RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRÊT DU 02 Mai 2018
(n° , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/07312 et 16/11115
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 mars 2008 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS RG n°05/12758 , et arrêt du 18 décembre 2014 du pôle 6 - chambre 5 de la cour d'appel de Paris, dont la décision a été cassée par arrêt de la Cour de Cassation en date du 29 juin 2016 qui a ordonné le renvoi devant la Cour d'Appel de Paris autrement composée.
APPELANT
Monsieur [H] [E]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
né le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 1] (BRESIL)
représenté par Me Marie-Sophie VINCENT, avocat au barreau de PARIS, toque : E1858
INTIMEE
SA TRIGANO
[Adresse 2]
[Adresse 2]
N° SIRET : 722 049 459
représentée par Me Corinne ROUX, avocat au barreau de VERSAILLES, toque : C419
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 novembre 2017 et venue pour suivi de la médiation le 03 Avril 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées , devant Madame Marie-Antoinette COLAS, Présidente et Madame Véronique PAMS-TATU, Présidente, chargées du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Antoinette COLAS, Présidente
Madame Véronique PAMS-TATU, Présidente
Madame Florence OLLIVIER, vice président placé faisant fonction de conseiller par ordonnance du Premier Président en date du 14 décembre 2017
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Valérie LETOURNEUR, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Véronique PAMS-TATU, Présidente, président de chambre et par Madame Valérie LETOURNEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
EXPOSE DU LITIGE
M. [E] a été engagé par la société Trigano, le 9 février 1988, dans le cadre d'un contrat initiative emploi à durée déterminée, en qualité de chargé de mission, statut cadre. À l'issue de ce contrat la relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. À compter du 1er janvier 2000, il a exercé les fonctions de responsable de communication et de la coordination commerciale.
Le 16 octobre 2004, il a été élu délégué du personnel suppléant.
Le 13 juin 2005, la société Trigano a adressé à l'inspecteur du travail une demande d'autorisation de licenciement de M. [E] dont l'administration a omis d'accuser réception.
M. [E] a saisi le conseil de prud'hommes de [Localité 2] le 28 octobre 2005.
Le 2 décembre 2005, l'inspection du travail a donné l'autorisation de licencier M. [E]. Celui-ci a été licencié pour faute grave le 8 décembre 2005.
L'autorisation de licenciement accordée le 2 décembre 2005, a été annulée par décision du ministre de l'emploi du 26 avril 2006 comme tardive. Le 8 avril 2009, le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision ministérielle au motif qu'elle ne. se prononçait pas au fond sur la demande de licenciement.
Le 22 octobre 2009, le ministre du travail a rejeté la demande d'autorisation dont il avait été à nouveau saisi, considérant n'avoir plus compétence pour statuer dès lors que l'employeur avait licencié M. [E] depuis le 8 décembre 2005.
Le 9 mars 2011, cette décision a été annulée par le tribunal administratif au motif que le ministre avait méconnu l'étendue de sa compétence et commis une erreur de droit puisqu'il lui appartenait de se prononcer sur la légalité de la décision de l'inspection du travail à la date à laquelle elle était intervenue, le jugement précisant que le ministre devait procéder au réexamen de la demande de la société dans le délai de deux mois à compter de sa notification.
Par courrier du 8 juin 2012, le ministre a informé la société de ce qu'une décision implicite de rejet de sa demande avait pris naissance le 17 mai 2011, soit deux mois après la notification du jugement du tribunal administratif de Paris l'enjoignant de se prononcer sur cette demande.
Le 9 octobre 2013, le tribunal administratif a annulé la décision du ministre du travail du 8 juin 2012 et enjoint à ce dernier de se prononcer sur la légalité de la décision implicite de rejet de l'inspecteur du travail née le [Date naissance 2] 2005 de l'absence d'accusé de réception de la demande d'autorisation de licenciement formée le 13 juin 2005 par la société Trigano.
