La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/04/2018 | FRANCE | N°15/24852

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 10 avril 2018, 15/24852


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 1



ARRET DU 10 AVRIL 2018



(n° 182 , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 15/24852



Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Novembre 2015 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 12/07620





APPELANTE



Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA CORSE

[Adresse 1]

[A

dresse 1]



SIRET N° : 782 989 206



Représentée par Me Martine CHOLAY, avocat au barreau de PARIS, toque : B0242

Ayant pour avocat plaidant Me Jean-Pierre DESIDERI, avocat au barreau de NICE,...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1

ARRET DU 10 AVRIL 2018

(n° 182 , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 15/24852

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Novembre 2015 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 12/07620

APPELANTE

Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA CORSE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

SIRET N° : 782 989 206

Représentée par Me Martine CHOLAY, avocat au barreau de PARIS, toque : B0242

Ayant pour avocat plaidant Me Jean-Pierre DESIDERI, avocat au barreau de NICE, toque : 62

INTIMES

Monsieur [N] [X]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

né le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 1] (20)

Représenté par Me Eva CHOURAQUI de l'AARPI CHOURAQUI - HARZIC avocat au barreau de PARIS, toque : P0058

Compagnie d'Assurances ALLIANZ IARD

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

SIRET N° : 542 110 291

Représentée par Me Stéphane BRIZON, avocat au barreau de PARIS, toque : D2066

Ayant pour avocat plaidant M. David BERNARD, de la SCP BERNARD HUGUES JEANNIN PETIT, avocat au barreau D'AIX EN PROVENCE

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 07 Février 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Christian HOURS, Président de chambre

Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère

Mme Anne LACQUEMANT, Conseillère

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté à l'audience par Mme Anne LACQUEMANT dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Mme Nadyra MOUNIEN

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Christian HOURS, président et par Mme Lydie SUEUR, greffier présent lors du prononcé.

*****

Dans le cadre d'un projet de réalisation d'un complexe touristique comprenant un terrain de golf devant être édifié sur un terrain dénommé [Localité 2] situé sur la commune [Localité 3], le bureau d'aide sociale de la commune de [Localité 4] a consenti à M. [B] [O], par acte du 17 février 1988, un bail emphythéotique portant sur ce terrain, moyennant une redevance annuelle de 350 000 francs (53 356 euros).

Selon acte sous seing privé du 28 juin 1991, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Corse (la CRCAM de Corse) a consenti à M. [O] un prêt de 1 000 000 francs (152 449,02 euros), moyennant un taux d'intérêt annuel de 12 %, aux fins de financer des travaux de recherche sur l'implantation d'un golf à [Localité 3], la date de la première échéance étant fixée au 10 juillet 1992. Elle lui avait antérieurement consenti trois autres prêts, les 29 janvier 1988, 27 décembre 1990 et 14 février 1991, pour faire face à des besoins de trésorerie, lesquels prêts ne sont pas concernés par le litige.

Le contrat de prêt du 28 juin 1991 mentionne au titre des garanties : la caution solidaire de l'emprunteur et la caution de la commune [Localité 3].

Par acte notarié des 28 juin et 1er juillet 1991, reçu par Me [F] [M], notaire à [Adresse 1], en présence de la CRCAM de Corse, M. [O] s'est engagé, d'une part, à céder gratuitement à la commune [Localité 3] une partie (parcelle de 5 à 7 hectares) du droit au bail consenti par la commune de [Localité 4], aux fins d'y édifier une résidence, d'autre part, à lui céder, en garantie du cautionnement accordé par la commune, le surplus du droit au bail, outre les travaux qui seraient réalisés par l'architecte, si trois conditions étaient réunies : le non-remboursement du prêt de 1 000 000 francs (152 449,02 euros) par M. [O] à l'échéance, la mise en oeuvre par la CRCAM de Corse de l'engagement de caution de la commune [Localité 3] et le paiement par cette dernière des sommes dues par M. [O] à la CRCAM de Corse.

