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05/04/2018 | FRANCE | N°16/24619

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 7, 05 avril 2018, 16/24619


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7



ARRÊT DU 05 AVRIL 2018



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 16/24619



Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Septembre 2016 -Juge de l'expropriation de PARIS - RG n° 16/00262





APPELANTE



LA SCI AL DOMUS

N° SIRET : 485 015 986 00014

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée

par Me Jennifer DALVIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D0199, avocat postulant et par Me Alain BERDAH, avocat au barreau de NICE, avocat plaidant





INTIMÉES



EPIC RATP

N° SIRET : 775 663 ...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7

ARRÊT DU 05 AVRIL 2018

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 16/24619

Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Septembre 2016 -Juge de l'expropriation de PARIS - RG n° 16/00262

APPELANTE

LA SCI AL DOMUS

N° SIRET : 485 015 986 00014

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Jennifer DALVIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D0199, avocat postulant et par Me Alain BERDAH, avocat au barreau de NICE, avocat plaidant

INTIMÉES

EPIC RATP

N° SIRET : 775 663 438 01906

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Romain THOME, avocat au barreau de PARIS, toque : C0920, substituée par Me Sarah HEITZMANN, avocate au barreau de RENNES

DIRECTION DÉPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES DE LA SEINE ST DENIS COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT

France domaine

[Adresse 3]

[Adresse 3]

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 Février 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Hervé LOCU, président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Hervé LOCU, président

Mme Marie MONGIN, conseillère

Mme Laure COMTE, vice-présidente placée

Greffier, lors des débats : Mme Isabelle THOMAS

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Hervé LOCU, président et par Mme Isabelle THOMAS, greffier présent lors du prononcé.

Exposé :

Par arrêté du 28 mai 2014, les préfets de Seine-Saint-Denis et d'Ile-de-France ont déclaré d'utilité publique au profit du Syndicat des Transports d'Ile-de-France (STIF) et de la Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP), les travaux de prolongement à l'est de la ligne 11 du métro parisien de mairie [Établissement 1], l'aménagement des stations et la mise en compatibilité des Plans Locaux d'Urbanisme (PLU) des communes des [Localité 1], [Localité 2] et [Localité 3] (93).

Par arrêté préfectoral du 16 novembre 2015, le préfet de Seine-Saint-Denis a prononcé la cessibilité des parcelles privées et le transfert de gestion des dépendances du domaine public nécessaires à cette opération.

Par ordonnance du 3 mars 2016, Madame la première présidente de la cour d'appel de Paris a décidé, au visa de l'article R211-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, que l'ensemble des procédures auxquelles peuvent donner lieu les travaux liés à cette opération, relève de la compétence de la juridiction de l'expropriation du tribunal de grande instance de Paris.

Cette opération concerne notamment la parcelle cadastrée Q n°[Cadastre 1], située [Adresse 4] (93) et d'une surface parcellaire totale de 8 703 m². Sur cette parcelle est édifié un bâtiment à usage logistique, de retrait de marchandises et de service client du magasin Alinéa situé à proximité. L'ensemble du bâti représente une surface hors oeuvre nette de 5 030 m². L'opération requiert une emprise partielle de 973 m² représentant la quasi totalité du parking situé devant le bâtiment, destiné à la clientèle.

La SCI Al Domus était propriétaire de l'ensemble immobilier concerné, donné à bail depuis le 27 mars 2006.

A défaut d'accord sur le montant de l'indemnisation, la RATP a saisi le juge de l'expropriation de Paris qui, après transport le 22 juin 2016 par jugement du 29 septembre 2016, a :

- fixé l'indemnité due comme suit :

- 233 520 euros pour l'indemnité principale ;

[973 m² x (400 euros - 40% pour occupation)]

- 24 352 euros pour l'indemnité de remploi ;

- 2 000 euros au titre du remplacement de la clôture ;

- 65 000 euros en réparation de la perte de places de stationnement ;

[2 500 euros x 26 places]

- débouté la SCI Al Domus du surplus de ses demandes au titre du préjudice financier et du préjudice commercial ;

- condamné la RATP aux dépens.