Par jugement de départage du 17 mars 2008, le conseil de prud'hommes de [Localité 2] a notamment :
- sursis à statuer sur le bien fondé du licenciement, la qualification de la faute éventuelle et les conséquences qui en résultaient sur l'indemnisation de la mise à pied conservatoire, la perte de salaire jusqu'à réintégration, la perte de stock-options afférentes, tous dommages et intérêts jusqu'à décision définitive de la juridiction administrative ;
- jugé la rupture du contrat de travail par M. [E], le 6 juillet 2006, non imputable à un manquement de l'employeur au regard de l'article L. 425'3 du code du travail ;
- jugé M. [E] mal fondé en sa demande de reconnaissance du statut de cadre dirigeant au sens de l'article L. 212'15'1 du code du travail et de rappel de salaires afférents ;
- dit n'y avoir lieu à remboursement à M. [E] de la déduction pour absence (soldes militaires non justifiées) sur son bulletin de paye de novembre 2004 ;
- jugé prescrite la réclamation de rappel de salaires antérieurs au 15 novembre 2001 ;
- condamné Trigano à payer à M. [E] les heures effectuées de la 36e à la 39e heure hebdomadaire pour toutes les périodes travaillées non prescrites jusqu'à la fin des relations contractuelles, en sus de la rémunération payée, sur la base du salaire horaire normal applicable ;
- dit qu'il était dû paiement de la participation de M. [E] le week-end aux salons où l'entreprise était présente sur la période postérieure au 15 novembre 2001 et condamné Trigano paiement de ces heures supplémentaires à raison de 9 heures par journée avec majorations de droit les dimanche et jours fériés.
Par arrêt du 29 octobre 2009, la cour d'appel de Paris a confirmé la décision en ce qu'elle avait dit M. [E] mal fondé en sa demande de reconnaissance du statut de cadre dirigeant, dit prescrite la demande de rappel de salaires antérieurs au 15 novembre 2001, dit n'y avoir lieu à remboursement des déductions opérées en novembre 2004, condamné la société à lui payer 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'a infirmée pour le surplus et condamné la société Trigano à lui payer 3974,86 € à titre d'heures supplémentaires et 397,48 € et ordonné la réouverture des débats avec injonction à la société Trigano de justifier de la mise en 'uvre des voies de recours contre la décision du 22 octobre 2009 et aux parties de s'expliquer sur les conséquences à en tirer sur les demandes afférentes à la rupture du contrat de travail.
Par arrêt du 6 avril 2011, la Cour de cassation a déclaré non admis le pourvoi de M. [E].
Par arrêt du 18 décembre 2014, la cour d'appel de Paris a sursis à statuer sur les demandes de M. [E] dont la cour restait saisie dans l'attente de la décision administrative définitive sur la légalité de la décision implicite de rejet de l'inspecteur du travail d'autorisation de licencier M. [E].
Par arrêt du 29 juin 2016, la Cour de cassation a cassé cet arrêt au motif, d'une part, qu'il résultait des constatations de la cour d'appel que la réintégration était intervenue le 29 juin 2006 à la suite de la décision du ministre du 26 avril 2006 annulant l'autorisation de licenciement du 2 décembre 2005, d'autre part, que le tribunal administratif avait, dans sa décision du 8 avril 2009, annulé partiellement la décision du ministre, en tant qu'il ne statuait pas au fond sur la demande de licenciement, ce dont il résultait que la décision à intervenir, relative à la seule légalité de la décision de rejet du 13 août 2005, était sans incidence sur l'existence du contrat de travail à la date de la prise d'acte le 6 juillet 2006.