Le projet envisagé par M. [O] ne s'est pas concrétisé et diverses procédures l'ont opposé à la CRCAM de Corse ainsi qu'à la commune [Localité 3].

Ainsi, M. [O] a engagé, devant le tribunal de grande instance d'Ajaccio, selon acte d'huissier du 17 juillet 1992, une action en responsabilité à l'encontre de la CRCAM de Corse à laquelle il reprochait une interdiction bancaire abusive, intervenue dans des conditions ayant contribué à l'échec de son projet. La banque a formé une demande reconventionnelle en paiement des prêts consentis les 27 décembre 1990, 14 février 1991 et 28 juin 1991 et a assigné Mme [G] en sa qualité de caution des deux premiers de ces prêts.

Par jugement du 13 octobre 1994, le tribunal de grande instance d'Ajaccio a sursis à statuer sur la demande de dommages-intérêts formée par M. [O] à hauteur de 20 000 000 francs (3048919,92 euros) et sur la demande en remboursement du prêt du 28 juin 1991 formée à titre reconventionnel par la CRCAM de Corse à l'encontre de M. [O], dans l'attente des résultats de l'instance pénale ouverte devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par M. [O], et a rejeté le sursis à statuer pour le surplus. Par jugement du 7 novembre 1996, le tribunal de grande instance d'Ajaccio, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Bastia le 28 mai 1998, a condamné solidairement M. [O] et Mme [G] à payer à la CRCAM de Corse diverses sommes au titre des prêts des 27 décembre 1990 et 14 février 1991.

Dans le même temps, selon assignation du 12 juin 1992, M. [O] a poursuivi, devant le tribunal de grande instance de Bastia, la nullité de la convention conclue le 28 juin 1991 avec la commune [Localité 3] pour absence de cause et subsidairement la nullité de la clause portant cession conditionnelle des plans et études du projet de [Localité 2]. La CRCAM de Corse a été assignée en intervention forcée selon acte d'huissier du 15 janvier 1995 aux fins de déclaration de jugement commun et a conclu à sa mise hors de cause.

Le 29 juillet 1997, le tribunal de grande instance de Bastia a sursis à statuer dans l'attente de l'issue de procédures pénales engagées par M. [O] à l'encontre de la commune [Localité 3] pour trafic d'influence, concussion, abus de blanc-seing et faux en écritures publiques, et à l'encontre de Me [M], notaire, pour faux en écriture publique.

Par jugement du 20 avril 2006, le tribunal a révoqué sa décision de sursis à statuer du 29 juillet 1997 et ordonné la poursuite de l'instance. La CRCAM de Corse a alors sollicité la condamnation de M. [O] et de la commune [Localité 3] au remboursement du prêt

Par jugement du 21 juin 2007, le tribunal de grande instance de Bastia a condamné in solidum M. [O] et la commune [Localité 3] à payer à la CRCAM de Corse la somme de 567 493,30 euros, outre intérêts contractuels à compter du 7 juin 2005.

Par arrêt du 15 octobre 2008, la cour d'appel de Bastia, infirmant cette décision, a déclaré prescrite la demande en remboursement du prêt formée par la CRCAM de Corse tant à l'encontre du débiteur principal, M. [O], qu'à l'encontre de la caution, la commune [Localité 3].

Le pourvoi formé par la CRCAM de Corse a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation du 28 janvier 2010.

Invoquant des manquements de ses avocats, Me [W] [A] et Me [N] [X] à compter du mois de juillet 2001, dans la conduite des procédures dont ils avaient la charge, la CRCAM de Corse a fait assigner la société Allianz, assureur de responsabilité professionnelle, devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins d'obtenir l'indemnisation de son préjudice résultant de l'extinction de sa créance à l'encontre de la commune [Localité 3].

M. [X] est intervenu volontairement à la procédure.

Par jugement du 4 novembre 2015, le tribunal de grande instance de Paris a rejeté les demandes formées aux fins de voir engager la responsabilité de M. [W] [A], dit que M. [N] [X] avait commis un manquement de nature à engager sa responsabilité civile professionnelle, débouté la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Corse de sa demande d'indemnisation faute de lien de causalité entre le manquement retenu et le préjudice allégué et condamné cette dernière aux dépens et à payer à la société Allianz la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La CRCAM de Corse a formé appel de ce jugement selon déclaration du 8 décembre 2015.

Par dernières conclusions du 29 décembre 2017 auxquelles il est renvoyé par application de l'article 455 du code de procédure civile, elle demande à la cour, à titre liminaire, d'infirmer le jugement en ce qu'il a statué ultra petita en rejetant les demandes tendant à voir engager la responsabilité de M. [A] alors qu'aucune demande n'avait été formée à ce titre, d'écarter des débats «toutes références à des prétendus incidents de remboursements des trois prêts de 1 050 000 francs, 1 235 000 francs et 200 000 francs, dont les sources n'auront pas été justifiées par la compagnie Allianz», de condamner la société Allianz à lui payer la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la communication par M. [X] à son assureur des informations concernant ces prêts, d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de condamner la société Allianz à lui payer la somme de 567 393,30 euros, avec intérêts au taux contractuel de 18 %, à compter du 7 juin 2005 et anatocisme des intérêts, outre la somme de 18 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Cholay.

Par dernières conclusions du 18 décembre 2017 auxquelles il est renvoyé par application de l'article 455 du code de procédure civile, la société Allianz demande à la cour de déclarer irrecevable la demande de dommages-intérêts de 100 000 euros formée pour la première fois en cause d'appel, de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de la CRCAM de Corse formées aux fins de voir engager la responsabilité de M. [A], de l'infirmer en ce qu'il a retenu l'existence d'une faute de M. [X], de le confirmer en ce qu'il a écarté tout lien de causalité entre le manquement prétendu et le préjudice allégué et en ce qu'il a condamné la CRCAM de Corse à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, y ajoutant, de condamner l'appelante à lui payer la somme de 18 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel ainsi qu'aux dépens d'appel dont distraction au profit de Me Stéphane Brizon.

M. [X] a constitué avocat mais n'a pas conclu.

SUR CE,

- Sur la recevabilité de la demande de dommages-intérêts formée par la CRCAM de Corse à hauteur de 100 000 euros :

La CRCAM de Corse dénonce une collusion entre M. [X], qui fut son avocat, et l'assureur de responsabilité civile de celui-ci reprochant au premier d'avoir communiqué l'entier dossier de sa cliente, dont les pièces afférentes aux trois prêts qui ne sont pas concernés par le présent litige, pour servir les intérêts de la société Allianz, soutenant qu'un tel comportement caractérise une violation du secret professionnel par l'avocat et un recel par l'assureur. Elle fait en particulier valoir que M. [X] a communiqué à la société Allianz les éléments relatifs à l'existence de trois prêts de 1 050 000 francs, 1 235 000 francs et 200 000 francs qui ne font pas l'objet du litige.

Elle sollicite en conséquence que «toutes références à des prétendus incidents de remboursement des trois prêts de 1 050 000 francs, 1 235 000 francs et 200 000 francs, dont les sources n'auront pas été justifiées par la compagnie Allianz, soient évacuées des débats» et la condamnation de l'intimée à lui payer une somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts.

La société Allianz soulève l'irrecevabilité de cette demande indemnitaire en application de l'article 564 du code de procédure civile.

En vertu de cet article, «à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait nouveau».

La demande de dommages-intérêts formulée à l'encontre de la société Allianz, qui n'a pas pour objet l'indemnisation des préjudices résultant des manquements reprochés à M. [X] dans l'exercice de sa mission, est formée pour la première fois en cause d'appel sans que cette demande résulte de l'évolution du litige. En effet, dans ses dernières conclusions de première instance, la société Allianz faisait déjà mention ' pages 4 et 5 ' des trois prêts susvisés et des garanties dont ils faisaient l'objet et la CRCAM de Corse, qui a vu son moyen relatif à la violation du secret professionnel rejeté par le juge de la mise en état, n'a saisi le tribunal d'aucune demande à ce titre.

Cette demande doit par conséquent être déclarée irrecevable.

La demande tendant à «voir évacuer des débats» la référence aux trois prêts consentis à M. [O], qui ne sont pas directement en lien avec le présent litige mais constituent des éléments factuels de contexte qui ne sont pas inutiles à la compréhension de ce litige, outre qu'elle est peu compréhensible, ne repose sur aucun fondement juridique.

Cette demande sera rejetée.

- Sur la demande de retranchement :

La CRCAM de Corse critique le jugement en ce qu'il a rejeté «les demandes formées aux fins de voir engager la responsabilité de Maître [W] [A]», soutenant qu'elle n'avait formé aucune demande au titre des manquements commis par M. [A] et que le tribunal a statué ultra petita.

Il ressort des dernières conclusions dont était saisi le tribunal (conclusions notifiées le 19 février 2015) que la CRCAM de Corse sollicitait la condamnation de la société Allianz, en sa qualité d'assureur des avocats du barreau de Bastia, à l'indemniser en raison des fautes commises tant par M. [X] que par M. [A], les manquements reprochés à ce dernier étant plus précisément évoqués page 8.

C'est dès lors sans méconnaître l'étendue du litige que les premiers juges ont répondu que la société Allianz n'étant pas l'assureur de M. [A], ce qui n'est pas contesté, les demandes formées au titre de la responsabilité de M. [A] devaient être rejetées.

Le jugement, qui n'est pas autrement critiqué de ce chef, sera confirmé.

- Sur la responsabilité de M. [X] et les demandes formées à l'encontre de son assureur:

La CRCAM de Corse fonde sa demande d'indemnisation formée à l'encontre de la société Allianz en sa qualité d'assureur de responsabilité civile, à titre principal, sur la faute commise par M. [X] auquel elle reproche de ne pas avoir interrompu la prescription décennale, soutenant que la commune avait renoncé à invoquer la prescription quadriennale devant le tribunal puis devant la cour de Bastia, et de ne pas l'avoir utilement conseillée sur la question de la prescription, à titre subsidiaire, s'il était retenu que la prescription était acquise lorsque M. [X] est intervenu, sur la faute commise par ce dernier qui ne l'a pas informée de la possibilité d'engager une action en responsabilité contre M. [A] qui avait omis d'interrompre la prescription quadriennale, ladite action en responsabilité étant prescrite depuis le 10 juillet 2006.

Sur les fautes reprochées à M. [X], la société Allianz fait valoir que ce dernier, compte tenu du sursis ordonné par le tribunal de grande instance de Bastia par jugement du 12 juillet 1997, pouvait légitimement penser que les intérêts de sa cliente étaient préservés, que ce n'est que le 1er juin 2005 qu'il a été mis en mesure par la banque d'affiner son analyse, qu'au surplus la prescription applicable était quadriennale de sorte qu'elle était acquise lorsqu'il a été chargé des intérêts de la CRCAM de Corse en 2001.

La société Allianz ajoute qu'actionnée en temps utile en qualité de caution, la commune [Localité 3] aurait pu opposer à la CRCAM de Corse, par voie d'exception, laquelle est perpétuelle, l'irrégularité ou l'illégalité de la délibération du conseil municipal aux termes de laquelle elle s'est portée caution ainsi que la nullité de son engagement de caution, ou solliciter des dommages-intérêts en invoquant le soutien financier abusif apporté par la banque à M. [O], ou encore se prévaloir de la déchéance du droit aux intérêts faute pour la banque d'avoir respecté son obligation d'information annuelle résultant de l'article L. 311-22 du code monétaire et financier.

