelle de 3 822.70 € pour un volume horaire de travail de 151.67 heures.

L'entreprise qui employait, au jour de la rupture, plus de dix salariés, est assujettie à la convention collective nationale du commerce de gros.

Au cours de l'année 2014, l'entreprise a décidé de regrouper l'ensemble des salariés à [Localité 1], près de [Localité 2], et de procéder à une nouvelle organisation commerciale, en séparant les activités en différents pôles et non plus par secteurs géographiques.

Par courrier remis en mains propres le 16 avril 2014, l'employeur a proposé à Mme [C] [M] une modification de son contrat de travail, à effet au 19 mai 2014 et consistant en :

- une modification de ses fonctions par l'attribution du pôle hôtellerie, haute et moyenne gamme, France et international ;

- une modification de son lieu de travail : de [Localité 3] à [Localité 1].

Mme [C] [M] a refusé la modification de son contrat de travail par lettre de son conseil, datée du 12 mai 2014 ; elle a réitéré ce refus par courrier adressé le 30 mai 2014.

Par lettre recommandée du 4 juin 2014, la société ODF a convoqué Mme [C] [M] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 16 juin 2014.

Un licenciement pour motif personnel a été notifié à l'intéressée par courrier recommandé du 3 juillet 2014 , rédigé en ces termes :

« Nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour le motif suivant qui vous a été exposé lors de l'entretien préalable :

Refus d'accepter les modifications de votre contrat de travail rendues nécessaires par la réorganisation du service commercial en 4 pôles d'activité et le regroupement de ce service à [Localité 1].

Cette réorganisation est indispensable au développement de notre entreprise et au bon fonctionnement de l'équipe commerciale

« A la suite du départ de l'ancien directeur commercial, M. [E] [U], le 15 novembre 2013, qui animait depuis 20 années le bureau de [Localité 3] où se trouvait la grande partie du service commercial France, j'ai personnellement assuré l'intérim en partageant mon temps entre [Localité 3] et [Localité 1]nt, jusqu'à la nomination du nouveau directeur des Ventes, [M] [Q] en février 2014.

Nous avons réfléchi ensemble à la nécessaire réorganisation du service commercial et avons décidé de créer quatre pôles par secteur d'activité pour mieux répondre à l'évolution de la fonction commerciale qui a profondément changé avec le développement d'internet et la concentration des acteurs de notre marché.

Nos produits (accessoires de salles de bains) se répartissent selon différentes familles :

- Les accessoires décoratifs qui concernent surtout l'hôtellerie grâce à notre réseau de décorateurs

- Les accessoires utilitaires (norme, utilité, prix) qui concernent surtout les hébergements divers (résidence étudiantes, maison de retraites), le secteur médicalisé en France.

- Les produits à façon.

Jusqu'à présent, l'activité commerciale de notre société était organisée de manière traditionnelle par zones géographiques en France et à l'étranger mais ce « découpage » se révélait de plus en plus inadapté à l'évolution de notre clientèle.

La majorité de nos clients appartiennent en effet aujourd'hui à des groupes comme ACCOR ou autres chaines d'hôtels et les indépendants eux-mêmes font appel à des centrales d'achats ou s'affilient une enseigne commune.

Nous avons contacté une évolution identique dans d'autres secteurs d'activité tels que maisons de retraite, résidences de tourisme, résidences d'étudiants, etc'

Les clients, les intermédiaires, et les prescripteurs ne peuvent plus non plus être rattachés à une zone géographique fixe.

Ainsi des décorateurs français interviennent à l'étranger, de nombreux décorateurs anglais interviennent dans les pays du Golfe, les cabinets de décoration ou d'architecture peuvent travailler en réseau avec des agences à [Localité 4], [Localité 3], [Localité 5], [Localité 6], [Localité 7], [Localité 8], [Localité 9] '

Le secteur d'activité devient de ce fait primordial par rapport au secteur géographique.

C'est la raison pour laquelle, nous avons souhaité mettre fin à ce découpage «historique » de l'activité commerciale de la société entre les différentes régions en France et à l'étranger et organiser l'activité commerciale d'abord par secteurs d'activités et, au sein du secteur hôtellerie par pays ou zones géographiques

L'activité a été scindée en 4 pôles (organisation détaillée en annexe)

- Pôle 1 : Pôle hôtellerie haute et moyenne gamme France et international

- Pôle 2 : Pôle hébergement divers

- Pôle 3 : Pôle médicalisé et militaire

- Pôle 4 : Pôle travail à façon

Notre objectif est que ces pôles devraient avoir à moyen terme une structure sensiblement identique basée, non plus par secteur géographique, mais par secteur d'activité : un ou plusieurs commerciaux « terrain », un prospecteur téléphonique, et un assistant commercial dédié pour enregistrer les commandes et renseigner les clients du pôle (service client).