Devant la cour d'appel de Paris autrement composée, désignée comme juridiction de renvoi, M. [E] sollicite de voir :
- condamner la société Trigano à lui payer les sommes suivantes :
Sur les demandes indemnitaires présentées par M. [E] relativement aux conséquences du licenciement prononcé le 8 décembre 2005
26'508 € à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire soit du 1er juin au 8 décembre 2005
2650 € à titre de congés payés afférents
31'000 € à titre d'indemnisation du préjudice matériel subi pour la période située entre le licenciement (8 décembre 2005) et la réintégration (30 juin 2006) et 5000 € au titre du préjudice moral et d'anxiété
Sur les demandes présentées relativement la prise d'acte de la rupture du 7 juillet 2006
25'380 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis
2538 € à titre de congés payés afférents
25'380 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement
76'140 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul
39'339 € à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur
54'930 € à titre de dommages-intérêts pour perte d'une chance de lever l'option d'achat
d'actions Trigano
Sur les demandes titre du harcèlement moral
50'000 € à titre de dommages et intérêts
Sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
5000 € à titre d'indemnité
- ordonner la remise à M. [E] des bulletins de paye conformes à la décision, en ce compris les 7 bulletins de paye pour les mois de mai à décembre 2005, sous astreinte de 100 € par jour de retard et par document à compter du huitième jour suivant la notification de l'arrêt à intervenir
- ordonner la capitalisation des intérêts.
La société Trigano sollicite de voir :
- débouter M. [E] de ses demandes de rappel de salaire et congés payés afférents sur la période de mise à pied conservatoire, et relatives à la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail, le 6 juillet 2006,
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé la rupture du contrat de travail le 6 juillet 2006, non imputable à un manquement de l'employeur au regard de l'article L. 2422'1 du code du travail,
- débouter M. [E] de ses demandes de réparation d'un manque à gagner au titre des stock-options, de dommages-intérêts pour harcèlement moral, et de l'ensemble de ses demandes,
- à titre subsidiaire, juger qu'il ne justifie pas du revenu de remplacement qu'il a perçu au titre de la période du 8 décembre 2005 au 30 juin 2006 et le débouter de sa demande de réparation du préjudice subi pendant cette période insusceptible d'évaluation ;
- si la cour imputait à l'employeur la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail, le 6 juillet 2006, dire que les dommages-intérêts susceptibles de lui être alloués ne pourraient dépasser la somme de 33'840 € ;
En tout état de cause, condamner M. [E] à la somme de 6000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie pour l'exposé des faits, prétentions et moyens des parties, aux conclusions respectives des parties déposées à l'audience, visées par le greffier et soutenues oralement.
MOTIFS DE LA DECISION
Il convient dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice d'ordonner la jonction des procédures enrôlées sous les N°RG 08/07312 et 16/11115.
Sur les demandes consécutives à l'absence d'autorisation de licenciement : paiement de la mise à pied conservatoire et du salaire pendant la période d'éviction (période du 1er juin 2005 au 30 juin 2006)
* Sur l'indemnisation de la période du 8 décembre 2005 au 29 juin 2006
La société soutient que faute d'une annulation définitive de l'autorisation donnée le 2 décembre 2005, M. [E] sera débouté de sa demande d'application de l'article L. 2422'4 du code du travail aux fins d'indemnisation de la période entre son licenciement et sa réintégration.
Selon l'article L. 2422'4 du code du travail lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422'1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision.
L'indemnité prévue par l'article L. 2422'4 du code du travail doit correspondre à la totalité du préjudice, tant matériel que moral, subi au cours de la période écoulée entre le licenciement et la réintégration du salarié.
M. [E] a été mis à pied à titre conservatoire le 1er juin 2005 et licencié pour faute grave le 8 décembre 2005.
Par décision du 26 avril 2006, le ministre du travail a annulé l'autorisation de licenciement accordée par l'inspection du travail le 2 décembre 2005.
À la suite de sa demande, M. [E] a été réintégré le 29 juin 2006.
Le 7 juillet 2006 il a pris acte de la rupture aux torts de l'employeur.
La Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 18 décembre 2014 ayant sursis à statuer sur les demandes de M. [E] dans l'attente de la décision administrative définitive sur la légalité de la décision implicite de rejet de l'inspecteur du travail d'autorisation de licencier M. [E] au motif qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que la réintégration était intervenue le 29 juin 2006 à la suite de la décision du ministre du 26 avril 2006 annulant l'autorisation de licenciement du 2 décembre 2005, d'autre part, que le tribunal administratif avait, dans sa décision du 8 avril 2009, annulé partiellement la décision du ministre, en tant qu'il ne statuait pas au fond sur la demande de licenciement, ce dont il résultait que la décision à intervenir, relative à la seule légalité de la décision implicite de rejet du 13 août 2005, était sans incidence sur l'existence du contrat de travail à la date de prise d'acte le 6 juillet 2006..