Enfin, elle conteste la réalité du préjudice allégué en indiquant que la CRCAM de Corse ne produit pas l'acte notarié d'engagement de caution et n'établit donc ni l'existence ni la validité du cautionnement, ni son étendue. Elle ajoute que la CRCAM de Corse pourrait n'avoir pas perdu le bénéfice de sa demande reconventionnelle en paiement à l'encontre de M. [O] devant le tribunal de grande instance d'Ajaccio et sur laquelle il a été sursis à statuer, la suite donnée à la procédure pénale ayant motivé le sursis étant ignorée.

S'agissant du manquement ayant consisté à ne pas conseiller une action en responsabilité contre M. [A], la société Allianz indique que cette action s'est trouvée prescrite le 12 juillet 2011, soit dix ans après la fin de la mission de l'avocat, et qu'à cette date, M. [X] n'était plus, depuis le 15 octobre 2008, l'avocat de la banque et que celle-ci disposait encore d'une action en responsabilité à l'encontre de M. [A], qu'elle a d'ailleurs envisagée en 2009. L'intimée ajoute qu'en toute hypothèse, elle ne saurait couvrir une faute intentionnelle ou dolosive de son assuré, et fait à ce titre valoir que la CRCAM de Corse indique elle-même que la négligence de M. [X] a pu être intentionnelle avec le souci délibéré de sa part de faire échapper M. [A] à sa responsabilité civile. Enfin, elle soutient qu'il n'existait pas de chance sérieuse de voir prospérer l'action en responsabilité contre M. [A].

* Sur le premier grief :

Il est constant que M. [X] a succédé à M. [A] le 12 juillet 2001 pour représenter la CRCAM de Corse dans les procédures en cours devant le tribunal de grande instance de Bastia et assurer la défense des intérêts de cette dernière s'agissant notamment du recouvrement de ses créances.

Lorsque M. [X] a été saisi, aucune action en paiement au titre du prêt du 28 juin 2001 n'avait été engagée à l'encontre de la commune [Localité 3] en sa qualité de caution de M. [O], seule une demande à l'encontre de ce dernier ayant été formée devant le tribunal de grande instance d'Ajaccio, demande sur laquelle il a été sursis à statuer par jugement du 13 octobre 1994.

En vertu de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, les créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics sont prescrites si elles n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelles les droits ont été acquis.

Il est acquis aux débats que la première échéance du prêt du 28 juin 1991 n'a pas été réglée et que la créance de la banque était exigible le 10 juillet 1992, de sorte que la prescription à l'encontre de la commune [Localité 3] a commencé à courir le 1er janvier 1993, en application des dispositions légales précitées.

Aucun acte interruptif de prescription n'étant allégué ni justifié, cette prescription était acquise le 1er janvier 1997.