Notre projet est donc qu'après la réorganisation, il n'y ait plus qu'un commercial spécialisé dans ce secteur d'activité pour toute la France.

Le directeur des ventes, [M] [Q], et moi-même, avons présenté cette nouvelle organisation lors de la réunion de l'équipe commerciale du 16 avril 2014 où vous étiez présente avec d'autres membres de l'équipe.

L'ensemble de ce projet a été mis en place aujourd'hui, Mme [Y] [Z] et vous'même ayant seules refusé les modifications proposées.

En ce qui vous concerne, il vous a été proposé de travailler dans le secteur Grande-Bretagne dans le pôle 1 Hôtellerie.

Le marché de la Grande-Bretagne est en fort développement à l'échelle européenne : avec 41 % des investissements, le montant des investissements dans l'hôtellerie en Grande-Bretagne est le plus important d'Europe.

Les chaines anglaises représentent 16% du marché européen. En tenant compte des chaines américaines dont les centres de décision sont implantés en Grande-Bretagne , le marché anglais représente au total 39% du marché européen.

Nous travaillons déjà sur ce secteur depuis quelques années où nous avons déjà de belles références (telles que Inter-Continental Park Lane de [Localité 4] plus de 500ch en palace, Crowne Plazza [Localité 4] Saint James, Four Seasons [Localité 4], Sofitel [Localité 4], etc') mais nous souhaitons renforcer notre présence et développer ce marché pour compenser notamment la diminution des marchés de l'hôtellerie en Tunisie, Egypte, Lybie Algérie [Localité 8] ce qui entraine un manque à gagner important.

ODF est présent depuis de nombreuses années au salon de l'hôtellerie Sleep Event à [Localité 4]. Nous avons une base tarif en livres pour ce type de client, un catalogue et un site internet. Nous allons avoir une domiciliation en GB à Brighton. Nous avons également, depuis février, formé une assistante commerciale bilingue français/anglais pour renforcer ce service

Votre parfaite maîtrise de la langue anglaise était un plus évident dans le cadre du développement de ce marché stratégique pour notre société. C'était d'ailleurs une des raisons pour laquelle vous deviez vous-même ouvrir le bureau envisagé à [Localité 7] en 2008, ouverture à laquelle nous avons dû malheureusement renoncer à l'époque en raison de la conjoncture.

De plus, vous êtes rentrée dans l'entreprise ODF dans le cadre d'un contrat de qualification comme assistante commerciale, à l'issue d'un BTS commerce international, votre formation était donc en adéquation avec le nouveau poste que nous vous proposions.

Outre l'organisation du service commercial par pôle d'activité, le regroupement de tous les commerciaux en un lieu unique à [Localité 1], sous la direction du directeur des Ventes, [M] [Q], était l'autre aspect important de cette réorganisation.

Jusqu'à récemment, les commerciaux travaillaient : à [Localité 1], à [Localité 3] où se trouvait le directeur commercial et 4 autres personnes, et à [Localité 10] où Mme [Z] est désormais seule, depuis que l'établissement d'[Localité 10] en [Localité 11] a fermé en septembre 2012.

Cette structure de vente éclatée et obsolète empêche toute synergie et tout contrôle des équipes commerciales, et son maintien n'était plus possible.

Ainsi, vous-même, bien que travaillant jusqu'à présent à [Localité 3], vous ne veniez que très rarement à [Localité 1] SAINT NICOLAS. Or, un commercial doit être au contact permanent de son entreprise, de sa hiérarchie, de ses collègues, de la production, du SAV, pour favoriser l'indispensable synergie entre les équipes.

La localisation à [Localité 1] de tous les commerciaux, regroupés autour du directeur des ventes, permet une plus grande cohésion de l'équipe commerciale.

Elle permet également une proximité entre les commerciaux et les différents interlocuteurs (back office, production) et plus de synergie entre les services (directions, SAV clients, marketing, logistique), donc beaucoup plus d'efficacité.

Ce regroupement permet également des échanges directs, facilite les réunions, les rendez-vous ; Un problème se règle mieux en face à face que par mail ou par téléphone.