M. [E] fait donc remarquer à juste titre que la légalité de la décision de rejet du 13 août 2005 ne peut donc avoir de conséquences sur l'annulation de l'autorisation de licenciement confirmée par le jugement du 8 avril 2009, que le ministre n'est plus compétent pour autoriser ou refuser son licenciement, qu'il s'en déduit que la société Trigano ne pourra plus obtenir d'autorisation de licencier M. [E] et qu'il résulte de l'arrêt de la Cour de cassation que l'existence du contrat de travail de M. [E] à la date de la prise d'acte ne peut être déniée ce qui interdit de remettre en cause l'annulation de l'autorisation de licenciement.
M. [E] a été licencié par lettre du 8 décembre 2005 et réintégré le 29 juin 2006.
Pendant la période d'éviction, il a été privé de son salaire qui s'élevait à 4230 € (salaire de base) ainsi que de l'acquisition des droits à retraite correspondant et autres droits sociaux. Il a également a utilisé son droit à indemnisation au titre du chômage et n'a donc pas pu le mobiliser postérieurement.
Le préjudice matériel subi correspond donc à ce que l'employeur aurait dû verser au titre de l'emploi du salarié, soit le salaire net, les charges sociales salariales et patronales.
La dernière fiche de paye complète de M. [E] avant mise à titre conservatoire (celle de mai 2005) indique :
net à payer : 3354,95 €
charges du salarié : 776,51 €
charges employeur : 2874,04 €
soit un coût de l'emploi mensuel de M. [E] de 7005,50 €
Pour la période du 9 décembre 2005 au 29 juin 2006, une somme globale de 46'703,33 € n'a pas été versée par Trigano, ni les congés payés de 4670 €, soit un total de 51'373 €.
M. [E] fait observer à juste titre que les cotisations sociales ne lui profitent pas nécessairement intégralement et personnellement mais lui ouvrent des droits potentiels de sorte qu'il est logique d'en tenir compte pour l'évaluation de l'indemnisation du préjudice professionnel.
M. [E] justifie (pièce 79) avoir perçu de pôle emploi des indemnités journalières de 79,10 € par jour du 28 janvier 2006, soit à l'issue de la période de carence, au 30 juin 2006, un total de 154 jours * 79,10 € = 12 181, 14 €.
Il convient donc d'allouer à M. [E] la somme de 31 000 € dans les termes de la demande au titre du préjudice matériel.
Quant au préjudice moral, il sera évalué, au vu des éléments de la cause, à 2000 €.
* Sur l'indemnisation de la période de mise à pied du 1er juin au 8 décembre 2005
L'autorisation de licenciement ayant été refusée, la mise à pied se trouve annulée. Il convient de faire droit à la demande de M. [E] en paiement d'un rappel de salaire à concurrence de la somme de 26'508 € outre les congés payés y afférents.
Il y a lieu d'ordonner la remise des bulletins de salaire conformes mais sans assortir cette condamnation d'une astreinte.
Sur le harcèlement moral
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
M. [E] invoque de nombreux faits de harcèlement de la part de M. [G], PDG de Trigano, et produit :
- une lettre du 2 juin 2005 adressée à Monsieur [E] signée par sept membres du comité de groupe Trigano : « Le 25 mai 2005, lors de la réunion plénière du comité de groupe, nous avons été témoins l'ensemble des membres des comités de groupe, les représentants du cabinet Syndex, ainsi que Mme C. [C], DRH de Trigano, d'une véritable humiliation, dont vous avez été la victime.
