RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 4
ARRÊT DU 15 Mai 2018
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/08951
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 Mai 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section Activités Diverses RG n° 14/01890
APPELANTE :
Madame [M] [T] épouse [K]
née le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 1]
demeurant au [Adresse 1]
[Localité 2]
comparante en personne, assistée de Me Eric HIRSOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : A.853
INTIMÉE :
ASSOCIATION B. ET PH. LAFAY PCHM
sise [Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Philippe MOUGEOTTE, avocat au barreau de PARIS, toque : E0157
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 13 Mars 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Bruno BLANC, Président
Mme Soleine HUNTER FALCK, Conseillère
M. Olivier MANSION, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Clémentine VANHEE, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile,
- signé par M. Bruno BLANC, président et par Mme Clémentine VANHEE, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire
Exposé du litige :
Mme [K] (la salariée) a été engagée le 6 novembre 2008 par contrat à durée indéterminée en qualité de monitrice éducatrice et occupant en dernier lieu les fonctions d'éducatrice technique spécialisée, par l'association B et PH Lafay PCHM (l'employeur).
Elle a été licenciée le 29 novembre 2013 pour faute grave.
Estimant ce licenciement abusif, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes qui, par jugement du 26 mai 2015, a rejeté la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse.
La salariée a interjeté appel le 15 septembre 2015, après notification du jugement le 28 août 2015.
Elle demande, au regard d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'un harcèlement moral, paiement des sommes de :
- 36 018 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 24 012 € de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
- 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
et réclame l'affichage au sein de 'l'E. M. Pro Cardinet' pendant quinze jours et en un endroit visible par tout le personnel du présent arrêt .
L'employeur conclut à l'infirmation du jugement sur le licenciement lequel résulterait d'une faute grave et sollicite paiement de 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige aux conclusions des parties du 13 mars 2018.
MOTIFS :
Sur le licenciement :
1°) Sur le pouvoir de la personne ayant procédé au licenciement : La salariée soutient que la procédure de licenciement a été menée intégralement par M. [D] en sa qualité de directeur général de l'association, lequel n'aurait pas ce pouvoir au regard des statuts de l'association comme du règlement intérieur.
Il est de jurisprudence constante que l'absence de pouvoir du signataire de la lettre de licenciement prive celui-ci de cause réelle et sérieuse.
La personne ayant procédé au licenciement doit détenir ce pourvoi soit directement par les statuts de l'association ou selon les stipulations du règlement intérieur, soit par délégation.
Il entre dans les attributions du président d'une association de mettre en oeuvre une procédure de licenciement d'un salarié, sauf disposition statutaire attribuant cette compétence à un autre organe.
Le président peut donc déléguer cette compétence.
Pour les sociétés anonymes simplifiées, il a été jugé qu'aucune disposition n'exige que la délégation du pouvoir de licencier soit donnée par écrit, elle peut donc être tacite et découler des fonctions du salarié qui conduit la procédure de licenciement.
De même, en cas de dépassement de pouvoir par le mandataire, le mandant est tenu de l'acte de celui-ci s'il l'a ratifié expressément ou tacitement, ce qui permet à une société de valider une procédure de licenciement initiée par un salarié n'avait pas le pouvoir d'y procéder.
Il semble que la jurisprudence distingue la situation entre les employeurs suivant qu'ils soient des sociétés ou des associations.
En l'espèce, l'article 12 des statuts (pièce n°29) prévoit que le conseil d'administration est investi de tous les pouvoirs pour la direction et la gestion de l'association.
L'article 49 du règlement intérieur (pièce n°30) liste les sanctions disciplinaires et précise, page 28, que les licenciements pour faute disciplinaire sont soumis à la procédure prévue par les dispositions légales.
Par décision du conseil d'administration du 27 avril 2006 (pièce n°31), M. [D] a été nommé directeur général de l'association.
Par lettre du 15 juin 2011 (pièce n°28), M. [F], président de l'association, a délégué à M. [D] l'ensemble des pouvoirs portant notamment sur l'autorité hiérarchique sur les personnels du groupement.
Par lettre du 27 janvier 2012 (pièce n°27), le président de l'association confirme que dans le cadre de la nouvelle entité créée et concernant l'association, il maintient au profit de M. [D] les délégations générales accordées précédemment et notamment les délégations d'engagement de représentation et de signature envers les pouvoirs public, les usagers, les fournisseurs et le personnel (notamment embauche, pouvoir disciplinaire, détermination des rémunérations).
Le pouvoir disciplinaire au sens du règlement intérieur précité comprend les sanctions énoncées et donc le licenciement.
Il en résulte que M. [D] était fondé à signer la lettre de licenciement du 29 novembre 2013.
2°) Sur la garantie prévue par le règlement intérieur : la salariée se prévaut d'un règlement intérieur (pièce n°12), distinct de celui produit par l'employeur, et dont on ignore la date d'effet.
Son article 20 précise que sauf en cas de faute grave, il ne pourra y avoir de mesure de licenciement à l'égard d'un salarié si ce dernier n'a pas déjà fait l'objet précédemment d'au moins deux sanctions disciplinaires.
A supposer ce règlement toujours en vigueur, la salariée rappelle qu'elle n'avait fait l'objet que d'un avertissement notifié le 10 octobre 2013 et que le conseil de prud'hommes ayant retenu la cause réelle et sérieuse et non la faute grave, cet article retrouvait application.
Cependant, cette stipulation ne peut dépendre d'un événement postérieur et seul l'employeur qui prend l'initiative d'un licenciement pour faute grave doit la respecter.
La faute grave excluant cette limitation, l'argument soulevé n'est pas pertinent.
3°) Sur la faute grave : la lettre de licenciement du 29 novembre 2013 reproche à la salariée d'avoir utilisé des places de spectacle remises par l'association Cultures du coeur de Paris, à son profit ou celui de sa famille et de ses proches, alors que ces places étaient destinées aux jeunes handicapés recueillis par l'association.
Informée de ce que les places n'avaient jamais étaient attribuées aux usagers de l'association, l'association culture du coeur de Paris a annulé le partenariat.
Ce comportement est qualifié de détournement et de prévarication.
Par ailleurs, il est fait grief à la salariée d'avoir, le 27 septembre 2013, transgressé la consigne institutionnelle concernant les accompagnements pré-professionnels et, le 15 octobre 2013, d'être restée septique et réfractaire et d'avoir eu un comportement insolent et irrespectueux envers M. [W], spécialiste en menuiserie, en mettant en cause les compétences de ce formateur.
Sur le premier point, il est produit une lettre (pièce n°8) de l'association Cultures du coeur de Paris datée du 29 octobre 2013, où il est précisé qu'un partenariat avait été passé avec l'employeur dès 2007 avec pour référents M. [P] et Mme [K] qui bénéficiaient d'un identifiant et d'un mot de passe pour accéder aux offres d'invitations sur le site internet. Les référents réservaient ainsi les places proposées.
A la suite de l'annulation d'un spectacle, l'association a contacté l'employeur qui a ainsi découvert qu'avaient assisté à ces spectacles, non pas les bénéficiaires de l'association, mais les référents ou leurs proches, à hauteur de 66 invitations en 2013.
La salariée soutient que les spectacles avaient lieu des jours et à des horaires incompatibles avec l'organisation de sortie ou que les spectacles proposés n'étaient pas adaptés à des adolescents souffrants de handicap mental ou encore en nombre insuffisant par rapport à la totalité des jeunes concernés. Elle ajoute que les places étaient destinées aux salariés pour leur usage personnel et/ou familial.
Cependant ces allégations sont entièrement contredites par l'association fournissant lesdites places qui étaient monopolisées à l'usage des deux salariés concernés, dont Mme [K].
Les attestation de M. [P] (pièces n°29,30 et 32) selon laquelle tout le personnel avait accès à l'identifiant ou avait profité des places offertes est sujette à caution, l'intéressé étant également mis en cause et ayant fait l'objet d'une procédure de licenciement (pièce n°36).
La lettre de Mme [C] (pièce n°31) ne permet de s'assurer de l'identité de son auteur et ne sera pas prise en considération.
En retenant les noms de [K] ou [T] comme le fait la salariée elle-même, seize places et non onze ont été utilisées.
Le deuxième grief n'est pas démontré.
Sur le troisième, M. [W] atteste (pièce n°23) que la salariée était en grande souffrance, qu'elle n'était pas prête à recevoir ses conseils mais qu'il ne s'est pas senti agressé pour autant.
Il ajoute qu'il est faux de dire que la salariée a eu un comportement irrespectueux et insolent et que les accusations de Mme [B] lui paraissaient disproportionnées.
Il résulte de ces éléments que seul le premier grief est établi et que l'utilisation de seize places à un usage personnel alors qu'elles étaient destinées à des personnes présentant un handicap mental suffit à caractériser une faute, cause réelle et sérieuse du licenciement, sans toutefois revêtir un caractère de gravité.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et a rejeté la demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif.
Sur le harcèlement moral :
La demande faite à ce titre est indépendante de celle formée au titre de licenciement.
En application des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de la loi. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements indiqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, la salariée se prévaut, outre de ses propres lettres, de l'analyse de la situation dans l'association par le médecin du travail et une contrôleuse du travail.
Elle soutient qu'elle a été victime d'un dénigrement professionnel, d'une procédure disciplinaire engagée en juin 2013 et n'ayant pas été menée à son terme, d'un avertissement prononcé le 10 octobre 2013, de la convocation à un entretien préalable le 4 novembre puis le 6 novembre 2013.
Elle se réfère aux attestations de Mmes [C] et [R] ainsi qu'à des documents médicaux.
Par lettre du 15 novembre 2013 (pièce n°9), Mme [Z], contrôleuse du travail, demande des explications à l'employeur à la suite de plaintes reçues par des salariés de l'association lesquels seraient victime de propos et d'attitudes de dénigrement, de propos désobligeants, insinuations, humiliations ou brimades et insultes, sans identifier qui que ce soit.
Il est produit l'avertissement infligé le 10 octobre 2013 (pièce n°3) lequel est motivé et circonstancié et a été accepté sans contestation.
Le Dr [V] atteste (pièce n°17) que la salariée présente, depuis mars 2011 et jusqu'en octobre 2013, un syndrome anxieux.
Des arrêts de travail ont été accordés par ce médecin en octobre et novembre 2013, par un autre médecin en décembre 2013.
Il est fait état de quatre attestations (pièces n°20, 21, 24 et 27), la première émanant de Mme [C] indique que la salariée a été la cible de propos de dénigrements et d'humiliation de la part de Mme [B], directrice de l'établissement à savoir : 'votre avis ne présente pas d'intérêt, on ne vous a pas donné la parole', la deuxième a été rédigée par Mme [R] psychologue de cet établissement, et selon laquelle la salariée s'était confiée à elle et se montrait affectée par des réflexions faites à son encontre par la direction, la troisième provenant de M. [M] confirme les affirmations de Mme [C], la dernière établie par M. [Q] ne rapporte pas d'éléments sur les griefs allégués.
Face à ces éléments l'employeur répond en produisant des lettres et attestations (pièces n°3, 5, 7, 11, 12 à 20) retraçant l'attitude contestataire de la salariée, ses relations difficiles avec Mme [B] se traduisant par une attitude agressive et narquoise et ce à partir de mai 2010, des relations également tendues avec d'autres collègues de travail Mmes [K], [C] et M. [P] s'opposant régulièrement aux autre salariés ou aux propositions émanant de la direction.
Il en résulte, au regard des éléments produits par la salariée pris dans leur ensemble, et des faits établis par l'employeur qu'il existait des relations difficiles au sein de l'association entre les salariés entre eux, d'une part, et une partie des salariés et la direction, d'autre part.
De plus, la salariée a eu une part active dans ces tensions, ce qui a pu affecter sa santé, sans qu'il soit possible de retenir un harcèlement moral de la part de la direction de l'établissement au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.
En conséquence, la demande sera rejetée et le jugement confirmée sur ce point.
Sur les autres demandes :
1°) La salariée demande l'affichage de la présente décision au sein de l'établissement identifié comme 'E. M. Pro Cardinet' et non localisé.
Cependant, les demandes ayant été rejetées, cette prétention devient sans objet.
2°) Les demandes formées au visa de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
La salariée supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant publiquement, par décision contradictoire :
- Confirme le jugement du 26 mai 2015 ;
Y ajoutant :
- Rejette la demande d'affichage de la présente décision ;
- Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
- Condamne Mme [T] épouse [K] aux dépens d'appel ;
LE GREFFIERLE PRESIDENT