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14/05/2018 | FRANCE | N°16/23197

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 3, 14 mai 2018, 16/23197


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 3



ARRET DU 14 MAI 2018



(n° 2018/87 , 23pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 16/23197



Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Septembre 2016 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/09082





APPELANTE



Madame [R] [S]

[Adresse 1]

[Adresse 2]

née le [Date naissance 1] 1985 à [LocalitÃ

© 1]



Représentée par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020

Assistée de Me Nicole CHABRUX avocat plaidant du barreau de PARIS, toque E...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 3

ARRET DU 14 MAI 2018

(n° 2018/87 , 23pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 16/23197

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Septembre 2016 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/09082

APPELANTE

Madame [R] [S]

[Adresse 1]

[Adresse 2]

née le [Date naissance 1] 1985 à [Localité 1]

Représentée par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020

Assistée de Me Nicole CHABRUX avocat plaidant du barreau de PARIS, toque E1269

INTIMEES

Compagnie d'assurances ALLIANZ IARD

[Adresse 3]

[Adresse 4]

Représentée par Me Ghislain DECHEZLEPRETRE de la SELARL CABINET DECHEZLEPRETRE, avocat au barreau de PARIS, toque : E1155

Organisme CPAM DU HAUT-RHIN représentée par ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité

[Adresse 5]

[Adresse 6]

Défaillante, régulièrement citée,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Mars 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Thierry RALINCOURT, Président de chambre, et Mme Clarisse GRILLON chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Thierry RALINCOURT, Président de chambre

Mme Clarisse GRILLON, Conseillère

Mme Sophie REY, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Zahra BENTOUILA

ARRÊT : Réputé contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Thierry RALINCOURT, président de chambre et par Mme Zahra BENTOUILA, greffier présent lors du prononcé.

******

Le 2 janvier 1997, [R] [S], née le [Date naissance 1] 1985 et alors âgée de 12 ans, a été victime d'un accident corporel de la circulation dans les circonstance suivantes : alors qu'elle était piéton, elle a été renversée par un camion, véhicule impliqué assuré auprès des ASSURANCES GENERALES DE FRANCE, devenues la société ALLIANZ IARD, qui ne conteste pas le droit à entière indemnisation de la victime.

[R] [S] a été expertisée extra-judiciairement par les Docteurs [I] [W] et [M] [R], dont le rapport a été clos le 26 avril 2003.

Le 4 mars 2004, la société ALLIANZ IARD a formulé une offre d'indemnisation définitive qui a été acceptée, pour un montant total de 52.339,64 euros.

Compte tenu de l'aggravation de son état de santé, [R] [S] a été à nouveau expertisée par les Docteurs [I] [W] (médecin conseil de la société ALLIANZ IARD) et [S] [A] (médecin de recours), dont le rapport a été clos le 17 septembre 2013.

Par jugement du 12 septembre 2016 (instance n° 14-09082), le Tribunal de grande instance de Paris a, essentiellement :

- condamné la société ALLIANZ IARD à payer à [R] [S] la somme de 305.216,61 euros au titre de la réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittances, provisions non déduites, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement,

- déclaré le jugement commun à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Haut-Rhin,

- condamné la société ALLIANZ IARD aux dépens et à payer à [R] [S] la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement.

Sur appel interjeté par déclaration du 21 novembre 2016, et selon dernières conclusions notifiées le 13 février 2017, il est demandé à la Cour par [R] [S] de :

- réformer le jugement entrepris,

- statuant à nouveau, condamner la société ALLIANZ IARD à lui payer les sommes indiquées dans les conclusions au titre des préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux et détaillées dans le tableau ci-après,

- pour le surplus, confirmer l'indemnisation des postes suivants : honoraires de médecin conseil, frais de semelles orthopédiques, tierce personne du 12 janvier 1997 au 25 mai 2002, préjudice scolaire, déficit fonctionnel temporaire partiel, article 700 de première instance,

- condamner la société ALLIANZ IARD au paiement de ces sommes, ainsi qu'à lui payer la somme de 7.200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter la société ALLIANZ IARD de l'ensemble de ses prétentions,

- déclarer la décision à intervenir à intervenir commune à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Haut-Rhin.

Selon dernières conclusions notifiées le 13 avril 2017, il est demandé à la Cour par la société ALLIANZ IARD de :

- infirmer le jugement entrepris,

- juger irrecevables comme étant prescrites et se heurtant à l'autorité de la chose jugée les demandes relatives à l'indemnisation des postes de préjudices consécutifs au préjudice corporel initial, soit les demandes suivantes : tierce personne pour la période comprise entre l'accident et la consolidation du préjudice corporel initial, tierce personne pour la période comprise entre la consolidation du préjudice corporel initial et la date de l'aggravation, demande relative aux semelles orthopédiques et préjudice d'agrément,

- juger satisfactoires les offres formulées par la société ALLIANZ IARD pour une somme totale de 208.267,69 euros (sic), détaillée dans le tableau ci-après,

- prononcer les condamnations en deniers ou quittances,

- débouter [R] [S] de ses demandes plus amples ou contraires,

- intégrer les frais de médecin conseil à la somme qui sera allouée [R] [S] au titre de l'article 700 du code de procédure civile et ramener celle-ci à de plus justes proportions.

Les prétentions des parties peuvent être récapitulées comme suit :

jugement

demandes

offres

PRÉJUDICE INITIAL

préjudices patrimoniaux

temporaires

- assistance par tierce personne

24 895,00 €

24 895,00 €

prescription

préjudices patrimoniaux

permanents

- dépenses de santé actuelles

à la charge de la victime

135,00 €

135,00 €

prescription

- assistance par tierce personne

0,00 €

11 880,00 €

prescription

AGGRAVATION DU PRÉJUDICE

préjudices patrimoniaux

temporaires

- frais divers restés à charge

1 130,00 €

1 130,00 €

0,00 €

- assistance par tierce personne

11 024,00 €

non chiffré

10 428,00 €

base ann. 5 724 €

permanents

- dépenses de santé futures

à la charge de la victime

10 886,13 €

10 886,13 €

0,00 €

- frais de véhicule adapté

4 391,75 €

6 626,72 €

4 334,81 €

- assistance par tierce personne

91 735,38 €

269 250,00 €

56 443,63 €

- perte de gains prof. futurs

- incidence professionnelle

70 000,00 €

722 580,00 €

50 000,00 €

- préj. scolaire et universitaire

40 000,00 €

40 000,00 €

0,00 €

préjudices extra-patrimoniaux

temporaires

- déficit fonctionnel temporaire

20 718,75 €

20 178,75 €

19 061,25 €

- souffrances endurées

4 000,00 €

12 000,00 €

4 000,00 €

- préjudice esthétique temporaire

1 000,00 €

10 000,00 €

1 000,00 €

permanents

- déficit fonctionnel permanent

14 300,00 €

30 000,00 €

10 000,00 €

- préjudice esthétique permanent

8 000,00 €

20 000,00 €

8 000,00 €

- préjudice d'agrément

3 000,00 €

15 000,00 €

prescription

- TOTAL

305 216,01 €

1 157 651,60 €

163 267,69 €

La Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Haut-Rhin, à laquelle la déclaration d'appel a été signifiée à personne habilitée, n'a pas constitué avocat mais a fait savoir, par courrier du 4 février 2016, que le décompte définitif de ses prestations servies à [R] [S] ou pour son compte s'élève à la somme de 64.723,05 euros, ventilée comme suit :

- frais médicaux : 2.409,69 euros,

- frais pharmaceutiques : 3.645,52 euros,

- frais de transport : 1.634,98 euros,

- hospitalisation : 57.032,86 euros.