Il ressort des lettres échangées en 2002 entre la CRCAM de Corse et M. [X] que ce dernier n'a pas dispensé de conseil et d'information à sa cliente sur la prescription applicable s'agissant de la créance alléguée à l'encontre de la commune alors même qu'il a été interrogé précisément, le 2 juillet 2002, sur la possibilité de poursuivre la commune, qu'il a répondu le 3 juillet 2002 sur la péremption de l'instance qui préoccupait sa cliente sans procéder à l'analyse de la prescription. En réponse à la demande formulée le 4 décembre 2002 par sa cliente qui souhaitait savoir «s'il existe un moyen de droit susceptible de nous permettre de relancer la procédure à l'encontre de la commune [Localité 3], prise en sa qualité de caution», ajoutant, «une éventuelle relance aurait peut être le mérite, selon nous, de réactiver l'action pénale en cours», il a suggéré, le 18 décembre 2002, de solliciter la réinscription de l'affaire au rôle du tribunal de grande instance de Bastia et de former une demande reconventionnelle en paiement contre la commune, sans toutefois s'attacher au risque de se voir opposer la prescription. S'il a évoqué dans sa lettre du 1er juin 2005, faisant part de la décision révoquant le sursis à statuer ordonné le 29 juillet 1997 et de la réinscription de l'affaire au rôle, «des éventuelles prescriptions encourues», il n'a fourni aucune précision à ce titre. Ce n'est que le 26 novembre 2007, après que la commune [Localité 3] a soulevé devant la cour d'appel de Bastia la prescription décennale de l'article L. 110-4 du code de commerce pour s'opposer à la demande en paiement formée à son encontre pour la première fois devant le tribunal de grande instance de Bastia par conclusions du 21 janvier 2007, que M. [X] a fait expressément état auprès de sa cliente de la difficulté résultant de l'absence de procédure ou demande antérieure puis suggéré, le 26 novembre 2007, de faire valoir que la procédure par laquelle la CRCAM de Corse avait été attraite en 1995 avait une influence sur la validité du contrat de prêt du 28 juin 1991 de sorte qu'elle avait eu pour effet d'interrompre la prescription, lequel argument a été rejeté par la cour d'appel de [Localité 1].

Il résulte de ces éléments qu'en s'abstenant de délivrer à sa cliente une exacte analyse juridique de la prescription encourue alors que la créance était fort ancienne et que la prescription des créances détenues contre l'Etat, les communes ou les départements est soumise à des dispositions particulières prévues par la loi du 31 décembre 1968 que l'avocat ne peut ignorer, M. [X] a manqué à son obligation de conseil et d'information, ainsi que l'ont justement retenu les premiers juges, la CRCAM de Corse ne pouvant toutefois utilement lui reprocher de ne pas avoir interrompu une prescription déjà acquise. Il sera ajouté que M. [X] ne peut échapper à ses obligations professionnelles en alléguant un manque de coopération de sa cliente dans les éléments qu'elle lui avait fournis alors qu'il ressort du courrier du 12 juillet 2001 que M. [X] avait reçu le dossier de son confrère, M. [A], et qu'il lui appartenait de solliciter de la CRCAM de Corse les éléments utiles si ceux-ci faisaient défaut et que la question de savoir si une action avait été engagée à l'encontre de la commune [Localité 3] et dans quelles conditions, ne posait pas de difficultés particulières.

C'est encore à bon droit que le tribunal a considéré qu'il n'existait pas de lien de causalité entre les manquements commis par M. [X] et le préjudice allégué par la CRCAM de Corse dès lors que l'action de celle-ci à l'encontre de la commune était prescrite avant même l'intervention de M. [X], peu important que la prescription quadriennale n'ait pas été invoquée devant la cour d'appel de Bastia en 2007, la banque ne pouvant prétendre à l'indemnisation d'une perte de chance de voir la commune omettre de soulever la prescription quadriennale applicable, laquelle prescription aurait été nécessairement constatée en application de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968.

A cet égard, c'est en vain que la CRCAM de Corse excipe d'une renonciation de la commune à se prévaloir de la prescription quadriennale alors que la possibilité, prévue par l'article 6 de la loi du 1er décembre 1968 qu'elle invoque, de voir relever le créancier de l'Etat ou de la commune de la prescription prévue à l'article 1er, suppose une délibération de l'autorité administrative compétente, en l'espèce le conseil municipal, laquelle n'a pas été prise et que la renonciation à une prescription acquise ne se présume pas. Si la commune [Localité 3] a invoqué la prescription décennale devant la cour d'appel de Bastia, aucun élément ne vient démontrer qu'elle aurait renoncé à se prévaloir de la prescription quadriennale si la demande en paiement avait été formée à son encontre dans le délai de dix ans de l'exigibilité de la créance, l'argumentation développée s'agissant de l'intérêt qu'aurait eu la commune à ne pas invoquer la prescription de la créance de la CRCAM de Corse pour conserver le crédit de sa signature pour ses projets à venir, n'étant pas pertinent.