En effet, M. [N] [G], président de Trigano, s'adressant à vous, vous a dit, je le cite : « tu n'es qu'un con » suivis d'un certain nombre d'autres reproches qui nous ont véritablement scandalisés. Nous vous assurons de notre soutien, pour la suite que vous voudrez bien donner à cette affaire.... »
- une attestation de M. [T], directeur du développement : «... M. [G] avait l'habitude d'injurier M. [E]. Les insultes (pédé, enculé, petite bite...) étaient parfaitement déplacées et totalement injustifiées compte tenu professionnalisme en marketing industriel de M. [E] ».
- deux attestations de Mme [N], assistante de direction ; « Je confirme les propos de M. [E] concernant le déroulement de la journée du 6 janvier 2005.... ce jour-là M. [E] était très fatigué mais, devant faire un communiqué de presse, il était tout de même venu. C'était à l'époque où les relations entre les deux hommes étaient extrêmement tendues, le président ne perdant pas une occasion de critiquer et harceler M. [E], M. [G] faisait exprès de faire durer le plaisir en corrigeant chaque page avec des propos méprisants et M. [E] lui a demandé de se dépêcher de boucler le communiqué car il ne se sentait pas bien et avait rendez-vous chez le médecin. M. [G] s'est alors déchaîné il lui a dit en ricanant : 'Tu joues la comédie, vas-y tombe, tombe par terre et on verra si c'est vrai ! !' Voyant la pâleur de M. [E] je me suis levée et j'ai interpellé M. [G] en lui disant qu'il était honteux de s'acharner ainsi. Cela l'a tellement surpris (il n'a pas l'habitude d'être critiqué étant entouré de courtisans) qu'il a cessé son harcèlement dans la crainte que M. [E] fasse un malaise dans son bureau, ce dont j'aurais pu être témoin ».
Mme [N] confirme que « M. [G] traitait (M. [E]) de 'pédé' 'enculé' 'petite bite'. Ces propos ont été tenus devant tout le monde avec l'intention évidente de le rabaisser, il lui disait 'vient ici [L]' ou '[J]' 'tu est nul' 'tu n'es qu'un pauvre type' 'ta femme ne t'aime pas' 'ton fils est un crétin'en tant que directeur de la communication M. [E] rédigeait des textes que M. [G] se faisait un plaisir de corriger comme il l'aurait fait pour un élève de sixième. Au final le texte était quasiment identique à celui présenté au préalable. M. [E] était nerveusement éprouvé par cette attitude et je lui ai conseillé de se défendre car je trouve inadmissible de traiter son personnel ainsi...... »
La sincérité des attestations de Mme [N] ne peut être utilement mise en cause dans la mesure où elle est corroborée par d'autres témoignages précis et concordants.
- une attestation de M. [Q], ancien secrétaire du comité de groupe : « M. [G] se plaît à humilier son ou ses adversaires en espérant ainsi affirmer sa domination et imposer ses volontés. J'ajoute que M. [E] est entré chez Trigano avec un contrat aidé, il n'y a pas de petites économies, même pour un cadre après un long chômage et qu'il ne pouvait donc, dans l'esprit du PDG, qu'être redevable sans aucune limite jusqu'à la servitude au-delà du raisonnable ».
- une attestation (pièce 95 de la société Trigano ) de Mme [C], directeur des ressources humaines : « J'ai été témoin de l'incident survenu entre M. [G] et M. [E] lors de la réunion du comité de groupe en 2005. Comme responsable de la communication et de la coordination, M. [E] disposait d'un rétroprojecteur pour faire des présentations. M. [G] lui a donc demandé d'installer le rétroprojecteur qui devait être utilisé lors de la réunion du comité de groupe. M. [E] n'arrivant pas à brancher et à faire fonctionner le rétroprojecteur, M. [G] l'a invectivé en le traitant de 'con' car nous étions déjà en retard sur le début de cette réunion....»
Les agissements répétés de harcèlement moral sont donc établis et la société ne peut
sérieusement faire valoir que les propos de M. [G] n'étaient que des reproches formulés dans le cadre de son pouvoir de direction et disciplinaire, et que celui-ci avait en outre l'habitude d'employer avec ses collaborateurs un langage 'fleuri' 'voire cru' 'aux fins de conduire ses interlocuteurs à se dépasser et à créer une relation de proximité', ou alléguer avoir entretenu des relations amicales avec M. [E], en tant qu'anciens élèves d'HEC.