Le bénéfice retiré de cette nouvelle organisation est d'autant plus important que nous avons des clients pour lesquels nous traitons de nombreuses affaires susceptibles de concerner plusieurs pôles tels que Accor, intercontinental, Reside-Etude, GDP Vendôme, Eiffage, Bouygues, etc'), et que le partage de l'information constitue un élément essentiel de la réussite des affaires.

En outre, maintenant que l'activité commerciale est découpée en secteurs d'activités et non plus en secteurs géographiques, il n'existe aucune raison que les commerciaux soient basés proches de leur zone de prospection.

Au surplus, cela permet de rationaliser les coûts de fonctionnement.

Votre refus d'accepter cette modification de votre contrat de travail indispensable pour le bon fonctionnement et le développement de notre entreprise nous contraints à vous notifier votre licenciement pour cause réelle et sérieuse ... ».

Par courrier adressé le 1er août 2014, Mme [C] [M] a contesté les motifs de son licenciement et l'employeur y a répondu par lettre du 17 septembre 2014.

Estimant ne pas être remplie de ses droits, Mme [C] [M] a saisi, le 2 octobre 2014, le conseil de prud'hommes de Paris de demandes en indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et violation des obligations de loyauté et de proposition de réembauchage, outre des frais irrépétibles.

Par jugement rendu le 25 février 2016, le conseil de prud'hommes a :

- reconnu le motif économique du licenciement et dit celui-ci sans cause réelle et sérieuse

- condamné la société ODF à verser à la salariée les sommes suivantes :

° 40 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

° 7 535.16 € à titre de dommages et intérêts pour violation de la priorité de ré-embauchage, ces sommes avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement jusqu'au jour du paiement,

° 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société ODF de sa demande reconventionnelle et condamné celle-ci aux dépens.

Le 11 avril 2016, la société ODF a interjeté appel de cette décision.

Aux termes d'un arrêt rendu le 8 février 2017, cette cour a déclaré cet appel recevable.

Par conclusions visées par le greffe le 27 février 2018 et soutenues oralement, la société ODF demande à la cour d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et l'a condamnée à verser à la salariée une indemnisation au titre de la rupture abusive et de la violation de la priorité de réembauchage.

A titre subsidiaire, l'appelante sollicite la limitation de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à six mois de salaires et celle pour absence de mention de la priorité de réembauchage à un euro.

Elle conclut à la confirmation de la décision qui a débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

La société ODF forme en outre une demande accessoire de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en sollicitant que Mme [C] [M] soit déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles et supporte la charge des dépens

Par conclusions visées par le greffe le 27 février 2018 et soutenues oralement, Mme [C] [M] sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné la société ODF à lui verser une somme de 7 535.16 € à titre de dommages et intérêts pour violation de la priorité de réembauchage.

L'intimée conclut à l'infirmation du jugement en ses autres dispositions et elle demande à la cour de condamner la société ODF au paiement des sommes suivantes :

- 90 422 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 22 605.48 € à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de loyauté,

- 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées oralement lors de l'audience des débats.

SUR QUOI LA COUR

Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

Selon les dispositions de l'article L. 1222- 1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

Mme [C] [M] sollicite l'infirmation du jugement qui l'a déboutée de ce chef de demande en faisant valoir qu'à compter de la fin de l'année 2013, elle a été victime d'accusations mensongères, notamment le fait de pratiquer une rétention des informations après le départ du directeur commercial, M. [E] [U], qu'elle s'est vu dépossédée d'une partie de ses fonctions, dès le mois de décembre 2013, au profit de M.[M] [Q], qu'elle n'a plus été en charge de clients clés en France tels que Mobidam, GDP Vendôme, Eiffage industries, M [Q] effectuant, lui-même, les rendez-vous. Mme [C] [M] invoque également la détérioration de son état de santé générée par cette situation.

La société ODF, pour sa part, conteste tout manquement à son obligation de loyauté.

La salariée s'abstient de démontrer les accusations mensongères de rétention d'informations qu'aurait proférées à son encontre, le directeur général, M. [X] [B], suite au départ de M. [E] [U], la production du courriel de M. [X] [B] daté du 29 novembre 2013 ne permettant pas d'établir ce reproche.

Par ailleurs, les fiches CRM Goldmine des clients Eiffage Construction et Mobidam ne font pas apparaître le nom de la salariée mais seulement celui de M. [E] [U], puis celui de son successeur M. [M] [Q], de sorte que Mme [C] [M] ne démontre pas davantage avoir été dépossédée de ses fonctions.

En outre, la cour relève qu'en dépit des constatations médicales du Dr [R], médecin traitant de la salariée, certifiant « avoir vu à plusieurs reprises en consultation au cours de l'année 2014, Mademoiselle [M] pour un état dépressif suite à une détérioration de ses conditions de travail et à un conflit avec son employeur », l'intéressée a été déclarée apte sans réserve par la médecine du travail , lors de sa reprise le 1er avril 2014.

La cour déduit de l'ensemble de ces éléments que Mme [C] [M] ne rapporte pas la preuve d'une exécution déloyale du contrat de travail, étant observé que, dès l'expiration du préavis, qu'elle a été dispensée d'exécuter, la salariée a rejoint la structure concurrente crée par l'ancien directeur commercial, M. [E] [U].

Il y a lieu de confirmer le jugement qui a débouté Mme [C] [M] de sa demande en indemnisation pour exécution déloyale du contrat de travail.

Sur la rupture du contrat de travail

L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement pour motif personnel à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.

L'article L. 1235-1 du code du travail dispose qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si un doute persiste, il profite au salarié.

Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties.

En application de l'article L. 1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement doit comporter l'énoncé de faits précis et matériellement vérifiables, à défaut de quoi le licenciement doit être jugé sans cause réelle et sérieuse.

Il convient d'analyser les griefs reprochés à Mme [C] [M] qui sont exposés dans la lettre de licenciement notifiée le 3 juillet 2014, qui lie les parties et le juge.

En l'occurrence, l'employeur reproche à la salariée d'avoir refusé la modification de son contrat de travail, laquelle était indispensable pour le bon fonctionnement et le développement de l'entreprise.

La société ODF a proposé à la salariée, le 16 avril 2014, une modification de son contrat de travail consistant, outre l'attribution de nouvelles fonctions, un changement de lieu de travail dans un secteur géographique différent.

La société ODF fait valoir que la modernisation de l'organisation commerciale en quatre pôles d'activités et le regroupement du service commercial à [Localité 1] ([Localité 12]) étaient indispensables au maintien de la compétitivité de l'entreprise et au bon fonctionnement de l'équipe commerciale. Elle considère que cette modification ne reposait pas sur un motif économique, contrairement à ce que soutient la salariée et ce qu'a retenu le conseil de prud'homme, soulignant qu'elle n'a pas rencontré de difficultés économiques et que la réorganisation de l'activité en pôles d'activité répondait au souhait de maintenir la compétitivité, ce qui est le propre de toutes les entreprises commerciales, mais non de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise en l'absence de nécessité d'anticiper des difficultés économiques à venir. La société appelante souligne que le 1er octobre 2014 elle a engagé M. [F] [T] en qualité d'attaché commercial, cadre 8.1, affecté au pôle hôtellerie en charge du Moyen Orient et du Royaume Uni en vue de remplacer la salariée.

Mme [C] [M], pour sa part, estime qu'elle aurait dû être licenciée pour motif économique dès lors que la modification litigieuse n'est pas inhérente à sa personne mais à la volonté de l'entreprise de se réorganiser pour des raisons économiques.

Il n'est pas discuté en l'espèce que le changement de lieu de travail et d'affectation de la salariée constituait une modification de son contrat de travail.

Selon les dispositions de l'article L. 1222-6 du code du travail, « Lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail pour l'un des motifs économiques énoncés à l'article L.1233-3 , il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception.

Le lettre de notification informe le salarié qu'il dispose d'un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus....

A défaut de réponse dans le délai d'un mois.....le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée».

Il résulte de l'article L. 1222-6 du code du travail que la procédure qu'il prévoit est applicable lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail pour l'un des motifs énoncés à l'article L. 1233-3 du code du travail.

Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié et résultant d'une suppression ou d'une transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel de son contrat de travail, consécutive à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, à une réorganisation de l'entreprise ou, dans certaines conditions, à une cessation d'activité et à la nécessité de sauvegarder la compétitivité ou celle du secteur d'activité du groupe auquel l'entreprise appartient.

En l'espèce, la société ODF a décidé de réorganiser l'activité commerciale de l'entreprise non plus par secteurs géographiques mais par secteurs d'activités afin de répondre à l'évolution de la fonction commerciale et à la concentration des acteurs sur le marché, la majorité des clients appartenant à des groupes ou à des centrales d'achats. Elle a, également, décidé de regrouper tous les commerciaux à [Localité 1] ([Localité 12]), en un lieu unique, sous la direction du directeur des ventes, M. [M] [Q] afin de rationaliser les coûts de fonctionnement et permettre une plus grande cohésion de l'équipe.

Suite au départ en novembre 2013, du directeur commercial de l'entreprise, M. [E] [U], ayant créé en mars 2014, une entreprise concurrente Haccess, et à ceux de sa compagne, Mme [B] [O], commerciale et de Mme [D] [K], assistante commerciale, la société ODF établit que son directeur général, M. [X] [B] a assuré l'intérim entre [Localité 3] et [Localité 1] pour s'occuper de l'équipe commerciale restante, composée de Mme [C] [M] et d'une autre salariée partie en retraite au cours du premier trimestre 2014.

Le 16 avril 2014, il a informé le personnel de la nécessité de regrouper l'équipe commerciale en un lieu unique, étant observé que l'établissement d'[Localité 10] avait fermé au mois de septembre 2012, Mme [Z] exerçant, seule, son activité de commerciale.

Concernant l'activité économique de la société ODF, les rapports de gestion des exercices 2013 et 2014, le bilan et le compte de résultats de l'exercice 2014 révèlent que l'entreprise ne rencontrait pas de difficultés économiques lors de la notification du licenciement de la salariée, qu'ainsi son chiffre d'affaires était stable sur les deux exercices, que la part des exportations était en hausse de plus de 6 %, que le résultat d'exploitation était passé de 169 351 € à 486 600 €, soit une hausse de plus de 187 %, que le résultat courant avant impôts était également en hausse de plus de 297 % et que le dernier exercice a dégagé un bénéfice de 149 495 € contre 85 798 € précédemment.

La lettre de licenciement notifiée le 3 juillet à Mme [C] [M] confirme cette situation économique de la société ODF, en précisant la nécessité de maintenir sa compétitivité, étant relevé que le maintien de la compétitivité ne constitue pas en tant que tel un motif économique de licenciement à la différence de la sauvegarde de la compétitivité.

La cour déduit de l'ensemble de ces éléments que le licenciement consécutif au refus de Mme [C] [M] d'accepter la modification de son contrat de travail, et notamment la modification de son lieu de travail, n'a pas une cause économique, par infirmation du jugement déféré.

Le seul refus par le salarié d'une modification de son contrat de travail ne constitue pas en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement. Il appartient à l'employeur de justifier qu'il s'est trouvé dans la nécessité de procéder à la modification du contrat de travail du salarié et ainsi de démontrer que cette modification répondait à l'intérêt de l'entreprise.

La société ODF démontre, en l'espèce, la nécessité de procéder à la modification du lieu de travail de la salariée du fait du départ de son directeur commercial, de la création par celui-ci d'une entreprise concurrente sur [Localité 3] et de la nécessité de regrouper le service commercial sur le lieu de son principal établissement à [Localité 1] suite au départ volontaire de trois membres de son équipe sur cinq et à la fermeture de son local parisien, de sorte qu'elle justifie que cette modification répond aux intérêts de l'entreprise et qu'elle n'a pas été imposée par malignité ou de mauvaise foi à la salariée, celle-ci ayant en outre disposé d'un délai raisonnable de réflexion et ayant pu poser des questions sur les conditions matérielles de ce changement de lieu de travail et obtenu des réponses de l'employeur à ce titre.

Il en résulte que le licenciement notifié le 3 juillet 2014 à Mme [C] [M] repose sur une cause réelle et sérieuse.

Le jugement déféré sera en conséquence infirmé en ce qu'il alloue à la salariée des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le licenciement de Mme [C] [M] n'étant pas fondé sur un motif économique, la salariée ne peut prétendre à une indemnisation pour non respect de la priorité de réembauche prévue à l'article L. 1235-13 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges dont la décision sera infirmée à ce titre.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

L'équité commande de laisser à chaque partie la charge de ses frais non répétibles, Mme [C] [M] dont l'argumentation est écartée supportant la charge des dépens de première instance et d'appel,

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté Mme [C] [M] de sa demande de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de loyauté ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

DIT que le licenciement notifié le 3 juillet 2014 à Mme [C] [M] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

REJETTE les demandes indemnitaires de Mme [C] [M] pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour violation de la priorité de réembauche ;

DEBOUTE les parties de leurs prétentions respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Mme [C] [M] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 16/05978
Date de la décision : 16/05/2018

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°16/05978 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-05-16;16.05978 ?
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