* Sur le second grief :

En cause d'appel, la CRCAM de Corse invoque un nouveau grief à l'encontre de M. [X] à qui elle reproche d'avoir laissé s'éteindre l'action en responsabilité civile qui pouvait être engagée à l'encontre de M. [A] et de ne pas l'avoir informée de la possibilité d'une telle action compte tenu des manquements commis par ce dernier qui n'avait pas attiré son attention sur le caractère quadriennal de la prescription applicable et avait manqué à son devoir de diligence en ne signifiant aucun acte de nature à en interrompre le cours. Elle soutient qu'en raison de ce manquement de M. [X], elle a perdu une chance d'être indemnisée par M. [A] ou son assureur des conséquences de la faute commise.

L'action en responsabilité contre un avocat à raison de sa mission de représentation et d'assistance des parties en justice se prescrivait, en application de l'article 2277-1 ancien du code civil, par dix ans à compter de la fin de cette mission et se prescrit depuis l'entrée en vigueur, le 19 juin 2008, de la loi du 17 juin 2008, par cinq ans à compter de la fin de la mission, en application du nouvel article 2225 du même code.

Contrairement à ce que soutient la CRCAM de Corse, la mission de M. [A] s'agissant du recouvrement de la créance à l'encontre de la commune [Localité 3] n'a pas pris fin à la date à laquelle ladite créance s'est trouvée prescrite mais à celle à laquelle M. [A] a transmis son dossier à M. [X], désigné par la CRCAM de Corse pour lui succéder, avant qu'une décision définitive ne soit intervenue sur la question de la créance de la banque envers la commune [Localité 3], de sorte que la prescription de l'action en responsabilité à son encontre était acquise le 13 juillet 2011 à défaut d'avoir été interrompue.

S'il est exact que M. [X], qui ne s'est pas véritablement interrogé sur la prescription de la créance détenue à l'encontre de la commune, laquelle était acquise lorsqu'il a été saisi, n'a pas envisagé avec sa cliente une action en responsabilité à l'encontre de M. [A], cette action n'était pas prescrite lorsqu'il s'est trouvé dessaisi au mois d'octobre 2008 et il ressort d'une lettre circonstanciée, adressée le 12 juin 2009 à la société de courtage des barreaux portant en objet : 'Déclaration de sinistre', par le nouveau conseil de la CRCAM de Corse, Me Desideri, que celle-ci a envisagé une action s'agissant de manquements invoqués à l'encontre de M. [A] et de M. [X], ce dont il résulte qu'elle était alors informée de sa possibilité d'agir à l'encontre de M. [A] ou de l'assureur de ce dernier. Le choix qu'elle a fait de ne pas poursuivre dans cette voix et l'acquisition de la prescription de l'action en responsabilité dont elle disposait, survenue plus de deux ans après ce courrier, ne sont pas imputables aux manquements de M. [X].

Par conséquent, le jugement, qui a rejeté la demande de la CRCAM de Corse faute pour celle-ci de démontrer un lien de causalité entre les manquements reprochés à M. [X] et l'extinction de sa créance, sera confirmé en toutes ses dispositions.

- Sur les dépens et les frais irrépétibles :

La CRCAM de Corse qui succombe doit être condamnée aux dépens, déboutée de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à la société Allianz la somme de 6 000 euros en application de ces dernières dispositions.

PAR CES MOTIFS,

Déclare irrecevable la demande de dommages-intérêts formée à l'encontre de la société Allianz à hauteur de 100 000 euros ;

Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la CRCAM de Corse à payer à la société Allianz la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne la CRCAM de Corse aux dépens qui pourront être recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER,LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 15/24852
Date de la décision : 10/04/2018

Références :

Cour d'appel de Paris C1, arrêt n°15/24852 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-04-10;15.24852 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award