Les propos humiliants de M. [G] ont porté gravement atteinte à la dignité de M. [E] et à sa santé ainsi que celui-ci en justifie par la production de certificats médicaux notamment ceux du Docteur [D], son médecin traitant, et du Docteur [J] faisant état d'un syndrome dépressif réactionnel et d'un état de stress important affectant son état général.
Le préjudice par M. [E] serait évalué à la somme de 10'000 €.
Sur la prise d'acte de la rupture
Le salarié soutient qu'il n'a pas été réintégré sur son poste précédent en raison des man'uvres frauduleuses de l'employeur, ni sur un poste équivalent, que le changement d'emploi s'est accompagné d'une dégradation des conditions de travail, que le poste proposé au moment de sa réintégration emportait modification de son contrat ou à le moins de ses conditions de travail de sorte que la société aurait dû saisir l'inspection du travail, et qu'il a été victime d'un harcèlement moral.
La cour adopte les motifs des premiers juges ayant :
- exclu l'existence de man'uvres frauduleuses lors de l'engagement d'un responsable de communication financière en remplacement de M. [E], l'offre ayant été acceptée par la candidate le 5 mai 2006, soit quelques jours après la notification de l'arrêté ministériel d'annulation du 26 avril 2006 mais bien avant la demande de réintégration reçue le 21 juin 2006,
- retenu que M. [E] n'était pas fondé à soutenir que ses nouvelles fonctions ne recouvraient pas un poste équivalent, puisqu'il a décidé de rompre le contrat seulement après quelques jours de présence et le surlendemain de la notification écrite de sa fiche de poste.
Il s'ensuit qu'il ne peut se prévaloir de la violation de son statut protecteur au motif que l'employeur n'a pas saisi l'inspecteur du travail sur la modification de son contrat ou de ses conditions de travail. Il sera débouté de sa demande de ce chef.
Selon l'article L. 1152'1, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En vertu de l'article L. 1152-2 du code du travail aucun salarié (....) ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation de contrat ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoirs relatés.
Il résulte de l'article L. 1152-4 du Code du travail que toute rupture intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L.1152-1 L. 1152-2 est nulle.
La cour ayant retenu l'existence d'agissements répétés de harcèlement moral, lesquels se sont d'ailleurs poursuivis après la réintégration de M. [E] ainsi qu'il résulte de l'attestation détaillée de Mme [N], la prise d'acte de la rupture produit les effets d'un licenciement nul.
Il convient d'accorder à M. [E] les sommes qu'il réclame au titre des indemnités de rupture et dont le montant figure au dispositif.
Eu égard au licenciement nul , il lui sera alloué des dommages-intérêts dont le montant est également précisé au dispositif.
Le salarié, élu délégué du personnel, dont la prise d'acte produit les effets d'un licenciement nul lorsque les faits invoqués la justifient, a droit à une indemnité pour violation du statut protecteur égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis son éviction jusqu'à l'expiration de la période de protection, augmentée de six mois. M. [E] a été élu délégué du personnel le 15 octobre 2004 pour une durée de deux ans, sa période de protection expirait deux ans et six mois plus tard, soit le 15 avril 2007 ; il a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 6 avril 2006. Il convient donc de lui allouer sur la base d'un salaire de 4230 €, une somme de 39'339 € à titre d'indemnité forfaitaire égale à neuf mois de salaire.