MOTIFS de l'ARRÊT

Le 26 avril 2003, les Docteurs [W] et [R] ont émis l'avis suivant sur le préjudice corporel subi par [R] [S] suite l'accident dont elle a été victime le 2 janvier 1997 :

- blessures provoquées par l'accident :

au niveau du membre inférieur droit : fracture ouverte du dôme astragalien, fracture de la malléole interne, fracture comminutive des 2ème et 3ème orteils, importante perte de substance cutanée à la face dorsale du pied, fracture de type Mac Farland,

au niveau du membre inférieur gauche : fracture ouverte stade II du quart inférieur de la jambe et fracture de la malléole interne,

les lésions ont été traitées à l'hôpital [Établissement 1] par fixateur externe (enlevé en mai 1997), broches internes (enlevées en juin 1997) et greffes, une partie du matériel a été enlevée le 9 avril 1998, avec maintien des vis au niveau de l'astragale droit, avec un séjour en centre de rééducation pédiatrique [Établissement 2] du 13 février au 20 juin 1997, date du retour au domicile,

en raison de violente douleurs de la cheville droite en janvier 1999, avec suspicion d'une pseudarthrose, une immobilisation plâtrée à visée antalgique a été mise en place pendant un mois en janvier 1999,

- ITT : du 2 janvier au 20 juin 1997, du 9 au 17 avril 1998, outre 3 jours en janvier 1999

- hospitalisations : du 2 janvier au 13 février 1997 (hôpital [Établissement 1]), du 13 février au 20 juin 1997 (centre de rééducation [Établissement 2]), le 9 avril 1998 (hôpital [Établissement 1]),

- souffrances endurées : 5,5/7,

- consolidation fixée au 25 mai 2002, à l'âge de 16 ans,

- préjudice esthétique : 3,5/7, compte tenu :

des cicatrices du membre inférieur droit, associées à une importante perte de substance de la jambe droite, d'un genou valgum, des lésions eczématiformes actuellement visibles sur la zone de greffe cutanée de la jambe droite, de la non-homogénéité de l'ensemble des orteils du pied droit,

des cicatrices du membre inférieur gauche et du genou varum,

d'une inégalité de longueur des membres inférieurs estimée cliniquement à 2 centimètres, avec raccourcissement du membre inférieur droit et bascule du bassin vers la droite

- IPP : 20 %, les experts précisant que la marche se fait avec une petite boiterie et qu'il existe un raccourcissement de 2 centimètres du membre inférieur droit avec bascule du bassin vers la droite, sans utilisation de canne ni béquilles,

- réserves ultérieures en aggravation,

- prévoir le port éventuel et le renouvellement éventuel de semelles orthopédiques, si celles-ci sont à nouveau prescrites.

Le 11 juillet 2013, les Docteurs [W] et [A] ont à nouveau examiné [R] [S]. Dans leur rapport clos le 17 septembre 2013, ils ont émis l'avis suivant sur l'aggravation de son préjudice corporel :

- date de début de l'aggravation : 1er juillet 2004, période à laquelle [R] [S] a dû reprendre une canne,

- déficit fonctionnel temporaire partiel à 25 %, en raison de la raideur douloureuse de la cheville droite, du port de cannes, d'une boiterie importante et d'une limitation active du genou droit (éléments qui n'existaient pas en 2003),

- nouvelles souffrances endurées : 2/7,

- préjudice esthétique temporaire pour importante boiterie et usage intermittent d'une canne depuis 2004 jusqu'à la consolidation,

- nouvelle date de consolidation : 1er août 2013, à l'âge de 27 ans,

- déficit fonctionnel permanent : 25 %, soit 5 % en aggravation,

- nouveau préjudice esthétique supplémentaire : 1/7 (canne anglaise et déformation importante de la démarche),

- aide extérieure non médicalisée : 2 heures par semaine pour l'aide aux déplacements, les courses, le gros ménage et le port de charges,

- frais futurs : nécessité d'un véhicule aménagé avec boîte de vitesses automatique et inversion du pédalier,

- réserves concernant l'état articulaire de la cheville droite.

1 - Sur la réparation du préjudice corporel initial subi par [R] [S]

1.1 - Sur les moyens tirés de la prescription et de l'autorité de la chose jugée

[R] [S] expose qu'elle n'a pas été indemnisée de l'ensemble de ses préjudices en 2004 et sollicite l'indemnisation des postes de préjudices suivants : tierce personne temporaire (de la date de l'accident à la date de consolidation initiale), tierce personne permanente (de la date de consolidation à la date de l'aggravation fixée au 1er juillet 2004), dépenses de santé futures (semelles orthopédiques) et préjudice d'agrément.

En réponse au moyen tiré de la prescription soulevé par la société ALLIANZ, elle fait valoir :

- qu'elle était âgée de 12 ans au moment de l'accident et que la prescription ne courant pas contre les mineurs n'a commencé à courir qu'à ses 18 ans, soit le 4 septembre 2003,

- que la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 réformant la prescription en matière civile ayant ramené la prescription à dix ans en matière d'indemnisation du dommage corporel, et précisant en sont article 26 que les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieur, son droit à solliciter l'indemnisation des postes de préjudices précités expirera le 18 juin 2018, de sorte que c'est à bon droit que le premier juge l'a déclarée recevable en ses demandes.

La société ALLIANZ demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris et de dire irrecevables comme étant prescrites les demandes présentées au titre du dommage corporel initial, qui se heurtent par ailleurs à l'autorité de la chose jugée attachée à la transaction de 2004.

Elle fait valoir :

$gt; sur la prescription :

- qu'en matière d'accident de la circulation, la prescription n'a jamais été trentenaire mais toujours décennale, l'article 38 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ayant introduit l'article 2270-1 du code civil (modifié par la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 et abrogé par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008), prévoyant que les actions en responsabilité civile extra-contractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation,

- que l'article 2226 du code civil modifié par la loi précitée du 17 juin 2008 dispose que l'action en responsabilité née raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé ; que cette loi n'a pas réduit la durée de la prescription concernant la réparation du dommage corporel consécutif à un accident de la circulation, de sorte que les dispositions de l'article 26 de la loi du 17 juin 2008 ne sont pas applicables au cas d'espèce et qu'il convient de retenir que la prescription est de dix ans à compter de la consolidation du dommage corporel,

- que s'agissant du dommage corporel initial, les Docteurs [W] et [R] ont fixé la consolidation au 25 février 2002, alors que [R] [S] était encore mineure ; que conformément aux dispositions de l'article 2235 du code civil, la prescription a été suspendue durant sa minorité et n'a commencé à courir qu'à compter de sa majorité, soit le 4 septembre 2003, de sorte que s'agissant du dommage corporel initial, la prescription était acquise depuis le 4 septembre 2013,

- qu'à supposer que la Cour entende repousser le point de départ de la prescription à la date de l'offre d'indemnisation formulée le 4 mars 2004 par la société ALLIANZ IARD au titre du préjudice corporel initial, elle ne pourrait que considérer que la prescription décennale était acquise depuis le 4 mars 2014, l'assignation délivrée par [R] [S] le 6 juin 2014 à l'encontre de la société ALLIANZ IARD étant intervenue postérieurement à l'acquisition de la prescription,

- enfin, que l'organisation d'une expertise médicale en aggravation est totalement étrangère à la liquidation du préjudice corporel initial et n'a donc pu constituer un événement susceptible d'interrompre la prescription, de même s'agissant du versement par l'assureur d'une provision à valoir sur l'indemnisation définitive du dommage corporel en aggravation,

$gt; sur l'autorité de la chose jugée attachée à la transaction :

- qu'il est regrettable que [R] [S] ne communique pas le procès-verbal de transaction qu'elle a signé, et qu'elle est sommée de produire, mais seulement le courrier d'envoi daté du 4 mars 2004, d'autant plus que la présence d'une agrafe sur ce courrier est de nature à laisser penser qu'il est en sa possession,

- que la portée de l'article 2052 du code civil est générale et que le préjudice corporel initial ayant été définitivement évalué, la victime a nécessairement reconnu être remplie de ses droits et renoncer à toute action à l'encontre de l'assureur, relative à son préjudice corporel initial,

- que s'il résulte des dispositions de l'article 2053 du code civil qu'une transaction peut être rescindée lorsqu'il y a erreur dans la personne ou sur l'objet de la contestation et dans tous les cas où il y a dol ou violence, il est de jurisprudence constante que l'erreur sur l'importance du préjudice ne constitue pas une erreur sur l'objet de la transaction.

1.1.1 - Sur la prescription

L'article 2226 du code civil modifié par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 dispose que l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné une dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé.

Contrairement à l'affirmation de [R] [S], la loi du 17 juin 2008 n'a pas réduit la durée de la prescription en matière de réparation du dommage, l'article 38 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ayant introduit dans le code civil un article 2270-1 (abrogé par la loi précitée) qui disposait que les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation.

Conformément à l'ancien article 2252 du code civil (alors en vigueur), la prescription ne court pas contre les mineurs non émancipés.

[R] [S] étant âgée de 12 ans lors de l'accident, comme étant née le [Date naissance 1] 1985, la prescription décennale a commencé à courir le 4 septembre 2003, date de sa majorité.

S'agissant du besoin en tierce personne, il n'en est pas fait état dans le premier rapport d'expertise, déposé par les Dcteurs [W] et [R]. Sur ce point, la seconde expertise, réalisée par les Docteurs [W] et [A], mentionne expressément (page 6 du rapport) : 'Le Docteur [A] précise que la tierce personne n'avait pas été évoquée lors de l'examen contradictoire des Docteurs [W] et [R]. Il l'évalue à une heure par jour depuis l'accident jusqu'à la période de consolidation fixée à l'époque le 25 mai 2002, en dehors des périodes d'hospitalisation'.

En application du principe général tiré de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles se prescrivent à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Il s'en déduit que la victime n'a pu exercer son droit à indemnisation qu'à partir du jour où ayant eu connaissance de l'avis du Docteur [A] identifiant le dommage, elle a été en mesure de quantifier sa demande indemnitaire au titre de la tierce personne, soit : le 17 septembre 2013, date du rapport d'expertise, ou en amont, le 11 juillet 2013, date de l'examen réalisé contradictoirement par les experts. Or dans l'un et l'autre cas, le délai décennal de prescription de sa demande tendant à l'indemnisation de son besoin en tierce personne n'était pas expiré le 6 juin 2014, date de l'assignation en justice délivrée à l'encontre de la société ALLIANZ.

Son action indemnitaire au titre de la tierce personne est donc recevable.

S'agissant du préjudice d'agrément, [R] [S] sollicite son indemnisation en soulignant (page 4 des conclusions) qu'elle n'a pas été indemnisée de l'ensemble de ses préjudices par la transaction du 4 mars 2004, tout en présentant sa demande d'indemnisation au titre du 'préjudice d'agrément à compter de l'aggravation de 2004' (page 12 des conclusions), aux motifs que l'utilisation d'une canne, 'de façon intermittente depuis 2004 puis de façon permanente et définitive depuis 2011', l'a privée et la prive définitivement de toutes activités sportives et sociales (sorties, discothèques, voyages, promenades).

Tendant à l'indemnisation du préjudice d'agrément à compter de l'aggravation, fixée par les experts à la date du 1er juillet 2004, la demande présentée par [R] [S] par assignation du 6 juin 2014 est recevable.

Enfin, les Docteurs [W] et [R] ont précisé dans leurs conclusions du 26 avril 2003 : 'prévoir le port éventuel et le renouvellement éventuel de semelles orthopédiques, si celles-ci sont à nouveau prescrites', évoquant ainsi un préjudice 'éventuel' qui n'était pas juridiquement indemnisable avant juillet 2012, date à laquelle [R] [S] a effectivement supporté une dépense de santé. Sa demande indemnitaire présentée à ce titre le 6 juin 2014 est par conséquent recevable.

1.1.2 - Sur l'autorité de la chose jugée

Il incombe au défendeur à une prétention qui en soulève l'irrecevabilité de prouver les conditions d'application de la fin de non recevoir qu'il invoque.

En l'occurrence, il incombe à la société ALLIANZ de rapporter la preuve de la teneur de la transaction à l'autorité de laquelle elle prétend que les demandes présentées par [R] [S] porteraient atteinte.

En droit, l'article 2052 du code civil, dans sa rédaction applicable aux faits litigieux, dispose que les transactions ont, entre les parties, l'autorité de la chose jugée en dernier ressort, et ne peuvent être attaquées pour cause d'erreur de droit, ni pour cause de lésion.

L'article 1355 du code civil précise que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement : il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité.

Si aucune quittance dûment signée par la victime ni aucun procès-verbal de transaction n'est produit par les parties, celles-ci s'accordent pour évoquer une indemnisation transactionnelle intervenue en 2004, sur la base du premier rapport d'expertise clos le 26 avril 2003. [R] [S] écrit ainsi (page 3 des conclusions) : 'Le 4 mars 2004, ALLIANZ adressait aux parents une quittance d'indemnisation comportant l'indemnisation des postes frais médicaux, ITT, IPP, PD et PE pour un montant total de 52.339,64 euros (pièce n° 2)', tandis que la société ALLIANZ indique (page 2 des conclusions) : 'Le 4 mars 2004, la société ALLIANZ IARD formulait une offre d'indemnisation définitive en adressant des PV de transaction à Mademoiselle [R] [S] (pièce adverse n° 2) qui était (sic) accepté par cette dernière'.

Il résulte de la pièce n° 2 versée aux débats par la victime que l'offre d'indemnisation qui lui a été adressée personnellement (et non à ses parents puisqu'elle était majeure depuis le 4 septembre 2003), par lettre du 4 mars 2004, était ainsi rédigée :

'Nous confirmons les montants figurant dans notre dernière proposition :

- frais médicaux : 39,64 euros

- ITT 6 mois : 3.000,00 euros

- IPP 20 % :27.500,00 euros

- SE5,5/7 : 12.000,00 euros

- PE 3,5/7 : 3.800,00 euros

- TOTAL : 52.339,64 euros

- provision à déduire : - 16.769,39 euros

- soit : 35.570,25 euros.

Veuillez trouver ci-joint les quittances correspondantes'.

Il s'en déduit, contrairement à l'affirmation de la société ALLIANZ, que la demande présentée par [R] [S] tendant à l'indemnisation de son besoin en tierce personne n'a pas fait l'objet de la transaction susvisée, de sorte qu'elle est recevable.

1.2 - Sur la réparation du préjudice corporel initial

Préjudices patrimoniaux temporaires (avant consolidation)

* assistance par tierce personne

[R] [S] sollicite la confirmation du jugement entrepris, en faisant valoir

- que si ce poste de préjudice a été oublié lors de l'expertise amiable de 2003 des Docteurs [W] et [R], il a été reconnu et estimé à une heure par jour par le Docteur [A], au cours de la seconde expertise,

- que ce poste peut dès lors être indemnisé sur la base de 13 euros de l'heure, à hauteur de 24.895 euros (soit 1.915 heures x 13 euros).

La société ALLIANZ IARD n'a pas conclu sur le bien fondé de cette demande.

L'expertise réalisée par les Docteurs [W] et [A] mentionne (page 6 du rapport) : 'Le Docteur [A] précise que la tierce personne n'avait pas été évoquée lors de l'examen contradictoire des Docteurs [W] et [R]. Il l'évalue à une heure par jour depuis l'accident jusqu'à la période de consolidation fixée à l'époque le 25 mai 2002, en dehors des périodes d'hospitalisation'.

Dans l'expertise initiale, les experts décrivaient :

- une diminution de la force de l'ensemble des muscles du membre inférieur droit, se traduisant par des difficultés à se relever d'une chaise basse sans les mains, à relever le membre inférieur droit genou tendu, à s'accroupir et se relever, outre une instabilité de la cheville du même côté,

- des douleurs au niveau du genou droit, rendant les stations debout ou assise prolongées pénibles et gênant la montée et la descente des escaliers,

- des douleurs lombaires dues à la bascule du bassin à droite du fait de l'inégalité de longueur des membres inférieurs.

Ils précisaient que la marche se faisait avec une petite boiterie et qu'il existait un raccourcissement de deux centimètres du membre inférieur droit avec bascule du bassin vers la droite, [R] [S] n'utilisant toutefois ni canne ni béquilles.

Cette évaluation n'a été contestée ni par la société ALLIANZ ni par son médecin conseil, le Docteur [W].

Le besoin en tierce personne court dès lors du 2 janvier 1997 (date de l'accident) au 25 mai 2002 (date de la consolidation), sauf périodes d'hospitalisation :

- période indemnisable : 1.970 jours

- hospitalisation et centre de rééducation :

du 2 janvier au 20 juin 1997 : - 170 jours

- hospitalisation pour ablation du matériel :

le 9 avril 1998 : - 1 jour

- soit : 1.799 jours.

Le besoin en tierce personne temporaire sera par conséquent indemnisé comme suit, sur la base du coût horaire fixé à 13 euros réclamé par la victime :

1.799 jours x 13 euros = 23.387 euros.

Préjudices patrimoniaux permanents (après consolidation)

* assistance par tierce personne

[R] [S] sollicite l'infirmation du jugement qui a rejeté sa demande, en faisant valoir :

- que ce poste a été oublié dans le rapport clos le 17 septembre 2013 par les Docteurs [W] et [A], alors qu'il résulte de l'expertise initiale que son état séquellaire justifiait l'assistance d'une aide humaine à compter de la consolidation fixée au 25 mai 2002, ne serait-ce que pour le port de charges lourdes, certaines tâches ménagères et les déplacements,

- que ce besoin doit être indemnisé, sur la base a minima de 6 heures d'aide par semaine, à hauteur de 11.880 euros (soit 110 semaines x 6 heures x 18 euros).

La société ALLIANZ fait valoir :

- que les Docteurs [W] et [A] ont fixé au 1er juillet 2004 la date à partir de laquelle l'état de santé de la victime s'est aggravé, ce qui signifie qu'avant cette date, son état de santé était conforme à celui évalué dans le rapport d'expertise initial, dans lequel il n'a été retenu aucun besoin en tierce personne,

- que le coût horaire réclamé, totalement déconnecté des réalités (absence de congés payés et de charges sociales pris en charge s'agissant d'une tierce personne bénévole), ne pourra pas excéder 10 euros.

Le besoin en tierce personne ayant été retenu pour la période courant de l'accident à la consolidation du 25 mai 2002 puis à compter du 1er juillet 2004, date de l'aggravation, [R] [S] est bien fondée en sa demande tendant à l'indemnisation de ce poste de préjudice du 26 mai 2002 au 30 juin 2004, soit durant 109,5 semaines, le besoin en tierce personne ne pouvant avoir purement et simplement disparu durant cette période, comme le soutient la compagnie d'assurance.

L'évaluation proposée par le Docteur [A] à raison d'une heure par jour, soit sept heures par semaine, pour la période avant consolidation, a été fortement réduite à compter du 1er juillet 2004, puisque le besoin en tierce personne de la victime est fixé à 2 heures par semaine. Cette distorsion apparaît d'autant plus paradoxale que, d'une part, son préjudice s'est aggravé, et d'autre part, les Docteurs [W] et [A] soulignent :

- en page 3 du rapport : que [R] [S] 'doit se faire aider pour les courses, le ménage et les déplacements',

- en page 4 : que 'la marche se fait au prix d'une très importante boiterie du membre inférieur droit avec une canne tenue du côté droit. Cette marche se fait le genou raide, ainsi que la cheville droite, sans aucun déroulement du pas et avec un élargissement du polygone de sustentation',

- en page 5 : que 'l'état de [R] [S] s'est progressivement aggravé, l'obligeant à prendre, depuis juillet 2004, une canne de façon intermittente à droite et de façon permanente depuis le début de l'année 2011. L'évolution radiographique suivie au CHU de [Localité 2] montre une destruction articulaire progressive au niveau de la cheville droite, entraînant, à l'heure actuelle, une raideur de cheville, un retentissement fonctionnel important et la nécessité d'une aide extérieure de deux heures par semaine en raison de l'impossibilité au port de charges et l'aide aux déplacements'.

Curieusement, les experts maintiennent l'évaluation à deux heures par semaine, tout en ajoutant dans leurs conclusions, au titre des besoins d'assistance, outre le port de charges et l'aide aux déplacements, les courses et le gros ménage.

Au vu de ces éléments d'appréciation, et alors que la preuve d'un préjudice peut être apportée par tous moyens et que le juge n'est pas lié par les conclusions expertales, le besoin en tierce personne tel que fixé à compter du 1er juillet 2004 ne saurait être entériné et sera évalué, au regard de l'aggravation des séquelles affectant la motricité et par conséquent tous les déplacements de la victime, à six heures par semaine comme réclamé, à compter du 1er juillet 2004 (cf supra).

En revanche, pour la période du 26 mai 2002 au 30 juin 2004, étant rappelé que l'état séquellaire ne contraignait pas encore [R] [S] à utiliser une canne, son besoin en tierce personne sera évalué à quatre heures par semaine.

S'agissant d'une aide non médicalisée et non spécialisée, l'indemnisation de ce poste de préjudice sera liquidée sur la base du coût horaire de 13 euros, de la manière suivante :

109,5 semaines x 4 heures x 13 euros = 5.694 euros.

* dépenses de santé futures (semelles orthopédiques)

[R] [S] sollicite la confirmation du jugement entrepris, en faisant valoir qu'elle a été contrainte depuis 2012 à un port permanent de semelles orthopédiques et qu'elle a acquitté en juillet 2012 la somme de 135 euros, sans prise en charge par la CPAM.

Cette demande, recevable (cf. supra), et justifiée par les pièces produites, doit être accueillie en son montant.

2 - Sur la réparation du préjudice corporel aggravé subi par [R] [S]

Au vu du rapport d'expertise clos le 17 septembre 2013 et des pièces produites par les parties, le préjudice corporel aggravé subi [R] [S] sera indemnisé comme suit.

Préjudices patrimoniaux temporaires (avant consolidation)

* frais divers

[R] [S] sollicite le remboursement des honoraires du Docteur [A], médecin conseil à hauteur de 1.130 euros, en confirmation du jugement entrepris.

La société ALLIANZ considère que ces honoraires exposés par la victime pour faire valoir ses droits constituent des frais irrépétibles devant être intégrés à la somme qui sera allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Contrairement à l'affirmation de la société ALLIANZ, les honoraires versés par la victime à son médecin conseil pour l'expertise médicale contradictoire relèvent du poste des frais divers.

Au vu des justificatifs versés aux débats, la somme de 1.130 euros sera allouée à ce titre à la victime.

* assistance par tierce personne

[R] [S] sollicite la réformation du jugement entrepris, en faisant valoir

- que les experts ont sous-évalué son besoin en tierce personne en ne retenant que deux heures par semaine de façon viagère à compter du 1er juillet 2004, après avoir pourtant relevé, notamment, que la marche se fait au prix d'une très importante boiterie, avec un genou raide et une cheville droite sans aucun déroulement du pas, et que les examens radiographiques ont révélé une destruction articulaire progressive de la cheville droite, avec un retentissement fonctionnel important, nécessitant une aide extérieure en raison de l'aide aux déplacements, les courses, le gros ménage et le port de charges,

- que cette évaluation 'quelque peu masculine' est en totale inadéquation avec la description de l'état séquellaire, puisque ne pouvant quitter sa canne côté droit, elle se trouve dans l'impossibilité de faire le ménage, le repassage et tous autres travaux manuels, de porter des charges, et se trouve en difficultés pour tous les déplacements ou pour faire les courses,

- que les femmes consacrent pratiquement trois heures chaque jour aux tâches ménagères et que lorsqu'elle deviendra mère, elle devra se faire aider car elle sera dans l'impossibilité de porter seule son enfant,

- qu'il y a donc lieu de retenir six heures d'aide par semaine et de faire application d'un taux horaire de 18 euros, soit sur la base de 53 semaines une somme annuelle de 5.724 euros, à compter du 1er juillet 2004 jusqu'à la date de l'arrêt.

La société ALLIANZ fait valoir :

- que l'évaluation du besoin à raison de deux heures par semaine a été réalisée avec l'accord explicite du médecin de recours de la victime et que rien ne justifie sa remise en cause,

- qu'il s'est écoulé entre le 1er juillet 2004 et le 1er août 2013, date de la consolidation, 474 semaines, soit un besoin de 948 heures, et que s'agissant d'une tierce personne temporaire échue, elle doit être appréciée in concreto au vu du coût réellement exposé par la victime (en l'absence de charges sociales et de congés payés), sur la base d'un coût horaire fixé à 11 euros, soit : 948 heures x 11 euros = 10.428 euros.

La période indemnisable court du 1er juillet 2004 au 31 juillet 2013, la nouvelle consolidation étant fixée au 1er août 2013, soit 474 semaines.

Pour les motifs développés infra, le besoin en tierce personne sera fixé à six heures par semaine. S'agissant d'une tierce personne non médicalisée ni spécialisée, ce poste de préjudice sera liquidé comme suit :

474 semaines x 6 heures x 13 euros = 36.972 euros.

Préjudices patrimoniaux permanents (après consolidation)

* dépenses de santé futures

[R] [S] sollicite la confirmation du jugement entrepris, soit la prise en charge du renouvellement des semelles orthopédiques depuis la consolidation sur la base de deux paires par an, avec capitalisation viagère en application du barème publié à la Gazette du Palais des 27 et 28 mars 2013 au taux d'intérêt de 1,20 %, soit : 270 euros x 40,319 = 10.886,13 euros.

La société ALLIANZ conclut au rejet de cette demande, consécutive au préjudice corporel initial et se heurtant dès lors à la prescription.

Aucune dépense de santé future née de l'aggravation du préjudice n'a été mentionnée par les Docteurs [W] et [A], alors qu'il a été mentionné au titre du rappel des faits une prescription de semelles orthopédiques en 2003 (page 2 du rapport). Aucun dire n'a été déposé par la victime et aucun justificatif de dépenses exposées en ce sens n'est versée aux débats, à l'exception d'une prescription par un podologue en juillet 2012, qui indique que [R] [S] 'devra porter de façon permanente des semelles orthopédiques suite à ses différentes pathologies, voire le port de chaussures orthopédiques sur mesure'. Or cet avis n'est pas confirmé par les experts précités, devant lesquels de surcroît [R] [S] n'a nullement fait état du port de semelles orthopédiques.

En l'état de ces seuls éléments, cette demande sera rejetée.

* frais de véhicule adapté

[R] [S] sollicite la réformation du jugement entrepris, en faisant valoir

- que vivant avec sa seule bourse d'études de 400 euros par mois, elle est dans l'attente de percevoir une indemnisation pour faire l'acquisition d'un véhicule aménagé, les frais d'aménagement s'élevant à la somme de 731,12 euros selon devis produit,

- que contrairement à la pratique habituelle, le premier juge a retenu un renouvellement tous les sept ans et estimé que le premier renouvellement n'interviendrait qu'en 2023, alors que les victimes doivent être indemnisées en fonction de leurs besoins à la date de consolidation et non en fonction des factures acquittées, et qu'il y a donc lieu d'indemniser le coût initial d'installation ainsi qu'un renouvellement tous les cinq ans, avec capitalisation viagère.

La société ALLIANZ ne conteste pas le principe de la prise en charge mais fait valoir :

- que [R] [S] entend obtenir l'indemnisation de ce poste de préjudice à compter de la date de la consolidation, en retenant un euro de rente viager à l'âge de 28 ans alors qu'elle est aujourd'hui âgée de 30 ans et qu'elle ne produit qu'un devis, ce qui établit que l'aménagement du véhicule n'est pas encore intervenu,

- qu'il semble par ailleurs qu'elle n'a pas encore passé son permis de conduire, comme le mentionnent les experts, de sorte que, sauf à vouloir l'enrichir de manière indue, il convient d'indemniser ce poste de préjudice à la date d'aujourd'hui et sur la base d'un renouvellement tous les sept ans,

- que l'achat initial intervenant au plus tôt en 2017, le premier remplacement interviendra en 2024, soit une indemnisation sur la base de l'euro de rente viagère à l'âge de 39 ans (34,503).

Les experts ont retenu au titre des frais futurs en lien avec l'aggravation du préjudice subi par [R] [S] la nécessité d'un véhicule aménagé avec boîte de vitesses automatique et inversion du pédalier.

Les parties s'accordent sur le coût de l'aménagement d'un véhicule Citroën C3 à boîte automatique avec pédale d'accélérateur au pied gauche commutable, évalué à 731,12 euros selon devis de la société K.Automobilité versé aux débats, ainsi que l'application du barème publié à la Gazette du Palais des 27 et 28 mars 2013 au taux d'intérêt de 1,20 %.

Elles s'opposent en revanche sur le point de départ de l'indemnisation et la périodicité du renouvellement.

En application du principe de la réparation intégrale du préjudice, la victime a droit à l'indemnisation du surcoût lié à l'aménagement du véhicule à compter de la date de consolidation, s'agissant d'un besoin identifié par les experts, peu important qu'elle ne justifie être détentrice ni du permis de conduire ni d'un véhicule.

L'indemnisation de ce préjudice futur sera calculée en application du barème précité qui intègre les données de l'inflation et sécurise ainsi le capital alloué, sur la base de l'euro de rente viagère et d'une périodicité de renouvellement du véhicule fixée à 7 ans, en confirmation du jugement entrepris.

[R] [S] sera âgée de 34 ans lors du premier renouvellement, soit le 1er août 2020, de sorte que l'indemnisation sera calculée comme suit :

731,12 euros / 7 ans x 37,218 = 3.887,26 euros.

L'indemnisation de ce poste de préjudice sera par conséquent liquidée à la somme de 4.618,38 euros (731,12 euros + 3.887,26 euros).

* assistance par tierce personne

[R] [S] sollicite la réformation du jugement entrepris, en faisant valoir

- que l'évaluation proposée par les experts est tout à fait insuffisance au vu de son état séquellaire et alors que les examens radiographiques de sa cheville droite montrent une destruction articulaire progressive,

- qu'il y a lieu d'indemniser son besoin en tierce personne à titre viager sur une base de six heures par semaine et 53 semaines par an, au coût horaire de 21 euros correspondant au coût moyen facturé par les enseignes de services à la personne, à l'instar des sociétés prestataires des assureurs comme SERENA (MACIF-MAIF) et DOMISERVE (AXA), soit un coût annuel de 6.678 euros, capitalisé en application du barème publié à la Gazette du Palais des 27 et 28 mars 2013 au taux d'intérêt de 1,20 %, selon l'euro de rente viagère pour une femme âgée de 28 ans :

6.678 euros x 40,319 = 269.250 euros.

La société ALLIANZ fait valoir :

- que l'évaluation des experts à 2 heures par semaine a été réalisée avec l'accord explicite du médecin de recours de la victime, et que rien ne permet de la remettre en cause,

- que s'agissant de la tierce personne échue au 4 septembre 2017, date à laquelle l'arrêt est susceptible d'intervenir au plus tôt, 1.495 jours se sont écoulés soit 213,57 semaines, et que le coût horaire doit être apprécié in concreto, en tenant en compte du coût réellement exposés (hors congés payés et hors charges sociales de 23%), puisqu'il est constant que [R] [S] n'a pas embauché de tierce personne professionnelle, lequel pourra être fixé à 11 euros, soit : 213,57 euros x 2 heures x 11 euros = 4.698,54 euros,

- que s'agissant de la tierce personne à échoir, le coût horaire retenu par le premier juge est totalement prohibitif et correspond au coût horaire d'une tierce personne médicalisée pour une personne gravement handicapée ; qu'il y a donc lieu d'indemniser la tierce personne (aide ménagère de base) selon un coût horaire de 13 euros, soit 52 semaines x 2 heures x 13 euros x 38,273 (euro de rente viager à 32 ans) = 51.745,09 euros.

Le besoin en tierce personne sera fixé à six heures par semaine conformément aux motifs développés supra, et le coût horaire réévalué 15 euros au titre des arrérages échus puis porté à 20 euros pour la période future compte tenu de l'évolution des coûts.

Ce poste de préjudice sera par conséquent liquidé de la manière suivante :

- période du 1er août 2013 au 19 mars 2018 :

6 heures x 15 euros x 241,5 semaines = 21.735 euros

- à compter du 20 mars 2018 (la victime étant âgée de 32 ans) :

6 heures x 20 euros x 53 semaines x 38,273 = 243.416,28 euros

- total : 265.151,28 euros.

* préjudice scolaire, universitaire ou de formation

[R] [S] sollicite la confirmation du jugement entrepris ayant indemnisé ce poste de préjudice à hauteur de 40.000 euros, en faisant valoir :

- que sur le plan scolaire et universitaire, les Docteurs [W] et [A] ont relevé qu'elle avait obtenu son baccalauréat en 2007 et qu'elle avait redoublé sa seconde et sa terminale, ainsi que ses première et deuxième années de droit ; qu'ils se sont référés à différents certificats médicaux, notamment celui du Docteur [U] de 2005, faisant état à cette époque de douleurs chroniques invalidantes et de son statut de handicapée scolarisée,

- que la description de l'état séquellaire faite en 2003 et les éléments d'aggravation relevés à compter de 2003-2004 par les experts attestent du lien de causalité entre l'aggravation des séquelles et les redoublements successifs en raison d'un absentéisme très important ; qu'elle a ainsi perdu quatre années de scolarité, alors qu'elle était une excellente élève à la date de l'accident, ce qui a retardé d'autant son entrée dans la vie active.

La société ALLIANZ conclut au rejet de la demande, en faisant valoir :

- que les experts n'ont pas conclu à l'existence d'un préjudice scolaire, alors même que durant les années scolaires antérieures au 1er août 2003 et lorsqu'elle était hospitalisée, [R] [S] a toujours eu de bons résultats scolaires,

- que le redoublement de la classe de seconde était déjà acquis à la date de l'examen réalisé le 26 avril 2013 et n'a aucun lien avec l'aggravation de son état de santé,

- que postérieurement au 1er juillet 2004, elle n'a eu à subir aucune hospitalisation susceptible de l'avoir éloignée du lycée ou de l'université durant de nombreuses semaines, qui aurait pu avoir des répercussions sur sa scolarité, et qu'elle ne communique pas tous ses bulletins scolaires et universitaires, puisque font défaut ceux des années 2010-2011, 2012-2013 et 2013-2014, de sorte qu'il est impossible de connaître les raisons de ses redoublements et qu'il n'existe aucun lien de causalité direct, certain et exclusif entre les échecs aux examens et les blessures.

Le poste de préjudice scolaire ou de formation tend à réparer la perte d'année(s) d'étude consécutive à la survenance du dommage subi par la victime directe, en tenant compte du retard scolaire ou de formation subi, ainsi que le cas échéant d'une possible modification d'orientation, voire une renonciation à toute formation qui obère gravement l'intégration dans le monde du travail.

Les experts n'ont pas conclu à l'existence d'un préjudice scolaire ou universitaire, mais il résulte du rapport d'expertise des Docteurs [W] et [A], appelés à se prononcer sur l'aggravation du préjudice corporel initial :

- page 3 du rapport : que [R] [S] a obtenu son baccalauréat en 2007, après avoir redoublé les classes de seconde et de terminale, ainsi que la première et la deuxième année de droit ; qu'à la date de l'examen, soit le 11 juillet 2013, elle entre en troisième année de droit et habite une résidence universitaire,

- page 6 : que sur le plan scolaire, [R] [S] était une excellente élève jusqu'en classe de troisième ; que son médecin traitant, le Docteur [U], a notamment fait état en 2005 de séquelles graves lui donnant le statut de handicapée scolarisée, ses nombreuses absences scolaires sont médicalement justifiées.

Outre les informations ainsi portées à la connaissance des experts, [R] [S] verse aux débats :

- ses bulletins scolaires de classe de terminale (années 2004 et 2005) : nombreuses absences justifiées par des certificats médicaux,

- son diplôme de baccalauréat général, série économique et sociale, obtenu le 22 septembre 2008 (et non en 2007 comme indiqué dans l'expertise),

- ses relevés de notes :

$gt; année universitaire 2009-2010, licence Droit première année : admise au premier semestre mais défaillante au deuxième semestre puis ajournée,

$gt; année universitaire 2011-2012, licence Droit deuxième année : défaillante au troisième et quatrième semestre (absences justifiées),

$gt; année universitaire 2014-2015, DEUG Droit : nombreuses défaillances (absences justifiées)

- un certificat de scolarité daté du 16 septembre 2016 de l'université [Établissement 3], certifiant qu'elle est titulaire d'un DEUG Droit et régulièrement inscrite pour l'année universitaire 2016-2017 en deuxième année de Licence Droit à [Localité 2], composante Droit et Sciences économique et politique.

Il est démontré que [R] [S] était âgée de 12 ans en classe de sixième, l'accident étant survenu le 2 janvier 1997, qu'elle était âgée de 23 ans lors de l'obtention de son baccalauréat en 2008 et qu'elle était inscrite en deuxième année de licence de droit à l'âge de 31 ans.

S'il n'est pas justifié de l'intégralité du cursus scolaire puis universitaire, les pièces ci-dessus établissent que postérieurement à l'aggravation de son état de santé fixée au 1er juillet 2004, [R] [S] a redoublé sa classe de terminale puis échoué en première et deuxième années universitaires, ses absences étant systématiquement en lien avec un absentéisme médicalement justifié, imputables aux séquelles de l'accident.

La réclamation relative à la perte de trois années de scolarité sera par conséquent indemnisée à raison de 10.000 euros pour l'année de lycée et 12.000 euros pour chacune année universitaire, de sorte que la somme de 34.000 euros sera allouée à la victime.

* préjudice professionnel

[R] [S] soutient qu'il existe outre un retentissement professionnel un véritable préjudice économique qui doit être indemnisé, et fait valoir :

- qu'elle est aujourd'hui âgée de 30 ans, étudiante en deuxième année de licence de droit à la faculté de [Localité 2] ; que les médecins ont notamment relevé que la marche se fait au prix d'une très importante boiterie tandis que les examens radiographiques de sa cheville droite ont révélé une destruction articulaire progressive ; que les douleurs apparaissant dès qu'elle est en appui, ses déplacements sont très limités car douloureux ; qu'elle ne pourra poursuivre plus avant ses études, qui nécessitent des déplacements, et ne peut envisager que l'exercice d'un métier sédentaire,

- que le premier juge a indemnisé la seule pénibilité, alors que son absentéisme a totalement perturbé sa scolarité, l'empêchant de pouvoir mener à terme des études supérieures et la privant de la possibilité de percevoir un revenu correspondant ; qu'il existe par conséquent, outre une pénibilité majeure pour l'exercice de toute activité professionnelle, une importante dévalorisation sur le marché du travail compte tenu de ses difficultés de déplacement et une réelle précarité compte tenu de la nature des séquelles, dont le caractère douloureux particulièrement invalidant générera un absentéisme très important comme lors de ses études,

- que ce préjudice professionnel en aggravation, avant et après consolidation, ainsi que l'incidence professionnelle seront indemnisés selon la méthodologie retenue par le Tribunal, soit :

$gt; s'agissant de la dévalorisation, du préjudice de carrière, de la précarité et de l'incidence sur la retraite :

- son frère de 4 ans son cadet étant titulaire d'une maîtrise de droit privé (année universitaire 2011-2012) et les experts ayant reconnu qu'au moment de l'accident, elle était une excellente élève, il y a lieu de considérer qu'elle aurait pu accéder au statut de cadre,

- son handicap ne lui permettant d'envisager qu'un emploi sédentaire, sans compter qu'une telle recherche sera difficile faute de réelle qualification et qu'elle sera confrontée à un absentéisme important puisque son état physique ne pourra évoluer qu'en se dégradant, elle sera confrontée à des licenciements itératifs au cours de sa vie professionnelle,

- les salaires moyens des cadres en région Ile-de-France s'élevant à 4.195,20 euros net par mois (selon la revue journal du Net), et la capacité de gains d'un individu n'étant pas détachable de sa capacité physique, réduite en l'espèce de 25 %, sa capacité de gains est obérée à hauteur du quart du salaire moyen d'un cadre, soit 1.200 euros par mois et 14.400 euros par an, soit une perte capitalisée sur la base de l'euro de rente viagère afin de tenir compte de la perte de retraite corrélative puisqu'elle n'a pas encore commencé à travailler, ainsi calculée :

14.400 euros x 39.816 = 573.350 euros,

$gt; s'agissant de la pénibilité :

- qu'elle devra supporter son état invalidant pendant toute son activité professionnelle, soit pendant plus de 42 ans, ce qui justifie une indemnisation à hauteur de 10 % d'un revenu annuel de 4.195,20 euros x 12 mois, capitalisée jusqu'à l'âge de 67 ans puisqu'elle n'a encore jamais travaillé, soit : 50.342,4 euros x 29,643 = 149.230 euros.

La société ALLIANZ offre une indemnisation limitée à 50.000 euros, en faisant valoir :

- que le fait qu'elle soit contrainte d'avoir un emploi sédentaire et de ne pouvoir porter des charges lourdes est consécutif à son préjudice corporel initial, dont l'indemnisation est définitivement intervenue en 2004, toute demande relative à cette indemnisation se heurtant à la prescription,

- que seule est désormais recevable une réclamation au titre de l'incidence professionnelle résultant de l'aggravation retenue par les experts, soit une majoration de 5 % du déficit fonctionnel permanent, à l'origine d'une pénibilité accrue au travail, étant rappelé que l'incidence professionnelle et le taux de déficit fonctionnel permanent sont totalement dissociables,

- que [R] [S] ne verse aux débats aucune pièce relative à sa situation professionnelle actuelle et laisse entendre, dans l'en-tête de ses conclusions, qu'elle serait toujours étudiante à l'âge de 32 ans ; que son handicap n'est pas de nature à constituer un empêchement à la poursuite d'études supérieures et à l'obtention d'un poste de juriste dans une entreprise ou une administration,

- que la victime résidant à [Localité 2] en Bourgogne, il n'y a pas lieu de se référer aux revenus hypothétiquement perçus par des cadres en région parisienne, alors qu'il établi que le salaire moyen des français s'élève à 2.157 euros nets mensuels,

- que rien ne permet d'affirmer qu'elle aurait pu ou qu'elle pourra, indépendamment de ses séquelles, parvenir à exercer une activité professionnelle en qualité de cadre et avoir un revenu moyen de 4.000 euros mensuels, et que s'agissant d'apprécier son propre préjudice, il importe peu de savoir que son frère cadet a obtenu une licence en droit à l'âge de 24 ans, avec deux redoublements.

La société ALLIANZ ne démontre pas que l'indemnisation du préjudice professionnel sollicitée par [R] [S] serait intervenue en 2004, sur la base d'un rapport d'expertise fixant une consolidation de son état au 25 mai 2002 soit à l'âge de 16 ans, et alors qu'aucun préjudice professionnel (perte de gains ou incidence professionnelle) n'a été ni retenu par les experts de l'époque ni indemnisé en 2004 (cf pièce n° 2 versée aux débats par la victime).

Elle ne peut davantage soutenir que cette demande de réparation, consécutive à son préjudice corporel initial et non à l'aggravation , se heurterait à la prescription décennale, dès lors que la survenance de son préjudice professionnel peut raisonnablement, dans l'hypothèse la plus défavorable pour la victime, être fixée à l'âge de 20 ans pour une lycéenne ayant obtenu son baccalauréat à l'âge de 18 ans. Or [R] [S] étant âgée de 20 ans le 4 septembre 2005, date prévisible de son entrée dans la vie professionnelle, l'action en indemnisation de son préjudice professionnel sollicitée par assignation délivrée le 6 juin 2014 n'est pas prescrite, de sorte que sa demande est recevable.

La réclamation de [R] [S] s'analyse à la fois en une perte de gains professionnels futurs et une incidence professionnelle, ces deux préjudices justifiant une indemnisation distincte ainsi qu'il suit.

* Sur la perte de gains professionnels futurs :

Ce poste indemnise la victime de la perte ou de la diminution de ses revenus consécutive à l'incapacité permanente à laquelle elle est confrontée du fait du dommage dans la sphère professionnelle, après la consolidation de son état de santé.

[R] [S] a été accidentée à l'âge de 12 ans, alors qu'elle était scolarisée en classe de sixième.

Elle justifie de sa qualité d'étudiante à l'âge de 31 ans, étant inscrite à l'université [Établissement 3] au titre de l'année 2016-2017 en deuxième année de licence (pièce n° 10), étant titulaire d'un DEUG de droit.

Elle justifie en outre de l'obtention par son frère cadet, [J] [S] né le [Date naissance 1] 1989, de l'obtention d'une maîtrise de droit au titre de l'année universitaire 2012-2013 (et non 2011-2012 comme indiqué dans les conclusions), soit à l'âge de 24 ans.

Les séquelles de l'accident ont ainsi retardé l'entrée de [R] [S] dans la vie active, laquelle aurait pu raisonnablement intervenir à l'âge de 25 ans, soit à compter du 4 septembre 2010. Cette date sera retenue comme point de départ de la perte de gains indemnisable, sans profit pour la victime puisqu'elle n'a été indemnisée au titre de la perte de deux années d'études universitaires que pour la période antérieure (soit après l'obtention de son baccalauréat, pour les années 2008-2009 et 2009-2010).

Au regard de ses capacités intellectuelles et de l'obtention de son diplôme de droit (baccalauréat +3 ou +4), les séquelles de l'accident ont fait perdre à [R] [S] une chance, qui sera appréciée au taux de 80 %, de pouvoir accéder à un emploi de niveau cadre et à une rémunération nette moyenne pouvant être évaluée à 4.141 euros par mois (salaire net moyen pour un cadre en 2015, données INSEE 2017).

[R] [S] ne conteste pas qu'elle conserve une capacité de gains. Toutefois, l'amalgame fait par cette dernière entre le taux de déficit fonctionnel permanent retenu par les experts (25 %) et sa capacité résiduelle de gains (qui serait amputée de 25 %), est dénué de pertinence, s'agissant d'éléments d'appréciation tout à fait dissociables l'un de l'autre, comme le souligne avec pertinence la société ALLIANZ.

Au vu de son entrée retardée dans la vie active d'une part, de la nature et de la gravité des séquelles d'autre part, les postes qui pourront lui être proposés correspondront, selon toute vraisemblance et compte tenu du marché actuel de l'emploi, à une rémunération nette mensuelle pouvant être fixée à 2.000 euros, sur la base du salaire net moyen des Français s'élevant à 2.250 euros par mois (données INSEE 2017) mais tenant compte de la contrainte de sédentarité affectant tout poste que pourra occuper [R] [S], imputable aux séquelles de l'accident.

Dès lors, la perte de gains annuelle s'élève à :

- perte de chance de revenu de cadre :

4.141 euros x 12 mois x 80 %39.753,60 euros

- capacité de gains effective :

2.000 euros x 12 mois -24.000,00 euros

- perte de gains annuelle indemnisable : 15.753,60 euros

S'agissant d'indemniser une perte de gains futurs, cette somme sera capitalisée sur la base de l'euro de rente viagère issu du barème précité, dès lors que la victime n'ayant pas encore eu la possibilité de se constituer ses droits à la retraite, soit pour une femme âgée de 25 ans lors de son entrée dans la vie active :

15.753,60 euros x 41,796 = 658.437,47 euros.

* Sur l'incidence professionnelle :

L'incidence professionnelle tend à indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle, comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail ou de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe imputable au dommage, ou de la nécessité de devoir abandonner la profession exercée avant le dommage au profit d'une autre choisie en raison de la survenance de son handicap.

La société ALLIANZ ne conteste pas l'existence d'une incidence professionnelle résultant des conséquences de l'accident, soit la raideur douloureuse de la cheville droite, la boiterie importante et la limitation active du genou droit, enfin l'utilisation d'une canne pour tous les déplacements.

[R] [S] fait valoir avec justesse qu'elle sera exposée à des absences répétées liées à son suivi médical, les experts décrivant une destruction articulaire progressive de sa cheville droite. En outre, elle subira une pénibilité accrue dans l'exercice de tout emploi, en raison des séquelles particulièrement invalidantes décrites par les experts.

L'incidence professionnelle ainsi constituée par une pénibilité accrue au travail, outre une certaine précarité, constitue un préjudice susceptible d'être subi pendant toute sa vie professionnelle.

Ce poste de préjudice sera dès lors indemnisé, en confirmation du jugement entrepris, à hauteur de 60.000 euros.

Préjudices extra-patrimoniaux temporaires (avant consolidation)

* déficit fonctionnel temporaire

Au vu des conclusions des experts, les parties s'accordent pour l'indemnisation d'un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 25 % du 1er juillet 2004 au 1er août 2013, date de la consolidation, soit 3.315 jours.

Elles s'opposent en revanche sur l'indemnisation journalière de ce déficit, [R] [S] sollicitant la confirmation du jugement ayant retenu 25 euros par jour, en soulignant l'importance de cette gêne exceptionnellement longue, l'ayant empêchée d'avoir une vie normale et des activités correspondant aux activités de son âge, tandis que la société ALLIANZ offre une indemnisation limitée à 23 euros par jour.

L'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire au titre de l'aggravation sera liquidée comme suit, sur une base journalière de 25 euros :

3.315 jours x 25 euros x 25 % = 20.718,75 euros.

En application de l'article 5 du code de procédure civile, l'indemnisation de ce poste de préjudice sera liquidée à la somme de 20.178,75 euros, demandée par la victime tant dans le dispositif de ses conclusions qu'en page 10 de celles-ci.

* souffrances endurées

[R] [S] sollicite la réformation du jugement et une indemnisation fixée à 12.000 euros, en soulignant que les experts ont tenu compte des seules douleurs fonctionnelles à la marche et/ou à la station debout, cotées à 2/7, mais non la souffrance morale et psychologique ressentie du fait de son apparence physique, dont le tribunal n'a pas davantage tenu compte

La société ALLIANZ offre une indemnisation de 4.000 euros

Initialement évaluées à 5,5/7, les souffrances endurées par la victime en raison de l'aggravation de son état ont été évaluées par les experts à 2/7, sans autre précision. Il est toutefois mentionné en pages 3 et 4 du rapport : '[R] [S] se plaint de douleurs permanentes de la cheville droite (...), de démangeaisons dans la zone de greffe et des gonflements de la cheville droite. (...) Elle est amenée à prendre du Doliprane 1g 3 à 4 fois par jour en alternance avec de l'Efferalgan codéïné lorsque les douleurs sont trop importantes. Elle explique qu'elle se rendait moins compte, lorsqu'elle était enfant, qu'elle a gâché toute son enfance du fait de l'accident. Elle n'a pas pu mener la vie des enfants de son âge. (...) Elle pense à sa vie qu'elle dit 'gâchée par cet accident' lui supprimant de nombreuses possibilités d'avenir'.

Etant rappelé que la période indemnisable court du 1er juillet 2004 au 31 juillet 2013, soit neuf années et trente jours, alors qu'elle était âgée de 18 à 27 ans, ce poste de préjudice, réparant uniquement les souffrances physiques et morales liées à l'aggravation de son état sera indemnisé à hauteur de 12.000 euros, comme réclamé.

* préjudice esthétique temporaire

[R] [S] sollicite la réformation du jugement entrepris et une indemnisation à hauteur de 10.000 euros, en soulignant :

- qu'elle souffre d'une importante boiterie et fait un usage intermittent d'une canne anglaise depuis l'âge de 18 ans,

- que l'indemnisation allouée par le Tribunal n'est pas en adéquation avec l'importance du préjudice subi depuis tant d'années, et encore aujourd'hui comme en attestent les photographies versées aux débats.

La société ALLIANZ offre une indemnisation de 1.000 euros.

Le préjudice esthétique initial évalué par les experts au taux de 3,5/7ayant été indemnisé en 2004, il s'agit désormais d'indemniser le préjudice esthétique lié à l'aggravation de son état de santé, au regard de l'utilisation d'une canne par intermittence puis de façon permanente depuis le début de l'année 2011, les gonflements de la cheville droite, l'aggravation de la boiterie avec absence de déroulement du pas et élargissement du polygone de sustentation, la rétractation complète des orteils et leur chevauchement et l'amyotrophie importante du mollet droit.

La période indemnisable court du 1er juillet 2004 au 31 juillet 2013, soit neuf années et trente jours, alors qu'elle était âgée de 18 à 27 ans.

Au vu de ces éléments, ce poste de préjudice sera liquidé à la somme de 5.000 euros.

Préjudices extra-patrimoniaux permanents (après consolidation)

* déficit fonctionnel permanent

[R] [S] sollicite la réformation du jugement entrepris, aux motifs :

- que selon la nomenclature DINTILHAC, il s'agit d'indemniser non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques, concernant en l'espèce les deux membres inférieurs, mais aussi la douleur permanente ressentie, les troubles dans les conditions d'existence rencontrés au quotidien ainsi que la perte de qualité de vie après consolidation,

- qu'il y a lieu de prendre en considération, outre l'importance des séquelles strictement fonctionnelles, le préjudice d'agrément qualifié de majeur pour les sorties et les soirées, autrement dit l'absence de vie sociale,

- que ce poste de préjudice doit être évalué à sa juste valeur en tenant compte de toutes ses composantes, alors que les victimes vivent aujourd'hui nettement plus longtemps et doivent donc supporter ce préjudice sur une durée bien plus longue.

La société ALLIANZ offre une indemnisation de 10.000 euros.

Les experts ont conclu à un taux de déficit fonctionnel permanent fixé à 25 % à la nouvelle consolidation, soit 5 % en aggravation.

[R] [S] étant âgée de 27 ans à la consolidation, ce poste de préjudice sera liquidé à la somme de 15.000 euros.

* préjudice esthétique permanent

[R] [S] sollicite la réformation du jugement en soulignant qu'elle est dans l'impossibilité de se mettre en maillot de bain ou de porter une jupe du fait des cicatrices particulièrement disgracieuses, du raccourcissement de 2 centimètres de sa jambe droite, d'une amyotrophie importante du mollet, outre la nécessité de se déplacer avec des cannes anglaises.

La société ALLIANZ offre une indemnisation de 8.000 euros.

Les experts ont fixé au taux de 1/7 le préjudice esthétique complémentaire lié à l'aggravation, compte tenu de l'utilisation de la canne anglaise et de la déformation importante de la marche, de sorte que si le préjudice esthétique permanent initial était évalué à 3,5/7, il est désormais porté à 4,5/7.

Au vu de cette évaluation et la victime étant âgée de 27 ans à la date de consolidation, l'indemnisation de l'aggravation de son préjudice esthétique sera liquidée à la somme de 10.000 euros.

* préjudice d'agrément

[R] [S] sollicite la réformation du jugement en faisant valoir :

- qu'elle n'a jamais pu reprendre ses activités sportives depuis l'accident et se trouve dans l'impossibilité absolue et définitive de rester debout ou de marcher sans cannes, sans compter les douleurs lors de tout déplacement,

- que son état l'a privée de façon définitive de pouvoir pratiquer une quelconque activité sportive ou ludique, ou même de simple agrément, nécessitant d'être debout et ou de marcher,

- que l'utilisation d'une canne, de façon intermittente depuis 2004 puis de façon permanente et définitive depuis 2011, l'a privée et la prive définitivement de toutes activités sportives et sociales (sorties, discothèques, voyages, promenades).

La société ALLIANZ fait valoir :

- que la demande est irrecevable en ce qu'elle se heurte à la prescription décennale,

- que les experts n'ont pas retenu l'existence d'un préjudice d'agrément consécutif à l'aggravation médico-légale, le préjudice corporel dont a été victime [R] [S] étant déjà de nature à empêcher toute pratique sportive nécessitant l'usage des membres inférieurs, qu'elle n'a jamais repris les activités sportives qui étaient les siennes avant l'accident ; que dès lors, il n'existe pas de préjudice d'agrément consécutif à l'aggravation de son état de santé.

Au sens de la nomenclature DINTILHAC, le préjudice d'agrément tend à réparer l'impossibilité pour la victime, provoquée par les séquelles du fait dommageable, de poursuivre les activités sportives ou de loisirs pratiquées avant l'accident.

En application de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à la victime de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Les Docteurs [W] et [A] n'ont pas conclu à l'existence d'un préjudice d'agrément en lien avec l'aggravation du dommage initial.

Aucune pièce n'est communiquée par [R] [S] au soutien de sa réclamation, de sorte que le préjudice allégué n'est pas démontré.

La demande sera par conséquent rejetée.

3 - Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

Les dépens d'appel incomberont à la société ALLIANZ, partie débitrice de l'indemnisation.

La demande indemnitaire de [R] [S], fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, sera accueillie en cause d'appel à hauteur de 5.000 euros.

PAR CES MOTIFS,

la Cour

Rejette les fins de non recevoir tirées par la société ALLIANZ IARD de la prescription et de l'autorité de la chose jugée attachée à l'indemnisation transactionnelle,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 12 septembre 2016 en ce qu'il a :

- déclaré le jugement commun à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Haut-Rhin,

- condamné la société ALLIANZ IARD aux dépens et à payer à [R] [S] la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement,

Infirme ledit jugement en ses autres dispositions, et statuant à nouveau dans cette limite,

Condamne la société ALLIANZ IARD à payer à [R] [S] la somme de 1.154.550,88 euros (un million cent cinquante-quatre mille cinq cent cinquante euros quatre-vingt-huit centimes) à titre de réparation du préjudice corporel causé par l'accident du 2 janvier 1997, provisions et sommes versées en exécution provisoire du jugement non déduites, avec intérêts au taux légal à compter du jugement à concurrence des sommes allouées par celui-ci et à compter du présent arrêt pour le surplus, ladite somme étant détaillée comme suit :

PRÉJUDICE INITIAL

préjudices patrimoniaux

temporaires

- assistance par tierce personne

23 387,00 €

préjudices patrimoniaux

permanents

- dépenses de santé actuelles

à la charge de la victime

135,00 €

- assistance par tierce personne

8 541,00 €

AGGRAVATION DU PRÉJUDICE

préjudices patrimoniaux

temporaires

- frais divers restés à charge

1 130,00 €

- assistance par tierce personne

36 972,00 €

permanents

- dépenses de santé futures

à la charge de la victime

0,00 €

- frais de véhicule adapté

4 618,38 €

- assistance par tierce personne

265 151,28 €

- perte de gains prof. futurs

658 437,47 €

- incidence professionnelle

60 000,00 €

- préj. scolaire ets universitaire

34 000,00 €

préjudices extra-patrimoniaux

temporaires

- déficit fonctionnel temporaire

20 178,75 €

- souffrances endurées

12 000,00 €

- préjudice esthétique temporaire

5 000,00 €

permanents

- déficit fonctionnel permanent

15 000,00 €

- préjudice esthétique permanent

10 000,00 €

- préjudice d'agrément

0,00 €

- TOTAL

1 154 550,88 €

Condamne la société ALLIANZ IARD à payer à [R] [S] la somme de 5.000 euros (cinq mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne la société ALLIANZ IARD aux entiers dépens d'appel,

Dit qu'ils pourront être recouvrés par l'avocat de [R] [S], conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Rejette toutes demandes autres, plus amples ou contraires,

Déclare le présent arrêt commun à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Haut-Rhin.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 16/23197
Date de la décision : 14/05/2018

Références :

Cour d'appel de Paris C3, arrêt n°16/23197 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-05-14;16.23197 ?
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