La SCI Al Domus a interjeté appel de cette décision le 03 novembre 2016.

Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux écritures qui ont été :

- adressées au greffe par la SCI Al Domus, les 25 janvier et 19 décembre 2017 (notifiées les 10 mars et 27 décembre 2017), aux termes desquelles elle précise avoir déposé une plainte pénale pour escroquerie au jugement, demande en définitive à la cour :

- de déclarer son appel recevable ;

- de dire son appel justifié au fond ;

- d'infirmer la décision entreprise sur le quantum des indemnités principales et accessoires et en ce qu'elle l'a déboutée du surplus de ses demandes ;

- fixer le montant des indemnités à lui revenir comme suit :

- 569 659 euros, arrondis, au titre de l'indemnité principale ;

[443,56 euros x (973 x 1617/1225 (indices du coût de la construction aux 1er trimestres de 2016 et 2005)]

- 202 226 euros, arrondis, au titre de l'indemnité financière ;

[ 35% d'emprise x 5 168 041 euros de capital restant à rembourser x 973 m² / 8703 de surface totale du terrain ]

- 110 000 euros au titre de l'indemnité matérielle au titre de la clôture ;

- 9 252 843 euros pour préjudice commercial, se décomposant comme suit :

- 4 800 000 euros pour perte locative jusqu'à la fin du bail ;

- 4 452 843 euros au titre du montant de la totalité des intérêts d'emprunt ;

- condamner la RATP aux entiers dépens ;

- adressées au greffe, le 28 avril 2017, par la RATP, intimée, et notifiées le 18 juillet 2017, aux termes desquelles elle demande à la cour de :

- rejeter l'ensemble des demandes de la SCI Al Domus ;

- confirmer le jugement dont appel ;

- condamner l'appelante à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel ;

- adressées au greffe, le19 avril 2017, par le commissaire du gouvernement, et notifiées le 1er juin 2017 aux termes desquelles il demande à la cour de confirmer le jugement dont appel.

Motifs de l'arrêt :

La SCI Al Domus soutient que :

- le prix de l'entier terrain actualisé et ramené à la surface de l'emprise justifie une indemnité de 569 689 euros ; le prix moyen retenu par la RATP correspond au prix payé par elle en 2006 et doit donc être actualisé ; les références concernant des terrains dépourvus de toute possibilité de construction doivent être écartées dès lors que le terrain d'abord acquis comme constructible est aujourd'hui construit ;

- la méthode par comparaison doit être écartée pour fixer le montant de l'indemnité mais peut être utilisée afin de contrôler l'indemnité allouée au regard de la valeur historique du bien ; les modalités de paiement dans le VEFA ne concernaient que les seuls travaux permettant ainsi de déduire le prix du terrain ; dès lors qu'il existe des normes objectives de détermination du préjudice principal subi par elle, le recours à la méthode par comparaison n'est pas nécessaire ;

- le prix du terrain résulte de l'acte d'acquisition d'Alinéa sans qu'il soit nécessaire d'interpréter une quelconque clause de l'acte d'acquisition ; l'acte mentionnant le coût de la construction, par différence avec le prix d'achat du bien, on obtient le prix du terrain nu ;

- elle est contrainte d'effectuer des remboursements partiellement indus du fait de l'expropriation partielle qu'elle subit ;

- elle va devoir édifier sur au moins 30 mètres linéaires une clôture afin de délimiter sa propriété et sécuriser sa propriété au regard d'un afflux massif et quotidien d'usagers ; contrairement à ce qu'a affirmé le premier juge, un simple grillage est désormais insuffisant eu égard au passage que l'implantation du métro va entraîner là où, auparavant, il n'y avait personne ;

- la construction de la station de métro juste en face du bâtiment générant des flux massifs et les futurs travaux envisagés hors emprise vont interdire l'accès de la clientèle Alinéa pendant un temps indéterminé sont de nature à entraver la jouissance paisible du locataire et, par conséquent, à réduire le montant du loyer perçu ;

La RATP réplique que :

- les possibilités légales et effectives de construction doivent être analysées à l'échelle de l'emprise expropriée (Civ.3ème, 11 février 2014, n°12-24225) ; la circonstance selon laquelle le prix du terrain en 2005 intégrait d'ores et déjà ces éléments est inopérante dès lors que les contraintes ne grèvent que la superficie de l'emprise expropriée et non la superficie de l'ensemble de la parcelle, en conséquence, il n'y a pas lieu de retenir une valeur unitaire homogène pour l'ensemble de la parcelle ;

- la prétendue ventilation du prix évoquée ne ressort pas expressément de l'acte de cession, or il n'appartient pas au juge de l'expropriation d'interpréter les mutations citées à titre de terme de référence ; par ailleurs, cette mutation porte non pas sur la cession d'un terrain à bâtir mais sur l'acquisition d'un ensemble immobilier à vocation commerciale dans le cadre d'une vente en l'état futur d'achèvement ; la valeur d'un bien exproprié doit se faire par comparaison avec celles d'autres biens présentant des caractéristiques semblables ou approchantes dans la même aire géographique et ayant fait l'objet de transactions à des époques aussi proches que possibles ;

- en tout état de cause, l'acte de vente cité par la SCI Al Domus est trop ancien ;

- au regard des références citées et des contraintes grevant l'emprise expropriée, le montant retenu en première instance, pondéré d'un abattement pour occupation, est satisfactoire ;

- la demande de l'exproprié visant au remboursement du capital emprunté est redondante avec l'octroi d'une indemnité principale correspondant à la valeur de l'emprise expropriée ; de plus, il n'existe pas de lien de causalité direct entre le coût de l'emprunt et la mesure d'expropriation ;

- la demande relative au coût de construction du mur est infondée et en tout état de cause disproportionnée ; si l'expropriation partielle ouvre droit au paiement d'une indemnité au titre de la reconstitution de clôture au niveau des nouvelles limites de propriété, c'est, par principe, sur la base de la consistance de la précédente clôture supprimée ; or, en l'espèce, la parcelle est actuellement entourée d'un grillage ; la demande de l'exproprié, surévaluée, ne repose sur aucun élément ou devis ;

- la demande d'indemnisation au titre du préjudice commercial vise des dommages qui ne sont ni directs, ni certains ; la SCI a été informée via l'enquête publique et lors d'une réunion de négociation individualisée de l'implantation de la future station,les travaux de réaménagement sur l'emprise non-expropriée ont été proposés par elle afin de réparer en nature les conséquences de la suppression de places de stationnement mais refusée par la SCI et ne sont plus d'actualité ; cette demande repose sur le postulat que le locataire pourrait solliciter une réduction ou une renégociation du loyer ce qui est un préjudice hypothétique ;

- il n'existe pas de lien de causalité direct entre le coût de l'emprunt contracté par l'exproprié et la mesure d'expropriation, il n'y a pas lieu au remboursement des intérêts d'emprunt ;

- les demandes indemnitaires justifiées par la fréquentation de la future station de métro, qui relève des conséquences de la mise en service de l'ouvrage public à réaliser, doivent être écartées dès lors qu'il n'appartient pas au juge de l'expropriation d'analyser ces conséquences ; en tout état de cause, l'implantation du métro est de nature à conférer une importante plus-value à la parcelle non-expropriée en augmentant l'attractivité ;

Le commissaire du gouvernement fait valoir que les termes de comparaison qu'ils présentent sont pertinents et de confirmer le jugement sur le principe et le quantum des indemnités fixées.

SUR CE

- sur la recevabilité des mémoires

Aux termes de l'article R3 11 -26 du code de l'expropriation (décret n°2014-1635 du 26 décembre 2014), à peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office, l'appelant dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu'il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel.

À peine d'irrecevabilité, relevé d'office, l'intimité dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu'il entend produire dans un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant. Le cas échéant, il forme appel incident dans le même délai et sous la même sanction.

L'intimé à un appel incident ou un appel provoqué dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de deux mois à compter de la notification qui en est faite pour conclure.

Le commissaire du gouvernement dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et l'ensemble des pièces sur lesquelles il fonde son évaluation dans le même délai et sous la même sanction que celle prévue au deuxième alinéa.

Les conclusions et documents sont produits en autant d'exemplaires qu'il y a de parties, plus un.

Le greffe notifie à chaque intéressé et au commissaire du gouvernement, dès leur réception, une copie des pièces qui lui sont transmises.

En l'espèce les conclusions et documents ont été adressés au greffe dans les délais de l'article R311-26 susvisé, les conclusions de la SCI Al Domus du 19 décembre 2017 notifiées le 27 décembre 2017 ne présentant pas de demandes nouvelles et ne visant pas de nouvelles pièces, étant purement responsives aux conclusions de la RATP et du commissaire du gouvernement, sont recevables.

- au fond

Aux termes de l'article de l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la propriété est un droit inviolable et sacré, dont nul ne peut être privé si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la réserve d'une juste et préalable indemnité.

L'article 13-13 , devenu L321-1 , du code de l'expropriation dispose que les indemnités allouées doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.

Conformément aux dispositions de l'article L13-15, devenu L322-2, du code de l'expropriation, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance, seul étant pris en considération - sous réserve de l'application des articles L13-15 devenu L322-3 à L322-6 - leur usage effectif à la date définie par ce texte.

L'appel porte sur les modalités de la méthode d'évaluation à utiliser et aucune contestation n'existe au titre de la qualification de terrain à bâtir à donner à l'emprise, de même que sur son occupation par un locataire.

S'agissant de la date de référence, les parties s'accordent toutes à la situer au 19 novembre 2015. La parcelle Q[Cadastre 1] est actuellement située en zone Uar 1 du PLU de [Localité 3], zone soumise au droit de préemption urbain. Compte tenu de l'existence de ce périmètre de droit de préemption urbain et par application combinée des dispositions des articles L2 113'six et L2 113'quatre du code de l'urbanisme, la date de référence est celle à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant publiques, approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme(PLU) et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien exproprié soit en l'espèce en application de ces dispositions la date du 19 novembre 2015.

S'agissant des données d'urbanisme, il n'est pas contesté par les parties que le terrain de la SCI Al Domus reçoit la qualification de terrain à bâtir, le bien étant situé en zone UAr1 du PLU de Rosny-sous-Bois, zone constructible du document d'urbanisme.

Pour ce qui est de la nature du bien, de son usage effectif et de sa consistance, la zone UA du PLU de [Localité 3] correspond à une zone urbaine couvrant le centre-ville élargi de la commune et les secteurs de renouvellement urbain à vocation mixte ; la zone UAr1 est dédiée au quartier Coteaux-Beauclair, y sont autorisées, les constructions et installations compatibles avec la présence d'habitations et il n'est pas fixé de coefficient d'emprise au sol.

Il n'est pas contesté par l'appelant que plusieurs contraintes limitent les possibilités légales effectives de construction sur l'emprise expropriée qui doivent être prises en compte dans le cadre de l'évaluation du bien.

Il ressort de l'extrait graphique du PLU applicable à la date de référence que la parcelle expropriée est grevée d'une servitude d'alignement de 10 m par rapport à la ruelle de la Boissière, bordant l'emprise expropriée à l'ouest. L'emprise expropriée est pour partie comprise dans la bande de 10 m, ce qui interdit toutes constructions à l'intérieur de cette bande de terrains. S'agissant des orientations d'aménagement et de programmation du secteur Coteaux [Localité 4], l'emprise expropriée est comprise dans le périmètre d'une OAP 'secteur Coteaux [Localité 4]'et la réalisation d'une construction serait incompatible avec cette orientation, ce qui prive l'emprise expropriée de toute possibilité de construction.

À la date de référence, la parcelle expropriée disposait d'une desserte par une voie et par les réseaux de viabilité.

Un bail commercial a été conclu entre la SCI Al Domus et la SA S Alinéa le 27 mars 2006, qui a sollicité le renouvellement de son bail commercial à compter du 1er octobre 2016 pour une durée de neuf ans, le 31 août 2016, soit postérieurement à l'ordonnance d'expropriation prononcée le 8 août 2016.

S'agissant de la date à laquelle le bien exproprié doit être estimé c'est celle de la première instance, soit le 22 septembre 2016.

1° sur l'indemnité principale

S'agissant de la méthode d'évaluation, elle est librement définie, sauf à tenir compte des accords amiables conclus entre l'expropriant et les divers titulaires de droits à l'intérieur du périmètre des opérations faisant l'objet de la déclaration d'utilité publique au sens des prescriptions de l'article L322-8 du code de l'expropriation, étant observé qu'il n'est ici ni démontré, ni soutenu, que des accords auraient été conclus avec au moins la moitié des propriétaires intéressés et pour les deux tiers au moins des superficies concernées, ou avec au moins les deux tiers des propriétaires et pour la moitié des superficies.

En l'espèce la SCI Al Domus indique que la méthode par comparaison doit être écartée pour fixer le montant de l'indemnité mais peut être utilisée afin de contrôler l'indemnité allouée au regard de la valeur historique du bien.

Elle indique qu'elle a acquis de la société Alinéa selon acte de Me [S] du 27 mars 2006 la parcelle cadastrée section Q numéro [Cadastre 1] sur laquelle était édifié un bâtiment à usage commercial moyennant le prix de 11'029'442 € ; la société Alinéa avait elle-même acquis ce même terrain avec le bâtiment y édifié suivant acte de Me [M] notaire à Noisy-le-Sec en date du 30 mars 2005. Cet acte révèle que le prix payé par Alinéa fut de 11'029'442 € sur lequel :

- une somme de 3'860'305 € fut payée et quittancée dans l'acte avant tous travaux

- le solde soit 7'169'137 € correspondant au coût des travaux de construction de l'immeuble (VEFA) était payable selon le calendrier usuel des VEFA.

Il faut donc en déduire que le prix de l'entier terrain était de 3'860'305 € en mars 2005 et qu'appliqué au mètre carré de terrain cette valeur donne un prix au mètre carré de 3'860'305 /8703 = 443,56 euros au mètre carré.

L'emprise envisagée par la RATP étant de 973 m² le préjudice subi est de (973 X 443,56) = 431'583 euros.

Il faut actualiser ce chiffre en appliquant l'indice du coût de la construction INSEE :

431'583 X 1617 (indice premier trimestre 2016'dernier publié ce jour)/1225 (indice premier trimestre 2005)= 569'689 €

Cependant il ne ressort pas de l'acte de vente que le prix du terrain correspond bien à la somme de 3'860'305 €, cette valeur ne pouvant se déduire des seules modalités de paiement du prix de vente propre à la vente en l'état futur d'achèvement et l'appelant indique d'ailleurs qu'il faut ' déduire' des mentions de l'acte de 2005 que le prix terrain était de 3'860'305 €.

En outre il est de principe que les termes de comparaison auxquels le juge a recours en matière d'expropriation ne doivent pas être trop anciens, en particulier pas de plus de cinq ans, ce qui est le cas en l'espèce étant de 2005, le marché devant être déterminé sur la base de mutations récentes.

En outre la méthode dite historique de l'appelant omet de prendre en compte les restrictions d'urbanisme qui grèvent l'emprise expropriée. Or l'appelant ne conteste pas que l'emprise expropriée est concernée par une servitude d'alignement de 10 m au droit de la ruelle Boissière et par les orientations d'aménagement et de programmation du secteur Coteaux Beau Clair, qui grèvent ses possibilités de construction. S'agissant de contraintes qui précisément ne grèvent que la superficie de l'emprise expropriée et non la superficie de l'ensemble de la parcelle numéro [Cadastre 1], il ne peut être retenu une valeur unitaire homogène pour l'ensemble de la parcelle.

La méthode de l'appelant omet enfin de prendre en compte l'existence d'un bail commercial sur l'emprise expropriée, qui justifie qu'un abattement soit appliqué sur la valeur du bien libre d'un montant de 40 % comme l'a à juste titre retenu le premier juge.

En conséquence le premier juge a exactement écarté cette demande d'évaluation dite historique de l'appelant.

L'appréciation du bien exproprié doit en conséquence se faire par comparaison avec celles d'autres biens présentant des caractéristiques semblables ou approchantes dans la même aire géographique ayant fait l'objet de transactions à des époques aussi proches que possible.

La société Alinéa a sollicité le renouvellement de son bail commercial à compter du 1er octobre 2016, pour une durée de neuf ans, le 31 août 2016, soit postérieurement à l'ordonnance d'expropriation prononcée le 8 août 2016.

En conséquence le bien doit être évalué en valeur de biens occupés.

Le bien exproprié reçoit la qualification juridique de terrain à bâtir. Il doit donc en application de l'article L.322'4 du code de l'expropriation être évalué au regard « des possibilités légales effectives de construction qui existaient à la date de référence ». Celles-ci doivent être analysées à l'échelle de l'emprise expropriée , et non à l'échelle de la parcelle et il convient donc de tenir compte dans le cadre de l'évaluation de l'emprise expropriée, des possibilités légales effectives de construction qui existaient à la date de référence, et notamment des restrictions au droit de construire résultant du plan local d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique et en conséquence en l'espèce de la servitude d'alignement de 10 m au droit de la ruelle Boissière et des orientations d'aménagement et de programmation du secteur coteaux beau clair qui conduisent à restreindre les possibilités légales effectives de construction de l'emprise expropriée.

C'est en conséquence à juste titre que tant l'expropriant que le commissaire du gouvernement proposent de retenir une valeur unité réduite par rapport au prix moyen du marché concernant des terrains jouissant de pleines possibilités de construction.

Il convient d'écarter les termes de comparaison numéro 2 (247 m²), numéro 3 (125 m²), numéro 4 (132 m²), numéro 5 (4 m²) de la RATP, du commissaire du gouvernement 1 allée de l'avenir( 294 m²), 65, boulevard du président Kennedy (174 m²), 34, rue Clément Ader (350 m²,), rue Lisbonne (4276 m²) l'emprise expropriée disposant d'une superficie nettement supérieure pour les premiers termes, et nettement inférieure pour le dernier terme de comparaison.

Il convient également d'écarter l'étude de cession de terrain selon une étude « estimer un bien » proposée par le commissaire du gouvernement à partir de ventes de terrains à bâtir dans un rayon de 20 km du bien estimé depuis le 1er juin 2013 les superficies étant également nettement différentes.

Il convient de retenir :

'la mutation particulièrement pertinente de la vente amiable de la parcelle [Cadastre 2], mitoyenne de la parcelle expropriée et récemment intervenue dans le cadre de l'opération d'utilité publique concernée à savoir le 21 décembre 2015, bien vendu libre d'occupation pour un prix de 400 € le mètre carré

'[Adresse 5] pour une superficie de 887 m² pour un prix de 507 € au mètre carré

soit une moyenne de 453,50 euros du mètre carré.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, de la nécessité de tenir compte des possibilités de construction limitées du terrain, il convient de retenir une valeur unitaire réduite par rapport au prix moyen du marché, et du caractère particulièrement pertinent de la valeur du terrain mitoyen par rapport à l'emprise expropriée, et le premier juge a donc exactement fixé l'indemnité principale sur la base de la valeur unitaire de 400 € du mètre carré.

Il a en outre, compte tenu de l'occupation du bien, appliqué à cette valeur un abattement de 40 % correspondant à celui habituellement appliqué en cas de location à titre commercial, abattement qui n'est pas contesté par l'appelant.

L'indemnité principale revenant à la SCI Al Domus est donc 240 €

( 40 % de 400 €) soit 240 € X 973 m²= 233'520 €.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

2° sur l'indemnité de remploi

le premier juge a en conséquence exactement fixé selon la méthode de calcul habituel l'indemnité de remploi à la somme de 24352 €.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

3° sur les indemnités accessoires

'sur la demande d'indemnité pour préjudice financier

La SCI Al Domus indique que pour acquérir le terrain et le bâtiment y édifié, elle a contracté un emprunt de 9'100'000 € actuellement remboursable en 60 trimestrialités de 230'430 € hors-taxes, qu'il reste au 21 avril 2016 un capital à rembourser de 5'168'041 €, qu'elle va continuer à rembourser un crédit pour l'acquisition d'un terrain de 8703 m² alors que ce terrain sera amputé de 973 m². Elle chiffre en conséquence un remboursement non causé à la somme de 202'226 €.

Il est de principe que les obligations du propriétaire exproprié envers son prêteur demeurent, qu'il n'existe pas de lien de causalité directe entre le coût de l'emprunt contracté par l'exproprié et la mesure d'expropriation et qu'enfin cette demande revient à indemniser une deuxième fois le paiement de la valeur de l'emprise que l'indemnité principale indemnise déjà.

En conséquence le premier juge a exactement rejeté cette demande comme étant mal fondée.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

'sur le préjudice de reconstruction de la clôture

la SCI Al Domus indique que le transport sur les lieux lui a permis d'apprendre que l'expropriation de sa parcelle serait nécessitée par des contraintes techniques liées à un réseau de canalisations souterraines devant être édifiées sur son terrain, qu'apparemment aucune clôture séparant le terrain restant à lui appartenir sur la parcelle expropriée n'est envisagée, qu'elle va donc devoir édifier un mur séparatif tant pour délimiter sa propriété que pour sécuriser sa propriété au regard de l'afflux massif et quotidien d'usagers de la ligne 11 du métro. Elle demande en conséquence une somme de 110'000 € pour un mur édifié sur au minimum 30 m linéaire.

Si la SCI Al Domus est effectivement en droit d'obtenir réparation du préjudice matériel constitué par la nécessité de faire construire une nouvelle clôture en limite de sa propriété redéfinie, certain et directement causé par l'expropriation, cette réparation ne saurait lui conférer une plus-value par l'édification d'un mur en pierre alors que la clôture actuelle est un grillage à treillis soudé comme cela a été constaté lors du procès verbal de transport sur les lieux et comme cela apparaît sur les photographies.

Le motif évoqué par l'expropriée à savoir la nécessité de protéger sa propriété de dégradation qu'elle pourrait subir du fait de la future station de métro correspond au préjudice hypothétique et sans lien direct avec l'expropriation, les dommages évoqués étant uniquement générés par l'ouvrage public qui sera construit et de la compétence du juge administratif.

En conséquence le premier juge a à juste titre indemnisé ce préjudice matériel à hauteur d'un montant de 2000 € suivant le devis de reconstruction versée aux débats par la RATP et débouté l'expropriée de sa demande de reconstruction d'un mur pour un montant de

110 000 €.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point

'sur le préjudice commercial

La SCI Al Domus indique qu'elle a formulé en première instance une demande indemnitaire quasi potentielle en l'état de l'absence d'information imputable à la seule autorité expropriante. En effet elle a donné à bail sa propriété à la société Alinéa moyennant un loyer annuel devant être payé sur quinze années minimums ou une indemnité en cas de départ du locataire, qu'il restait au 30 avril 2016 quatre annuités 3/4 de loyer soit la somme de 4'666'477 €, que ce bail a été consenti et accepté en fonction d'une configuration des lieux excluant une quelconque construction en limite de propriété et notamment sur la façade d'entrée de la clientèle du magasin Alinéa, il a été demandé à la RATP de préciser l'emplacement de la future gare, qu'il a été indiqué la nécessité d'excaver la parcelle expropriée pour y enfouir des canalisations et ensuite une remise en état du terrain une fois les canalisations enfouies, que si un tel ouvrage devait être réalisé en face de l'entrée des clients du bâtiment d'Alinéa, le locataire ne manquera pas d'en prendre prétexte pour solliciter une réduction voir une renégociation du loyer ou pire de refuser de payer le loyer.

Elle ajoute que la RATP lui a dissimulé la nécessité de travaux hors de l'emprise expropriée et qu'elle se trouve donc confrontée à une véritable escroquerie au jugement.

Elle est donc dans l'obligation de modifier le quantum de l'indemnité pour préjudice commercial formulée en première instance. Elle indique en effet que si Alinéa venait à prendre prétexte de l'expropriation pour résilier le bail, l'investissement locatif réalisé par la SCI Al Domus serait gravement compromis. Elle sollicite en conséquence la somme de 4'800'000 € au titre de la perte locative jusqu'à la fin du bail et la somme de 4'452'843 € au titre du montant de la totalité des intérêts d'emprunt soit la somme totale de 9'252'843 €.

S'agissant de la nature et de l'implantation prévisionnelle des ouvrages qui seront réalisés à proximité de la parcelle Q296, ces éléments sont renseignés dans le dossier qui a été soumis à enquête publique du 16 décembre 2013 au 30 octobre 2013 inclus et il appartenait en conséquence à l'expropriée de solliciter copie du dossier d'enquête.

Lors du transport sur les lieux, l'expropriée a été informée des modalités, et la RATP a informé la SCI Al Domus que les travaux évoqués dans son courrier du 19 octobre 2016 étaient en réalité sans objet.

Enfin et surtout ces allégations sont sans lien avec le contentieux de la fixation judiciaire des indemnités et ne relèvent pas de la compétence du juge de l'expropriation.

En indiquant que son locataire ne manquera pas de solliciter une baisse de son loyer, ce qui n'est pas le cas en l'état, voire ne paiera plus ce loyer en raison des nuisances qu'il subira du fait de la présence de la gare de métro devant sa propriété, ce qui n'est pas le cas en l'état, le premier juge a exactement considéré qu'il s'agit d'un préjudice hypothétique et indirect qui ne peut être réparé par le juge de l'expropriation.

Les juridictions de l'expropriation qui disposent d'une compétence d'attribution ne sont en effet compétentes que pour statuer sur les conséquences résultant directement de la seule mesure de dépossession et il ne leur appartient pas de se prononcer sur les préjudices éventuels qui pourraient résulter de la mise en 'uvre des travaux de réalisation du projet déclaré' d'utilité publique et sur les préjudices éventuels qui pourraient résulter de la construction d'un ouvrage public à proximité de l'emprise expropriée, compétence qui appartient au seul juge administratif.

La SCI Al Domus l'admet d'ailleurs en faisant état d'une demande indemnitaire « quasi potentielle ».

Il convient en conséquence de confirmer le jugement qui a débouté la SCI Al Domus de sa demande de 4'800'000 € et de la débouter de sa nouvelle demande formulée en cause d'appel de 9'252'843 €.

- sur la perte des places de stationnement

La SCI Al Domus ne conteste pas le jugement déféré au titre de la perte des 26 places de stationnement pour un montant de 2500 euros l'emplacement soit la somme totale de 65'000 euros.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

- sur l'article 700 du code de procédure civile

L'équité commande de condamner la SCI Al Domus à payer à la RATP la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- sur les dépens

Il convient de confirmer le jugement pour les dépens de première instance qui restent à la charge de la partie expropriante.

La SCI Al Domus perdant le procès sera condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS, la cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement déféré rendu par le juge de l'expropriation du Tribunal de Grande Instance de Paris du 29 septembre 2016 en toutes ses dispositions ;

Déboute la SCI Al Domus de sa demande nouvelle de 9'252'843 € au titre du préjudice commercial ;

Condamne la SCI Al Domus à payer la somme de 1500 € à la RATP au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SCI Al Domus aux dépens d'appel.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 16/24619
Date de la décision : 05/04/2018

Références :

Cour d'appel de Paris G7, arrêt n°16/24619 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-04-05;16.24619 ?
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