Sur la perte de chance de lever l'option sur les stock-options
M. [E] soutient :
- qu'il s'était vu attribuer 500 options d'achat d'actions au tarif préférentiel de 21,64 €, qu'il a ensuite été décidé de diviser par deux la valeur nominale de l'action et de multiplier par deux le nombre d'options de sorte qu'il. est devenu titulaire de 1000 options d'achat d'actions au prix de 10,82 €,
- que début 2004, il s'est vu offrir 500 nouvelles options d'achat au tarif préférentiel de 35,30 € et que le nombre d'options a été multiplié par deux alors que le prix était, lui, divisé par deux portant les droits de M. [E] à 1000 options d'achat d'actions au tarif de 17,65 €,
- qu'ayant été licencié au 8 décembre 2005 puis contraint de prendre acte de la rupture de son contrat au 7 juillet 2006, il n'a pas été mis en capacité de lever les options pour acquérir des actions Trigano au tarif préférentiel,
- dans la mesure où le prix de l'action Trigano était de 41,70 € le jour de la rupture de contrat de travail, le préjudice de M. [E] privé de solliciter la levée de l'option correspond à la somme de 54'930 € calculée en retenant la différence entre la valeur nominale de l'action offerte dans le cadre du plan de souscription d'actions et la valeur acquise au moment du licenciement.
La société Trigano réplique que les données chiffrées du salarié ne sont étayées d'aucun document probant et que si celui-ci a été licencié le 8 décembre 2005, il a été réintégré dans ses fonctions à la suite de sa demande du 20 juin 2006 et a pris l'initiative de la rupture contractuelle le 6 juillet 2006, assimilable à une démission, si bien qu'il n'aurait pas eu la faculté de lever les options qui lui avaient été attribuées les 14 novembre 2001 et 12 janvier 2004.
Il résulte des deux accusés de réception signés par M. [E] de chacun des deux plans d'options de souscription d'actions à la suite des attributions décidées en conseil d'administration les 14 novembre 2001 et 12 janvier 2004 que celui-ci a reçu 500 actions au prix de 21,64 € chacune, et 500 actions au prix de 35,30 € chacune.
Les options du premier plan pouvaient être levées entre le 14 novembre 2006 le 14 novembre 2007 et les options de second plan entre le 12 janvier 2009 et le 12 janvier 2010.
Compte tenu de la prise d'acte de la rupture, le 6 juillet 2006, M. [E] a été mis dans l'impossibilité, du fait de la société, de lever les du monde ' options qui lui avaient été attribuées les 14 novembre 2001 et 12 janvier 2004.
La société fait observer à juste titre que M. [E] ne démontre pas qu'il a été décidé de diviser par deux la valeur nominale de l'action et de multiplier par deux le nombre d'actions et donc qu'il était titulaire de 1000 options d'achat au prix de 10,82 € et de 1000 options d'achat au tarif de 17,65 €.
En revanche, elle ne conteste pas que le prix de l'action était à 41,70 € au jour de la rupture.
Le préjudice de M. [E] s'élève donc à 13'230 € :
L'équité commande d'allouer à M. [E] une somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Ordonne la jonction de la procédure enrôlée sous le n° RG 16/11115 à celle portant le n° RG 08/07312,
Vu les arrêts de la Cour de cassation des 6 avril 2011 et 29 juin 2016,
Dit que la prise d'acte de la rupture s'analyse en un licenciement nul du fait du harcèlement moral de l'employeur,
Condamne la société Trigano à payer à M. [E] les sommes de :
- 26 508 € à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire du 1er juin 2005 au 8 décembre 2005
- 2 650 € à titre de congés payés afférents
- 31'000 € à titre d'indemnisation du préjudice matériel subi pour la période située entre le licenciement (8 décembre 2005) et la réintégration (30 juin 2006)
- 2 000 € à titre d'indemnisation du préjudice moral et d'anxiété
- 10'000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral
- 25 380 € titre de dommages et intérêts pour licenciement nul
- 25'380 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 2 538 € à titre de congés payés afférents
- 25'380 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement
- 39'339 € à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur
- 13'230 € à titre de dommages-intérêts pour perte d'une chance de lever l'option d'achat
d'actions Trigano
- 3000 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Ordonne la capitalisation des intérêts,
Ordonne la remise par la société Trigano à M. [E] des bulletins de paye conformes à la décision, en ce compris les 7 bulletins de paye pour les mois de mai à décembre 2005,
Déboute M. [E] du surplus de ses demandes,
Condamne la société Trigano aux dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT